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2. LAILA RIPOLL

2.1. Panorama du théâtre féminin aujourd’hui

2.1.4. Dramaturges de la démocratie

La décennie suivante marque la normalisation de la présence des femmes sur la scène théâtrale et la recherche de leur propre identité. Nous avons établi une différence entre les dramaturges postfranquistes et celles de la démocratie, car il s’agit de deux collectifs bien distincts, tant par les thématiques choisies que par la manière dont elles les traitent. Les premières sont issues de la période franquiste et de la répression qui en découle. Alors que les deuxièmes sont issues de la démocratie, elles n’ont pas eu de contact direct avec la dictature, la plupart n’étant que de jeunes femmes lors de l’avènement de la démocratie. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu les analyser dans deux parties, car la réalité socio-économique qu’elles ont dû affronter est différente et par conséquent leurs productions le sont également.

Étant donné le nombre important de femmes dramaturges et leur variété, nous ferons seulement un résumé de ce large panorama, en nous inspirant des études faites par, notamment, Isabelle Reck51. Le

mélange des techniques et des arts est aujourd’hui largement répandu sur la scène espagnole, les femmes ne font pas exception et suivent cette tendance. Sara Molina, María Ribot ou Carmen Werner proviennent du domaine de la danse et admettent d’autres éléments qui transforment le spectacle en une réalité beaucoup plus complexe. Une autre ligne de travail est celle où les auteures gardent une relation avec le théâtre de marionnettes, comme Ana Vallés, Marina Wainer et Angélica Liddell. Enfin, les femmes appartenant à la troisième tendance, de facture plus classique, se centrent sur leur travail d’auteurs et de metteur en scène. Elles ont ainsi contribué à « la renovación de temas y lenguajes teatrales y […] han obtenido logros notables » (Pérez-Rasilla 2009, 395). La liste étant très longue, nous en mentionnerons seulement quelques-unes, comme Paloma Pedrero ou Yolanda Pallín, qui ont fait leur début pendant la décennie antérieure, ou Itziar Pascual, Lluïsa Cunillé, Gracia Morales, Diana de Paco ou Laila Ripoll, toutes très présentes sur la scène théâtrale espagnole actuelle52.

51 Isabelle Reck dans son article de 2004 intitulé « La deuxième génération de dramaturges de l'Espagne

démocratique : un théâtre au féminin ». In Maria-Graciete Besse, Nadia Mékouar-Hertzberg, Femme et écriture

dans la péninsule ibérique, Paris : Éditions l’Harmattan, analyse les femmes dramaturges de cette période, plus particulièrement l’écriture théâtrale d’Itziar Pascual, Margarita Sánchez Roldán et Lluïsa Cunillé.

52 Eduardo Pérez-Rasilla, dans son article de 2009 intitulé « La vanguardia femenina en la escena española

contemporánea. Las creaciones de Ana Vallés ». In Alfonso Ceballos Muñoz, Ramón Espejo Romero, Bernardo Muñoz Martínez, El teatro del género-el género del teatro : las artes escénicas y la representación

de la identidad sexual, Madrid : Fundamentos, dresse une liste plus détaillée des principales dramaturges de cette génération, ainsi que de leurs principales caractéristiques.

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Pour les besoins de notre étude, nous analyserons brièvement les caractéristiques de cette troisième tendance chez les dramaturges. Dans un premier temps, rappelons que la conquête de ce territoire masculin met face à une autre réalité les créatrices : les problèmes économiques. Un des problèmes inhérents de cet art est celui du financement, qui rend difficile la représentation, difficulté qui touche indistinctement hommes et femmes de théâtre. Cette nouvelle génération de dramaturges se caractérise par la formation professionnelle, étant donné qu’ils ont grandi et ont été formés pendant la période démocratique, qui a vu la création d’écoles dramatiques et de nombreux ateliers de formation. Les dramaturges, des deux sexes, ont eu accès aux études et aux formations spécifiques dans les arts scéniques, par exemple avec des ateliers de productions ou de gestion théâtrale. Par conséquent, les membres de cette génération sont à la fois auteurs, metteurs en scène et producteurs de leur propre création. Cette formation dramatique et intellectuelle leur a facilité l’accès au monde théâtral, ce qui a accru leur visibilité. Cette visibilité s’est traduite par l’obtention de prix et par une plus grande représentation de leur travail. Cependant, aujourd’hui encore, dû au système politique, la liberté d’expression est en partie opprimée, à cause de l’instauration d’une censure économique, cette censure touchant plus grièvement les femmes que les hommes.

L’incorporation des femmes à la dramaturgie reste donc difficile et doit passer par la reconnaissance du théâtre en tant que profession à part entière, aussi bien concernant l’image que la société se fait de cette profession que celle des dramaturges masculins qui ont quelquefois encore tendance à avoir une opinion négative sur leur production53. En effet, selon les propos de Itziar Pascual,

quand une femme écrivaine est considérée comme une bonne créatrice, elle est souvent perçue comme asexuée, son genre lui sera retiré, car femme et négativité sont encore synonymes aujourd’hui comme en témoignent la critique littéraire et la diffusion faite de leurs œuvres. La créatrice, asexuée, quand elle reçoit des éloges pourra remarquer que celles-ci ne sont faites qu’en critiquant d’autres femmes, car une femme ne peut avoir du talent qu’en opposition avec les autres femmes et non pas en opposition avec l’ensemble de la communauté dramaturgique (Pascual 2005).

Pour contrer cette dynamique, bon nombre de collectifs féminins voient le jour, certains sont seulement destinés aux femmes, alors que d’autres optent pour lutter main dans la main avec leurs homologues masculins, pour obtenir une plus grande reconnaissance de la part de la société et augmenter leur visibilité sur la scène théâtrale. En 1990, la Asociación de Dramaturgas disparaît et certaines de ses membres s’unissent à la Asociación de Autores de Teatro, dont le président est Alberto Miralles. Les

53 Cet exemple, bien connu, servira à montrer que le monde littéraire est encore fortement masculin et sujet au

machisme de ses membres. En 1981, l’ethnologue Lévi-Strauss s’opposait à la candidature de Marguerite Yourcenar à l’Académie française, car selon lui, on ne devait pas changer les règles de la tribu. Il faisait allusion aux tribus qu’il avait étudiées et qui disparaissaient si l'on changeait un élément de leur constitution. Par ailleurs, l’écrivain Albert Cohen, faisant preuve de grossièreté et de mauvais goût, affirma qu’elle ne pouvait pas avoir de grandes qualités littéraires, car elle était grosse et moche… Même si plus de trente ans sont passés depuis ces propos, il serait naïf de penser que cette situation n’est plus d’actualité.

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dramaturges intègrent donc le monde théâtral avec une relative normalité, sans que cela ne signifie la fin des revendications contre les abus faits aux femmes. Un autre collectif féminin important marque ces années, il s’agit de Las Marías Guerreras (Asociación de Mujeres de las Artes Escénicas en Madrid), en hommage à la grande actrice espagnole María Guerrero (Madrid, 1867-1928). Elles luttent pour la reconnaissance des femmes sur la scène espagnole, car elles estiment que celles-ci sont très peu diffusées, malgré l’importance et la qualité de leur travail.

D’autres associations des professionnelles du monde théâtral naissent au cours des années afin d’augmenter la visibilité de leur production. Elles s’organisent en réseaux collaboratifs, dans le but d’accéder à des subventions pour développer leur capacité d’action et de projection dans la société, car, comme nous l’avons mentionné, les difficultés économiques rendent problématique la diffusion de leurs œuvres. Ainsi, elles organisent des conférences, des rencontres ou des lectures dramatisées, tout en collaborant avec divers organismes. À titre d’exemple, nous pouvons citer le Encuentro de Mujeres de

Iberoamérica en las Artes Escénicas de Cadix, qui existe depuis 1997 ou le Certamen de Teatro para

Directoras de Escena Ciudad de Torrejón depuis 1997 également.

Certaines auteures choisissent de créer leur propre compagnie théâtrale, comme Angélica Liddell ou Laila Ripoll, prenant en charge l’ensemble de la production, depuis l’écriture du texte jusqu’à sa représentation. D’autres, tout en étant intégrées dans des compagnies ou collaborant avec elles, ne participent pas à la mise en scène de leurs pièces, leur rôle étant celui d’apporter le texte ou de réaliser une adaptation. Enfin, l’écriture collective ponctuelle ou stable entre plusieurs auteurs est un moyen très utilisé pour faciliter la mise en scène des œuvres. De plus, la création collective permet la naissance de textes riches et variés, grâce à la multiplicité des points de vue et aux différentes sensibilités éthiques et esthétiques. En effet, la caractéristique principale du théâtre est aujourd’hui sa pluridisciplinarité et sa vision totalisatrice (García-Manso 2013).