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Le régime des dommages du fait des attroupements et rassemblement 337 :

phénoménologie de la détermination des responsables en droit administratif

Section 2. Les divers régimes législatifs : tentative de typologie

B. Les régimes d’indemnisation proprement dits 318 :

4. Le régime des dommages du fait des attroupements et rassemblement 337 :

Dans le régime tel qu'il résultait des articles L. 133-1 à 133-8 du Code des

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Sur la responsabilité de l’Etat reconnue récemment en matière de contamination par l’amiante, voir infra les développements relatifs à la détermination des responsables en matière de santé publique.

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Loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998.

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Loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000.

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Le Conseil constitutionnel a jugé à ce propos que “ ne méconnaît pas le droit au recours

juridictionnel l’impossibilité pour le requérant d’engager une autre action en indemnisation dès lors qu’il a déjà obtenu, par une des deux voies (fonds ou recours juridictionnel), une décision définitive d’indemnisation ” : C.C. 2000-437 DC du 19 décembre 2000, JORF du

24 décembre 2000 p. 20576, D. 2001 p. 1766, observations D. RIBES.

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Sur l’ensemble de la matière, voir notamment F. VINCENT, JCA, fasc. 960, préc., R. LETTERON. Le juge administratif et la responsabilité du fait des attroupements, RDP 1990 pp. 489-544 , M. GUENAIRE, Le régime juridique de la responsabilité administrative du fait des actes de violence, AJDA 1987, p. 227 -. J.-C. MAESTRE, Les nouveaux aspects

communes les actions “ tant principales qu'en garantie, sont portées devant les tribunaux de l'ordre judiciaire ” contre les communes, responsables de plein droit, aux termes de l'article L. 1331-1 des “ dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis à force ouverte ou par violence, sur leur territoire, par des attroupements ou rassemblement, armés ou non armés, soit envers des personnes, soit contre les propriétés publiques ou privées ”.

Cette compétence judiciaire était traditionnelle et résultait notamment de la loi du 10 vendémiaire an IV instituant une responsabilité collective des citoyens de la commune du fait des attentats commis sur le territoire de cette dernière.

L’Etat était quant à lui tenu, en cas de condamnation de la commune, de contribuer par moitié au paiement des dommages - intérêts et des frais accessoires. Cette obligation était cependant tempérée par la possibilité pour l’Etat, s'il apportait la preuve d'une inertie fautive de la commune, d'exercer un recours contre cette dernière à concurrence de 60% des sommes versées par lui338. En revanche, si la commune n'avait pas au moment des faits “ la disposition de la police locale ni de la force armée ” (article L. 133 -4), l’Etat devait prendre à sa charge l'intégralité des sommes dues aux victimes, la même solution trouvant à s’appliquer si la commune avait pris toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir ou réprimer les troubles339.

Désormais aux termes de l'article 92 de la loi 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes340, les départements,

de la responsabilité des communes du fait des dommages causés par des attroupements,

AJDA 1976, p. 486 338

C'est la loi du 16 avril 1914 qui initie ce système de garantie par l'Etat des dommages imputables à la commune.

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Cette évolution déjà remarquable de la responsabilité étatique en la matière résulte de l'article 87 de la loi de finances n°75-1278 du 30 janvier 1975, JO. 31 décembre 1975, p. 13564. En fait, comme l’indique R. LETTERON, préc. p. 492, le transfert de compétence au juge administratif ne fait que tirer les conséquences logiques d’une situation juridique qui faisait déjà largement peser la charge de la responsabilité sur le patrimoine de l'Etat, puisque depuis 1976, l'Etat assume l'intégralité de la réparation, lorsque la commune n'a pas eu un comportement fautif.

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les régions et l’Etat, “ l’Etat est civilement responsable des dégâts commis à force ouverte ou, par violence, par des attroupements ou rassemblements, armés ou non armés, soit contre les personnes soit contre les biens. Il conserve toutefois la faculté d'exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci est engagée ”, c'est la responsabilité primaire de l'Etat qui sera engagée devant le juge administratif341.

Cependant la loi ne dit rien de la compétence juridictionnelle et les articles L.133-1 et suivants du code des communes ne sont pas formellement abrogés.

Alors que l’administration, par circulaire du ministère de l’intérieur penchait pour la compétence administrative en estimant que la substitution de 1'Etat à la commune comme débiteur primaire implique nécessairement la substitution de la compétence administrative à la compétence judiciaire342, le Tribunal des conflits dans une décision importante, a pris la position exactement inverse343.

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Mais la commune, en contrepartie, pourra bénéficier de ce régime lorsqu’elle aura subi un dommage du fait de manifestations, la circonstance que les communes aient supporté cette responsabilité jusqu’en 1983 ne pouvant les en exclure : CE 18 novembre 1998, Commune de Roscoff, n° 173183, DA janvier 1999 p. 28 note L. T. En l’espèce, la commune avait dû procéder à des travaux de nettoyage, de déblaiement, et de remise en état après une manifestation d’agriculteurs qui avaient déversé des tonnes de pommes de terre sur la chaussée.

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Ainsi, la circulaire n° 83-265 du 22novembre 1983 (BOMI 1984, p. 50) enjoint-elle aux préfets de revendiquer la compétence administrative, en élevant systématiquement le conflit dans des affaires de ce type.

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TC 13 février 1984, Préfet commissaire de la République de la Seine-Maritime c/ cour d'appel de Rouen R.445 ; AJDA 1984 p. 452 concl. LABETOULLE; D. 1985 p. 593, Chron. S. HUBAC et J.M. SCHOETTL; RFDA 1985 p. 56 note J.-C. DOUENCE; RDP 1984 p. 1227 étude Y. GAUDEMET ; JCP 1984.II.210269, note F. MODERNE. Ainsi, pour J.-C. DOUENCE “ la décision ... met fin au régime séculaire de la responsabilité des communes à

raison des dommages causés par des attroupements ou rassemblements (dont le) régime se rattachait à l'idée primitive d'une sanction collective à l'encontre des habitants de la collectivité dont l'ordre a été troublé.. Il y a d'autant moins lieu d'en regretter la disparition qu'il était d'application relativement fréquente, malgré son archaïsme ”. Il faut bien

remarquer que l'ensemble des commentateurs, de la même façon que les travaux préparatoires, n'envisagent à aucun moment la question de la justification théorique de la responsabilité communale initiale, se bornant à comprendre la réforme comme nécessaire au regard de “ la multiplication des actes de violence à l'époque contemporaine et la faiblesse

Il y avait pourtant des arguments convaincants en faveur de la position de l'administration, le moindre n'étant pas que si la réforme avait entendu substituer la responsabilité de l'Etat à celle des communes, on ne voit pas bien pourquoi la chose aurait figuré au code des communes : c’est donc bien un régime distinct qu'on avait instauré, pour lequel le droit commun de la responsabilité administrative devait s'appliquer.

Le Président LABETOULLE, dans ses conclusions conformes, écarte cependant cette argumentation au motif un peu décevant que “ le principe de la compétence judiciaire pour connaître des actions en responsabilité pour les dommages causés par les rassemblements ou attroupements est une donnée traditionnelle du droit français ” et que par conséquent “ il ne peut être écarté que par une disposition législative expresse ou par un raisonnement implicite appuyé sur l'évidence que telle a bien été l'intention du législateur ”344.

La loi n° 86-29 du 9 janvier 1986345 portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales vient définitivement régler la question en confiant au juge administratif le contentieux en cause346. La difficulté, qui n'est pas nouvelle

code des communes sont abrogés : les nouvelles règles de compétence en matière de dommages causés par les attroupements et rassemblements, D. 1987, Chronique p. 110-112. Il sera pourtant nécessaire de revenir sur la 4 spécificité communale ”, en matière de police administrative notamment : voir infra.

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Concl. op. cit. AJDA 1984 p. 453. L’idée de l’existence de “ données traditionnelles ” de nature quasi-législatives nous intéressera par la suite, pour comprendre notamment l’imputabilité en matière de police de la responsabilité aux communes. Cf. infra

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J.O. du 10 janvier 1986. Comme l'indique R. LETTERON, là encore, “ cette petite

révolution juridique est passée inaperçue ”, la réforme étant issue d'un amendement

parlementaire à une loi “ fourre-tout ” immédiatement adopté par le gouvernement alors que les justifications données par les rapporteurs du projet sont demeurées très vagues, se bornant à évoquer un “ souci de cohérence ” ou encore le fait que “ cet amendement se justifie par le texte lui-même ”. Comme l’indique l'auteur, “ de manière quelque peu surprenante, une

réforme qui revient sur une compétence juridictionnelle solidement ancrée dans le droit depuis le 18ème siècle, est ainsi présentée comme résultant de la nature des choses ”, art.

préc., p. 490.

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Les justifications apportées à cette modification de la personne publique répondante sont assez classiques, et assez peu satisfaisantes : ainsi, pour R. LETTERON, art. préc. p. 493, “

l'article 92 de la loi du 10 janvier 1986 a permis de rendre responsable l'autorité la plus solvable, la mieux en mesure d'indemniser convenablement la victime ”.

et qui est identique qu’on impute la responsabilité primaire du dommage à la commune ou à l’Etat, est bien sûr de déterminer les conditions de mise en œuvre de cette responsabilité.

Le Conseil d'Etat est récemment intervenu pour systématiser la jurisprudence en la matière : il résulte d’un avis d'assemblée du 20 février 1998347 rendu a propos des actions violentes commises par les transporteurs routiers lors de l’instauration du “permis à points ” en 1992, que les trois éléments constitutifs d'un rassemblement ou d’un attroupement sont : un groupe agissant de manière collective et concertée, quelle que soit sa dimension, exprimant une contestation de manière collective et publique. Les trois critères sont donc le nombre, la volonté de contestation et le caractère public de cette dernière. La responsabilité du fait des attroupements ne peut trouver à s'appliquer que si, dans ce contexte, des crimes ou des délits ont été commis, aux termes de la loi, “à force ouverte ou par violence ”, cette dernière caractéristique concernant le seul acte à l’origine du dommage (quel qu'il soit) et non le rassemblement qui, initialement, a bien pu être pacifique.

Quant au critère finaliste, tiré de l’intention revendicative initiale des manifestants, il a été récemment critiqué par le commissaire du gouvernement OLSON dans ses conclusions sur l’arrêt de Section AGF du 29 décembre 2000348 : il estimait peu souhaitable d’ajouter à la loi pour limiter le champ des dommages indemnisables et de “ renvoyer dans le droit commun de la responsabilité la réparation des dommages causés par des rassemblements non revendicatifs ”. Un argument solide en ce sens pouvait être tiré du fondement de la responsabilité sans faute de l’Etat en la matière : s’il s’agit d’une responsabilité pour risque contrepartie de la liberté de manifester, cette responsabilité ne concernera que les dommages commis dans le cadre de la manifestation, qui aient un lien avec elle et l’on appliquerait alors le critère finaliste.

Si, au contraire, la responsabilité de l’Etat est assise sur le principe d’égalité

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Avis CE, Ass. 20 février 1998, Sté Etudes et construction de sièges pour l'automobile et autres, AJDA 1998, p. 1029, note I. POIROT-MAZERES.

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CE Section, 29 décembre 2000 AGF, AJDA 2001 p. 164 et la Chron. avec les citations des conclusions du commissaire.

devant les charges publiques, qui pourrait interdire de traiter différemment les victimes des troubles en fonction des intentions initiales des manifestants, le critère finaliste ne devrait pas trouver à s’appliquer.

L’arrêt rendu par la section du contentieux ne tranche pas cette question, même si la première solution, tirée du critère finaliste, nous paraît le mieux correspondre à l’intention du législateur. Reste, comme l’indiquent MM. GUYOMAR et COLIN349 que sont exclus du régime législatif considéré les rassemblements dont le but est ouvertement la destruction de biens et qu’au contraire le Conseil d’Etat démontre ici “ sa capacité à appréhender les évolutions de la société ”350 en prenant en considération les dommages commis à l’occasion des violences urbaines.

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On est conduit, à la suite de l’évocation de ces régimes législatifs particuliers, dont l’application aboutit, dans des conditions plus ou moins complexes, à la résolution de la question de la détermination du patrimoine public responsable, à entrer plus avant dans notre sujet : il s’agit désormais de tenter d’analyser les techniques de détermination du patrimoine public responsable mises en œuvre par le juge lorsqu’il est, pour ainsi dire, libre de ses mouvements.

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Chron. préc. à l’AJDA

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Chapitre 2.