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Source de l’extrait :

Carrier, H. (1960). Le sociologue canadien Léon Gérin, 1863-1951. Sa vie, son oeuvre, ses méthodes de recherche. Montréal, Les Éditions Bellarmin, 153 p.

Critères du particularisme et du communautarisme

Gérin s'inspire ici de Demolins pour classifier les variétés de groupements selon le caractère particulariste ou communautaire de leur personnel. La classification, nous dit-il, « est fondée sur ce double caractère très distinctif des sociétés humaines : communautarisme, particularisme ». Dans certaines sociétés, « l'individu est plus ou moins dominé par le groupe, et, par contre, tend à s'appuyer sur lui en toute circonstance ». Dans les sociétés plus avancées « s'est développée l'aptitude du particulier à se tirer d'affaire par lui-même, sans pour cela rompre les cadres de son milieu social 83».

Il sera intéressant de comparer brièvement les classifications successives proposées, à ce sujet, par les adeptes de la Science sociale, et de voir comment Gérin en modifia les cadres à son tour.

Le Play avait distingué les familles selon deux grandes classes : la Famille-souche et la Famille-instable.

De Tourville corrigea son maître et il classa les familles selon quatre types : la famille Patriarcale, la famille Particulariste, la famille Quasi-Particulariste, et la famille Instable 84.

Gérin accepte en substance la classification de Demolins ; il ne l'applique pas cependant à la société en général mais au groupement. Voici sa propre classification 85:

1. Groupements à formation communautaire stable instable ébranlée

83 « La science sociale en histoire », R.T.C., XI (déc. 1925) 364

84 On trouvera les classifications des principaux représentants de la Science sociale dans l'étude suivante de Philippe CHAMPAULT : « La science sociale d'après Le Play et de Tourville », Sc. soc., LVI (octobre 1913) 1-127. Voir en particulier pp. 74-98.

xxix

2. Groupements à formation particulariste originaire mitigée développée

Tout groupement sera donc jugé en fonction de son orientation particulariste ou communautaire. Quelques mots d'explication seront nécessaires, à ce point, pour

comprendre la portée de cette distinction entre le particularisme et le communautarisme. La théorie est fonda-mentale. Gérin la partage sans réserve avec ses collègues et, à travers toute son oeuvre, on voit qu'il l'utilise continuellement pour déterminer le « progrès » des groupements à l'étude.

Voici d'abord comment l'auteur définit le type particulariste :

Un « particulariste », c'est-à-dire un homme formé à mettre en œuvre en toute circonstance son initiative personnelle, ses ressources propres, et non pas habitué à compter plutôt sur l'appui bénévole de son entourage86.

Le particularisme tient donc dans une large mesure au développement de l'initiative personnelle ; c'est « un phénomène psycho-sociologique87 ».

Origine de la théorie du particularisme

Mais sur quoi se fonde donc cette théorie faisant du particularisme la pierre de touche du progrès social ? Elle repose sur les célèbres analyses de H. de Tourville : Histoire de la formation particulariste, et de Demolins : Comment la route crée le type social, et aussi, a-t-on intérêt à s'emparer du pouvoir ? À quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons?

Les auteurs s'attachèrent à montrer comment les anciens groupes migrateurs, à formation patriarcale, partirent des confins de l'Europe et de l'Asie et se transformèrent, avec les siècles, en agriculteurs et en exploitants, à mesure qu'ils rencontrèrent de nouvelles conditions d'existence sur leur route vers l'Europe occidentale. La différenciation fut encore plus marquée par leur séjour en Scandinavie. De là, ils se répandirent sur l'Allemagne, l'Angleterre, la Gaule, et formèrent les peuples qui allaient dominer le monde.

Or, le phénomène à remarquer dans ces migrations, nous dit-on, c'est la libération progressive de l'individu des contraintes de la nature et du groupe ; en somme, la théorie

86 « Avez-vous lu Roland ? », R.T.C., XV (sept. 1929) 379.

met en relief la domination du particulier sur son milieu. Gérin résume toute cette évolution:

Les essaims qui se sont détachés du groupe primitif, pour peupler l'Europe

occidentale, ont été amenés par l'influence des nouvelles conditions d'existence à renoncer de plus en plus aux travaux de simple récolte.... où la part de l'homme est minime et la part de la nature très grande, pour s'adonner de plus en plus à la culture, aux travaux d'extraction et de fabrication, aux transports, dans lesquels la part de l'homme est grande et celle de la nature relativement petite. En même temps que l'homme se rendait ainsi peu à peu

indépendant des influences locales et naturelles, il se dégageait plus ou moins de l'ancienne formation patriarcale et communautaire où l'individu s'appuie davantage sur le groupe... pour évoluer vers la formation particulariste, où l'individu compte moins... sur la

communauté que sur lui-même, et tend à dominer à la fois le milieu physique et le groupement social88.

Comme nous le faisions remarquer plus haut, le développement du particularisme est considéré comme un phénomène de psychologie et d'éducation sociale ; l'individu, libéré des contraintes indues du milieu, acquiert peu à peu « plus d'initiative individuelle, plus de connaissances pratiques, plus de force morale, de plus hautes lumières religieuses

89».

L'élite, nous dit Gérin, doit se faire un devoir de répandre ces vertus, rénovatrices de l'ordre social.

De tous les peuples modernes, ceux qui ont évolué le plus dans la voie du particularisme, ce sont les Anglo-Saxons 90.

Selon la thèse d'Edmond Demolins, les Anglo-Saxons ont su réaliser un équilibre stable entre le secteur de la vie privée et celui de la vie publique. Ils ont atteint et maintenu cet équilibre grâce à un système d'éducation nationale qui développe le self help, le goût de l'initiative personnelle et le sens de la collaboration volontaire.

88 « M. Demolins et la science sociale. Réponse aux critiques ». La Revue canadienne, XLVI (avril 1904) 354-355.

89 « Trois types de l'Habitant canadien-français », Sc. soc., XXVIII (août 1899) 114.

90 Cette théorie fut brillamment exposée par Edmond Demolins dans son livre A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons ? Le livre connut un succès extraordinaire et fut immédiatement traduit en plusieurs langues. Nul ne s'étonnera que la thèse de Demolins ait été vivement critiquée au Canada français. Voir, par exemple, la réfutation de J.A.M. BROSSEAU dans la Revue canadienne, XLVI (mars 1904) 232-246, à laquelle Gérin s'est, on le pense bien, fait un devoir de répondre. Voir notre référence à cet article, donnée plus haut, note 49 [Note 163 de l’édition numérique. JMT].

ANNEXE D - Famille, État et structuration d’un champ familial