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2 La perspective des temps sociau

2.2 Temps sociaux : différentes époques

Nous nous attarderons particulièrement sur deux époques connues de l’humanité pour illustrer pourquoi nous les considérons comme des moments clés de la perspective des temps sociaux. Plus spécifiquement, le Moyen-Âge constitue une étape charnière où le

temps social passe du temps réglé sur la nature avec ses rites et croyances au temps réglé sur l’horloge du travail qui marque la productivité. La renaissance et la modernité ne sont, à notre avis, que des temps qui ont évolué à partir du grand virage qui s’est opéré avec la marchandisation du temps. La postmodernité, est souvent décrite comme une ère de nouveau rapport au temps. Les témoignages que nous avons recueillis lors de la vaste enquête confirment une étape marquante dans les temps sociaux dans le sens du renouveau de l’hypothèse proposée par Michel Maffesoli :

Le retour de l'idéal communautaire qui, de manière violente (les révoltes en témoignent) ou sous forme beaucoup plus généreuse (le bénévolat, les associations, les modes de vie alternatifs, le commerce équitable, etc.), cherche de nouvelles manières d'exprimer la générosité et la solidarité propres à l'être-ensemble ». (c2010: 52)

Nous retrouvons quelques traces de cette vision dans l’analyse que nous faisons des temps actuels plus loin dans ce mémoire. La plupart des auteurs de la postmodernité s’entendent toutefois pour identifier cette période comme une période de vide, de crise et de recherche d’identité.

Selon plusieurs auteurs dont Pronovost (2005b), la notion de temps social est née en partie d’une réflexion sur le rituel et le sacré. C’est à partir des notions de sacré et de rite dans les sociétés anciennes lors de leurs recherches sur les fêtes que Hubert et Mauss ont développé leur concept du temps.25

2.2.1 L’homme primitif

L’organisation sociale de l’homme primitif était réglée sur les cycles climatiques et les saisons qui conditionnaient les besoins et les activités quotidiennes. Cette relation intime entre l’homme et la nature répondait à son besoin de sécurité, de survie et de sociabilité. Le temps était scandé par des rites ou des voies magiques qui devaient assurer une protection contre les éléments de la nature que l’homme ne pouvait prévoir, comprendre et encore moins contrôler. Ces manifestations mystiques assuraient le beau

25 Il est à remarquer toutefois les écrits de sociologues ou d’anthropologue qui ont produit des recherches sur le temps l’ont aussi fait d’une manière ou d’une autre sur le spirituel ou les religions (Hubert, Mauss, Durkheim, Bergson).

temps pour les récoltes et la paix pour la communauté. L’appel à ces rites donnait au temps un caractère sacré exprimé dans les calendriers dont celui qu’on utilise toujours fondé sur la naissance du Christ. Ces croyances dans la capacité des dieux de pouvoir régler des problèmes terrestres se sont peu à peu institutionnalisées dans des religions qui ont continué de scander les temps sociaux des sociétés. Dans certaines sociétés, elles les cadencent toujours. Ainsi, les cloches des églises chrétiennes annoncent le début de la journée avec les matines, l’angélus, les vêpres, l’annonce d’un deuil, d’un mariage, etc. Dans les sociétés musulmanes, le chant du muezzin appelle aux cinq prières quotidiennes26. Ce temps sacré nous ramène près de l’homme primitif et du même coup, nous démontre comment le temps rythmé par la nature ou par les rites et croyances est extrêmement lent, voire même circulaire. Il s’agit plus d’un temps subi plus que contrôlé. Comme le relate Hamel (1983c : 262), le temps de l’agriculture dans plusieurs sociétés primitives est celui du cycle climatique et des saisons. Pour les individus et les groupes, il est réglé de quelque façon par des forces invisibles, comprenant les ancêtres et les dieux, sur lesquelles il est parfois possible d’agir par des voies magiques ou rituelles. Ce sont là, les seuls moyens que l’homme utilise pour reprendre un certain contrôle sur ses temps de vie.

2.2.2 L’homme du Moyen-Âge

Au Moyen-Âge, le temps se complexifie, les outils et les machines commencent à s’interposer entre l’homme et les ressources naturelles qu’il exploite pour ses besoins de subsistance et de développement. Il arrive même, lors de cette mutation, de voir cohabiter dans une même société, un même lieu et une même époque, des rapports au temps fort différents. Dans les zones rurales, l’homme demeure près de la nature et ses activités quotidiennes sont encore sous le contrôle de la nature. Par contre, dans les cités et villes, les temps sociaux amorcent un glissement graduel vers la production en usine ou la production marchande. À partir de ce moment, le temps prend une valeur marchande, c’est l’arrivée du

26 Les cinq piliers obligatoires dans certains groupes musulmans sont l’unicité de Dieu et la prophétie de Mahomet, les cinq prières quotidiennes, l’impôt annuel qui est l’aumône des pauvres, le jeûne du mois du ramadan et le pèlerinage à la Mecque.

temps horloge.27 L’homme doit dorénavant exercer un contrôle sur le temps : il le mesure, le prévoit, le planifie et le vend. C’est dans cette optique que le Moyen-Âge marque un tournant dans l’analyse des temps sociaux.

2.2.3 Enjeux contemporains

Malgré tous les moyens que les hommes se sont donnés pour gagner du temps, outils, informatisation, etc., l’impression de manque de temps devient un enjeu préoccupant dans nos sociétés occidentales. La journée comprend 24 heures pour tous, peu importe la classe sociale, l’âge ou le sexe, pourtant plusieurs d’entre nous manquent de temps. Cette situation a redonné un regain à l’étude du temps et plus particulièrement à l’étude des temps sociaux en sociologie. Non pas que les sociologues ne les aient jamais étudiés, à preuve d’excellents textes de Sorikin et Merton datant de 1937 qui nous font une démonstration de la présence du social dans la construction de la mesure du temps. La revue L’Année sociologique fondée en 1898 par É. Dukheim et ses collaborateurs dont Marcel Mauss, Henri Hubert, Maurice Halbwachs nous a laissé de précieuses réflexions sur le temps social. Beaucoup de travail reste à faire pour comprendre et analyser ce qui se passe dans une société qui manque constamment de temps alors que comme l’écrira Jean- Louis Servan-Schreiber (2010b : 19), jamais dans l’histoire nous n’avons disposé d’autant de temps, car nous venons, en un siècle, de presque doubler notre durée de vie et de diminuer de moitié notre temps au travail.

J’imagine le génie de la lampe d’Aladin à qui j’aurais exprimé ce souhait : « Je voudrais vivre deux fois plus longtemps et travailler deux fois moins longtemps que mon grand-père, mort en 1904. - Accordé! Et en plus, tu pourras voyager dix fois plus vite que lui pour dix fois moins cher, communiquer avec le monde entier tout en marchant dans la rue et recevoir sur un écran, dans ton salon, tous les spectacles et toutes les connaissances du monde. Je ne te demande même pas de me donner ton âme en échange. Prévois seulement une petite contrepartie : tu te plaindras souvent de manquer de temps pour profiter de cette abondance ».

27 Bien que les cadrans solaires et d’autres types d’horloges aient existé dans d’autres civilisations auparavant, ce n’est qu’au 14e siècle qu’apparût l’horloge mécanique telle que nous la connaissons.

Voici une illustration de problématique sur laquelle le sociologue devra se pencher, le psychologue aussi peut-être. À ce moment-ci de ce papier, nous n’avons pas la prétention de donner réponse à cette problématique, nous nous contenterons d’explorer les outils qui s’offrent à nous, sociologues pour tenter d’y répondre.