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Eléments fondamentaux :

phénoménologie de la détermination des responsables en droit administratif

Section 2 : L’invention de règles spécifiques pour certains cas particuliers

I. La nécessité de résoudre des difficultés techniques d'imputabilité

1. Eléments fondamentaux :

La notion de travail public, tout d'abord, ne se heurte pas à un véritable problème de définition, même s'il peut alternativement s'agir d'un travail immobilier effectué soit pour le compte d’une personne publique dans un but d'intérêt général390, soit par une personne publique dans le cadre d'une mission de service public lui incombant391. Il faut cependant indiquer immédiatement que la notion de dommage de travail public englobe à la fois les dommages résultant des travaux publics proprement dit, mais encore tous les dommages induits du fait de la présence ou du fonctionnement d'un ouvrage public.

Jurisprudence et doctrine dominante proposent de distinguer selon la situation de la victime au regard du travail public, selon, on l’a vu, qu’elle est usager, tiers ou participant. Cette question cependant, fait l'objet de débats doctrinaux sur lesquels ce n'est pas le lieu de revenir392. M. CHAPUS, notamment propose une distinction selon que le dommage causé à la victime est accidentel ou permanent. On se contentera ici d’étudier les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des personnes publiques dans le cadre des dommages de travaux publics. Elle s’organise autour d’une responsabilité pour faute s’agissant des usagers (a) et d’une responsabilité sans faute s’agissant des tiers (b), le premier tirant, à l’inverse du second, un bénéfice de l’ouvrage.

390

CE, 10 juin 1921, Commune de Montségur, R. p. 573

391

TC, 28 mars 1955, Effimief, R, p. 616

392

Cf. l'article du professeur CHAPUS : la structure de la responsabilité pour dommages de travaux publics, Mélanges WALINE, LGDJ 1974, p. 307. Il faut cependant indiquer que les deux manuels les plus récents en matière de responsabilité administrative, celui du professeur DARCY et celui du professeur PAILLET redonnent une certaine vigueur à ce débat déjà ancien puisque si, pour le premier, “ il semble que depuis la seconde moitié du 20ème siècle, la

jurisprudence administrative opère une distinction fondée sur la situation de la victime ” ( manuel préc., p. 48). le second auteur, tout en affirmant la difficulté de trancher entre les

deux propositions, préfère utiliser la présentation “ chapusienne ” qui “ rend compte de la

a. Le domaine de la responsabilité sans faute : les dommages subis par les tiers

Le tiers, à l'égard du travail public ou de l'ouvrage public est celui qui n'est ni usager ni participant du travail public ou de l'ouvrage public. Il appartient donc à la catégorie résiduelle correspondant à “ la personne victime d’un dommage qui ne trouve pas son origine dans l'utilisation effective de l’ouvrage public cause du dommage( ...) il est totalement étranger au travail public ou à l'ouvrage public ” en ce qu’il n'y participe pas et qu'il n'en tire aucun profit. C’est le cas, par exemple, du propriétaire d'une voiture en stationnement endommagée par la chute de neige depuis le toit d'un immeuble administratif393, dès lors que la victime, justement, n’avait pas garé son véhicule à cet endroit en tant qu’usager de cette administration. C’est aussi le cas, dans la fameuse affaire de Malpasset, des victimes de la rupture d’un barrage qui n’étaient pas utilisatrices de l’eau retenue394.

Dans ce domaine, la jurisprudence, constante sur ce point depuis un arrêt Grau395, pose en principe que “ même sans faute, l'administration est responsable des dommages causés aux tiers par l'exécution ou l’inexécution de travaux publics, à moins que ces dommages ne soient imputables à une faute de la victime ou à un cas de force majeure ”.

La victime, cependant, doit faire la démonstration d'une part de la réalité du dommage, qui doit être spécial et direct, et d'autre part du lien de causalité entre le dommage et le travail public.

Surtout, elle ne pourra obtenir réparation que si le dommage qu'elle a subi présente un caractère anormal, c’est-à-dire qui excède par son importance les simples gènes et inconvénients de voisinage que chacun est tenu de supporter

être évités, sans, s'agissant de ces derniers, passer sous silence la qualité des victimes ” (manuel préc., n° 286, p. 137).

393

CE 23 février 1973 “. Ville de Chamonix ”. R. 170

394

CE Ass. 28 mai 1971, département du Var c/ entreprise Bec frères, R. p. 419 ; AJDA 1972, p. 359 et p . 316 J. LAMARQUE et F. MODERNE, L’affaire de Malpasset devant la juridiction administrative ; CJEG 1971 p. 235 concl. THERY

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sans indemnité : s’il s’agit de dommages résultant par exemple de la proximité d'un ouvrage public, le juge n’indemnisera pas ce qu'il analysera comme une “sujétion normale de voisinage ”. Par ailleurs, la victime ne peut prétendre à une indemnité qu'autant que le dommage aura porté atteinte à un droit. L'occupant sans titre du domaine public, par exemple, ne sera pas indemnisé.

b. Responsabilité pour faute : l’usager de l’ouvrage public et participant

L'usager tire des avantages de l'ouvrage public, puisqu'il est celui qui utilise effectivement l'ouvrage qui est à l'origine du dommage. Il devait initialement en faire un usage normal et régulier sans quoi il était assimilé à un tiers396. Mais la jurisprudence a évolué, et cette solution qui avait l'inconvénient d'accorder un meilleur traitement à la victime en infraction est abandonnée : il résulte d’un arrêt du 30 octobre 1964397 que l'usager anormal est désormais traité comme celui qui utilise ouvrage conformément à sa destination, mais sa faute pourra exonérer l'administration de sa responsabilité ou l'atténuer.

Tirant des avantages de l'ouvrage, on déduit que l’usager doit en subir les éventuelles conséquences négatives: pourtant, si le juge exige bien une faute de l'administration pour les indemniser, celle-ci est présumée. Il suffira à l’usager de démontrer le lien de causalité pour que “ défaut d'entretien normal ” de l'ouvrage public soit présumé.

L'existence de ce défaut d’entretien normal est reconnue de façon extensive par la jurisprudence et peut concerner non seulement les véritables défauts d'entretien, mais aussi les vices de conception, voire des carences telles que les défauts de signalisation398.

Mais toute défectuosité dans un travail public ou un ouvrage public n'est pas constitutive d'un défaut d'entretien normal à la fois pour des raisons

396

CE sect. 3 février 1956. dame veuve Durand R. 61.

397

CE sect. 30 oct. 1964 Min. Transport c/ Picquet, R. 505, ccl FOURNIER

398

Par exemple, cas d'un feu de signalisation ambigu pouvant induire l'usager en erreur: CE 13 janvier 1989 époux Berthelot, req n° 71884).

objectives et subjectives : objectives, d'une part, s'agissant par exemple des défauts qui sont correctement signalés ou qui sont apparents ou prévisibles (comme l’est par exemple la présence de plaques de verglas sur la chaussée en hiver). Subjectives, d'autre part, s'agissant des défauts que 1’administration ne pouvait prévoir399 (défectuosité se produisant soudainement, le dommage survenant avant que l'administration n'ait eu matériellement le temps de prendre les mesures nécessaires) ou des défauts connus par la victime.

Il reste donc que l'administration pourra s'exonérer de sa responsabilité en démontrant qu'elle a correctement entretenu l'ouvrage ou qu’elle a convenablement signalé les dangers que l’ouvrage ou le travail faisaient courir à l’usager, autrement dit, l'absence de faute.

La distinction entre le tiers et l'usager est en effet assez difficile à mettre en œuvre. Les difficultés se rencontrent particulièrement400 à propos de dommages aux personnes se produisant à l’occasion de l'utilisation de la voie publique, et imputables à un ouvrage public autre que celle-ci. Le Conseil d’Etat considère que la victime se trouve dans la position de tiers si l'ouvrage cause du dommage ne constitue pas une dépendance nécessaire de la voie401.

Par ailleurs, une personne peut à la fois avoir la qualité d’usager et de tiers à la suite d’un même fait générateur de dommages de travaux publics, suivant la nature du dommage : suite à la rupture du barrage de Malpasset, la ville de Fréjus a la qualité d’usager en ce qui concerne les dommages subis par son réseau de distribution d’eau (qui était alimenté par les eaux du barrage), mais celle de tiers

399

Par exemple chute de pierres sur une route d'une paroi rocheuse que rien ne laissait prévoir et que l'administration n'a pas eu le temps de signaler ou de dégager : CE 12 juin 1970, Min. équipement c/ Chevallier, R. p. 407)

400

Dans un autre domaine : CE 9 février 2000, Commune de Fresnes, RFDA 2000 p. 459 : une société raccordée au réseau communal d’assainissement, victime d’une inondation du fait de la mise en charge du réseau départemental et du refoulement dans le réseau communal, a la qualité de tiers par rapport aux ouvrages publics de ces deux réseaux.

401

Exemple : l’automobiliste victime d'un accident dû à une nappe de verglas provenant du débordement d'une rigole d'arrosage faisant partie du réseau d’exploitation concédé à une compagnie de distribution d'eau : CE sect. 26 mars 1965 Sté des Eaux de Marseille AJDA 1965 1 p.226.

pour tous les autres dommages.402

Le participant au travail public c’est-à-dire celui qui d’une manière ou

d’une autre exécute le travail (entrepreneur concessionnaire, ouvrier...) devra quant à lui prouver à la fois l’existence du dommage, le lien de causalité et le comportement fautif du maître d’ouvrage. La réparation ne concerne que les dommages physiques à l’exception des dommages matériels et la situation du participant est donc bien moins favorable que celle de l’usager et du tiers. Cependant, cette difficulté est en partie théorique, dans la mesure où le participant bénéficie de la législation sur les pensions s’il a la qualité d’agent public, (ce qui a pour effet de limiter son indemnisation) et de celle relative aux accidents du travail dans le cas contraire.

Enfin, le juge administratif reconnaît que la personne qui concourt de manière bénévole à l’exécution d’un travail public est soumise non pas au statut de participant, mais à celui de collaborateur occasionnel et donc est indemnisée sans faute403.

2. Difficultés particulières à la matière s’agissant de la détermination