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Les différences dans le cadre du contrôle du juge administratif

phénoménologie de la détermination des responsables en droit administratif

Section 2. Les différences dans le cadre du contrôle du juge administratif

On l’a dit, le rapport d’imputation correspond à l’édiction d’une norme permettant au juge de déterminer le patrimoine répondant, qui s’oppose au rapport de causalité qui est du domaine des faits et correspond à la tentative de re- création de la réalité.

Il est donc normal, dans cette optique, que le contrôle de cassation du Conseil d’Etat ne porte pas sur cette causalité : il ne concernera que l’imputabilité, c’est-à-dire l’opération enfermée dans des critères juridiques. La causalité relève de l’appréciation souveraine223 des juges du fond. En revanche, l’imputabilité n’est pas un problème de qualification et tombe sous le contrôle de l’erreur de droit.

Il faut cependant relativiser cette simplicité apparente : la question de l’imputabilité pose en effet plus, comme l’indique C. POLLMAN, une difficulté relative à l’application du droit , au regard de “ la faible densité et rigueur des règles juridiques applicables ”. Observant que, progressivement, la Haute assemblée ne connaît plus des litiges sur la responsabilité civile des personnes publiques qu’en cassation, l’auteur note qu’en matière de responsabilité, le Conseil d’Etat, tout en conservant le caractère classique du contrôle de cassation, semble effectivement moduler son étendue en fonction de la portée des problèmes soulevés.

En indiquant ainsi la nécessité “ d’étudier la mise en œuvre de la

cependant clairement de l’arrêt Dubouloz (CE Section, 28 juillet 1993, Consorts Dubouloz,

R. 250 ; conclusions J-C BONICHOT RFDA 1994 pp. 36-42 ; AJDA 1993 p. 743 et la chron.

) : la section du contentieux a estimé que les juges du fond avait souverainement estimé qu’il n’existait pas de lien entre le décès de la victime (noyade) et l’insuffisance non contestée des moyens de secours mis en place par la commune.

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Cf. sur ce point, C. POLLMAN, L’étendue du contrôle de cassation du Conseil d’Etat en

matière de responsabilité extra-contractuelle des personnes publiques ”, R.D.P. 1996, pp.

responsabilité, qui est laissée à l’appréciation des juges du fait en fonction de la technicité des problèmes ” il en arrive à proposer une distinction entre la causalité, non contrôlée224, et l’imputabilité, contrôlée. La question est alors de savoir si, et dans quelle mesure, la causalité et l’imputabilité du dommage relèvent de l’appréciation souveraine, de la qualification juridique ou d’une éventuelle erreur de droit.

L’appréciation des faits qui succède à leur constatation consiste à les résumer, les peser, les interpréter et à en tirer les conclusions appartient au juge du fond. Le problème est plus complexe225 s’agissant de la qualification juridique des faits qui donne une valeur et une place juridique aux faits ainsi appréciés, elle les désigne dans les termes prévus par les règles légales, réglementaires ou jurisprudentielles. On peut affirmer, que le contrôle de la qualification trouve à s’appliquer lorsque le seul contrôle de l’erreur de droit par le Conseil d’Etat ne permet pas d’éviter un risque de divergence dans l’utilisation de la norme par les juges du fond226. La Haute juridiction laisse ainsi à l’appréciation des juges du fond le défaut d’entretien normal d’un ouvrage public mais exerce son contrôle sur la qualification d’ouvrage exceptionnellement dangereux qui détermine la mise en œuvre d’un régime spécifique et qui ne fait pas l’objet d’une jurisprudence bien établie227. Comme le remarque H. TOURARD, ce déterminant de l’utilité est assez peu juridique. Il correspond cependant pour le Conseil d’Etat à une application fort pragmatique de son rôle de juge de cassation.

* * *

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Voir cependant CE 26 novembre 1993, SCI “ Les jardins de Bibémus ”, R.. p. 327 ; CE 29 juillet 1994, M. le Bœuf, R. p. 1052 ; CE 29 décembre 1997, CHR de Montpellier, req. n° 144.579 : l’établissement du caractère direct du lien de causalité relève du contrôle de la qualification juridique des faits. Comme l’indique H. TOURARD, “ on peut s’interroger sur

l’opportunité et la clarté de cette frontière entre l’existence et le caractère direct du lien de causalité ” : Quelques observations sur le Conseil d’Etat juge de cassation, RDP 2000 p. 487 225

Cf. G. DARCY et M.PAILLET, Contentieux administratif, préc. p. 191.

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Le décor est campé. C’est sur ce terrain, tel qu’il vient d’être décrit, que le juge administratif intervient. Telles sont, semble-t-il, les bases et les prémisses de ses interventions et de ses décisions.

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Conclusion du Titre 1 :

Telle qu’elle vient d’être présentée, la démarche du juge administratif, lorsqu’il est amené à se prononcer sur la recevabilité d’une action en responsabilité, peut être synthétisée de la façon suivante :

- La causalité : le juge administratif est d’abord conduit à étudier l’existence d’un véritable préjudice et du lien de causalité entre ce préjudice et l’action de la personne publique. L’imputation, telle que définie ensuite, en résultera facilement.

Cependant, dans les cas complexes, lorsque cette constatation est rendue difficile, le juge, dans le cadre apparent d’un pur rapport de causalité, se penchera sur la question de l’imputabilité.

- L’imputabilité : il s’agira ainsi de qualifier l’intervention de la personne publique dans le dommage, afin de décider si, au regard des règles gouvernant la responsabilité administrative, elle s’intègre dans le cadre des actes susceptibles de mettre en cause la responsabilité de son auteur. C’est là qu’une véritable évolution, qu’on a analysée s’est fait jour, puisqu’on est passé de “ l’obligation pour les personnes publiques d’indemniser la victime des dommages causés par la faute d’un agent ” à “ leur obligation de couvrir un dommage qu’elles ont ou non, causé ”228

- L’imputation : le juge décide à quelle personne publique cette réparation devra être réclamée. C’est le sens que MM. RIVERO et WALINE donnent à ce terme lorsqu’ils indiquent que “ le dommage n’est réparable qu’autant qu’on peut l’imputer au fait d’une personne publique déterminée ”229.

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D. TRUCHET, art. op. cit. à la RDSS, p. 5

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TITRE 2 :

la détermination du patrimoine public responsable :

situations simples et situations complexes

Avant d'entreprendre notre étude, il faut en circonscrire le champ : certains domaines, en effet, ne se prêtent pas à cette créativité jurisprudentielle et ne sont donc pas intéressants dans la perspective qui nous occupe. La norme, en ce qui les concerne, peut notamment avoir été posée par le législateur, ou résulter d'un régime jurisprudentiel spécifique, dont le caractère dérogatoire interdit de tenter de l’intégrer dans une construction plus vaste.

Il existe un point de départ pour mener cette réflexion : la détermination du patrimoine public responsable par le juge administratif obéit en effet à une première règle intangible : les personnes publiques ne peuvent être condamnées

à payer une somme qu'elles ne doivent pas230. Il s'agit là d’un moyen d'ordre

public : le juge refusera d'office d'indemniser un chef de préjudice qui n'est pas la conséquence directe de faits dommageables commis par la personne publique actionnée.231 Ce principe, naturellement, ne concerne que les cas dans lesquels

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C’est le principe posé par l’arrêt Mergui : “ considérant que les personnes morales de

droit public ne peuvent jamais être condamnées à payer une somme qu’elles ne doivent pas ; que cette interdiction est d’ordre public et doit être soulevée d’office par la juridiction à laquelle une telle condamnation est demandée ” : CE 19 mars 1971, Mergui, R. p. 235. Voir

récemment : CE 4 avril 1997, Société d’ingénierie immobilière sud, n° 127884, R. Tables p. 1038 : “ Considérant que les personnes morales de droit public ne pouvant être condamnées

à payer une somme qu’elles ne doivent pas, il appartient au juge du fond, dans la limite des conclusions des parties, de refuser, au besoin d’office, d’indemniser un chef de préjudice qui n’est pas la conséquence directe de faits dommageables ”. Une précision cependant : CE

Sect. 26 juin 1992, commune de Béthoncourt, R. p.268 : une commune ne peut soulever pour la première fois devant le juge de cassation un moyen d'ordre public tiré de ce qu’elle ne pouvait être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas si ce moyen ne ressortait pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond.

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Voir par exemple CE 14 avril 1961, Dame Rastouil, AJDA 1961 p. 301, conclusions HEUMANN. Le commissaire du gouvernement s'interroge, a propos d’un dommage de travail public sur le point de savoir si “ la victime n'a d'action que contre la collectivité qui

aucun lien d’imputabilité ni d'imputation232 ne peut être mis en avant.

On pourrait s'interroger sur l'origine de ce principe qui trouve certainement son fondement dans l'idée même de patrimoine233 : la dette fait, dans une perspective civiliste classique, partie des éléments négatifs du patrimoine dont l’un des éléments définitionnels est bien sûr d'être personnel : au terme de l’analyse menée notamment par AUBRY et RAU, on peut définir le patrimoine comme l’ensemble des rapports de droit appréciables en argent qui ont pour sujet actif ou passif une même personne et qui sont envisagés comme formant une universalité juridique234. Comme l’indique le professeur TERRE235 “ dans la notion classique française, le patrimoine considéré comme une masse d’obligations et de droits, est indissolublement lié à la personne ”.236 Pour J.-M. AUBY, ce principe se rattache au “ statut de la personne publique ”237, l’idée de la protection des deniers publics, justifiant le caractère d’ordre public de la règle, pouvant par ailleurs être avancée

Cette remarque faite, on peut rassembler la matière autour de deux axes : cette détermination en effet, obéit, comme c'est logique, aux principes posés par le législateur, lorsqu'il est intervenu, ou par le juge administratif lorsqu’il a façonné un régime particulier. Il semble ainsi qu'elle puisse s'effectuer plus ou avec plus ou moins de facilité (Sous-titre 1), alors qu’au contraire, certaines

plus récemment par 1’arrêt CE, Section, 4 avril 1997, Sté d'ingénierie immobilière sud, n°127884, R. Tables p. 1038.

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Dans le sens que l'on indiquait plus haut.

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Sur cette question : A. SERIEUX, La notion juridique de patrimoine, RTD civ. 1994, p. 809. Voir aussi R. SEVE, article à l’APD 1979, p. 247

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La définition exacte donnée par AUBRY et RAU étant : “ le patrimoine d’une personne

est l’universalité juridique de ses droits réels et personnels proprement dits, en tant qu’on envisage les objets sur lesquels ils portent sous le rapport de leur valeur pécuniaire ” :

Cours de droit civil français, Cosse, 3ème éd. 1863, § 573.

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F. TERRE, L’humanité, un patrimoine sans personne, Mélanges ARDANT, p. 341

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L’auteur revient aussi sur la notion d’origine allemande de “ patrimoine d’affectation ” ou de “ patrimoine – but ”, qui pour obvier l’inconvénient de la personnalisation du patrimoine, propose de considérer le patrimoine comme un ensemble ou un sous ensemble de biens affectés à une finalité particulière, des patrimoines spéciaux pouvant ainsi exister parallèlement au patrimoine classique.

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Sous - titre 1

Les cas simples de détermination du patrimoine public responsable

Le législateur est intervenu dans divers domaines pour régler la question des responsabilités des collectivités publiques. Il faut les analyser et tenter de voir s'ils obéissent à une vue théorique unique. Par ailleurs, on distingue de nombreux régimes dérogatoires au droit commun posés par le juge administratif lui-même .

Ainsi la, relative, simplicité qui peut présider à la détermination du patrimoine public responsable résulte soit de l’instauration d'un régime législatif spécifique (Chapitre 1) soit de l’existence d'un régime jurisprudentiel spécifique et dérogatoire au droit commun (Chapitre 2)238,

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Cette présentation, cependant, ne se justifie pleinement que dans le cadre de la tentative, que nous menons, de proposer une présentation synthétique de l'état du droit. Il est en effet courant qu'un régime jurisprudentiel ait précédé un régime législatif. Il n'en reste pas moins, que l'existence d'un régime législatif constitue, pour le requérant, une meilleure garantie. Elle est d'abord plus facilement susceptible d'être connue, elle n'est ensuite, à la condition que les termes en soient clairs, pas soumises aux évolutions et fluctuations jurisprudentielles. Il est par ailleurs évident qu'en présence d'un régime législatif spécifique, le juge, qui intervient dans le cadre de sa mise en œuvre, peut enrichir le système. Pour une critique de ce type, cf. Mme DEGUERGE, thèse préc. p. 242. On notera cependant qu'une présentation similaire est proposée par le professeur MOREAU dans son ouvrage La responsabilité administrative, préc.