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Chapitre III. : Premiers résultats de recherche : Les apports des rôles de capitation

B. Localiser les marchands rurau

1) Le peuplement marchand et son évolution au cours du XVIIIè siècle

En reproduisant la démarche de Monsieur Alain Belmont à propos des artisans dans les campagnes dauphinoises, nous avons pu localiser, à l’aide des rôles de capitation, les communautés abritant des individus marchands, tout en indiquant la proportion de membres de notre milieu socio-professionnel au sein de chaque village. La carte ci-dessous représente le département de l’Isère dans ses limites de la fin du XVIIIè siècle, telle que nous avons pu la recréer à partir des travaux de Monsieur René Favier sur les villes en Dauphiné. Cette carte nous servira de cadre géographique afin de localiser les marchands dans les villages de la partie septentrionale de la province.

Carte 1 : Le département de l’Isère dans ses limites de la fin du XVIIIè siècle.

Nous avons également voulu cartographier les localisations de marchands selon trois grandes périodes du XVIIIè siècle, afin de mesurer l’évolution du peuplement marchand dans les limites de l’ancien département de l’Isère. Les trois cartes suivantes cherchent par conséquent à localiser les marchands ruraux au début, au milieu et à la fin de notre parcours chronologique.

Ainsi, la carte 2 recrée le peuplement des commerçants dans les villages isérois au début du XVIIIè siècle.

Carte 2 : Proportion de marchands dans les villages isérois (d’après les rôles de capitation 1695-1729).

A la lecture de cette carte, il apparaît difficile de dégager les zones de fortes densités marchandes de celles moins bien pourvues en commerçants. Il paraîtrait naturel, dans un premier temps, d’isoler les espaces montagneux des plaines et des plateaux du bas pays. Des

premiers, il semblerait logique de n’y compter qu’un faible nombre de marchands, le relief chaotique et les plus faibles densités de populations freinant puissamment l’activité commerciale dans ces contrées. La lecture de la carte 2 semble corroborer ce parti pris. Il convient néanmoins de se méfier d’une dichotomie plaines/montagnes trop marquée. Si au début du XVIIIè siècle, les espaces montagneux sont exempts de marchands, c’est avant tout parce que le massif de l’Oisans est écarté de notre étude, tandis que nous ne disposons d’aucun rôle de capitation pour les communautés implantées dans le massif de Belledonne. En dehors de ces deux massifs, les espaces d’altitude ne sont pas forcément synonymes d’inexistence du groupe marchand. Le village de Saint-Pierre de Chartreuse, au cœur du massif éponyme, comprend 4% de marchand parmi ses chefs de feux tandis que les communautés de Mayres et du Perier, situées sur le haut plateau du Trièves, comprennent chacune près de 4% de marchands parmi leurs chefs de feux. Au final, les altitudes élevées n’impliquent pas forcément de faibles densités de marchands. Descendons alors en direction des plaines et des plateaux. Ici les villages fortement peuplés de marchands se mêlent aux communautés moins bien pourvues en commerçants. Ainsi, le plateau des Terres Froides ou la plaine du Viennois voient cohabiter dans un secteur proche des communautés dont les proportions de marchands dépassent les 2,5% voir les 10%, tandis que d’autres pourtant toutes proches ont un tissu marchand plus lâche, avec des taux inférieurs à 2,5%.

La carte 3, présente le peuplement marchand pour la période s’étendant de 1730 à 1759, cette phase correspondant au maximum démographique des marchands ruraux étudiés dans les limites de l’ancien département de l’Isère.

Carte 3 : Proportion de marchands dans les villages isérois (d’après les rôles de capitation 1730-1759).

Si le peuplement marchand ne montre pas d’évolution importante par rapport à la situation du début du siècle, deux grandes tendances sont à noter. La première est la multiplication des communautés abritant des marchands. Au nombre de vingt-cinq au début du siècle, elles sont désormais trente-six aux alentours de 1750. Ainsi, les zones où les densités marchandes étaient déjà sensibles au début du siècle le sont encore plus au milieu de notre période. Dans le pays de Viennois, sur le plateau des Terres Froides, le long de la vallée du Grésivaudan

jusque sur le plateau du Trièves, fleurissent des communautés où les marchands ont depuis peu élu domicile. Parallèlement à l’accroissement du nombre de communautés abritant des marchands, les villages qui disposaient déjà de commerçants au début du siècle, en gagnent encore davantage vers 1750. La Carte 3 nous le montre de manière significative, dans le bas Dauphiné notamment, où les villages abritant plus de 5% voire plus de 10% de marchands, sont plus nombreux que pour la période précédente.

La carte 4, enfin, fait état du peuplement marchand pour les trente dernières années de l’Ancien Régime.

Carte 4 : proportion de marchands dans les villages isérois (d’après les rôles de capitation 1760-1790).

Une fois de plus la localisation des marchands dans les villages isérois n’apporte guère de surprise par rapport aux décennies précédentes. Majoritairement présents dans les villages des plaines et plateaux du bas Dauphiné, le recul des effectifs marchands à la fin du XVIIIè siècle se montre particulièrement visible sur la carte. Là où neuf villages abritaient plus de 5% de marchands parmi leurs chefs de feux au milieu du siècle, ce ne sont plus que quatre d’entre eux qui disposent de telles proportions de marchands une génération plus tard. A l’inverse, les communautés faiblement peuplées de marchands se sont multipliées, mettant en lumière la crise démographique qui frappe le milieu professionnel marchand à la fin de l’Ancien Régime.

2) Peuplement marchand et voies de communication

Après avoir constaté le peuplement marchand et son évolution tout au long du XVIIIè siècle, il nous faut à présent tenter d’éclairer les multiples paramètres qui interviennent dans la localisation des membres du milieu socio-professionnel marchand. Parfois isolés, ces différents critères peuvent également se conjuguer pour expliquer les plus ou moins fortes densités de commerçants dans les villages isérois.

Les voies de communication, terrestres ou fluviales pouvaient en premier lieu orienter les niveaux de peuplement du groupe marchand. Essentielles dans leur activité professionnelle, les grandes voies de passages devaient naturellement conditionner la répartition des marchands sur le territoire isérois.

Afin de vérifier la conjonction entre le peuplement marchands et les grands axes commerciaux, nous pouvons comparer la carte 3 correspondant au maximum démographique du milieu professionnel marchand à la carte ci-dessous représentant les voies de communications du Dauphiné et réalisée par Pierre Léon dans ses travaux sur La Naissance de la grande industrie en Dauphiné14.

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Carte 5 : Les routes du Dauphiné en 1754, (d’après Pierre Léon, La naissance de la grande industrie en Dauphiné).

Les voies de communications fluviales apparaissent nettement sur nos deux cartes. Le long de la rivière Isère tout d’abord, et notamment dans la vallée du Grésivaudan, les communautés hébergeant des marchands s’y révèlent relativement nombreuses, nos commerçants pouvant représenter ici près de 8% des chefs de famille, comme à Goncelin (gros bourg rural que nous avons gardé dans notre échantillon) ou à Pontcharra. Les fortes densités de marchands témoignent ici du dynamisme des relations commerciales qu’entretenait la province du Dauphiné avec la Savoie proche et la ville de Genève en particulier. En direction du Sud,

l’Isère servait de voie de transport essentielle pour relier la capitale provinciale au fleuve Rhône et à la Provence plus lointaine. Ici les rôles de capitation dont nous disposons mentionnent des chefs de feux installés sur les berges de l’Isère et qui devaient vraisemblablement profiter de l’important trafic commercial utilisant le cours d’eau pour le transport des marchandises. Sans qu’elle soit praticable à des fins commerciales, la rivière Drac voit s’implanter le long de ses berges des marchands en quête d’activité. Le couloir naturel formé par le Drac permet en effet aux dauphinois de relier la Provence voisine via le Trièves ou via les villes de Gap et Sisteron. Cet itinéraire voit un trafic commercial continu, dans la deuxième moitié du XVIIIè siècle notamment, et explique en partie l’implantation de marchands le long du Drac et sur le plateau à priori isolé du Trièves. Dans le bas-Dauphiné, les voies de communication terrestres conditionnent également en grande partie le peuplement marchand. Ainsi le réseau routier reliant la ville de Grenoble à Genève et à Valence le long de la vallée de l’Isère apparaît bordé de marchands. Plus au Nord, la route menant à Lyon en passant par Bourgoin se voit coupée par celle reliant Lyon à la Savoie. Particulièrement fréquentées, ces deux routes forment un triangle au sein duquel se situent les densités de marchands les plus importantes.

3) Peuplement marchand et densités de population

Un deuxième critère susceptible d’expliquer les localisations de commerçants tient dans la répartition des densités de population sur le territoire que nous étudions. La carte 6 ci- dessous est tirée des travaux de Monsieur Alain Belmont sur le milieu professionnel des artisans ruraux et montre distinctement les différents niveaux de population en fonction des grands ensembles géographiques du bas-Dauphiné15.

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Carte 6 : Les densités de population en bas-Dauphiné au XVIIIè siècle.

En comparant la carte des densités de population à celle du maximum démographique des

Carte 3 p 162), il apparaît que les localisations comme les densités de peuplement de nos

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