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2. LAILA RIPOLL

2.1. Panorama du théâtre féminin aujourd’hui

2.1.5. Tendances actuelles

Par le biais d’œuvres collectives ou individuelles, le recours au passé historique ou mythologique est un des moyens utilisés pour dénoncer les problèmes actuels à travers la mise en scène de personnages appartenant au passé. Cette volonté de récupération du passé n’est pas nouvelle, en effet, Antonio Buero Vallejo dans les années 1940 amorça cette tendance, car la « historia y el mito, revisados y reutilizados, proyectan un subtexto del que brota la conexión actual por lo que los personajes y situaciones constituyen además símbolos de la opresión, de la víctima, del poder, de la lucha : de todos los profundos conflictos que han afectado a seres de cualquier tiempo » (Serrano García 2004, 569).

En général, l’expression de l’insatisfaction due au manque d’idéaux, le manque de communication, la peur, la violence, l’injustice régnant dans notre société sont des thèmes privilégiés. Le théâtre de la mémoire, très présent sur la scène actuelle, visant à donner la parole aux victimes oubliées de l’Histoire, s’inscrit dans un phénomène plus global. En effet, ces textes dramatiques

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présentent de nombreuses similitudes avec le roman historique postmoderne. Celui-ci se caractérise par une tendance à la dépolitisation, la fragmentation, les multiples perspectives, une structure ouverte et la reconstruction d’une réalité passée. Cependant, le genre narratif ne peut rendre compte de la spécificité théâtrale. En effet, dans le théâtre, la « memoria representada, visualizada, interpretada y escenificada […] destaca por la variedad de recursos en los signos empleados, por el carácter interpretativo de la representación teatral, al igual que por la corporalidad y la inmediatez del trabajo actoral » (García Martínez 2008, 150). Le théâtre est une situation de communication, dans lequel la mémoire est partagée dans un espace concret, entre des acteurs et des spectateurs. Il s’agit d’un lieu privilégié où se réunissent des individus pour réaliser un acte de remémoration et de commémoration collective.

Laila Ripoll, appartenant à cette génération, s’inscrit dans cette nouvelle tendance, qui s’intéresse à la récupération de la mémoire historique du passé récent, afin de rendre hommage aux victimes des atrocités commises sur la population, et plus particulièrement sur les femmes. Il s’agira de redéfinir ce qu’est « être femme », en se dressant contre l’injustice de la politique d’exclusion menée par la religion, la littérature, l’histoire, en résumé par la société masculine. Ainsi la réécriture de l’Histoire constitue « una rectificación que da voz a aquellas figuras silenciadas en su tiempo, para así corregir la inscripción que privilegia la autoridad patriarcal y justifica sus actos » (Zaza 2007, 162), car jusqu’à maintenant la femme était privée d’histoire, elle servait seulement d’exemple négatif quand elle désobéissait à la loi de la société patriarcale. L’héritage de la mémoire, en tant que thème récurrent dans les productions actuelles, cherche à « mostrar hasta qué punto la historiografía oficial sigue siendo un lugar de la dominación masculina sobre la mujer, encontrándose ésta privada de su propia historia » (Garnier 2010, 70).

Les récents évènements sociaux politiques ont conduit à l’élaboration d’un « théâtre d’urgence » qui se dresse contre la guerre, le terrorisme, la xénophobie ou la violence domestique. Les monologues ainsi que les courtes pièces de théâtre, d’écriture individuelle ou collective, sont les formats choisis par nos dramaturges, pour « recoger en tiempo y espacio el momento de una vida o la confesión de un espíritu atormentado » (Serrano García 2004, 569) et par la même, permettre de dénoncer les maux dont la société souffre aujourd’hui. Par conséquent, le théâtre de cette décennie est surtout un théâtre « de ville », dans le sens où le monde urbain engendre la solitude, la massification, l’égocentrisme et la déshumanisation. Mais la dramaturgie féminine contemporaine ne cherche pas seulement à

Retratar la sociedad actual y, por consiguiente, el lugar que ocupa la mujer en ella, sino también […] revisar la tradición, todavía vigente, que la define según dos componentes definitorios muy concretos : la procreación y la domesticidad, a pesar de los impulsos hacia una igualdad profesional entre ambos sexos. Las escritoras, entonces, se proponen iniciar una búsqueda de la identidad femenina a través de

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la representación, en sus textos, de la propia mujer –una búsqueda íntimamente relacionada con la falta de modelos de escritura femenina anterior54.

En résumé, cette deuxième moitié de siècle se centre autour de trois thèmes fondamentaux : la femme, l’Histoire et la société.

Dans leur recherche identitaire, les dramaturges se divisent en deux grandes catégories : celles qui se basent sur une construction réaliste et celles qui penchent pour une esthétique de plus grande liberté poétique, de rupture et d’abstraction. Au niveau esthétique, la tendance est au retour du lyrisme et à la récupération de la valeur du mot. La construction dramatique, quant à elle, met en place des structures divisées en séquences, qui rappellent le découpage cinématographique ou l’architecture théâtrale classique. Les dramaturges s’appuient sur une base réaliste pour mieux s’en éloigner, cherchant de nouveaux registres. La mise en scène est fréquemment minimaliste, ce qui appelle à l’imagination du spectateur, et l’action dramatique est maniée avec agilité. L’intérêt grandissant pour l’intertextualité, ainsi que pour les autres langages scéniques, tels que la musique, la danse ou le cinéma sont également à l’ordre du jour (López Mozo 2006).

Le théâtre, miroir de la société, reflète ces changements en même temps qu’il y contribue, théâtre féminin et globalisation ne faisant qu’un. Les frontières entre les espaces sont de plus en plus diffuses, créant un fossé entre des ensembles de pays et même entre les individus d’une société. Des « non-lieux » (Augé 1995), selon la dénomination de Marc Augé, se créent alors, des espaces qui favorisent l’anonymat, la solitude et qui sont fonctionnels, tels que les aéroports ou les supermarchés, lieux dans lesquels les échanges verbaux sont quasiment inexistants. Cependant, ces « non-lieux » de la postmodernité n’offrent pas de solution identitaire. L’homme peut toujours revenir à cet espace public phallocentrique, alors que la femme, si elle veut échapper à cette logique de pouvoir, doit abandonner la sphère domestique et se limiter à se repenser à travers d’autres espaces concrets bien délimités. Ces refuges permettent l’affirmation de l’identité féminine, dépassant ainsi le concept traditionnel d’espace féminin (Lorenzo Zamorano 2005).

Le temps et l’espace se désagrègent donnant matière à ces « non-lieux », dans lesquels le lieu peut se trouver en dehors de la scène ou bien disparaître complètement. Ces distorsions temporelles ne sont pas nouvelles, elles existaient déjà dans les œuvres des années 1980, libérant ainsi le présent des barrières des autres catégories temporelles, du passé et du futur. Michel Vinaver parle de « présentisme » où le présent est « la única realidad [que] mantiene una débil relación, aventurada, desunida, con los elementos del pasado y del porvenir », de manière que «la acción de conjunto es una sucesión de instantes discontinuos, que se ensamblan de manera intranscendente» (Vinaver 1993, 906‑7). Le temps devient donc immobile, la pensée n’est plus représentée comme une extension, mais plutôt avec

54 Rovecchio Antón. L. (2013). Monólogos a dos voces : Mascando ortigas de Itziar Pascual y El árbol de la

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profondeur. Les œuvres liées au « présentisme » deviennent un lieu de passion, passion en tant que l’exaltation de l’affectivité et en tant que souffrance.

Exaltación debida a la libertad, por una parte ; dolor de la desorientación, por otra parte : dos direcciones simultáneas que traducen de forma innegable una concepción trágica de la existencia. Ésta aparece esencialmente en un conjunto de temas trágicos muy presentes en los textos que nos ocupan : temas políticos, como la violencia conyugal, los estragos sociales del liberalismo económico, los odios históricos, temas existenciales, como la muerte, la soledad o la incomunicabilidad55.

C’est pour cette raison que l’esthétique néo moderne des dramaturges tente d’offrir des alternatives à l’indifférence cognitive et éthique du postmodernisme. Les espaces néo modernes « sirven para inscribir el imaginario femenino de forma más asertiva y en los que la mujer propone una solución a su crisis identitaria rechazando aquello que le impide su emancipación individual » (Lorenzo Zamorano 2005, 455).

La caractérisation des personnages suit également cette dynamique de désorientation du spectateur. La tendance actuelle est à la construction de personnages peu définis, la plupart n’ayant pas de nom propre et, dans certains cas, ni même de didascalies l’évoquant. Le personnage se construit uniquement grâce à ses propres mots. Contrairement aux tendances précédentes, où ce dernier se construisait et prenait vie autour d’un axe identitaire central, le personnage des dramaturgies féminines est plus approximatif. Cette caractérisation lui confère un moi pluriel, doté de facettes différentes et complémentaires. Le théâtre se transforme en un lieu d’exhibition de cette pluralité d’identités, permettant au spectateur l’identification avec le personnage et de s’imaginer comme une partie de cette identité collective. C’est le récepteur qui est chargé de donner un sens à ce qu’il voit, l’auteure ne donnant que des pistes d’analyse. Ainsi, le spectateur ou lecteur doit effectuer une lecture « verticale », c’est-à-dire que le spectacle réclame toute son attention et sa capacité de construction grâce aux éléments disséminés tout au long de la représentation. Le théâtre n’a pas pour objectif de transformer la société, il relègue cette fonction au spectateur, lui donnant un statut de « coproducteur du spectacle » auquel il assiste. Pour résumer, le théâtre féminin espagnol actuel suit deux lignes bien distinctes, toutes deux se confrontant au destin. D’une part, il reflète un monde où règnent le néant et l’incapacité pour créer quelque chose de nouveau, ce qui nous condamne à l’immobilisme. D’autre part, il met en lumière le destin comme la découverte de soi-même à travers l’exploration (Garnier 2010).

La conquête par la femme de la sphère théâtrale projette un nouveau regard sur la société, éloigné du modèle patriarcal dominant, car par sa propre nature féminine, celle-ci ne peut avoir la même vision du monde et de ses problèmes que l’homme, selon les propos de Virtudes Serrano dans El espacio

y el tiempo de la mujer en la dramaturgia femenina finisecular. Elle perçoit la réalité avec des nuances particulières qui divergent du point de vue masculin. Les personnages féminins permettent aux créatrices

55 Garnier, E. (2010). Teatro de mujeres : una dramaturgia de la desorientación. Cuadernos de dramaturgia contemporánea, 15, 71.

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de projeter leurs propres expériences et notions, en corrélation avec leur situation dans le monde. L’art étant subjectif, l’expression dramatique féminine est marquée par le vécu externe et interne des auteures, expériences bien différentes de celles de leurs homologues masculins (Serrano 2005). Comme nous l’avons vu, la diversité des écritures féminines « no sólo llegará a subvertir las normas patriarcales y falocéntricas tradicionales, sino también el “instantaneísmo” posmoderno, abriendo paso a un nuevo sistema de valores » (Surbezy 2005, 171). Même si nous n’en sommes encore pas là, cette diversité sera d’autant plus marquée dans les œuvres qui touchent les conflits actuels, où le choix du personnage féminin luttant pour trouver sa place dans le monde offre des solutions thématiques et dramaturgiques inhabituelles. Quand la créatrice opte pour des thèmes plus amples, métaphysiques ou sociaux, sa condition féminine n’est pas aussi manifeste que quand celle-ci choisit une thématique concernant la condition de la femme, où le langage et l’écriture aux teintes féminines deviennent plus spécifiques. Les œuvres atteignent une valeur de témoignage, de subversion et de transgression, qui, aujourd’hui, n’est plus l’apanage des femmes, mais intéressent aussi les dramaturges masculins (Serrano García 2004).

Pour conclure, il est difficile d’avoir une opinion tranchée sur la question de l’écriture spécifiquement féminine. Cette question étant un thème central de la critique littéraire féministe depuis plusieurs décennies, il ne nous appartient pas d’en donner une réponse aujourd’hui. Cependant, nous pouvons affirmer que, malgré les nuances et divergences entre l’écriture féminine et celle de leurs homologues masculins, elles ont certains points communs concernant le langage et les sujets choisis qui ne sont pas essentiellement différents. L’ensemble de ce collectif poursuit un objectif commun : participer à la construction d’une Espagne moderne et européenne, qui assume son passé et en tire les leçons qui s’imposent.