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Des solutions technologiques limitées, la nécessité d’élargir le champ

Conclusion du Chapitre

CHAPITRE 4 COMBINAISON PROSPECTIVE DES DETERMINANTS : LA

4.1. Combiner les tensions prospectives sur la mobilité quotidienne

4.1.2. Des solutions technologiques limitées, la nécessité d’élargir le champ

Face au caractère limité des solutions technologiques propres à la voiture particulière, et face aux enjeux supplémentaires posés par l’analyse des déterminants territoriaux et d’un déterminant sociétal de la mobilité quotidienne, il apparaît nécessaire d’élargir le champ des solutions pour tenter de résoudre les tensions qui se posent sur la mobilité quotidienne.

Des solutions alternatives qui s’orientent dans trois directions

Une analyse de la littérature scientifique sur les alternatives autres que technologiques à l’usage actuel de la voiture particulière révèle des solutions pouvant être classées par importance décroissante de la place accordée à l’automobile : développer d’autres usages de la voiture particulière, réduire les besoins de mobilité, et promouvoir les modes de transport alternatifs. Il s’agit ici d’en présenter les grandes orientations.

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Les travaux scientifiques sur le développement d’autres usages de la voiture particulière prennent une réelle ampleur depuis quelques années.

Le premier élément est une analyse des processus, notamment dans des approches sociologiques, qui conduisent les individus à développer des pratiques « altermobiles ». Il s'agit de promouvoir d’autres usages de la voiture particulière que la possession au niveau du ménage ou de l’individu. Les travaux se focalisent alors sur le covoiturage (Vincent, 2008), l'autopartage (Huwer, 2004), ou le détachement de la voiture particulière (Fouillé, 2010). En parallèle émerge une analyse des pratiques actuellement émergentes, qui tente de déterminer leur valeur de substitution à la propriété privée de la voiture particulière, comme a pu le faire Jean-Pierre Orfeuil. Ce dernier souligne cependant les difficultés à passer de la propriété du véhicule à son simple accès (Orfeuil, 2008b).

Le deuxième type de travaux envisage de réduire les distances à parcourir quotidiennement

en voiture particulière.

Cet objectif est rendu possible par la réduction au maximum, voire par la suppression du besoin de déplacement. Le développement des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) remet en question la notion de distance. Si certains auteurs en affirment la mort (Cairncross, 1997), des approches empiriques ont remis en cause cette assertion extrême (Mok et al., 2010). Les effets des NTIC sur la mobilité sont nombreux et ambivalents, que ce soit dans la promotion du télétravail (Thomsin, 2002) ou dans l’évolution du commerce aux particuliers (De Blasio, 2006 ; Rotem-Mindali et Salomon, 2007). Il serait donc simpliste de ne voir les NTIC que comme une alternative à la mobilité : ils ont également des effets d’induction et de facilitation.

Il est aussi possible de repenser l’organisation territoriale, par la promotion d’une évolution des formes urbaines permettant de réduire l’usage de la voiture particulière (Curtis, 1996 ; Korsu et Massot, 2006). Certains travaux analysent la pertinence en termes de durabilité des différentes morphologies des agglomérations – polycentrisme, agglomération monocentrique – (Le Néchet, 2010). Depuis plusieurs années émergent des concepts visant à améliorer l’efficacité des agglomérations par une modification de leur morphologie et de leur fonctionnement. La densification est la notion la plus classique (Fouchier, 1997). Elle a conduit à l’émergence de concepts tels que la ville compacte (Pouyanne, 2004), la ville des courtes distances (Gout, 2000), ou la ville cohérente (Korsu et al., 2009).

Réduire les distances à parcourir quotidiennement en voiture particulière passe aussi par l’optimisation des déplacements, la solution la plus simple afin de réduire les distances à parcourir. Certains travaux sur les effets de l’évolution du prix du carburant sur la mobilité

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quotidienne montrent que cette solution est déjà appliquée par les ménages (Beauvais, 2010). Au sein de cet ensemble de solutions se trouve enfin la monétarisation de la mobilité, incitant à modérer l’usage de la voiture particulière, par la mise en place de péages urbains (Börjesson et

al., 2012) (Li et Hensher, 2012), ou de régulations par le rationnement, via des permis négociables par exemple (Crozet et al., 2001).

La troisième solution aux évolutions technologiques de la voiture particulière est la

promotion des modes alternatifs.

C’est l’approche la plus classique, qui fait l’objet de multiples recherches, tant en France qu’à l’étranger. Certains travaux portent sur le processus de report modal de façon générale, selon diverses approches : économique (Bonnel et al., 2003), sociologique (Kaufmann, 2000), psychologique (Stradling et al., 2000), ou encore par les politiques de transport (Mackett, 2001). En parallèle, nombreux sont les travaux détaillant une approche spécifique du report modal. Il peut s’agir du report vers un mode en particulier : rôle de l’accès aux stations dans le cadre du transport ferroviaire (Brons et al., 2009), report modal vers le bus et le train (Jou et al., 2010). Sont également étudiés les processus permettant ce report : rôle de l’intermodalité (Krygsman et

al., 2004), effet d’un mois de transport public gratuit pour les utilisateurs de la voiture particulière (Thogersen, 2009), ou changement volontaire de comportement de déplacement (Brög et al., 2009).

Toutes ces orientations sont loin d’être purement théoriques. Elles s’inscrivent également dans les pratiques, relevant de décisions à de nombreux échelons, depuis les individus jusqu’à l’échelon national ou international. Les politiques de développement des modes alternatifs sont les plus anciennes, datant des années 1970 et des premières prises de conscience des enjeux économiques et écologiques de la promotion des alternatives à une mobilité basée sur le tout- automobile. Les politiques d’aménagement du territoire s’inscrivent dans la continuité de cette prise de conscience : l’objectif de réduction de l’usage de la voiture particulière s’accompagne d’une réflexion sur les formes urbaines, et sur leurs impacts sur les usages modaux. En Île-de- France, parmi les exercices de planification, c’est le Schéma directeur de 1994 qui, le premier, pose explicitement l’objectif de limiter l’étalement urbain, corollaire de l’usage de la voiture particulière. Il promeut pour ce faire un recentrement du développement urbain autour des villes nouvelles, de centralités en moyenne couronne telles que Massy Palaiseau, et du renouvellement d’anciens secteurs industriels en proche couronne (Préfecture de la région Île-de-France, 1994). Enfin, les actions les plus récentes ajoutent à ces démarches le développement de nouveaux usages de la voiture particulière, que ce soit par la multiplication des sites Internet de covoiturage,

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ou par le développement d’offres en libre service, la plus emblématique étant Autolib’ à Paris. Il est à ce titre intéressant de remarquer que les dernières solutions alternatives à l’usage actuel de la voiture particulière font état d’un recentrement sur ce mode de transport, faisant émerger l’idée d’une voie intermédiaire entre cet usage actuel et les solutions traditionnelles – transports alternatifs, aménagement du territoire – qui ne permettent de remplacer l’usage de la voiture particulière que dans certains cas précis.

Embrasser toute l’étendue des solutions possibles : un impératif prospectif

Cette présentation du champ élargi des solutions alternatives au simple champ de la voiture particulière se justifie par les enjeux liés à la mobilité quotidienne, dépendance au pétrole et émissions de gaz à effet de serre, face auxquels il faut envisager toutes les solutions (Orfeuil, 2008a). En d’autres termes, il ne s’agit pas tant de s’interroger sur la valeur propre à chaque solution que d’en appréhender l’éventail le plus large possible. En effet, ce foisonnement apparaît comme un élément clé permettant d’éviter une crise de la mobilité et de la société au regard des incertitudes liées à l’avenir de la voiture particulière : « un élément de réponse [à la préservation

de l’avenir face aux incertitudes économiques et géopolitiques] est fourni par la diversité et la souplesse des innovations à élaborer et des politiques à mener » (Offner, 2009, p. 22). En ce sens, la multiplication des réponses à ces enjeux apparaît comme une assurance. Alors que la voiture particulière est apparue comme le meilleur élément de minimisation des risques, familiaux ou professionnels, dans une société au fonctionnement de plus en plus marqué par l’incertitude (Orfeuil, 2001), la multiplicité des solutions apparaît aujourd’hui, d’un point de vue tant empirique qu’opérationnel, comme le meilleur élément de minimisation des risques inhérents à une baisse d’usage de la voiture particulière : il n’existe aucune solution capable à elle seule de couvrir tous les usages actuels de l’automobile, de proposer le même niveau d’assurance.

La seconde partie de la thèse s’inscrit dans ce mouvement : au sein des solutions apportées par les modes de transport alternatifs à la voiture particulière, il s’agit d’étudier en détail le cas du transport ferroviaire en Île-de-France, alternative certes classique, mais qui bénéficie d’une approche originale, ne serait-ce que d’un point de vue opérationnel, par l’accessibilité et la saturation du système. Auparavant, il convient de clore la première partie, en articulant les tensions prospectives sur la mobilité quotidienne et leurs solutions au sein d’une construction globale, et en validant cette construction par sa confrontation avec des travaux empiriques.

153 4.1.3. Proposition d’une combinaison globale

La figure 9 illustre comment la prospective d’usage de la voiture particulière remet en question la mobilité quotidienne.

Figure 9 - Schéma de synthèse de la combinaison du décalage appliquée à l’Île-de-France

Réalisation : V. Gagnière, 2014

En lien avec les travaux théoriques étudiés, la mobilité quotidienne se construit en système au sein duquel s’articulent trois échelles. L’échelle macroscopique correspond à celle de la société ; le système économique, les technologies de transport et les NTIC sont les trois facteurs qui orientent la mobilité quotidienne. À une échelle intermédiaire, ou mésoscopique, se trouve le territoire ; la mobilité quotidienne y est déterminée par la localisation des activités et des logements, elle-même en interaction avec un système de transport qui influence et accompagne ces évolutions territoriales, lesquelles peuvent être soit spontanées, soit déterminées par des politiques publiques. Enfin, à l’échelle microscopique correspondent les individus ; dans ce cadre, la mobilité quotidienne relève tant des contraintes économiques qui pèsent sur ces individus, que de leurs modes de vie et de leurs habitudes, ainsi que des évolutions démographiques. Si cela n’a pas été représenté sur le schéma par souci de clarté, il reste évident que ces trois échelons entrent

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en interaction, contribuant à faire de la mobilité quotidienne un système complexe, dont les facteurs sont étroitement liés. D’un point de vue méthodologique, c’est ce système qui a été passé au crible de l’analyse prospective, les échelles territoriales et sociétales, à travers le vieillissement de la population, ayant constitué les variables étudiées en termes de continuités et de ruptures.

Ce système se trouve confronté à la double injonction des politiques publiques à la modération d’usage du pétrole, et à la lutte contre le réchauffement climatique. Au niveau de la voiture particulière, cette double injonction est en contradiction avec l’usage actuel de la voiture particulière. La seule solution théoriquement acceptable, le développement des alternatives technologiques, est une solution incomplète. Réintégrer la réflexion dans le cadre global de la mobilité quotidienne conduit à déterminer une tension d’un troisième ordre : les facteurs territoriaux et sociétaux, à travers l’étude du vieillissement de la population, de la mobilité quotidienne, déterminent des éléments prospectifs en partie favorables à la voiture particulière. Ces trois niveaux de tensions ne permettent pas d’apporter de réponse satisfaisante aux injonctions énergétiques et environnementales. Des alternatives sont donc nécessaires. Le premier groupe de solutions gravite toujours autour de la voiture particulière, et propose d’autres usages et d’autres pratiques : covoiturage, gestion du trafic grâce aux NTIC. Le deuxième groupe de solutions a pour objectif de réduire les besoins en voiture particulière ; il s’oriente vers l’optimisation des déplacements, une autre localisation des ressources via l’aménagement du territoire, un renouvellement des pratiques professionnelles et domestiques, et l’instauration d’une monétarisation de la mobilité automobile. Enfin, le troisième groupe de solutions considère un maintien de la mobilité, mais un changement de mode, et promeut les modes alternatifs, qu’il s’agisse des modes doux ou des transports collectifs.

Il n’existe pas de solution qui permette à elle seule de replacer l’ensemble de ses usages, c’est pourquoi les spécialistes de la prospective de la mobilité insistent sur la nécessité d’appréhender l’ensemble des solutions possibles. Il faut à nos yeux aller plus loin, s’interroger non seulement sur les alternatives, mais également sur leurs interactions, leur organisation. Au regard des enjeux déterminés, un nouveau champ de la recherche en aménagement et en urbanisme pourrait s’intéresser à l’étude des meilleures articulations possibles entre les alternatives, étant bien entendu que celles-là dépendent de facteurs nombreux, au premier rang desquels les territoires, les types d’activités et les individus concernés. L’articulation des alternatives à la voiture particulière ne sera pas la même pour un cadre parisien et pour un retraité briard, pour se limiter à des exemples franciliens, une difficulté supplémentaire consistant à proposer un système qui intègre entre eux ces différents besoins.

Cette approche ultérieure n’est pas l’objet de cette thèse. Dans la démonstration, il convient désormais de démontrer la validité opératoire de cette construction théorique.

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