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Conclusion du Chapitre

CHAPITRE 3 EVOLUTION D’UN DETERMINANT SOCIETAL : LE

3.3. Tendances à venir du vieillissement de la population et impacts sur la mobilité quotidienne

3.3.1. Les tendances à venir du vieillissement, en lien avec la mobilité

L’évolution des facteurs du vieillissement ayant un impact sur la mobilité est déterminée par des effets d’âge, qui mettent en question la poursuite de tendances propres aux conditions de vie des plus de 60 ans, et des effets de génération, qui intègrent le passage du cap de la soixantaine par les générations nombreuses du baby-boom, depuis 2006 et jusqu’en 2023. La structuration utilisée pour étudier les tendances actuelles sépare les deux effets, à l’image de travaux sur les conséquences du vieillissement (Godet et Mousli, 2006). Les facteurs liés aux individus – conditions de santé sous l’angle de la mortalité et du niveau de santé – restent des effets d’âge, tandis que les facteurs liés aux ménages – vie en couple, mobilité résidentielle, conditions de retraite – relèvent d’effets de génération. À l'analyse de ces derniers doit précéder une analyse des effets démographiques quantitatifs et qualitatifs du baby-boom. Celle-ci distingue en effet des continuités et des ruptures par rapport aux tendances dégagées pour la situation actuelle.

Les effets d’âge

Les conditions de santé des individus sont un déterminant puissant de leur mobilité quotidienne. Elles renvoient à la mortalité, qui a un effet direct sur l’espérance de vie, et au niveau de santé.

Concernant la mortalité, la situation actuelle peut se résumer par une hausse continue de l’espérance de vie. Les gains s’observent surtout avant 65 ans, si bien que la mortalité aux grands âges joue un rôle croissant. Les tumeurs et les maladies cardiovasculaires sont les deux principales causes de décès chez les personnes âgées. Les progrès dans ces domaines contribuent à diminuer la mortalité aux âges élevés, et donc à faire progresser l’espérance de vie (Prioux et al., 2010).

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Les évolutions à venir s’inscrivent dans la continuité des tendances actuelles. La littérature sur le sujet ne remet pas en cause la poursuite du recul de la mortalité aux âges élevés, et donc des gains d’espérance de vie. France Meslé souligne qu’avec la diminution des décès prématurés, les évolutions à venir de l’espérance de vie influenceront la mortalité aux âges élevés et très élevés (Meslé, 2006). La poursuite de la baisse de la mortalité relève d’abord de facteurs qualitatifs : il s’agit de l’« attention grandissante portée aux personnes âgées dans le domaine de leur santé au

quotidien » (Vallin et Meslé, 2010, p. 4), dans la lignée de la prise de conscience consécutive à la canicule de 2003. Ce sont en outre surtout des facteurs médicaux qui peuvent conduire à la poursuite du recul de la mortalité. Après les progrès survenus dans les maladies cardiovasculaires, les avancées futures pourraient être liées à une « quatrième révolution de la mortalité » (Godet et Mousli, 2006) grâce à la chirurgie réparatrice et surtout aux thérapies géniques pour guérir les maladies neurodégénératives, telles Parkinson et Alzheimer67. Il est donc probable que la tendance

actuelle se poursuive, bien qu’il ne soit pas possible de déterminer son rythme.

Le niveau de santé est un facteur distinct mais complémentaire de la mortalité. Il est mesuré en termes d’incapacités. La situation actuelle a révélé une baisse continue des taux d’incapacité aux âges élevés. Les évolutions à venir se fondent sur des projections à horizon 2020, réalisées selon deux hypothèses : stabilité des taux d’incapacité, et poursuite des évolutions tendancielles (Jacobzone et al., 2000). Les taux de croissance annuels moyens d’incapacité varient entre - 0,2 % dans le scénario dynamique, et + 0,4 % dans le scénario statique. C’est pourquoi l’arrivée à 60 ans des classes d’âge du baby-boom a une influence différente selon les progrès de l’incapacité : le nombre de personnes dépendantes diminue malgré l’effet démographique si l’incapacité continue de diminuer ; il augmente si les taux d’incapacité restent stables, mais dans une proportion moindre que l’évolution du nombre de 60 ans et plus.

En d’autres termes, le nombre de personnes présentant une incapacité devrait augmenter moins rapidement que l’ensemble de la population. Relié à la baisse probable de la mortalité aux grands âges, cela signifie que les personnes de plus de 60 ans devraient, dans les années qui viennent, vivre non seulement plus longtemps mais aussi en meilleure santé.

L’effet démographique : le poids des générations du baby-boom

L’arrivée aux âges avancés des générations du baby-boom constitue le facteur central de l’évolution à venir des déterminants de la mobilité quotidienne chez les personnes âgées. Cette

67 Les trois premières étant successivement la révolution des antibiotiques, celle des maladies cardiovasculaires et celle des cancers, entre les années 1950 et aujourd’hui.

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situation induit un paradoxe dans l’analyse des tendances en termes de continuités et de ruptures. En effet, la gérontocroissance est un phénomène quasiment certain, qui peut donc être anticipé (Dumont, 2006). Néanmoins, l’ampleur du changement tant quantitatif que qualitatif introduit par la forme actuelle de cette gérontocroissance rend difficile toute anticipation.

L’analyse des effets démographiques du vieillissement des générations du baby-boom porte sur les effets d’un point de vue démographiques d'une part, et des modes de vie d'autre part. Ces deux entrées sont nécessaires pour tenter de cerner l’évolution possible des déterminants de la mobilité quotidienne.

La gérontocroissance est un phénomène qui marque la pyramide des âges de la France. Figure 6 - Pyramide des âges de la France au 1er janvier 2010

Source : Prioux et al., 2010 Sans même évoquer les projections possibles, les conséquences du baby-boom sur la croissance du nombre de personnes âgées sont visibles à partir de la pyramide des âges. Le passage à 60 ans est enclenché depuis 2006 pour les premières générations du baby-boom. Elles atteindront le seuil des 80 ans à partir de 2025, et auront disparu dans les années 2040. Les dernières générations du baby-boom, nées au début des années 1970, atteindront la soixantaine dans les années 2030, 80 ans en 2050 et disparaîtront dans les années 2065. Chaque année, ce sont en moyenne 850 000 individus qui sont concernés.

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Il a été vu plus haut qu’il existait un seuil dans la mobilité quotidienne autour de 75-80 ans. Au vu de la seule évolution de la pyramide des âges, ce sont donc les années 2005 à 2050 qui vont être marquées par le poids démographique des générations du baby-boom entre 60 et 80 ans, donc en cessation d’activité et aptes à une mobilité quotidienne sans incapacité.

À l’échelle de l’Île-de-France, le fort taux de mobilité résidentielle des personnes âgées complexifie l’établissement de projections. Celles réalisées par l’INSEE à horizon 2030, en prolongeant les tendances démographiques et migratoires des dernières années, constituent la principale source (Salembier, 2007), de même que leur actualisation par l’IAU en 2009 (Louchart, 2009).

Tableau 30 - 60 ans et plus en Île-de-France en 2005 et 2030 par rapport à la population totale (en millions)

2005 2030

60 et plus 80 et plus 60 et plus 80 et plus

Île-de-France

France métro. 1,87 12,63 16,5 % 20,8 % 0,41 2,73 4,5 % 3,6 % 2,79 19,76 22,5 % 29,3 % 0,73 4,84 5,9 % 7,2 %

Source : Salembier, 2007 Figure 7 - Evolution des pyramides des âges en Île-de-France et en France entre 2006 et

2030 (scénario central – en rose, population en plus – en bleu, population en moins)

Source : Louchart, 2009

En termes de gérontocroissance stricte, le nombre de personnes de 60 ans et plus augmentera de 50 % entre 2005 et 2030 en Île-de-France, atteignant 2,79 millions d’individus. À cette date, quasiment l’ensemble des générations du baby-boom aura passé le cap des 60 ans. Les 80 ans et plus s’établiront à environ 730 000 individus, soit un gain d’environ 80 % par rapport à la situation actuelle, ce gain étant lié aux premières générations du baby-boom, nées entre 1946 et 1950. Les travaux les plus récents confirment ces tendances, avec une quasi-stagnation du nombre de personnes âgées de 20 à 59 ans, une augmentation d’environ 40 % des 60-79 ans, et de près de 80 % des 80 ans et plus (de Biasi et Louchart, 2012a).

En valeurs relatives, le poids des 60 ans et plus reste plus faible en Île-de-France qu’en France métropolitaine, même s’il se renforce dans la région, de 16,5 % à 22,5 %, tandis que celui

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des plus de 80 ans progresse plus rapidement, de 3,6 % à 5,9 %.

L’effet de génération introduit par les cohortes successives du baby-boom ne se limite pas à un effet de masse, même si celui-ci est fondamental. Ces générations se distinguent des précédentes par leurs modes de vie (Bonvalet et Ogg, 2010). Chaque tranche d’âge regroupe des individus aux modes de vie diversifiés, mais les générations d’après-guerre, en grandissant lors des Trente Glorieuses, ont connu de fortes évolutions sociales, économiques et culturelles conduisant à de profonds changements des comportements. Parmi ces changements, certains ont un effet, direct ou indirect, sur la mobilité, notamment quotidienne. Catherine Bonvalet et Jim Ogg mettent en avant l’explosion de la culture de consommation et de la mobilité, dont la voiture particulière constitue l’objet emblématique ; la fluidité croissante des trajectoires familiales, remettant en question la vision traditionnelle du couple et de la famille ; la montée de l’individualisme, associée à cette dislocation de la famille traditionnelle.

L’effet de génération : vie de couple, choix résidentiels et niveau de vie

Les évolutions à l’échelle des ménages sont impactées par les effets qualitatifs du vieillissement des générations du baby-boom au niveau de la vie de couple, de la mobilité résidentielle et du niveau de vie.

L’évolution de la part des couples dans la population à venir des 60 ans et plus est marquée par deux tendances contradictoires (Delbès et Gaymu, 2003). D’un côté, la baisse de la mortalité aurait tendance à retarder le veuvage, et donc à prolonger la vie en couple. D’un autre côté, la montée du divorce et des séparations, directement issue de l’évolution des modes de vie, favorise la croissance des ménages d’une seule personne. C’est d’autant plus vrai chez les individus de 60 ans et plus qu’ils sont moins enclins à retrouver un partenaire suite à une rupture. Il est donc difficile d’appréhender l’évolution future du taux de couples dans la population âgée. Pour Michel Godet et Marc Mousli (Godet et Mousli, 2006), c’est toutefois la solitude qui devrait se renforcer au cours des décennies à venir, notamment chez les personnes âgées. Cette tendance a une autre conséquence : « les situations conjugales masculine et féminine tendent à se rapprocher » (Delbès et Gaymu, 2003, p. 1).

Les évolutions des choix résidentiels forment le second point qui apparaît directement lié aux évolutions des modes de vie (Bonvalet et Ogg, 2010). La croissance économique qui a suivi l’après-guerre a, entre autres, permis aux premières générations du baby-boom de bénéficier de la

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diffusion massive de la propriété, dont le taux passe de 35 % en 1954 à 56 % en 2002.

La question du lieu de vieillissement est centrale et, d’un point de vue qualitatif, révèle une pluralité de stratégies. Les entretiens menés par Catherine Bonvalet et Jim Ogg auprès de 30 baby- boomers parisiens et 30 baby-boomers londoniens est révélateur de cette diversité des stratégies (Bonvalet et Ogg, 2010). Si l’hésitation quant au retour à la région ou au pays d’origine se confirme, elle ne signifie nullement un choix univoque de la part de la population. Au contraire, quatre cas de figure apparaissent : l’incertitude, à savoir l’absence de prise de décision, que ce soit pour des raisons familiales ou financières ; l’immobilité, le choix de rester sur le lieu de vie pour des raisons d’attachement ; la migration résidentielle ; le choix de la double résidence. Les choix résidentiels dépendent donc de stratégies complexes, d’autant qu’ils sont adossés à des situations familiales diverses, dont l’influence est fondamentale, que ce soit vis-à-vis des parents, des enfants, ou encore de la vie affective, qui constitue la véritable innovation des générations du baby-boom.

Dans toute l’Île-de-France, les pratiques de mobilité résidentielle des baby-boomers pourraient suivre une tendance identique. Philippe Louchart souligne ainsi la probabilité de la poursuite des tendances actuelles à la diminution des migrations résidentielles (Louchart, 2007). La diminution des natifs de province parmi les générations du baby-boom, le développement de la bi-résidentialité, et la baisse régulière du taux d’individus vivant en couple à la retraite en seraient les principales causes. Philippe Louchart insiste par ailleurs sur les incertitudes relatives aux comportements résidentiels des générations du baby-boom, qu’il lie à la géographie de l’entourage et à l’histoire personnelle des individus.

La question du lieu de résidence vient s’ajouter à celle de la propension à la migration. Si les personnes âgées ont de moins en moins tendance à migrer à l’âge de la retraite, alors leur lieu de résidence actuel aura une influence de plus en plus grande sur leur mobilité quotidienne. Les générations du baby-boom sont celles du développement périurbain (Berger, 2004). Avec le recul offert par l’arrivée à la retraite des premières cohortes nées à partir de 1946, la question des stratégies résidentielles des baby-boomers périurbains commence à être explorée. Elle se pose d’autant plus que ces espaces sont a priori non adaptés aux personnes âgées (Berger et al., 2010).

Les travaux menés par Martine Berger, Lionel Rougé, Sandra Thomanne et Christian Touzellier apportent de premiers éléments de réponse. Ils consistent en une série d’entretiens réalisés auprès de 90 habitants périurbains âgés de 55 à 90 dans trois aires métropolitaines : Paris, Marseille et Toulouse. Les résultats de ces enquêtes sont contre-intuitifs puisqu’il apparaît que les flux de mobilité des personnes âgés sont non seulement faibles, mais, lorsqu’ils ont lieu, non exclusivement centripètes. Parmi la population ayant changé de lieu de résidence, les moins de 75

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ans migrent à destination de communes rurales et de petites unités urbaines, les plus de 75 ans ayant pour destination les grandes unités urbaines. Malgré ces migrations, le choix principal est le maintien dans le domicile ordinaire. Ce choix se trouve justifié par l’ancrage résidentiel, triplement valorisé. L’attachement au logement est lié à la durée d’occupation. Il est constitutif d’une valorisation de sa plasticité, qui constitue le deuxième mode de valorisation et permet le maintien à domicile. Enfin, la vie sociale développée sur place agit comme le troisième moteur convaincant les personnes âgées de rester sur place. Le retour au centre-ville n’apparaît nullement comme le souhait premier des individus interrogés.

Pour terminer, le cas québécois offre un éclairage comparatif révélateur dans la mesure où l’Amérique du Nord a été marquée plus précocement par le phénomène de suburbanisation. L’étude menée par Sébastien Lord, Florent Joerin et Marcus Thériault offre donc, malgré des différences contextuelles, une vision comparative des pratiques de mobilité résidentielle de périurbains âgés (Lord et al., 2009). Ce suivi longitudinal de 102 banlieusards âgés de 61 à 89 à Québec entre 1999 et 2006 aboutit en effet, dans l’analyse des choix résidentiels, à des conclusions proches de celles observées en France. Son principal enseignement concerne l’aspiration majoritaire des individus. Comme dans le périurbain français, les banlieusards québécois aspirent à demeurer le plus longtemps possible dans leur logement, et dans leur quartier. Les enquêtes permettent d’aller plus loin dans la détermination de l’intensité de cette aspiration, puisqu’il apparaît que l’avenir résidentiel n’est pas envisagé par les individus en termes de migration, ou alors sous la contrainte, principalement financière ou pour des raisons de santé.

La question du vieillissement de la population dans les espaces périurbains se pose d’autant plus que les dernière projections démographiques disponibles à horizon 2030 envisagent un vieillissement de la population francilienne principalement localisé en grande couronne (de Biasi et Louchart, 2012b).

Enfin, l’évolution des revenus des retraités est un élément supplémentaire à prendre en compte. L’augmentation du nombre de retraités par rapport à la population active aura des effets sur le financement de retraites qui commencent à être pris en compte par le législateur. « Quelles

que soient les réformes prises, on doit s’attendre à une hausse progressive de l’âge de départ à la retraite et à une baisse du niveau de vie relatif des retraités […]. Certains facteurs vont cependant continuer à jouer un rôle positif sur les revenus de la majorité des ménages retraités pendant une dizaine ou une quinzaine d’année : la hausse des taux d’activité féminins, des carrières plus complètes et des niveaux de rémunération pour l’instant croissants » (Pochet, 2005, p. 96). En conséquence, les travaux de prospective réalisés par Michel Godet et Marc Mousli estiment probable que les revenus des retraités continuent d’augmenter à moyen terme, avant un tassement à partir de 2020 (Godet et Mousli, 2006). En parallèle, l’activité des 60-64 ans pourrait remonter

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sous les effets de l’allongement de la durée de cotisation, associés à la durée des études (Kesseler, 2010).

Les conséquences de ces évolutions concernent l’allongement de la durée de cotisation, qui impliquerait une augmentation de comportements de mobilité quotidienne d’actifs, et les effets de l’évolution des niveaux de vie des retraités, plus difficiles à déterminer. Il est évident que certaines catégories de population seront plus touchées que d’autres, et devront modifier leurs stratégies et leurs modes de vie afin d’intégrer la baisse des revenus de leur retraite. Rien ne permet à l’heure actuelle de savoir quel(s) poste(s) de dépenses seront affectés, parmi lesquels celui de la mobilité.

Au final, l’évolution à venir des déterminants spécifiques à la mobilité des personnes âgées est liée à des effets d’âge qui se trouvent en continuité avec les tendances antérieures. Il s’agit de facteurs individuels, la mortalité et la durée de la vie sans incapacité. Néanmoins, les ruptures sont prépondérantes. Elles sont dues à un effet quantitatif de génération : l’arrivée aux âges élevés des générations successives du baby-boom. Elles ont des conséquences qualitatives. L’évolution des modes de vie qu’ont connue ces générations conduit à la complexification de la vie de couple, et à la structuration de la mobilité résidentielle autour des configurations familiales et de l’attachement au lieu de vie. Il apparaît nécessaire de poursuivre les premières études sur les comportements des premières générations du baby-boom, car ces générations nombreuses ne passeront le cap des 60 ans qu’en 2033 pour les dernières.

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