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Tentative de synthèse :

phénoménologie de la détermination des responsables en droit administratif

Section 1. Les difficultés relatives à la diversité des régimes législatifs de responsabilité.

II. Tentative de synthèse :

Les différents systèmes se démarquent tout d'abord, c’est l’évidence, selon la compétence juridictionnelle qu'ils induisent. On peut affirmer qu'en principe, la compétence du juge judiciaire concerne les atteintes portées aux libertés publiques en général, soit des préjudices économiques causés par l'activité administrative. Celle du juge administratif, toujours en principe, concerne davantage les dommages causés par les activités régaliennes, qu'il s'agisse des dommages de guerre ou, plus généralement des dommages causés par l'activité des services administratifs dans le cadre de la mise en œuvre de leurs prérogatives de puissance publique.

Bien évidemment, ces constatations globalisantes encourent la critique, et des exceptions existent. Le cadre est cependant celui-là et correspond à une vision traditionnelle de la séparation des autorités administratives et judiciaires250.

248

Idem, p. 239

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Ibidem. On ne peut à ce titre que relever avec l’auteur ce qui constitue la raison immédiate de cette impression, à savoir que “ les parlementaires n’ont jamais eu l’intention de définir et

de classer ”, p. 187. 250

Principe, rappelons le, qui correspond pour le Conseil constitutionnel à réserver au juge administratif l’annulation et la réformation des actes pris par les personnes publiques dans le cadre de leurs prérogatives de puissance publique.

Cependant, au terme de notre analyse et de l’étude des propositions doctrinales en la matière, on peut faire la remarque suivante : lister les éléments qui caractérisent les régimes législatifs de responsabilité revient à indiquer qu’ils permettent d’indemniser les dommages causés par l’activité licite de l'administration, en dehors de toute faute (A) en désignant un débiteur solvable (B).

A. Indemniser les dommages causés par l’activité licite de l'administration251 :

Selon Mme BRECHON-MOULENES252, la législation sur l'indemnisation des dommages causés par les émeutes, les faits de guerre, les “ événements ” d'Algérie et la réparation des accidents du travail procéderait ainsi de la réparation par la collectivité publique du “ risque social ”, cette réparation constituant un “ principe autonome ” du droit de la responsabilité administrative.

Ainsi, analysant récemment les métamorphoses de la responsabilité le professeur Geneviève VINEY indiquait la nécessité d’un “ changement de perspective ”, consistant à substituer aux aménagements actuels de la responsabilité fondée sur la faute (obligation de sécurité, responsable du fait d’autrui et plus largement, responsabilité objective) un système dans lequel le champ de la responsabilité serait déterminé à partir du dommage.253 Cette substitution aurait pour conséquence une remise au goût du jour des anciens principes du droit romain dans lequel un certain nombre de situations dommageables étaient prévues et pour chacune d'elles une sanction spécifique.

En fait, comme le remarque l'auteur, le législateur s'est déjà engagé largement dans cette voie par la création de régimes spéciaux adaptés à certains

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De la même façon, pour Ch. EISENMANN, dans les occurrences où la responsabilité s’analyse non pas comme une sanction, mais comme une obligation d’assurance,

“ l’obligation de réparer, ou mieux d’indemniser - la responsabilité civile - apparaît comme le prix à payer par l’agent d’une activité licite pour avoir le droit de l’exercer, bien qu’elle cause à autrui un dommage ”, Du degré d’originalité…, préc. n° 22

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Thèse préc. p. 133-134.

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G. VINEY Les métamorphoses de la responsabilité, Rapport de synthèse des 6ème Journées René SAVATIER, PUF Poitiers 1998, pp. 322-339

dommages particuliers. Or, cette situation se vérifie aussi bien dans le cadre des régimes spécifiques de responsabilité civile que dans celui de la responsabilité administrative. Seulement il semble bien que la multiplication des régimes dérogeant à un principe général qui reste celui de la faute correspond plus aux “bricolages ” décriés par Mme VINEY qu'à une réelle tentative de modifier en profondeur les fondements de la responsabilité administrative.

On peut ainsi les distinguer selon le fondement de la responsabilité qu'ils mettent en œuvre : responsabilité pour faute ou responsabilité “ objective ”. A ce titre, il semble que ces régimes obéissent à l’une des deux propositions qui suivent :

- ils organisent l’indemnisation des dommages causés par l’activité licite de l'administration

- ils organisent un système assurantiel de garantie des risques fondé sur la solidarité nationale.

Il s’agit autrement dit de garantir l’indemnisation des victimes de dommages, d’une part dans les situations dans lesquelles aucun répondant “ fautif ” n’est susceptible d’être identifié et d’autre part, dans celles où, qui plus est, le dommage causé apparaît comme tellement grave qu’il est hors de question, même en cas d’insolvabilité où d’impossibilité d’identification du responsable, de le laisser sans réparation.

B. Trouver un débiteur solvable :

Certains régimes désignent ainsi spécifiquement la personne publique susceptible d’être actionnée. C’est évidemment le cas s’agissant des régimes de substitution de responsabilité, qu’il s’agisse des dommages causés par les véhicules administratifs, du fait des agissements des membres de l’enseignement public ou encore, plus récemment, des dommages issus de la transmission du virus du Sida.

responsabilité visent généralement à offrir à la victime un débiteur solvable. A cet effet, ils désignent soit l’Etat, soit une personne administrative autre que l'Etat, comme, débiteur primaire de l’indemnité ”254 . L'auteur fait semble-t-il de ce principe la clef de voûte de tous les systèmes législatifs de responsabilité.

On retrouve ainsi l'une des justifications la plus souvent utilisée pour justifier soit certaines solutions qui semblent imputer à une collectivité publique un dommage qui apparaît avoir été commis par une personne physique, soit les systèmes d'obligation à la dette institués au détriment de l'administration. Cette justification du “ débiteur solvable ” est ainsi un des lieux communs de la responsabilité administrative, peut être utilisé un peu trop largement255.

Cependant, comme l'indiquait Maurice HAURIOU, il se vérifie que, pour l’essentiel, ces systèmes d'indemnisation “ ne sont en somme qu’une organisation de surface, un système d’obligation à la dette vis-à-vis d'un créancier privilégié, qui recouvre le système sous-jacent de la contribution à la dette sur la base fondamentale de la faute ”256.

Il est par ailleurs utile de noter que l'évolution de la notion de régime législatif de responsabilité publique correspond, dans les conditions suivantes, à l'évolution du compromis historique de la responsabilité des personnes publiques en général : “ tant que le dogme de la souveraineté de la puissance publique s'oppose à l'élaboration d'un droit jurisprudentiel, ou tant que ce dernier n'en est encore, dans certains domaines, qu'à ses premiers balbutiements, les lois spéciales de réparation connaissent une marche dévorante. Dès lors que les lois en vigueur deviennent insuffisantes, les juridictions poussées par les besoins

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Thèse préc. p. 164

255

C’était l’avis du commissaire du gouvernement KAHN dans ses conclusions sur l’arrêt Jeannier pour qui l’hypothèse dans laquelle la victime d’un dommage est indemnisée par l’agent fautif “ n’a rien qui offense le bon goût, ni le bon sens, quoique l’usage se soit

introduit de convenir que les fonctionnaires publics sont nécessairement insolvables : c’est un de ces axiomes qui reçoivent, on ne sait pourquoi, l’adhésion unanime, y compris – semble-t-il la vôtre, puisqu’en somme la jurisprudence Lemonnier est fondée sur l’insolvabilité présumée des agents publics ” : CE 22 mars 1957, Jeannier, D. 1957 p. 748,

concl. KAHN

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sociaux commencent à interpréter plus librement des textes qui vieillissent déjà, sortent de l’ornière des lois spéciales ”257.

L’hétérogénéité des régimes législatifs de responsabilité est donc assez largement la conséquence de l’évolution des compromis idéologiques qui s’établissent, différemment à chaque époque, entre les notions de faute, de responsabilité et d’indemnisation, c’est-à-dire du degré d’acceptation du dommage. En ce sens, la matière est largement affectée par les évolutions analysées dans les développements précédents. Ainsi, les régimes législatifs ont tour à tour poursuivi deux objectifs : suppléer d’une part les principes généraux de la responsabilité administrative pour permettre sa mise en œuvre là où elle était impossible258 ; aménager ces mêmes principes lorsque leur mise en œuvre apparaissait comme techniquement néfaste pour l’activité de l'administration.

L’évocation nécessaire de ces difficultés théoriques et pratiques nous conduit, dans une perspective éventuellement réductrice, à proposer une présentation des différents régimes législatifs de responsabilité.