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La métropolisation, cadre conceptuel de l’évolution des activités économiques

Conclusion du Chapitre

CHAPITRE 2 EVOLUTION DES DETERMINANTS TERRITORIAU

2.1. Cadrage théorique et tendances récentes

2.1.2. La métropolisation, cadre conceptuel de l’évolution des activités économiques

Définitions et limites

La métropolisation renvoie au terme de métropole. Étymologiquement, celle-ci désigne la « ville mère », d’origine grecque, une cité dont les individus colonisent les rivages de la Méditerranée. L’usage du terme par la chrétienté aux premiers siècles de notre ère lui conserve ce sens : la métropole est alors la ville à partir de laquelle s’organise la diffusion de la religion chrétienne. À cette notion de diffusion vient cependant s’adjoindre une notion déterminante pour la postérité du terme : celle de hiérarchie urbaine, d’abord fondée sur la religion. La métropole se caractérise par son importance, sa place dans la hiérarchie urbaine47. Elle implique un processus

spatial de concentration, à la fois de la population et surtout des activités économiques, et « représente la forme d’urbanisation à la fois la plus moderne, la plus puissante et finalement la

plus polyvalente du point de vue de ses fonctions » (citation de Marcel Roncayolo in Douay, 2009, p. 10).

Vis-à-vis de la métropole, le terme de métropolisation désigne un processus qui rend compte de l’évolution contemporaine des territoires urbains. Les nombreuses définitions qui existent de ce terme renvoient à deux phénomènes considérés comme constitutifs : concentration à l’échelle intra-métropolitaine, et mise en réseau à l’échelle inter-métropolitaine.

Si la concentration concerne parfois principalement la population en termes de hiérarchie urbaine (Moriconi-Ebrard, 1993), la majorité des auteurs y associe les biens, les capitaux ou encore les connaissances scientifiques, mettant en avant les effets économiques liés à la métropolisation (Ascher, 1995 ; Halbert, 2010). Ce processus les consacre comme les lieux de la production et de l’accumulation des richesses.

Le second phénomène déterminant est lié au premier : la concentration qui définit la métropolisation ne peut s’envisager sans une capacité à polariser des flux qui s’établissent à

47 Sans oublier qu’entre temps, à partir du XVIe siècle, la métropole a repris son sens premier et colonisateur, en s’appliquant aussi bien à l’échelle d’une ville qu’à celle d’un État.

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l’échelle planétaire. C’est l’intégration dans des réseaux mondiaux, inséparable du phénomène de mondialisation, qui permet aux métropoles de capter ces flux. Des auteurs comme François Ascher ou Ludovic Halbert considèrent à part égale les deux processus de polarisation et de concentration, tandis que d’autres, comme Manuel Castells, fondent leur définition précisément sur les flux plus que sur les fonctions métropolitaines (Castells, 2001).

Ces éléments de définition posent la question à la fois des facteurs à l’origine de la métropolisation, et des concepts mobilisés pour analyser ce processus.

Le processus de métropolisation est lié au tournant des années 1980 dans le développement du stade actuel de la mondialisation (Michalet, 2004). Celle-ci peut être définie comme l’extension potentiellement planétaire des interdépendances économiques, appuyées sur le développement des échanges de biens, de services, de technologiques, de capitaux et d’hommes (Veltz, 2005 ; Carroué, 2007). Elle est liée à trois révolutions, aux effets directs sur les métropoles (Halbert, 2010) : la révolution des moyens de transport ; les politiques de libéralisation des échanges, qui permettent notamment un accroissement de la circulation des marchandises ; le redéploiement des activités économiques à l’échelle mondiale à travers une globalisation des firmes qui élargit la division du travail à l’échelle internationale.

Dans ce contexte, une majorité d’auteurs considère que la force des métropoles est de polariser et de concentrer les activités et fonctions économiques rares. Alors que les premiers travaux, dans les années 1960, considéraient la concentration d’activités également politiques, culturelles ou scientifiques (Hall, 1966), les approches les plus récentes se concentrent sur l’économie. Ludovic Halbert rappelle que le courant de la Nouvelle géographie économique voit dans la concentration métropolitaine le résultat des externalités positives liées à l’agglomération des facteurs de production dans les régions urbaines. Les travaux les plus médiatisés fondent le succès métropolitain, notamment à l’échelle planétaire, sur certaines activités ou fonctions. Les tenants de la ville globale mettent en avant le rôle des fonctions d’intermédiation, c’est-à-dire des fonctions spécifiques à l’organisation et à la gestion de l’économie mondialisée (Sassen, 1996). Les approches néo-industrielles issues du succès de la Silicon Valley considèrent que la réussite des métropoles est liée à l’importance de l’innovation dans la création de richesse, et donc aux fonctions de conception et de recherche ; pour Richard Florida, elle est due à la concentration d’une population créative dont le métier est de produire des idées nouvelles (Florida, 2002).

Il est possible de considérer avec Ludovic Halbert que ces approches connaissent deux limites (Halbert, 2010). La première est une représentation appauvrie de la géographie, réduite à un espace support d’activités économiques, alors que des approches développées récemment

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proposent une théorisation qui permet de penser dans un même mouvement économie et territoire. En outre, ces conceptions de la force des métropoles reposent sur une vision que l’on pourrait qualifier d’élitiste du fonctionnement économique, alors que ces fonctions représentent une fraction limitée des emplois métropolitains48. Il est nécessaire de parvenir à une conceptualisation

de la métropole qui intègre l’ensemble des activités économiques, qui fonctionnent en système. C’est d’autant plus vrai pour l’analyse menée ici qu’elle s’intéresse aux évolutions générales de l’économie, afin de pouvoir en déterminer les principales continuités et ruptures, notamment dans leurs rapports aux territoires, et non aux dynamiques propres à quelques secteurs particuliers, fussent-ils les moteurs du développement métropolitain.

La notion de « longue traîne » métropolitaine (Halbert, 2010)

Ludovic Halbert propose de repenser l’avantage métropolitain en tenant compte des limites formulées ci-dessus. Il met pour cela à jour la notion de « longue traîne » métropolitaine.

Cette approche prend le contre-pied de la logique de spécialisation, considérée comme n’étant qu’un élément d’explication de l’importance des métropoles. Si les économies d’agglomération liées à l’environnement métropolitain permettent d’améliorer les capacités d’innovation et les systèmes productifs locaux, la proximité physique qu’elles sous-entendent n’est pas un élément nécessaire à la coordination des acteurs. Ainsi, une dynamique de collaboration peut s’enclencher autour d’un projet, au bénéfice d’autres sortes de proximité.

La logique à l’œuvre dans l’effet de « longue traîne » dépasse celle de la spécialisation pour englober l’espace métropolitain dans son ensemble, aussi bien en termes spatiaux que de fonctions ou de secteurs économiques. De ce point de vue, la force des métropoles est considérée comme reposant sur la présence d’un nombre élevé de ressources disponibles, et sur la capacité des acteurs à collaborer pour mobiliser ces ressources. Les métropoles bénéficient ainsi d’avantages à la fois quantitatifs et qualitatifs. D’un côté, les ressources sont suffisantes pour que leur utilisation par un acteur n’empêche pas d'autres acteurs d'y accéder. De l’autre côté, le nombre et la diversité des ressources permettent des effets de variété, de spécificité par la présence de niches, et de sélectivité grâce à une sophistication poussée dans certains domaines.

La conjonction de ces deux types d’avantages est propre aux métropoles49. Elle permet à la

fois la minimisation des risques au moment présent, et l’augmentation de la probabilité de trouver

48 Ludovic Halbert indique ainsi que les fonctions économiques traditionnellement associées au processus de métropolisation comptent pour 15 % de la population active en Île-de-France en 2005.

49 Les effets qualitatifs ne sont pas propres aux métropoles, comme le montre l’exemple des districts industriels, par exemple en Italie. C’est bien l’accumulation des effets à la fois quantitatifs et qualitatifs qui fonde l’avantage métropolitain.

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les ressources nécessaires aux activités économiques dans un avenir plus ou moins proche. Au final, ce qui fait la force des métropoles dans la logique de « longue traîne » est la faculté de

mobilisation des ressources, qu’elles soient localisées sur le territoire de la métropole ou dispersées à l’échelle de la planète. Cette logique de métropolisation, caractérisée par la capacité à mobiliser des ressources variées tant sur le plan quantitatif que qualitatif, conforte une approche de l’activité économique devant prendre en compte l’ensemble des secteurs d’activités.

Effets spatiaux à l’échelle métropolitaine

Le cadre conceptuel étant posé, l'analyse applique à l’Île-de-France ces effets théoriques de la métropolisation sur la localisation des activités économiques. L’optique est de déceler les tendances longues et les ruptures en termes d’évolutions territoriales, afin d’interroger par la suite leurs effets en termes de mobilité.

La tendance à l’étalement des activités ne fait pas de doute. Historiquement, une ville dynamique a tendance à croître et à intégrer sa banlieue, au moins économiquement (Gilli, 2005a). Ce sont d’abord les services aux particuliers et les activités commerciales de détail, constituées en plateformes commerciales, qui suivent l’étalement spatial de la population, et ce avant les année 1980, traditionnellement associées au processus de métropolisation (Guérois et Le Goix, 2000). Face à cette logique relativement simple d’activités nécessitant une proximité physique avec leur clientèle, la métropolisation introduit une complexification renforcée par la multiplication des méthodes d’analyse de ses effets sur la localisation des activités. Toutes n’obéissent pas aux mêmes logiques, et la variabilité des données et des indicateurs peut conduire à des conclusions parfois opposées sur le même secteur d’activités ou la même fonction (Gilli, 2005b).

Les débats théoriques sur la localisation des activités économiques s’organisent autour de trois interrogations.

La première porte sur la forme prise par l’étalement : dispersion ou polarisation ? Dans le contexte de métropolisation, les activités économiques liées à ce processus s’insèrent, comme il a été vu, dans des réseaux qui dépassent le simple cadre d’une région urbaine. Dans ces conditions, leur localisation ne dépend plus d’une simple aire de chalandise, d’où une évolution des logiques spatiales. L’interrogation sur la forme de l’étalement des activités est issue d’Amérique du Nord (Halbert, 2007). Bien que l’analyse porte spécifiquement sur les services aux entreprises, elle montre que la dispersion traduit une déconcentration anarchique, bénéficiant tout au mieux en

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termes de polarisation à un secteur de l’agglomération, comme cela a pu être le cas avec la Silicon

Valley. Il en résulte une véritable dilution des activités. Au contraire, la polarisation se traduit par l’émergence de centres secondaires concentrant les emplois. L’exemple le plus connu est l’expression de edge city inventée par Joel Garreau50.

Derrière cette interrogation sur les formes prises par l’étalement des activités réside celle sur les logiques à l’œuvre, sur l’interprétation de l’étalement. Une première hypothèse rattachée au courant de l’économie post-industrielle considère que les choix de localisation sont dictés par la recherche de la proximité des clients et des entreprises appartenant au même secteur d’activité. Il s’agit donc d’améliorer à la fois les externalités de marché, et les externalités de localisation. Cette logique conduit à une polarisation des activités qui s’opère selon des choix de localisation

sectorielle. En parallèle, une seconde hypothèse se base sur l’économie de l’information. Elle considère que l’ensemble des secteurs économiques sont traversés par les mêmes transformations, qui les conduisent à adopter des différenciations fonctionnelles à l’intérieur des régions métropolitaines. Les questions d’accès et de contact étant désormais cruciales, les fonctions les plus sensibles à l’information restent dans le cœur, tandis que les autres se relocalisent. La situation aboutit alors à un polycentrisme résultant d’une division fonctionnelle croissante.

Toujours en Amérique du Nord, ce débat sur les logiques de l’étalement des activités a occasionné une troisième interrogation pourtant sur la persistance du centre comme pôle économique. Une équipe de chercheurs canadiens a en effet démontré le maintien, voire le renforcement des quartiers centraux d’affaires pour certaines fonctions économiques spécifiques, telles que les activités de management et de coordination, ainsi que les états-majors des grandes entreprises, dont le besoin de centralité et d’interaction permanente est fort (Coffey et Polese, 1996). À l’étalement des activités qui peut prendre la forme soit d’une dispersion, soit d’une polarisation, il faut donc associer l’hypothèse d’un maintien, voire d’un renforcement du centre.

Ces travaux ont été importés récemment sur le terrain de l’Île-de-France. Certains auteurs mettent en avant le caractère monocentrique de la région, dominée par Paris, qui aurait étouffé les velléités d’une analyse soit morphologique, soit fonctionnelle plus poussée (Halbert, 2004a). C’est à la fin des années 1990 que les premiers travaux sont conduits, qui soulignent les difficultés méthodologiques à définir les évolutions spatiales périphériques et à analyser leurs liens avec Paris (Beckouche et Vire, 1998). Depuis lors, les approches se sont multipliées, abordant les trois interrogations théoriques présentées. La variété des approches possibles complexifie les interprétations quant à l’évolution spatiale des activités en Île-de-France.

50 Issu d’une enquête publiée en 1991 par Joel Garreau, Edge city : life on the New Frontier, le terme désigne « une excroissance périphérique qui a la particularité d’être une entité relativement autonome, sans avoir une

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Concernant les formes de l’étalement des activités, la dépendance aux secteurs d’activités est très forte. Si, pour la logistique, une tendance au desserrement non polarisé se fait jour (Gilli, 2007), ce n’est pas le cas des autres secteurs. La tendance à la polarisation semble en effet prévaloir, et ce quelle que soit l’approche mise en avant, aussi bien dans le cadre d’analyses sectorielles globales (Gilli, 2005a) ou relatives à un secteur comme celui des activités de services aux entreprises (Halbert, 2004a), que dans le cadre d’analyses fonctionnelles (Halbert, 2007).

Les logiques d’étalement se trouvent également être soumises à débat, entre logique verticale et sectorielle d’un côté (Gilli, 2005a), et différenciation fonctionnelle de l’autre (Crague, 2002). Dans une approche globalisante, Ludovic Halbert estime que le fonctionnement régional est en partie sectoriel et fonctionnel : certains secteurs connaissent des spécialisations sectorielles qui confirment l’existence d’externalités de localisations, sans pour autant entraver la prédominance d’une division fonctionnelle et hiérarchique de l’espace métropolitain francilien (Halbert, 2007). Le quadrant sud-ouest de la région est à ce titre emblématique, puisque du sud-ouest de la capitale jusqu’à un arc allant de Saint-Quentin-en-Yvelines à Massy en passant par Vélizy-Villacoublay se dessine un « triangle technopolitain » qui superpose à la division fonctionnelle qui est de mise en Île-de-France une division sectorielle dans le domaine industriel et de haute technologie, notamment automobile (Loinger, 2007).

Enfin, les interrogations portant sur le maintien de la centralité convergent dans le cas francilien. Sans s’opposer à une tendance au desserrement polycentrique, on constate également une persistance de la concentration des activités économiques. Que ce soit dans le cas des activités d’intermédiation (Halbert, 2004b) ou des pôles d’emplois supérieurs (Halbert, 2005a), le desserrement est limité à la partie agglomérée de l’aire métropolitaine, en contiguïté du centre. Cette déconcentration renforce la centralité, qui continue de polariser les activités de commandement à haute valeur ajoutée.

L’analyse de la métropolisation comme cadre conceptuel de la localisation des activités permet de dégager les grandes tendances spatiales qui fondent les dynamiques économiques de la région. Le gradient centre-périphérie est toujours une clé d’analyse pertinente. Dans une dynamique de déconcentration en petite couronne, le centre métropolitain conserve une attractivité fonctionnelle au bénéfice des activités de commandement et d’intermédiation, en contiguïté d’un centre constitué de Paris et du centre des Hauts-de-Seine autour de La Défense. La division fonctionnelle de l’agglomération rend compatible ce renforcement du centre avec un étalement de l’activité économique, dans une logique parfois sectorielle, et surtout fonctionnelle. Cet étalement ne se traduit pas par une dispersion des activités mais par une tendance à la polarisation autour de trois types de pôles (Berroir et al., 2007) : pôles dans le prolongement de Paris, pôles de grande couronne rattrapés et inclus dans l’agglomération parisienne et villes

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nouvelles, qui rendent nécessaire d’insister sur l’importance de la planification territoriale dans le cas francilien, ce que n’évoquent pas les travaux théoriques mais qui est bien pris en compte dans les analyses empiriques (Berroir et al., 2004 ; Halbert, 2005b).

2.1.3. La mobilité quotidienne : une approche systémique des dynamiques

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