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Elle peut être vérifiée s’agissant tout d’abord de l’apparente remise en cause de la faute lourde comme critère de mise en œuvre de la responsabilité par le juge administratif104 : on a certes récemment assisté à l'abandon partiel de la faute lourde en matière de responsabilité des services fiscaux105, de responsabilité

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G. MARTIN, préc. p. 419.

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Sur cette question, on peut se rapporter à l’étude de J. WALINE : L’évolution de la responsabilité extra-contractuelle des personnes publiques EDCE n°45, notamment p. 464

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Le principe du contrôle du Conseil d’Etat, juge de cassation, sur la pertinence du principe de responsabilité retenu par les juges du fond est posé par les arrêts D. du 9 avril 1993, R. p. 110, concl. LEGAL et Commune de Kintzheim du 25 mars 1994, R. p. 162.

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CE Sect. 27 juillet 1990, Bourgeois, R. p. 242, RFDA 1990, p. 899, conclu. CHAHID- NOURAÏ; AJDA 1991, p. 53, note L. RICHER) : responsabilité pour faute simple dans le cadre d’une erreur dans l’établissement de l’assiette de l’impôt et dans le recouvrement. La responsabilité n’est engagée pour faute simple qu’en l’absence de “ difficultés particulières tenant à l’appréciation de la situation des contribuables ”. Les espèces CE 13 mai 1991, Commune de Garges-lès- Gonesse, R p. 178 (s’agissant d’une collectivité locale) et CE Sect. 29 décembre 1997, Commune d’Arcueil, AJDA 1998, p. 180 et la chronique (s’agissant d’un particulier), maintiennent en effet le régime de la faute lourde pour les opérations d’assiette. On assiste là à un mouvement inverse au courant général dont l’origine est probablement à trouver dans la double raison du caractère hautement symbolique du domaine considéré, au regard de la notion de souveraineté notamment, et des conséquences que pourraient induire une plus grande facilité de mise en cause des services fiscaux pour les finances publiques. La difficulté matérielle de la mise en œuvre des opérations en cause pourraient figurer un argument supplémentaire. Cette solution critiquée (cf. AJDA 1998 p. 112 la chronique de

dans l'ensemble du domaine médical106, puis particulièrement de l'Etat à l'occasion de son activité de tutelle sur les centres de transfusion sanguine107 et à l'occasion de l'activité du secours médical d'urgence par l'arrêt Theux108. Le Conseil d'Etat vient de faire de même s'agissant de l'activité de lutte contre l'incendie par un arrêt du 29 avril 1998, Commune de Hannapes109, et de l’activité de “ contrôle et de surveillance des activités de conception et de construction des navires ”110.

Enfin, encore en matière de police, la faute lourde n’est plus une condition d’engagement de la responsabilité à raison du dommage causé par l’abstention ou le refus d’un maire de prendre, à l’égard d’une personne affectée de troubles mentaux toutes mesures provisoires nécessaires111. La solution est la même s’agissant de la responsabilité de l’Etat du fait de l’activité de contrôle des autorités bancaires112.

Ainsi, au terme de cette évolution, seuls quelques domaines semblent encore soumis au régime de la faute lourde : les régimes bénéficiant d’un système

MM. GIRARDOT et RAYNAUD) est ainsi justifiée par le commissaire du gouvernement GOULARD, classiquement par le fait que “ l’activité des services d’assiettes et de

recouvrement est difficile tant en raison de la complexité du droit applicable que de la nature des relations qui s’établissent avec les contribuables qui poursuivent souvent un but inverse de l'administration ” mais de façon plus intéressante en ce que “ les services fiscaux sont des attributs du pouvoir régalien, ce qui dissuade de les assimiler à un service public ordinaire ”. RJF 1998, n° 2 p. 81 :

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CE Ass. 10 avril 1992, Epx. V, R. p. 171; AJDA 1992, p. 355, conclu. LEGAL ; RFDA 1992, p. 571

107

CE Ass. 9 avril 1993, G. D. B., R. p. 242 ; RFDA 1993 p. 583, AJDA 1993, p. 344 et chron.

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CE Sect. 20 juin 1997, Theux, R. p. 254 conclu. STAHL ; RFDA 1998, p. 82,

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CE 29 avril 1998, Commune de Hannapes, R. p. 186, D. 1998 p. 536, note LEBRETON ;

RDP 1998 p. 1001, note PRETOT ; LPA 10 mars 1999, note PIERACCINI. Il semble à

l’issue de ces jurisprudences qu’il ne soit plus possible d’affirmer que le critère d’application de la faute lourde soit celui de la difficulté de l’intervention de l’autorité administrative posé par l’arrêt d’Assemblé Marabout, du 20 octobre 1972, R. p. 664.

110

CE Sect. 13 mars 1998, Améon et autres, R. p. 82. Voir aussi CAA Nantes, 4 novembre 1999, Min. équip. log. trans. c/ Mme Crochemore et autres, JCP éd. G. 2001.II.10466 conclusions J.-F. MILLET, Gaz. Pal. 11/13 février 2001, Panorama du droit public p. 49

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CE 14 avril 1999, Société AGF, DA 1999, n° 180.

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Qu’un récent arrêt de Cour d’Appel soumet au régime de la faute simple : CAA Paris, 30 mars 1999, El Shikh, n° 96PA04386, JCP 2000.II.10276 conclusions Mireille HEERS.

légal ou conventionnel d’irresponsabilité partielle113, celui des activités matérielles de maintien de l’ordre114 et une partie de la responsabilité des services fiscaux115, le contrôle de légalité du préfet sur les actes des collectivités locales116, ou encore la garantie de la sécurité des détenus117. Autrement dit, outre certains régimes spéciaux issus de dispositions conventionnelles ou légales, les activités considérées traditionnellement comme “ régaliennes ”118. Nous aurons l’occasion d’indiquer qu’il existe probablement un fondement plus complexe, dans le cadre de notre seconde partie119.

Mais, outre le fait que le domaine d’application de la faute lourde n’a pas pour autant disparu120, on remarque aussi que si le juge n’exige plus, dans ces

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Régimes qui correspondent à une irresponsabilité organisée de l'administration, comme c’est notamment le cas de l’article 7 du code des P. et T. concernant l’acheminement des objets de correspondance ordinaire : CE 22 janvier 1986, Mlle Grelier, R. tables, p. 643.

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Par exemple, dans le cadre de la lutte contre les activités terroristes : CAA Marseille, 4 mars 1999, C° d’assurances générales de France, n° 97MA00552, Gaz. Pal. 2000 n° 121 à 125, Panorama p. 20

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A ce titre, “ l’utilité du concept de faute lourde (…) ne se conçoit que dans un domaine

d’activité où l'administration est susceptible de commettre des fautes qui ne peuvent matériellement ou ne méritent pas toutes d’être sanctionnées ”, C.J. DUCHON-DORIS,

concl. préc. p. 1039

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CAA Marseille 15 septembre 1998, Société au service du développement, Gaz. Pal. 1999, p. 222, confirmé par CE Section, 21 juin 2000, Ministre de l’équipement et des transports c/ commune de Roquebrune-Cap-Martin. RDP 2000 p. 1247 : conclusions TOUVET ; RFDA 2000 p. 888 et 1096 note P. BON ; DA août-septembre 2000, n° 195, p. 24 : “ considérant

que la circonstance que le préfet des Alpes-Maritimes s’est abstenu de déférer au tribunal administratif le POS de la commune de Roquebrune-Cap-Martin sur le fondement duquel a été délivré le permis de construire litigieux, ne revêt pas le caractère d’une faute lourde, seule de nature à engager en pareil cas la responsabilité de l’Etat envers la commune ”. On

se place ici d’ailleurs dans le cadre général des actions de tutelles et de contrôle : CE Ass. 29 mars 1946, Caisse départementale d’assurances sociale de Meurthe-et-Moselle, R. p. 100 ;

GAJA n° 65. 117

Voir une décision critiquée du TA de Rouen, 3 février 1999, M.C. LPA 18 février 2000, n° 35 p. 16

118

Analysant les justifications de l’existence d’un régime de faute lourde en matière de responsabilité des services fiscaux, le commissaire du gouvernement CHAHID NOURAÏ indiquait ainsi dans ses conclusions sur l’arrêt Bourgeois, que “ la première est historique :

le prélèvement fiscal est l’une des prérogatives les plus anciennes et les plus fortes de la puissance publique .. ” Concl. op. cit. RFDA 1990

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Voir infra, les développements relatifs à la différence entre service public et police administrative en matière de responsabilité administrative.

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La reconnaissance de la responsabilité administrative en raison des conséquences de l’acte administratif en cause qui doivent être alors d’une réelle gravité, ce que le juge apprécie

matières, la présence d’une faute d’une particulière gravité pour mettre en cause la responsabilité administrative, il continue de la conditionner à la présence d’une faute, dont la reconnaissance est, comme en contrepartie, de moins en moins facilement admise par la jurisprudence : certains voient ainsi dans cette évolution récente la seule volonté pour le juge de remettre en cause l’usage de la notion de faute lourde, dont l’emploi devenait politiquement problématique, au regard de l’évolution actuelle des mentalités121.

C’est ce qu’indiquait le commissaire du gouvernement STAHL qui justifiait la nécessité d’abandonner la faute lourde dans ses conclusions sous l’arrêt Theux122 au motif qu’il “ est maintenant perçu par les justiciables comme une limitation injustifiée de la responsabilité des personnes publiques ”, alors que “ le juge de la réparation ne peut durablement donner à penser à ses concitoyens qu’il ne leur rend pas justice ”.

Mais il faut encore relativiser l’importance de ces décisions. Le Professeur LEBRETON123 fait ainsi opportunément remarquer, ce que la lecture des conclusions des commissaires sous ces deux affaires laisse d’ailleurs à penser, que l’évolution est essentiellement terminologique, puisque la jurisprudence substituerait désormais à la distinction faute lourde / faute simple une nouvelle différenciation entre faute et erreur non fautive124 cette dernière étant définie

strictement ; cf., récemment, CE 14 janvier 1998, M. Dagorn, LPA 1998, n° 80, p. 10, conclusions BONICHOT : l’absence de motivation n’est pas une faute lourde.

121

Pour C. SCHAEGIS, “ les opinions qui se manifestent sur la notion de faute se situent

peut être d’avantage sur le terrain de l’opportunité politique que de la technique juridique ”,

op. cit., p. 60

122

CE sect. 20 juin 1997, RFDA 1998, p. 85 conclusions STAHL. Ainsi, selon le rapport du Conseil d’Etat pour 1998 cette espèce “ participe de l’évolution générale vers une

responsabilité élargie des personnes publiques telle qu’on peut la constater aussi bien dans le contentieux administratif que dans le contentieux pénal ” : EDCE n° 49, p. 244

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G. LEBRETON, note sous CE Section 13 mars 1998, M. Ameon et autres, et 29 avril 1998, Commune de Hannapes, D. 1998, pp. 535-538.

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note STAHL préc. p. 87, F. RAYNAUD et P. FOMBEUR, chronique AJDA, 1998, p. 424. De la même façon, le commissaire du gouvernement TOUVET, dans ses conclusions sur l’arrêt Améon et autres indiquait que le passage de la faute simple à la faute lourde n’interdisait pas au juge d’être “ plus exigeant avant de reconnaître une faute de la part d’un

comme “ la maladresse légère ou l’imprudence minime explicable par une situation d’urgence ”125 ou comme “ l’ensemble des erreurs qui n’ont pas un degré de gravité suffisant…ou qui s’expliquent par des situations d’urgence (ou par …) des difficultés techniques particulières ”126. M. LEBRETON voit ainsi dans cette modification de pure forme une “ opération de marketing ”127 qui, si elle reste sans réelle conséquence sur la situation des victimes, ce que la jurisprudence à venir pourra seule démontrer, est assez significative des pressions auxquelles le juge administratif est soumis lorsqu’il décide des conditions de mise en œuvre de la responsabilité des personnes publiques128.

conclusions sur CAA Marseille 21 janvier 1999, Commune de Saint Florent, RFDA 1999. p. 1032.

125

Conclusions LEGAL sous CE Ass. 10 avril 1992, Epx. V, AJDA 1992 p. 361. Cette finesse d’analyse de la notion de faute, par ailleurs, était déjà mise en évidence par le commissaire du gouvernement BARBET dans ses conclusions sur les arrêts Daramy et Lecomte au JCP 1949.II.5092.

126

Conclusions STAHL préc. p. 87

127

G. LEBRETON, note op. cit. p. 537, pour qui “ le droit administratif verse dans

l’illusion…on escamote par un tour de passe-passe la faute lourde, qu’on fait réapparaître à travers la faute , tandis que la véritable faute simple, sommée de lui céder la place, ressurgit du chapeau de l’erreur “ non fautive ”, en contradiction avec la jurisprudence selon laquelle toute illégalité est une faute ”, tout cela ayant pour unique objectif de “ restaurer la confiance des justiciables en la justice administrative ”. Le trait est peut-être un peu forcé,

mais cette analyse n’est probablement pas tout à fait fausse. D’ailleurs, elle confirme l’affirmation de Mme PISIER-KOUCHNER qui affirmait, en 1972 : “ jusqu’à une époque

récente, l’exigence de la faute lourde permettait de n’engager que très rarement la responsabilité de l’Etat et les arrêts de rejet se contentaient de noter que “ dans les circonstances de l’affaire ” il n’y avait pas faute lourde. Depuis un certain temps, cependant, une évolution jurisprudentielle tend à reconnaître l’existence d’une faute lourde dès qu’une insuffisance dans l’organisation ou le fonctionnement du service a pour conséquence d’aggraver l’ampleur du sinistre ”, La responsabilité de la police, Dossiers Thémis, PUF

1972, p. 40.

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Cette réflexion peut d’ailleurs être intégrée dans un contexte plus large, qu’a notamment mis au jour récemment le professeur GAUDEMET. Pour l’auteur en effet, qui analyse “ les nouvelles méthodes du droit administratif français ”, “ le fait même que la préoccupation

normative se soit déplacée de la jurisprudence vers les attributions administratives du Conseil d’Etat…(a) modifié la perspective. Alors que (…)la juridiction administrative trouvait sa raison d’être et sa justification dans la qualité de sa jurisprudence, dans sa participation essentielle à l’expression de la légalité administrative, toute une série de paramètres nouveaux ont fait comprendre qu’elle devait être aujourd’hui appréciée et jugée au moins autant sur la qualité de son travail proprement juridictionnel, sa crédibilité, sa prévisibilité et sa fiabilité pour les justiciables ” : Les nouvelles méthodes du juge