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1. FEDERICO GARCÍA LORCA

1.2. Federico García Lorca et son rapport à la sexualité

1.2.4. Les femmes de sa vie

La vie privée de García Lorca ne tourne pas seulement autour des hommes, les femmes y ont aussi joué un rôle primordial, de l’influence de sa mère jusqu’aux grandes héroïnes tragiques de ses œuvres. Lors de son enfance et adolescence, son premier grand amour fut María Luisa Natera Ladrón de Guevara pendant un séjour dans une station thermale de Lanjarón. Leur relation se basa sur leur mutuelle passion pour la musique et, plus particulièrement, pour le piano. C’est la découverte de ce premier amour par Ian Gibson qui permettra la réinterprétation de ses premiers écrits. Une autre de ses muses féminines fut María Luisa Egea, un peu plus âgée que lui, avec laquelle il vécut un échec sentimental. Il fallut attendre le printemps 1926 pour que Lorca connaisse sa première et seule expérience hétérosexuelle avec Margarita Manso, étudiante aux Beaux-Arts et future femme du peintre Ponce de León. Cette femme fut « offerte » au poète par son amour impossible, Salvador Dalí32. Par

conséquent, suite à ses relations, nous pouvons déduire que :

Il est probable que la vie sentimentale de Lorca a été soumise à trois tendances sexuelles difficilement conciliables : une tendance homosexuelle passive dérivée de l’amour pour le père, une tendance homosexuelle narcissique et une tendance plus classiquement œdipienne qui pousse le sujet à rechercher

31 L’ensemble des œuvres de Ian Gibson permettent d’avoir une vision plus précise de la vie privée de Federico

García Lorca.

32 Ian Gibson dans Caballo azul de mi locura. Lorca y el mundo gay relate les témoignages en rapport avec ces

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la compagnie de certaines femmes privilégiées par leur beauté, leurs talents artistiques et leur finesse romantique, chez qui se puisse retrouver la mère interdite33.

Selon Michèle Ramond, toutes ses relations futures dépendent de cette figure triangulaire initiale : le père, la mère et le frère (nous faisons allusion ici à son frère cadet, mort quelque temps après sa naissance). Quelques-unes des personnalités qui ont marqué le dramaturge et qui participent à cette relation sont Salvador Dalí et sa sœur, Ana María Dalí ; Ignacio Sánchez Mejías et La Argentinita ; Cipriano Rivas Cherif et Margarita Xirgu (Ramond 1986). En effet, au-delà de l’amour érotique que ressentait Lorca pour Dalí, il l’aimait aussi en tant que sa propre image narcissique. Concernant sa sœur, « nous pouvons faire l’hypothèse qu’elle était la face cachée et secrètement revendiquée de Lorca. Elle était le cordon métonymique qui lui permettait de trouver en Dalí le tenant lieu de son frère cadet disparu » (Athanasopoulou 2013, 206). La femme était source d’admiration pour Lorca depuis ses premiers écrits, elle représente un être beau à la fois qu’inaccessible et intouchable. Par conséquent, il a fait de la femme et de son approche sexuelle un interdit (Athanasopoulou 2013).

Dans les années 1930, la tendance était d’octroyer aux femmes le rôle principal dans la plupart des œuvres dramatiques. Selon les observations de John Walsh dans son article « Las mujeres en el teatro de Lorca », l’auteur de Yerma, ne faisant pas exception à la règle, créait des pièces où la femme était l’axe central. En effet, afin de pouvoir représenter ses œuvres, il devait s’ajuster aux normes de l’époque et au fait que les femmes régissaient l’économie du théâtre et c’est, en dernière instance, une des raisons pour laquelle les pièces où les femmes n’ont pas le premier rôle n’ont pu être représentées pendant la vie de l’auteur. Contrairement à d’autres dramaturges, García Lorca ne vouait pas de culte à une actrice en particulier. Au lieu d’écrire un rôle pour une actrice qui mette en évidence son aura, García Lorca créait des personnages élémentaires, l’actrice devait annuler son jeu habituel pour mettre au point une nouvelle performance et ainsi s’éloigner de ce que le public attendait.

Es decir la creación de Lorca está por encima del culto a una actriz : la actriz ideal en una obra de Lorca sería una desconocida sin un estilo que predeterminara la ejecución de su papel, sin un público que esperase reconocer la presencia familiar y previsible detrás del papel representado34.

Malgré tout, ses actrices n’étaient pas inconnues. Ses actrices « préférées » étaient non seulement connues, mais surtout célèbres, Margarita Xirgu, Lola Membrives, Josefina Díaz de Artigas, Eva Franco ou Carmen Díaz en sont des exemples. Nous pouvons même aller plus loin en affirmant qu’il créait certains de ses personnages en pensant à une actrice en particulier.

Comme nous l’avons mentionné, l’économie du théâtre était sous le contrôle des actrices en Espagne. C’étaient elles, explique Sahuquillo, qui choisissaient l’œuvre dans laquelle elles voulaient

33 Ramond, M. (1986). Psychotextes : la question de l'Autre dans Federico García Lorca. Toulouse : Eché Éd.,

50-51.

34 Walsh, J. (1988). « Las mujeres en el teatro de Lorca ». In Ángel Loureiro, Estelas, laberintos, nuevas sendas : Unamuno, Valle-Inclán, García Lorca, la guerra civil, Barcelone : Anthropos. Editorial del hombre, 282.

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jouer. Elles structuraient la saison et louaient les théâtres pour mener à bien les représentations. Ces actrices avaient leur propre compagnie de théâtre avec leur metteur en scène et leurs acteurs. Lorca, voulant représenter ses pièces pour avoir l’opportunité de connaître un certain succès, suivait cette tradition. En effet, dans la plupart de ses œuvres, l’ensemble de la compagnie pouvait y trouver un rôle. Si le dramaturge se plie aux règles du jeu, il n’hésite pas à s’éloigner quelque peu des clichés pour la création de ses personnages (comme avec la servante). Sans oublier le plus caractéristique de ses productions : il pousse ses actrices au-delà de leur limite pour qu’elles sortent de leur routine, s’éloignant du type de performance qui les mettait habituellement en valeur, et montrent ainsi au public une nouvelle facette de leur talent (Sahuquillo 1986).

Par conséquent, la femme est présente dans la plupart de ses œuvres dramatiques, ce qui répond non seulement à une nécessité de rentabilité économique, mais aussi à sa tendance sexuelle. Son homosexualité lui a permis de sympathiser avec le sort des femmes en ce qui concerne le domaine de la sexualité et plus spécifiquement les désirs peu conventionnels, qui ne sont ni acceptés ni compris dans l’époque à laquelle il vit. Femmes et homosexuels font partie des groupes opprimés. Il a fallu attendre les années 1970 pour que ceux-ci s’organisent et se rebellent contre l’espace réduit, voire inexistant, qui leur était accordé dans la société. En effet, « las mujeres [...] han sido doblemente oprimidas, al igual que los homosexuales : oprimidas en su identidad sexual y en su identidad cultural, objeto de agresiones y objeto de las definiciones y del influjo de culturas supuestamente superiores » (Sahuquillo 1986, 71). Au regard de ses productions dramatiques, nous pouvons constater que, déjà dans les années 1920, Federico García Lorca défendait les droits des groupes opprimés, auxquels ces deux collectifs appartiennent incontestablement.

Si la nature des sentiments amoureux de García Lorca lui permet de comprendre la sexualité féminine, il ne faut pas oublier ce que nous avons dit précédemment concernant ses écrits de jeunesse : il a peur du sexe féminin, il se sent impuissant face au corps de la femme. Ce sentiment est toujours d’actualité une fois arrivé à l’âge adulte. Selon les propos de Ian Gibson,

El pene, declaró Federico, era, en su erecta pujanza, símbolo de energía y expansión, y, por ende, muy superior al abyecto « triángulo » de la mujer35. Ello recuerda un comentario del poeta sobre las mujeres

hecho a Luis Rosales. Después de ensalzar la maravilla de los senos, de los muslos y del pelo, se mudó : « ¡Pero el sexo, el sexo! »36.

En effet, dans l’œuvre picturale de García Lorca, il est vrai que les organes génitaux féminins sont le plus souvent menaçants et repoussants. La sexualité du poète est très complexe et son rapport aux femmes également, car malgré ce dégoût du sexe féminin, il a été à même d’écrire de grandes pièces de théâtre dans lesquelles les femmes, représentées dans toutes leurs nuances, jouent le rôle principal.

35 Conversation de Ian Gibson avec Eduardo Rodríguez Valdivieso à Grenade le 30 juin 1980. 36 Gibson, I. op. cit., 304.

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