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Qualité et précision des rôles de capitation

Chapitre III. : Premiers résultats de recherche : Les apports des rôles de capitation

C. Qualité et précision des rôles de capitation

1) Qualité de rédaction des rôles de capitation

Qu’il s’agisse de la première ou de la deuxième version de l’impôt par tête (caput en latin), rappelons que les rôles de capitation devaient contenir des informations, que les greffiers des communautés chargés de leur rédaction ne pouvaient théoriquement pas omettre. Pour chaque chef de famille soumis à l’impôt royal, devait en effet figurer sur les rôles : le nom, le prénom, le montant de l’imposition et, ce qui nous intéresse au premier chef, la profession de ces derniers. Une fois notre collection de rôles de capitation rassemblée, il nous fallait donc contrôler la qualité de rédaction des listes fiscales qui restaient à notre disposition. Sur la petite centaine de communautés constituant notre échantillon, nous avons pu vérifier la très bonne qualité de rédaction des rôles de capitation. Dans l’immense majorité des communautés, les péréquateurs se sont montrés précis et consciencieux, notant scrupuleusement l’identité, la profession et le montant de la taxe à payer pour chacun des chefs de famille des communautés. La plupart des rôles se succédant sur plusieurs années, voire sur plusieurs décennies pour les plus complets, nous avons pu vérifier l’exactitude des informations données par les péréquateurs en comparant les listes fiscales d’une année sur l’autre. De même, le dépouillement de quelques actes notariés nous a permis de vérifier la véracité des informations rédigées dans les rôles de capitation. C’est notamment le cas de la communauté rurale de Chirens, située aux portes des Terres Froides, et pour laquelle nous avons constaté que les nombreux marchands soumis à la capitation passaient régulièrement devant notaire, sans changer d’identité ni, surtout, de profession.

Pour autant, tous les rôles de capitation restant à notre disposition n’étaient pas dénués de défauts. Ainsi, certains greffiers de communautés se sont montrés moins scrupuleux que la majorité en omettant purement et simplement de noter les professions des chefs de famille du village. Citons ici la communauté de Saint-Michel-les-Portes dont l’unique rôle de capitation dont nous disposons date de 1719 mais pour lequel les professions de chefs de famille n’ont pas été inscrites sur les listes fiscales. Dans le même esprit, les greffiers de la communauté de Villard-de-Lans, située dans le massif du Vercors, ne se sont pas donné la peine de rédiger les métiers exercés par les habitants de la communauté en 1772, tandis que nous retrouvons le même oubli pour la communauté de Valbonnais, dont les rôles de capitation des cinq

premières années du XVIIIè siècle se sont révélés exempts de toute mention de professions. Au total, ce sont trois communautés qui ont dû une nouvelle fois être écartées de notre corpus puisque inutilisables pour le chercheur.

A l’inverse, nous avons préservé les communautés dont les greffiers ont sporadiquement omis de mentionner les professions de leurs chefs de feux, sans que ces lacunes ne s’étendent sur l’ensemble rôles de capitation du village. Citons ici la communauté de Bernin, pour laquelle les listes fiscales de l’année 1718 ne mentionnent que les noms, prénoms et montants de l’impôt des capités, mais dont les professions sont à nouveau inscrites sur les rôles fiscaux des années suivantes. C’est encore le cas de la communauté d’Eclose qui n’a pas vu les métiers de ses habitants mentionnés en 1718 mais qui aura rétabli la situation dès les années 1720. Parfois, enfin, l’absence de mention des professions s’étend sur plusieurs années, comme dans la communauté de Penol, pour laquelle les péréquateurs se sont montrés peu consciencieux en ne désignant pas les métiers des capités entre 1707 et 1748. Néanmoins, sous l’insistance des autorités provinciales, les greffiers de la communauté ont fini par répondre aux attentes des intendants et ont consciencieusement listé les professions de ses chefs de familles dans la deuxième moitié du XVIIIè siècle. Précisons ici que les intendants ont porté une attention particulière à la bonne tenue des rôles de capitation, rappelant rapidement à l’ordre les communautés qui se montraient un peu trop laxistes dans la rédaction de leurs listes fiscales. Voici, entre autres exemples, une remontrance de l’intendant de la province adressée en 1749 aux péréquateurs de la communauté du Perier qui négligent d’inscrire « la qualité des cottizes » et qui devront rédiger à nouveau les listes fiscales de leur communauté.

Au final, les rôles de capitation des quelques quatre-vingt six villages qui ont résisté à nos écrémages successifs, se sont montrés de bonne qualité et très complets dans l’ensemble. Reste, néanmoins, que si les informations rédigées dans les rôles de capitation sont majoritairement dignes de foi et par conséquent aptes à être exploitées, les mentions de profession marchande ne sont pas toujours fixes et évoluent parfois aux grés des périodes.

2) La profession de marchand en milieu rural : une réalité parfois mouvante dans les rôles de capitation

Aussi surveillés par l’administration et dignes de confiance soient-ils, les rôles de capitation n’en montrent pas moins quelques « hésitations » dans les professions rédigées noir

sur blanc par les greffiers des communautés. Notons dès à présent que les fluctuations des professions des villageois ne concernent que la deuxième mouture de la capitation, la première version de la capitation répartissant les capités de manière rigide et uniforme dans telle ou telle des vingt-deux classes socio-professionnelles prévues par l’administration royale. A partir de 1701, la nouvelle modalité de l’impôt, plus fine et probablement plus en adéquation avec les réalités des villageois imposés (puisque le montant de l’impôt était laissé à la charge des greffiers des communautés), pouvait néanmoins donner lieu à quelques erreurs, dont les plus visibles concernant les marchands ruraux étaient les changements épisodiques de professions. D’une année sur l’autre, en effet, nous pouvons voir dans certaines communautés des individus consignés en tant que marchands dans les rôles de capitation et dont les professions varient les années suivantes. Ainsi est-ce le cas d’Etienne Collet de la paroisse de Charavine, indiqué comme simple pêcheur depuis le milieu du XVIIIè siècle mais qui se voit subitement qualifié de marchand-pêcheur à partir de 1764. Citons également le cas d’Etienne Albert, habitant au Mottier, qualifié par les péréquateurs de sa communauté de journalier en 1712 et qui passe au rang de « marchand grintier » l’année suivante, en 1713. Dans le même esprit, nous retrouvons Joseph brun-Laly, marchand d’Izeaux en 1759, capité à hauteur de 25 Livres et qui sera qualifié de Laboureur onze années plus tard, dans les rôles fiscaux de 1770, en payant la même somme que les années précédentes. A travers ce simple constat, il est difficile de savoir si les marchands ruraux changent effectivement de profession selon le contexte économique ou leurs propres trajectoires professionnelles, ou si la marge de manœuvre laissée par la deuxième capitation leur permettait de varier la profession qu’ils indiquaient aux greffiers du village. Dans certains cas, la réalité apparaît plus clairement. Voici par exemple Anthoine Meyer, habitant à Massieu, déclaré en tant que coquetier sur la liste fiscale de 1751 mais dont la profession est littéralement barrée par les péréquateurs pour être remplacée par celle de journalier. Il est effectivement probable qu’Anthoine Meyer soit journalier et qu’il compense ses maigres revenus par la vente de quelques œufs ou volailles lui permettant d’agrémenter son quotidien. Dans d’autres cas néanmoins, la réalité des professions est plus difficilement perceptible. C’est le cas par exemple de Guillaume Guttin, capité à Oyeu sous le qualificatif de marchand pendant plusieurs années, mais dont la profession est barrée sur le rôle fiscal de 1751 pour être remplacée par celle de laboureur. Citons, dans le même cas, l’exemple de Sieur Gaspard Demaison, marchand et lui-même péréquateur à Saint-Romain-de-Jalionas en 1724, mais qui se voit notifié comme fermier en 1761 puis comme laboureur en 1764, et dont le montant de l’impôt ne varie pas entre les trois dates. Sans adopter une attitude trop méfiante vis-à-vis des

indications de métiers apposées sur les rôles de capitation, il nous faut néanmoins souligner les variations professionnelles de certains individus marchands, sans savoir si nos commerçants ruraux changeaient réellement de métier ou s’ils se contentaient de modifier leur statut professionnel sur les rôles fiscaux, tout en continuant d’exercer dans les faits leur activité marchande. Dans tous les cas, il est probable que ces individus aient deux métiers pratiqués parallèlement et qu’ils choisissent de mentionner un tel plutôt que l’autre en fonction du contexte économique dans lequel ils évoluent. Le cas est parfois explicitement cité dans les rôles de capitation, comme avec Jean Genoux, qualifié en 1762 par les péréquateurs de « fermiers et cabaretier » de la communauté de Varces.

Pour autant, si les mentions de professions marchandes apparaissent parfois oscillantes et fluctuantes, la très grande majorité des rôles fiscaux de notre échantillon fait état de marchands dont la profession reste stable et ne varient que très rarement sur le temps long. La comparaison entre les rôles fiscaux sur plusieurs années permet, en effet, de vérifier l’authenticité des informations rédigées par les péréquateurs, faisant ainsi des rôles de capitation une source sûre pour l’étude quantitative de milieu socio-professionnel.

Au final, après être passés par plusieurs tris successifs, les rôles de capitation de quatre-vingt six communautés ont fini par constituer le matériau principal de l’étude nombrée des marchands ruraux. Si, comme nous l’avons vu, il convient de rester prudent vis-à-vis d’une source qui par définition n’est pas dénuée de tout défaut, nous pouvons néanmoins nous appuyer sur ces rôles de capitation dont l’étroite surveillance de la part des autorités royales ainsi que la qualité de rédaction de la part des greffiers des communautés garantissent l’exactitude des informations qu’ils renferment. Si, selon François Bluche et Jean-François Solnon, le tarif de la première capitation traduisait parfaitement la « véritable hiérarchie sociale de l’ancienne France », nous reprendront l’expression de Monsieur Alain Belmont pour qui les rôles de capitations demeurent « les témoins fidèles de la société d’autrefois »9. Fort d’un corpus aux qualités nombreuses, il nous reste à présent à explorer le milieu socio- professionnel marchand, à commencer par le dénombrement et la localisation de ses membres dans la partie septentrionale du Dauphiné.

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II.

La réintroduction du milieu socio-professionnel

marchand dans les campagnes dauphinoises

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