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À l’échelle individuelle, un usage déterminé par des caractéristiques personnelles, des valeurs et des habitudes

LA MOBILITE QUOTIDIENNE A L’EPREUVE

CHAPITRE 1 L’USAGE DE LA VOITURE PARTICULIERE SOUS TENSION

1.1. Les facteurs du succès d’usage de la voiture particulière

1.1.2. À l’échelle individuelle, un usage déterminé par des caractéristiques personnelles, des valeurs et des habitudes

Au niveau des individus, le succès d’usage de la voiture particulière se complexifie : les rationalités économique et axiologique sont toujours centrales, mais il faut leur adjoindre une rationalité par les habitudes.

Rationalité économique : une optimisation des coûts de la mobilité complexifiée par les variables individuelles

Au fondement du choix de la voiture particulière d’un point de vue économique, il y a la minimisation des coûts temporels et monétaires de la mobilité. Cette minimisation est permise par

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les interrelations qui unissent ce mode de transport et l’étalement urbain, principale évolution urbaine des dernières décennies. Les individus sont des acteurs urbains qui actionnent comme les autres ce levier : la voiture particulière est le mode de transport qui permet au mieux, d’un point de vue temporel et monétaire, de réaliser des programmes d’activités aux localisations spatialement disjointes.

L’appréhension de la contrainte économique n’est pas équivalente pour tous et s’inscrit dans un système qu’il convient de présenter. Elle dépend des caractéristiques des individus. Plusieurs variables conditionnent le degré d’importance attaché à la rationalité économique (Bonnel et al., 2003). Avant tout choix modal, la première variable est l’accès à la voiture particulière en tant que conducteur, qui est déterminé à la fois par la possession du permis de conduire, et par la motorisation, introduisant une première distinction entre les individus. En parallèle, divers facteurs individuels influencent la possibilité d’accès à la voiture particulière comme conducteur et les conditions de son usage. Parmi ceux-ci, certains, ayant trait au statut des individus, sont considérés comme principalement déterminants : le sexe, l’âge, la profession, la position dans le ménage, ou encore la présence d’enfants. Tous ont une influence sur les capacités économiques des individus à faire usage de la voiture particulière, et à accorder à leur mobilité quotidienne un plus ou moins grand coût temporel et monétaire. Sans chercher à les hiérarchiser, ces facteurs construisent un système qu’il est nécessaire de prendre en compte.

Rationalité axiologique : un choix modal véhiculé par des valeurs positives

Du point de vue de la rationalité axiologique, l’usage d’un mode de transport découle de la valeur qui lui est attribuée par rapport aux autres modes.

L’utilisation de travaux sur les représentations sociales de la voiture particulière et du transport collectif dans plusieurs agglomérations au cours des années 1990 permet d’interroger les valeurs associées à ces deux modes de transport (Kaufmann et Guidez, 1998)16. Le premier

adjectif cité par les individus interrogés, qu’ils utilisent ou non les modes de transport en question,

16 L’étude menée par Vincent Kaufmann et Jean-Marie Guidez porte sur six agglomérations françaises et suisses : Besançon, Grenoble, Toulouse, Berne, Genève et Lausanne. L’enquête a été réalisée sur un échantillon en situation théorique de « choix modal » dans chaque agglomération. Une proportion a été respectée concernant la localisation du logement par rapport à la morphologie de l’agglomération (ville-centre/périphérie), et à la desserte en modes collectifs.

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est celui de « pratique », pour la voiture particulière comme pour le transport collectif. Ce résultat n’est pas suffisant en lui-même, mais les adjectifs suivants sont plus éclairants : la voiture est considérée comme « rapide », « confortable » et « autonome », tandis que le transport collectif est vu comme « contraignant », « lent », et synonyme de « promiscuité ». Contrairement au transport public, l’automobile se trouve qualifiée de façon positive par les individus. Les adjectifs les plus cités placent ce mode de transport au cœur des systèmes de valeurs. La première référence, à la rapidité, renvoie à la vitesse, qui est à la fois à la base de la minimisation des coûts temporels et monétaires de la mobilité quotidienne, et une valeur centrale de l’époque contemporaine (Urry, 2005). Elle rapproche la rationalité axiologique de la rationalité économique, et inscrit de façon cohérente la voiture particulière au cœur du système de mobilité quotidienne des individus, en lien avec les grandes tendances territoriales. La référence à l’autonomie, quant à elle, relie plus explicitement l’échelon individuel aux systèmes de valeurs contemporains, en renvoyant aux processus d’individualisation et d’individuation, autres marqueurs principaux des sociétés occidentales contemporaines (Lipovetsky, 1983) 17. De ce point de vue, le succès d’usage de la

voiture particulière s’explique également par sa correspondance avec les valeurs contemporaines de liberté et de distinction sociale.

Les valeurs attribuées par les individus à la voiture particulière sont en correspondance avec les tendances actuelles du fonctionnement territorial, marqué par la proximité temporelle dans un cadre urbain étalé et renvoyant à la rationalité économique, et avec les valeurs qui fondent la modernité contemporaine.

Rationalité par les habitudes : un choix modal ancré dans les pratiques

Introduit par Vincent Kaufmann dans ses travaux sur le choix modal (Kaufmann, 2000), ce dernier type de rationalité a été approfondi plus récemment dans le cadre de thèses de doctorat en sociologie (Rocci, 2007 ; Vincent, 2008). La question des habitudes modales y est abordée comme frein au changement modal, et y fait à ce titre l’objet d’une analyse approfondie.

Le choix modal par les habitudes n’est pas un choix premier : il vient confirmer un choix effectué pour d’autres raisons, économiques ou axiologiques, en le maintenant sur la durée. Cette

17 L’individualisation première renvoie au recentrement de la vie quotidienne autour de l’individu et non plus de la société, l’individuation à la production de l’individu par lui-même et non plus en fonction de sa place dans la société.

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construction par les habitudes est d’autant plus facile dans le cadre de la mobilité quotidienne que celle-ci est marquée par une double récursivité. La récursivité s’exprime à l’échelle quotidienne, puisque la majorité des déplacements, quel que soit le motif, sont constitués d’allers-retours. Elle a lieu à l’échelle hebdomadaire, puisque certains motifs occasionnent des déplacements répétés sur plusieurs jours de la semaine. La mobilité quotidienne multiplie les opportunités de construction des habitudes modales. Celles-ci se trouvent facilitées à la fois par la stabilité et la pérennité qu’elles offrent aux déplacements quotidiens, et par la limitation de la charge mentale qu’elles associent aux déplacements (Vincent, 2008). Cette situation aboutit à une absence de remise en cause par les individus des choix modaux, dont l’enracinement transforme les habitudes en routines. Ces comportements fonctionnent comme des automatismes, des facteurs d’inertie qui permettent la pérennité des pratiques de déplacement. La routinisation des choix modaux se double d’une valorisation du mode choisi : « Lorsque les individus sont confinés dans des

habitudes modales satisfaisantes, ils ne ressentent pas le besoin de chercher d’autres possibilités de déplacement, et auraient tendance à valoriser leur choix » (Rocci, 2007, p. 194). La rationalité par les habitudes rejoint alors ce que Vincent Kaufmann appelle la rationalité perceptive, pour laquelle l’usage d’un moyen de transport le rend subjectivement plus performant par rapport aux autres (Kaufmann, 2000). Le report modal est difficile, voire impossible, les alternatives étant dévalorisées vis-à-vis de la voiture particulière de la part des automobilistes.

L’usage de l’automobile se construit en système organisé autour d’échelons territoriaux et individuels. Son succès s’explique avant tout par un choix rationnel : la minimisation des coûts temporels et monétaires de la mobilité permise par ce mode de transport est interdépendant des configurations territoriales actuelles, et complexifié par la diversité des variables individuelles. En lien avec les avancées conceptuelles sur la mobilité quotidienne, les autres types de rationalités ne doivent pas être négligés : la voiture particulière fait écho aux valeurs contemporaines de liberté ou de distinction sociale, et son usage quotidien se trouve transformé en routines du fait des récursivités propres à la mobilité quotidienne. Ce sont là les grandes tendances qui fondent le succès d’usage de la voiture particulière, et qui doivent être interrogées sous l’angle des continuités et des ruptures dans le cadre d’une analyse prospective.

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1.2. Prospective d’usage de la voiture particulière : entre injonctions à la

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