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De la mi-XX e au début du XXI e siècle : quels effets du tournant planificateur ?

ELEMENTS DE REPONSE DU SYSTEME FERROVIAIRE

Carte 1 Réseau ferroviaire francilien exploité au début du XX e siècle et réseau actuel

5.1.2. De la mi-XX e au début du XXI e siècle : quels effets du tournant planificateur ?

Un fort changement de contexte s’opère après la Seconde Guerre mondiale, marqué par la place majeure prise par la planification, dès l’application du Plan d’Aménagement et d’Organisation Générale de la région parisienne (PADOG) en 1960. Il s’agit ici d’expliciter les raisons de ce changement de contexte, avant de présenter ses principales réalisations et de souligner les points saillants au regard de notre problématique.

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L’après-guerre, période transitoire : la croissance de l’usage de l’automobile et la montée en puissance de la planification brisent le lien entre mode ferroviaire et développement urbain

À partir du milieu des années 1930 et plus encore après-guerre, le contexte du développement urbain et des transports évolue doublement.

D’un côté, l’automobile entame son essor (Flonneau, 2005). Après la Seconde Guerre mondiale, les grands travaux d’infrastructure sont exclusivement routiers, afin d’accompagner ces évolutions90. L’expansion de l’agglomération, guidée par le réseau routier, change de forme, et le fonctionnement de l’agglomération dans son ensemble s’en trouve modifié91. En conséquence,

l’expansion spatiale est de moins en moins liée au mode ferroviaire.

Le deuxième élément de contexte tient au retour de la planification : le PADOG est le premier plan suivi d’effet, après une longue période de gestation. Il traduit un effort de rationalisation du développement à l’échelle de la région, en réaction à la période de développement spontané des lotissements, en affirmant un lien contrôlé entre transport et développement urbain. Il prend en compte la montée en puissance de l’automobile, en mettant l’accent sur la planification du mode routier.

Le PADOG est issu d’une longue période de gestation. Une première loi est votée en 1932, qui porte sur la préparation de l’aménagement de la région parisienne dans un rayon de 35 kilomètres autour de Paris92. Cette décision marque la volonté de l’État de reprendre en main

l’aménagement de la région, dans l’objectif de limiter son extension en lotissements et la densification de son centre (Marchand, 1993). Le document issu de cette loi est le Plan Prost de 1934, repris d’abord dans le Plan d’Aménagement de la Région Parisienne (PARP) de 1956. Celui-ci vise à décentraliser l’agglomération parisienne vers la province, décongestionner Paris vers la banlieue et régénérer celle-ci par les grands ensembles, en s’appuyant sur des voies de circulation routière à la mesure du trafic : cinq autoroutes radiales sont prévues (nord, est, sud, ouest, nord-ouest), dont les extrémités seraient reliées par une vaste rocade.

Le PARP est rapidement révisé et donne naissance PADOG, approuvé en 1960. Il s’agit avant tout d’un plan de développement routier qui va plus loin que le PARP en se fondant sur dix autoroutes radiales, appuyé d’une réglementation d’urbanisme qui vise à restructurer la banlieue

90Les travaux de réalisation de l’autoroute de l’Ouest commencent dès 1936, en 1953 pour l’autoroute du Sud, et 1956 pour le boulevard périphérique parisien. À l’inverse, le mode ferroviaire ne fait l’objet d’aucun investissement, hormis quelques électrifications de lignes.

91 Cf. chapitre 1, p. 26 et sq.

92 Loi du 14 mai 1932 donnant au Comité supérieur d’aménagement de Paris et de l’organisation de la région parisienne (CSAORP) un délai d’un an pour réaliser le plan d’aménagement de la région.

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et à cantonner l’urbanisation future à l’intérieur des 35 kilomètres de l’agglomération (Bastié, 1964). Le plan prévoit des voies nouvelles de circulation dans Paris et l’agglomération, des voies de dégagement reliant Paris à son agglomération et plusieurs rocades pouvant être rapprochées du boulevard périphérique parisien, de l’A86 et de la Francilienne actuels, ainsi qu’une rocade supplémentaire aux lisières de l’agglomération existante (Merlin, 1967).

Les transports collectifs ne font pas l’objet de projets aussi précis. Il est néanmoins intéressant de souligner qu’ils apparaissent dans le PADOG comme une solution de report modal face à la croissance du parc automobile et aux problèmes qui commencent à émerger : « Dès

maintenant il importe donc de faire porter un effort maximum sur l’amélioration des transports en commun, notamment par la création d’un réseau souterrain express régional, dont la rapidité et la fréquence justifieraient très souvent pour de nombreux automobilistes, la non utilisation de leurs voitures, tout au moins dans les quartiers centraux, ce qui, du coup, apporterait une solution partielle aux délicats problèmes de stationnement » (PADOG cité dans DREIF, 2008, p. 72). La création d’un réseau express régional est ainsi évoquée dès les années 1950, notamment pour remplacer la voiture particulière dans les liaisons radiales en direction de Paris. Le projet envisage deux transversales nord-sud et est-ouest reliant Versailles à Villeneuve-Saint-Georges via les Invalides, et Versailles à Paris puis la banlieue nord via Villacoublay et Clamart. Une liaison rapide entre Paris, le Bourget et le Mesnil-Amelot est également prévue, tandis que la ligne de Vincennes est intégrée dans ce réseau (Carmona, 1979).

En termes de réalisations, la priorité revient également au mode routier, dont le développement est considéré comme inévitable et devant être organisé. Le premier tronçon autoroutier est entamé sur l’autoroute de l’Ouest dès 1936, et inauguré en 1941, entre Saint-Cloud et Orgeval. Les exécutions sont cependant très partielles, faute de moyens financiers : l’autoroute du Sud est ouverte en 1960 entre Paris et Corbeil, celle du Nord en 1964 entre le Bourget et Senlis, le premier tronçon du boulevard périphérique parisien en 1960 entre les portes d’Italie et de Châtillon (Merlin, 1967). À l’inverse, le mode ferroviaire est en phase de régression : certaines lignes sont abandonnées au profit de la route, comme la Grande Ceinture dès 1939, à l’exception de quelques tronçons93 . L’après-guerre n’inverse pas cette tendance, et le trafic baisse

régulièrement jusqu’au milieu des années 1950, pour stagner voire augmenter légèrement par la suite du fait de la pression de la démographie et de l’urbanisation, alors que l’offre n’évolue pas. La seule avancée est la poursuite de l’électrification des lignes94. Les décisions prises dans le

93 Les tronçons toujours exploités par des circulations commerciales se situent entre Juvisy-sur-Orge et Versailles, entre Orly et Massy, et plus récemment entre Noisy-le-Roi et Saint-Germain-en-Laye avec la mise en exploitation de la Grande ceinture Ouest en 2004.

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cadre des documents d’aménagement sont trop partielles ou inachevées pour être mises en œuvre (Larroque et al., 2002), et le mode ferroviaire n’est clairement pas la priorité des aménageurs.

Au regard des problématiques traitées, l’après-guerre est un moment important marqué par la perte du lien entre réseau ferroviaire et développement urbain. Ce mode de transport est en stagnation, remplacé par la voiture particulière dans l’accompagnement des dynamiques urbaines. Les enjeux sont doubles. D’un côté, le PADOG est le premier exercice de planification territoriale mené au stade des réalisations, avec une prise en compte forte des projets de transport, routiers en premier lieu, afin à la fois de rattraper le retard et d’anticiper les évolutions futures. De plus, les choix effectués sont avant tout pragmatiques, et si le mode ferroviaire est moins valorisé, il reste central de noter l’idée de substitution à l’automobile selon la pertinence de chaque mode, et pour ce faire l’émergence d’un réseau express régional95.

Le SDAU de 1965 : moment fondateur du lien entre planification urbaine et transport, et du partage entre voiture particulière et transport collectif

Le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) de 1965 est issu d’un fort changement de contexte, entre vision renouvelée de la croissance de l’agglomération parisienne et reprise en main volontariste de la planification territoriale. Il est évoqué ici au regard du lien entre planification et transport, et de sa conception du partage modal entre voiture particulière et transports collectifs.

Le postulat de limitation de la croissance de l’agglomération parisienne est remis en question au début des années 1960. Les documents d’aménagement postérieurs au PADOG se fondent en effet sur des hypothèses de forte augmentation de la population régionale, estimée entre 14 et 16 millions d’habitants à horizon 2000 dans le cadre SDAU. Du point de vue des acteurs, l’État s’impose comme l’aménageur de la région. L’urgence d’une réforme de la gestion de l’agglomération le conduit à créer par la loi du 2 août 1961 le District de la Région parisienne, sous la direction de Paul Delouvrier. Cet organe a pour objectifs de coordonner les politiques d’aménagement du territoire et de proposer un nouveau schéma directeur, dont l’élaboration est confiée à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne (IAURP, ancêtre de l’IAU) (Larroque et al., 2002).

Bastille dans les années 1960 (Carrière, 1993).

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Le lien entre urbanisation et transport est fondamental dans le SDAU. La planification est pensée à l’échelle de la région – restructuration de la banlieue, développement des villes nouvelles pour accueillir la croissance, jusqu’aux lisières du milieu rural – selon des axes préférentiels pour lesquels les transports apparaissent comme les « artères nourricières » de l’implantation des villes nouvelles (Carmona, 1979, p. 101). Il s’agit de pouvoir maîtriser et organiser le développement de l’urbanisation face à l’explosion urbaine et au sous-équipement de la banlieue, en se fondant sur la création de centres urbains nouveaux permettant de canaliser le développement de l’agglomération autour de pôles (Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Ile-de- France, 1976). L’objectif est triple : canaliser l’extension de l’agglomération selon des axes préférentiels, relier les centres urbains nouveaux avec Paris, et assurer la liaison entre ces centres urbains (Carmona, 1979). Le projet privilégie la densification du tissu urbain en banlieue autour de centres restructurateurs reliés au réseau ferré rapide, et la création de huit villes nouvelles s’organisant le long de deux axes tangents d’urbanisation pour rompre avec la structure radioconcentrique de l’agglomération96. Sur ces axes sont prévus de s’implanter de nouveaux centres urbains structurant les nouveaux quartiers résidentiels, les zones d’emplois, etc. (Merlin, 1982).

En termes de réalisations, il s’agit d’un des moments fondateurs pour le réseau autoroutier et surtout pour le réseau ferré régional. Pour ce dernier, il faut le rapprocher de la création de l’essentiel des lignes dans la seconde moitié du XIXe siècle et de la constitution du métro parisien

dans la première moitié du XXe siècle. Le développement urbain est indissociable d’un

développement des réseaux de transport. Au-delà de l’opposition entre voiture particulière et transport collectif, les deux modes sont complémentaires. L’objectif global et explicite est d’assurer l’unité fonctionnelle de la région, en reliant Paris et les différents pôles de l’agglomération, existants ou à développer, via un réseau ferré lourd permettant un transport de masse, et en reliant ces polarités entre elles par un réseau autoroutier plus approprié à un trafic moindre (Desjardins et al., 2012). L’approche est pragmatique, dans l’optique d’un fonctionnement optimal de l’économie francilienne : il s’agit de créer un marché du travail unifié à l’échelle de la région (Gérondeau, 2003), mais également d’offrir à la population une liberté de logement et de loisirs (Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France, 1976). C’est le fonctionnement de l’ensemble de la société francilienne qui repose sur cette articulation nouvelle entre aménagement urbain et réseaux de transport. Si la priorité semble donnée à l’automobile (Carmona, 1979), chaque mode de transport a son périmètre de pertinence malgré la

96 Les villes nouvelles prévues sont Cergy-Pontoise, Beauchamp et Noisy-le-Grand/Bry-sur-Marne pour l’axe au nord de Paris, et Tigery-Lieusaint, Evry, Trappes (divisé en deux sous-ensembles) et Mantes-la-Jolie pour l’axe situé au sud.

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forte croissance de la voiture particulière : son succès d’usage est intégré, mais les planificateurs n’en font pas leur priorité (Merlin, 1982).

En termes de propositions, le schéma valorise l’usage de l’automobile, avec la prévision d’un véritable plan autoroutier. Les seules autoroutes en service en 1960 sont celles de l’Ouest (A13) et du Sud (A6). Le SDAU reprend le plan national des autoroutes de 1962, et prévoit la construction de 900 kilomètres de voies routières rapides, dont trois rocades et 14 autoroutes radiales (Merlin, 1982). Si l’urbanisation est prévue d’être liée au réseau express régional, le réseau routier n’est pas oublié pour autant. Le rythme de mises en service de tronçons s’accélère, si bien que les conditions de circulation pour les véhicules particuliers s’améliorent nettement, bien plus que pour les usagers des transports collectifs (Larroque et al., 2002). Comme il a été évoqué dans la première partie de ce travail97, ce développement du réseau autoroutier favorise, en lien avec la

hausse globale du niveau de vie et avec la baisse des coûts de construction, le développement de l’accès à la maison individuelle à grande échelle, si bien que se développe à partir de la fin des années 1960 un habitat pavillonnaire aux limites de l’agglomération, sans lien avec les projets d’aménagement du territoire (DREIF, 2008). Au contraire, un découplage voit le jour, entre équipement et développement des réseaux de transport, et une urbanisation de moins en moins maîtrisée (Larroque et al., 2002).

Pour ce qui est du réseau ferré lourd, le schéma relie entre elles la majorité des lignes de chemin de fer de banlieue à travers Paris, bouleversant les conditions d’accès à la capitale depuis la périphérie et unifiant la région sur le plan des transports collectifs (Gérondeau, 2003). À ce titre, le premier tronçon d’une liaison est-ouest est lancé en 1960 (future ligne A du RER), les travaux débutant en 1962, entre La Défense et la place de l’Étoile afin de désaturer la ligne 1 du métro et d’accompagner l’amorce d’un quartier d’affaires98. Le SDAU prévoit que cette première ligne zonale soit intégrée à un véritable réseau express régional, comme le montre la carte 2.

97 Cf. chapitre 1 p. 26 et sq.

98 Le CNIT, centre national des nouvelles industries et technologies, est le premier bâtiment du quartier d’affaires de La Défense.

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