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De la taille personnelle à la taille réelle : un manque de fiabilité pour l’étude des marchands ruraux dans le Dauphiné d’époque

nos connaissances du groupe marchand dans les campagnes d’Ancien Régime.

B. De la taille personnelle à la taille réelle : un manque de fiabilité pour l’étude des marchands ruraux dans le Dauphiné d’époque

moderne

1) Les apports de la taille personnelle avant 1639

Avant l’année 1639, le Dauphiné avait la particularité au sein du royaume de France d’être un pays de taille personnelle, tout au moins dans la partie Nord de la province. La taille personnelle, principal impôt direct de l’Ancien Régime, était perçue en fonction de la qualité des individus, c’est-à-dire en fonction de la place occupée par ces derniers dans la société d’ordres. Les nobles et les ecclésiastiques, en tant que privilégiés étaient dispensés de l’impôt royal alors que les roturiers, eux, y étaient soumis. Le principal intérêt de cette source pour notre sujet réside dans le fait que les professions des villageois soumis à la taille personnelle étaient théoriquement inscrites sur les rôles fiscaux afin de situer les individus taillables au sein de la hiérarchie des fortunes. Rassembler les rôles de taille personnelle c’est donc, en principe, pouvoir retrouver les mentions de marchands ruraux, et par là, reconstituer le réseau des « boutiques » dans la première partie de notre période.

Les rôles de taille personnelle sont rangés en Sous-série 4 E, dans le Fond des communes. Nous nous sommes attachés à répertorier l’ensemble des rôles de tailles depuis le début du XVIè siècle jusque l’année 1639, date à laquelle la taille personnelle s’éteint en Dauphiné au profit de la taille réelle. Nous avons ignoré dans cette démarche tous les rôles de taille du massif montagneux de l’Oisans, pays de colporteurs étudié par Laurence Fontaines et par conséquent écarté du champ géographique de notre étude. Nous avons également laissé de côté tous les rôles fiscaux postérieurs à l’année 1639, le changement de statut juridique de la taille en Dauphiné ne nous permettant plus de retrouver les marchands dans les campagnes dauphinoises. Ainsi, après collecte, seulement trente-six rôles de taille personnelle ont été retenus dans nos filets. Ainsi devons nous d’emblée relever le manque d’exhaustivité de cette source, dont les documents trop rares ne nous permettent pas une étude comparative ou exemplaire rigoureuse. A cet égard, nous devons également constater la prédominance des rôles rédigés dans la première partie du XVIIè siècle et, en négatif, la plus grande rareté des rôles datant du XVIè siècle. Au chapitre des lacunes concernant cette source, il nous faut ensuite observer des imprécisions lors de leur rédaction. Après lecture des rôles de taille retenus dans notre corpus, il apparaît en effet que les professions des chefs de familles

taillables ne sont pas systématiquement mentionnées par leurs rédacteurs. Si les qualificatifs de « Sieurs » et les titres de « consuls » de la communauté sont le plus souvent indiqués, il semble que seules les professions les plus rémunératrices, et qui plaçaient les individus en haut de l’échelle sociale villageoise, étaient mentionnées. Le constat est encore plus amer puisque, si certains rédacteurs prennent le soin d’indiquer les professions des chefs de familles, ce n’est pas le cas de la plupart des rôles fiscaux qui omettent de rédiger la qualité des individus soumis à l’impôt pour se concentrer sur l’essentiel, à savoir le montant dû par chacun d’entre eux au fisc royal. Néanmoins, nous avons pu dénicher la présence des marchands ruraux dans les rôles où les professions étaient plus systématiquement inscrites, preuve de leur existence dans les campagnes dauphinoises aux XVIè et XVIIè siècles. En outre, il est probable que les marchands indiqués fassent partie du milieu le plus influent de ce groupe socio-professionnel, puisque le montant de leur imposition les situe généralement dans la moyenne haute des villages. Au final, les rôles de taille personnelle, avant 1639, ne sont pas dénués d’intérêts. Le nombre relativement restreint de documents parvenus jusqu’à nous et les imprécisions dans leur rédaction ne nous permettent pas de saisir l’importance numérique des marchands dans les campagnes dauphinoises à l’aube du XVIè siècle. Bien qu’il nous faille compléter cette source par d’autres documents, les rôles de taille personnelle offrent néanmoins la possibilité de dénicher l’existence des marchands ruraux au début de notre période. Les sources étant relativement rares pour le XVIè siècle, ces rôles se révèlent par conséquent précieux. Il convient néanmoins de croiser les informations qu’ils délivrent avec celles d’autres documents afin de reconstituer, au moins partiellement, le tissu marchand dans la première moitié de l’Ancien Régime.

A partir de 1639 néanmoins, la taille royale ne permet plus à l’historien de retrouver la mention des marchands dans les campagnes du Dauphiné, l’impôt étant soumis au statut de la terre et non plus à celui des individus.

2) La taille réelle. Un impôt de classe qui illustre moins l’hétérogénéité professionnelle des campagnes d’Ancien Régime

Nous ne nous étendrons pas ici sur le changement juridique qui affecte le principal impôt royal à partir de 1639. Daniel Hickey a parfaitement montré dans ses travaux sur Le procès des tailles10 qui, ouvert sous le règne d’Henri IV, fut clos par arrêt du Conseil en 1639. Jusque cette date, nous l’avons vu, le Dauphiné était un pays de taille personnelle, dans sa partie septentrionale tout au moins. Or, le poids financier des guerres, toujours plus lourdement supporté par les populations, les multiplications d’anoblissement au cours du XVIè siècle et l’emprise croissante des citadins sur les campagnes, ont eu pour conséquence de faire retomber l’impôt sur l’ensemble des roturiers, ce qui faisait de la taille personnelle un impôt de plus en plus lourd et inégalitaire pour les imposables. Face au sentiment d’injustice grossissant de la part des imposables et par volonté de centralisation monarchique, les autorités accomplirent une véritable « révolution fiscale »11 en faisant passer le Dauphiné de pays de taille personnelle en pays de taille réelle, où l’impôt n’est plus réparti selon la qualité des individus mais des terres possédées. Devenue un impôt foncier, la taille réelle ne désigne plus désormais la qualité des possesseurs de la terre. Ainsi, à partir de 1639, il ne nous est plus permis de retrouver la trace des marchands ruraux dans les registres fiscaux de cet impôt royal. Il nous faut par conséquent nous tourner vers d’autres documents, permettant à l’historien de retrouver la piste des marchands dans les campagnes dauphinoises d’Ancien Régime. C’est le cas d’une autre source fiscale : les rôles de capitations.

10 Hickey, Daniel, Le Dauphiné devant la monarchie absolue. Le procès des tailles et la perte des libertés

provinciales (1540-1640), Grenoble, PUG, collection « la pierre et l’écrit », 1993, 317p.

11 Gal, Stéphane, « La disparité fiscale », in Une province face à sa mémoire. Nouvelle histoire du Dauphiné,

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