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Les régimes de substitution de responsabilité :

phénoménologie de la détermination des responsables en droit administratif

Section 2. Les divers régimes législatifs : tentative de typologie

II. Les régimes permettant ou facilitant l’indemnisation des victimes :

1. Les régimes de substitution de responsabilité :

Ces régimes législatifs ont en commun, outre de voir la responsabilité de la personne publique substituée à celle de l’agent, d’avoir pour conséquence la soumission du contentieux à la compétence du juge judiciaire. Selon C. BRECHON MOULENES287, cette attribution de la compétence au juge judiciaire correspond d’une part à une certaine méfiance du législateur à l’égard du juge administratif, d’autre part à une volonté d’élargissement de la responsabilité publique et enfin à un aménagement de la réparation.

Sont en cause le régime des membres de l'enseignement public (1) et celui des véhicules administratifs (2).288

a. Le régime des membres de l'enseignement public289

Au terme d'une évolution législative290, la loi du 5 avril 1937 substitue la

287

C. BRECHON-MOULENES, Répertoire Dalloz :Responsabilité de la puissance publique, n°13, Régimes législatifs spéciaux relevant de la juridiction judiciaire.

288

Pour une étude combinée des deux régimes, voir l'article de G. DARCY au Jcl Procédure

pénale (art. 1 à 5) sur la “ Compétence des tribunaux judiciaires pour statuer sur la réparation

des dommages occasionnés par tout véhicule contre une personne morale de droit public ”

289

Sur cette question : G. DARCY, La responsabilité de l’Etat du fait des accidents scolaires, Thèse Paris II. 1976.

responsabilité de l'Etat à celle des membres de l’enseignement public pour les dommages causés par les élèves ou aux élèves placés sous leur surveillance. Cette substitution s'applique aux membres de l'enseignement public291 et, en application d'un décret du 22 avril 1960, à ceux de l’enseignement privé sous contrat d'association avec l'Etat.

Cette responsabilité est mise en œuvre par le juge judiciaire : la victime doit attraire non pas “ l'enseignant ”, mais directement l’Etat devant le tribunal civil du lieu du dommage292.

Elle devra prouver, aux termes de la jurisprudence Gavillet293, l’existence d'une faute de l'agent : le droit commun de la responsabilité administrative s'appliquera “ dans le cas où le préjudice doit être regardé comme indépendant du fait de l’agent ”, notamment si le dommage est dû à un défaut d'organisation du service ou prend sa source dans une faute de l'Etat ou un défaut d'entretien d'un ouvrage public294. Il serait en effet illusoire de penser que l’instauration d'un

290

Sur cette question, lire récemment : J. FIALAIRE : le contentieux de la responsabilité dans le domaine de l’enseignement, JCP 2000.I.204, p. 239.

291

Le domaine d'application de cette substitution de responsabilité est large, puisqu'une circulaire du ministère de l'éducation nationale du 31 décembre 1968 précise que la loi s’applique a “quiconque est chargé à titre public d'une mission d'enseignement et

d'éducation quelle qu'elle soit ” : AJDA 1969, p. 408. Cette définition exclut cependant les

fonctionnaires des écoles publiques de l'Etat ne remplissant qu'une fonction administrative, ainsi que les membres de l’enseignement supérieur qui n’ont pas de mission de surveillance des étudiants.

292

Article 2, alinéa 5 de la loi de 1937

293

TC 31 mars 1950, Mademoiselle Gavillet, R. p. 658 ; JCP 1950.II.5579 note G. VEDEL,

D. 1950 p. 331 concl. DUPUICH ; S. 1950.3.85 note H. GALLAND ; RA 1950 note

GERVAIS : “ la loi du 5 avril 1937 (…) doit être réputée avoir maintenu la règle (…) en

vertu de laquelle en cette matière spéciale et par dérogation aux principes généraux qui gouvernent la séparation des compétences administratives et judiciaires, la compétence de la juridiction judiciaire s’étend à l’ensemble des cas où le dommage invoqué a sa cause dans une faute de l’instituteur, quel que soit, juridiquement, le caractère de cette faute ”.

294

Principe rappelé explicitement par : CE 20 décembre 1985, Dlle Irissou, R. 387 ; D.A. 1986 n° 130 ; D. 1986, IR p. 205, Gaz. Pal 1986 p. 317 : “ il résulte des dispositions de la loi

du 5 avril 1937 que, par dérogation aux principes généraux qui régissent la séparation de l'autorité administrative et de l'autorité judiciaire, la compétence de la juridiction civile s'étend à l'ensemble des cas où le dommage invoqué a sa cause dans une faute d'un membre de l'enseignement, quel que soit, juridiquement, le caractère de cette faute; que les règles normales de compétence ne retrouvent leur empire dans ce domaine que dans le cas où le

régime spécifique de responsabilité permette à coup sûr de déterminer à la fois le patrimoine responsable et le juge compétent à ce titre.

Certaines espèces sont fort complexes, dès lors qu'elles font intervenir plusieurs de ces éléments295.

Ainsi, dans une espèce Consorts Metnaoui296 le Conseil d’Etat avait décidé que le décès d’une enfant par noyade dans le cadre d’une séance de natation scolaire pouvait être imputé soit à l’Etat devant les juridictions judiciaires, dans le cadre de la loi du 5 avril 1937, soit à la commune devant le juge administratif dans le cadre d’un dommage de travaux publics ou d’une faute commise par le personnel communal297.

préjudice subi doit être regardé comme indépendant du fait de l'agent; soit que ce préjudice ait son origine dans un travail public, soit qu'il provienne d'un défaut d'organisation du service public de l'enseignement ”.

295

Voir par exemple : CAA Bordeaux, 4 avril 1991, Mme Brun et consorts Latorre. Noyade d’un élève d’une section d’éducation spécialisée lors d’une séance de natation scolaire dans une piscine municipale. La commune, seule appelée en cause, ne saurait en principe s’exonérer de la responsabilité qui lui incombe dans l’exercice de sa mission de surveillance de ladite piscine en invoquant les fautes commises par l’institutrice chargée de la surveillance de la victime à la responsabilité de laquelle est substituée, en vertu de la loi du 5 avril 1937, celle de l’Etat. Toutefois, s’agissant d’un accident du travail et l’art. L.451-1 CSS faisant obstacle à ce que la commune co-auteur du dommage puisse exercer une action en garantie contre l’Etat, employeur de la victime, mais également co-auteur de l’accident, la faute commise par l’employeur, dans la mesure où elle a contribué à produire le dommage a pour effet, dans la même mesure, d’atténuer la responsabilité encourue par la commune.

296

CE 10 juin 1988, Consorts Metnaoui, R, p. 235 : noyade d'un enfant survenue dans une piscine municipale au cours d'une séance de natation scolaire à laquelle il participait en tant qu’élève d'un collège d'enseignement secondaire. Selon le Conseil d'Etat, un tel accident peut donner lieu à une action en responsabilité contre l'Etat, soit devant les tribunaux judiciaires en application de la loi du 5 avril 1937, lorsque le préjudice est imputé à une faute commise par un membre du personnel enseignant, soit devant la juridiction administrative, lorsque le préjudice est imputé à un défaut d’organisation du service public de l'enseignement. Toutefois, la possibilité de mettre en jeu la responsabilité de l’Etat dans ces conditions

n'exclut pas que la responsabilité de la commune puisse être recherchée devant le juge

administratif à raison soit d'un défaut d'aménagement de l'ouvrage public constitué par la piscine municipale, soit d'une faute née d'une surveillance défectueuse ou d'une méconnaissance des exigences relatives à la sécurité, de la part du personnel communal chargé d’assurer la surveillance de la piscine.

297

Sur le problème des actions en garanties, cf. infra. S’agissant d’un dommage résultant à la fois d’une faute de l’instituteur et d’un défaut d’entretien de l’ouvrage ou d’une mauvaise organisation du service, voir par exemple CE 26 juin 1963 Seguinot, R. p. 400, AJDA 1960

Dans une espèce Epoux Martinez298, le Tribunal des conflits, s’agissant d’un accident survenu à un élève lors d’une excursion au col de la Faucille décide que “ l’accident s’est produit au cours d’une activité organisée dans le cadre de l’enseignement sous la responsabilité du directeur d’école et de l’instituteur chargé de la classe ; que la circonstance qu’il soit survenu alors que l’enfant se trouvait dans un groupe placé sous la surveillance non de l’instituteur lui-même mais d’un moniteur, agent de la commune, participant à l’encadrement de la classe, ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de l’Etat soit recherchée sur le fondement des dispositions précitées de la loi du 5 avril 1937 ; qu’il y a lieu, par suite de renvoyer le jugement de l’affaire aux tribunaux de l’ordre judiciaire ”.

La responsabilité de la commune ne pourrait donc n’être engagée, le cas échéant, que sur la base du défaut d’entretien de l’ouvrage public299, même si naturellement, au regard des circonstances, la jurisprudence citée ne permet pas de se prononcer définitivement sur ce point.

Il reste que dans ces situations, la victime du dommage sera placée dans une situation certes complexe, mais néanmoins favorable, puisqu’elle pourra choisir le terrain sur lequel elle entend faire prononcer la responsabilité de la puissance publique.

b. Le régime des véhicules administratifs.

On sait que, “ par dérogation à l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 ”,

p. 90 note H. A. : la victime peut saisir la juridiction de son choix : “ si la commune soutient

que l’accident dont s’agit serait partiellement imputable à ce que les instituteurs n’auraient pas suffisamment surveillé les enfants et que ce défaut de surveillance engagerait la responsabilité de l’Etat dans les conditions fixées par la loi du 5 avril 1937, cette circonstance est sans influence sur la responsabilité encourue par la commune à l’égard de la jeune victime, et est seulement de nature à permettre à la commune d’exercer devant la juridiction compétente, une action récursoire contre l’Etat ”.

298

TC 15 février 1999, Epoux Martinez, R. p. 440

299

la loi du 31 décembre 1957300 réserve au juge judiciaire la compétence s'agissant du contentieux des dommages causés par les véhicules propriété des personnes publiques ou dont elles ont la garde. On sait aussi qu'un débat complexe a porté sur la notion de véhicule301, qui ne cesse d’ailleurs d’être précisée dans le sens, par exemple, de la reconnaissance d’une pelleteuse comme moyen de transport…302.

Le système de responsabilité instauré par cette loi fait donc a priori sortir le domaine des accidents de la circulation causés par des véhicules administratifs du champ de notre étude. Ce n'est cependant pas le droit privé qui s'applique purement et simplement ici : la loi du 31 décembre 1957 institue en effet un système de substitution de responsabilité au profit des victimes qui ne peuvent agir qu’à l’encontre de la personne publique, qui pourra exercer une action récursoire à l’encontre de l'agent ou des agents responsables.

Cette solution vaut également et même si la loi ne le prévoit pas expressément, s’agissant des dommages pouvant êtres assimilés à des dommages

300

Loi n° 57-1424, JORF 5 janvier 1958, p. 196. Sur les raisons qui ont amené le législateur à instaurer une telle compétence, puis une substitution de responsabilité, voir la thèse de J.-A. MAZERES, “ Véhicules administratifs et responsabilité publique ”, LGDJ, BDP t. XLVII, notamment p. 179, et G. DARCY, art. au Jcl. Procédure pénale, préc. p. 7. Pour l'essentiel, il s'agissait, d'une part de remédier à la différence de traitement des victimes d'accidents de la circulation, les indemnisations consenties par le juge administratif étant notoirement inférieures à celles offertes par le juge judiciaire et d'autre part de garantir l'agent des poursuites pécuniaires de la victime.

301

En l'état actuel de la jurisprudence il s'agit de tout engin susceptible de se mouvoir par un dispositif propre, même si une tondeuse à gazon ou un ascenseur se sont vus dénier une telle qualification: CE 23 mars 1969, Société Otis Pifre, R p. 231 ; CE 14 mars 1969, 'Ville de Perpignan, R p. 156. Comme le remarque le professeur PAILLET, préc. p. 179, “ ces

distinctions ne vont pas toujours sans quelque arbitraire ”, même si on peut indiquer avec le

professeur J. MOREAU que “ si on peut apprécier diversement ces solutions, elles sont

conformes aux vœux du législateur, soucieux d’uniformiser le sort des victimes d'accident ”,

note sous CE, 26 juin 1986, Mme Curtol, AJDA 1986, p. 654.

302

Voir récemment : CE 16 novembre 1992 SA Entreprise Razel frères C/ époux Girard, R. p. 407, AJDA 1993 p. 223, obs. P. LE MIRE : cas de dommages causés à un immeuble par les vibrations engendrées par des travaux de voirie effectués à l’aide de rouleaux compresseurs et de tirs de mines : le juge administratif ne se décide compétent que pour les dommages dus aux tirs de mines, qu’il estime ( !) correspondre à 50% de l’intégralité du dommage… Comme l’indique P. LE MIRE “ le moins que l’on puisse dire est que tout ceci

de travaux publics.303

Cette question avait fait l’objet de controverses et d'hésitations, sur le point de savoir notamment si la loi du 31 décembre 1957 prime sur la loi du 28 pluviôse an VIII et sur le caractère attractif de la notion de travail public. À la suite de jurisprudences contradictoires, le Tribunal des Conflits se prononce en faveur de la compétence judiciaire, même lorsque le véhicule à l'origine du dommage participait à l’exécution d’un travail public et se trouvait par exemple sur un chantier de travaux publics304.

Pour la victime d’un accident de la circulation impliquant un véhicule administratif, le système paraît donc simple : elle devra attraire devant le juge judiciaire, qui jugera “ conformément aux règles du droit civil ”, la personne publique à laquelle l'agent conducteur ressortit 305, et elle seule. Plus exactement, l'assureur de la victime, à la suite de l'échec de la négociation précontentieuse, agira devant le tribunal compétent pour faire reconnaître ses droits, la victime n'étant finalement qu'assez peu “ impliquée ” dans cette démarche. L’administration quant à elle, pourra exercer une action récursoire à l'encontre de l’agent en cause.306

Cependant, cette apparente simplicité et ce caractère largement favorable aux victimes doit être relativisé : l'intégration de certaines situations spécifiques dans le cadre du système est encore parfois problématique et nécessite l’intervention du Tribunal des conflits pour départager des positions contraires du juge judiciaire et du juge administratif307.

303

Sur les difficultés rencontrées dans ce domaine pour déterminer le patrimoine public responsable, voir infra, les développements relatifs aux régimes jurisprudentiels spécifiques.

304

TC 14 novembre 1960, C° des bateaux à vapeur du Nord, R p. 871 ; TC 14 novembre 1960 Allagnat C. département du Jura, R. p. 870; RDP l960 p. 190; RTDC 1961, p. 137 n' 44; JCP1960.II.118 74 : AJDA 1960 p. 186 et 355.

305

C’est ici le lien statutaire qui sera mis en œuvre.

306

V. infra, les développements relatifs à la détermination de la responsabilité, en non plus de l’imputabilité. Elle relèvera, le cas échéant, de la compétence des juridictions administratives, puisqu'elle mettra en cause une faute statutaire.

307

Ainsi par exemple, le problème s'est posé de savoir si les dommages causés aux cultures par l’épandage de produits insecticides était consécutif de l'intervention d’un véhicule (avion

Par ailleurs, certaines situations sont particulièrement complexes : par exemple, dans un arrêt Sauvi308 un dommage avait été causé, dans le cadre d'un incendie de forêt, à la résidence des requérants du fait du largage aérien de produits, destinés à retarder la propagation du sinistre. Les requérants ayant entendu mettre en cause la responsabilité de l'Etat sur le seul terrain de la faute commise dans l’organisation des opérations de lutte contre les feux de forêt, le juge avait, en appel, décliné sa compétence en se fondant sur les dispositions de la loi de 1957.

Au contraire, le Conseil d’Etat estima que le dommage était dû au fonctionnement défectueux des services d'incendie. Cette circonstance, on l’étudiera plus en détail309, a pour conséquence la mise en œuvre de la responsabilité de la commune lieu du sinistre.

Les autres régimes législatifs instaurent pour essentiel des techniques d'indemnisation des victimes, sans conséquences sur la compétence juridictionnelle.