• Aucun résultat trouvé

Méthodologie employée dans le cadre de notre recherche

Chapitre III. : Premiers résultats de recherche : Les apports des rôles de capitation

A. Méthodologie employée dans le cadre de notre recherche

1) Le département de l’Isère, laboratoire d’analyse privilégié pour notre recherche

Afin d’exploiter au mieux cette source fiscale que sont les rôles de capitation, nous avons délibérément centré nos recherches sur le département de l’Isère, pris dans ses frontières de la fin du XVIIIè siècle. Afin de délimiter le plus justement possible les cadres géographiques de notre étude, nous nous sommes appuyés sur les travaux de René Favier concernant les Villes du Dauphiné aux XVIIè et XVIIIè siècles1, comprenant une carte de la réorganisation administrative du Dauphiné à la fin du Siècle des Lumières et dont les limites départementales de l’époque apparaissent précisément. Les limites départementales de l’Isère nous sont apparues comme un observatoire privilégié pour notre recherche. Abritant une grande variété de reliefs et de climats, ce territoire recrée en partie les multiples paysages qui parcourent la province du Dauphiné dans son entier. S’y juxtaposent, en effet, un espace montagneux avec les massifs préalpins de la Chartreuse et du Vercors, prolongés par les massifs alpins des Sept-Laux, de Belledonne, du Taillefer et d’une partie des Grandes- Rousses. Plus au Sud, nous trouvons les hauts plateaux de la matheysine et du Trièves, tandis qu’en se dirigeant vers le Nord-Ouest, entre les Préalpes et le Rhône, se situent les derniers soubresauts géomorpholgiques avec les plateaux morainiques du Chambaran, des Terres Froides et de l’Ile Crémieu. Enfin le long du Rhône, de l’Isère et, dans une moindre mesure du Drac, se trouvent les plaines et les vallées aux altitudes planes, où se concentrent en priorité les populations, notamment lorsque les vallées pénètrent à l’intérieur des massifs. Au final, nous pouvons distinguer à l’intérieur des limites départementales iséroises un bas Dauphiné s’étendant du Rhône à l’Ouest jusqu’aux contreforts des Préalpes, et un haut Dauphiné correspondant aux massifs alpins intérieurs. Nous devons ici préciser à nouveau l’éviction du massif de l’Oisans de notre recherche. Fief de ces marchands ambulants que sont

1

les colporteurs, nous avons délibérément ignoré cet espace montagneux qui fut parfaitement étudié par Laurence Fontaine2.

Par ailleurs, le département de l’Isère pris dans ses limites de la fin du XVIIIè siècle, se révèle parcouru des principaux axes de communication, terrestres et fluviaux. Depuis la capitale provinciale, s’étend tout un réseau routier en directions de la ville de Lyon au Nord- Ouest, de la Savoie voisine au Nord et au Nord-Est via la vallée du Graisivaudan, mais aussi de la Provence au Sud via les villes de Gap et de Sisteron. En outre, cette partie du Dauphiné jouxte le Piemont italien, auquel les dauphinois pouvaient accéder via la ville de Briançon, par les deux routes traversant le col Bayard ou le col du Lautaret. Les voies fluviales, quant à elles, se limitent essentiellement au fleuve Rhône et à la rivière Isère et permettent aux hommes comme aux marchandises de circuler à travers la province ou d’accéder aux régions septentrionales et méridionales du Lyonnais, du Bugey ou de Provence.

Le département de l’Isère, pris dans ses limites de la fin du XVIIIè siècle, apparaît au final comme un laboratoire privilégié, nous permettant d’observer les marchands ruraux dans toutes leurs composantes et leur diversité. Après ce rapide tour d’horizon des cadres géographiques de notre recherche, il convient à présent d’aborder les différentes acceptions de marchands livrées par les rôles de capitation.

2) Les marchands ruraux et leurs différentes acceptions dans les rôles de capitation

Du dépouillement de nombreux rôles de capitation ressort en effet que le terme générique de « marchand » n’était pas, loin s’en faut, la seule attribution permettant de qualifier les ruraux qui faisaient profession de vendre des marchandises. A côté du terme global de « marchand », toute une série d’adjectifs était employée par les péréquateurs des communautés pour spécifier le métier des gens de commerce. Ainsi, avons-nous comptabilisé comme « marchands » l’ensemble des « commerçants, coquetiers et volaillers (marchands d’œufs et de volailles), regrattiers ou blattiers (marchands de grains), ferratiers (marchands de fer et de quincaillerie), ou ciergiers (marchands de cierges ou de chandelles)» présents dans les rôles fiscaux. De la même manière avons-nous comptabilisé les « hostes, hosteliers ou

2

cabaretiers et aubergistes » dont les noms étaient apposés sur les rôles de l’impôt royal, puisque leur profession consistait –au moins en partie- à vendre des produits transformés à la clientèle de leurs auberges. Les apothicaires, enfin, en ce qu’ils vendaient des drogues et des médicaments aux populations rurales, ont été intégrés dans notre démarche.

A l’inverse, nous avons dû écarter de la liste un certain nombre d’individus dont la vente de produits constituait une partie de leur activité mais qui ne représentait pas l’essentiel de leur profession. Parmi eux, citons les « bouchers » ou les « boulangers », qui appartenaient davantage à la caste des artisans et dont les trajectoires professionnelles ont été parfaitement analysées par Alain Belmont dans ses travaux sur les artisans ruraux en Dauphiné3. Dans la même optique avons-nous délibérément ignorés les « bourgeois » et « rentiers » du village, dont la source de leur aisance financière n’est jamais indiquée dans les listes de l’imposition royale. De même, les « voituriers » et les « muletiers », qui peuplaient parfois densément les communautés rurales dauphinoises, n’ont pas été retenus. Si l’activité commerciale pouvait à l’occasion leur apporter quelques deniers supplémentaires, elle ne constituait jamais l’essentiel de leur profession et n’entrait par conséquent pas dans les cadres de notre définition. Mentionnons, enfin, parmi les individus que nous avons du écarter de notre corpus, l’ensemble des « merciers » qui, s’ils assurent effectivement une activité commerciale, se rapprochent le plus souvent des colporteurs qui parcouraient les espaces montagneux de la province dauphinoise.

Suite à ces quelques précisions étymologiques quant aux termes de « marchands » conservés dans la mise en œuvre de notre sujet, il nous faut à présent spécifier notre démarche vis-à-vis d’une source fiscale dont la nature des deux moutures successives conditionne largement leur exploitation par le chercheur.

3) Première et deuxième capitation. Méthode employée dans l’exploitation de l’impôt royal

Nous avons vu plus haut que la capitation fut un impôt par tête mis en place à l’échelle du royaume en deux étapes successives, et dont les systèmes de taxations furent complètement modifiés entre la première et la deuxième version de l’imposition. En 1695, le

3

tarif de la première capitation répartissait l’ensemble des contribuables du royaume en 22 classes selon le double critère de la profession et de la situation sociale. Chaque classe devait payer une taxe uniforme, allant de 2 000 Livres pour la première (celle du Dauphin et des princes de sang) à une Livre seulement pour la vingt-deuxième et dernière classe (celle des journaliers, des manœuvres et des soldats). Comme l’ont montré François Bluche et Jean- François Solnon dans leur ouvrage sur La véritable hiérarchie sociale dans l’ancienne France4, ce découpage traduisait justement la hiérarchie sociale de l’époque. Nous l’avons vu plus haut, les marchands ruraux apparaissent assez haut dans la hiérarchie sociale, puisqu’ils sont mentionnés à la Seizième classe sous les qualificatifs de « marchands de blé, de vin et de bois » à côté de la partie « des fermiers et laboureurs » les plus aisés.

Le premier tarif de la capitation ne dura que trois années et fut supprimé en 1698. Il réapparut en 1701 sous une forme tout à fait différente puisqu’il s’agissait alors d’un impôt de répartition et non plus d’un impôt de classe. Désormais la répartition de l’impôt n’était plus uniquement conditionnée par le rang social et la profession des capités, mais calculée par les « péréquateurs » de chaque communauté en fonction de l’état de richesse supposé des contribuables. On le perçoit aisément, la nature des deux capitations qui se sont succédées est bien différente et impose au chercheur une mise au point méthodologique afin d’exploiter le plus justement possible ces documents fiscaux.

Les critères d’imposition ayant été modifiés entre la première et la deuxième mouture de la capitation, il apparaît hasardeux de mettre dans le même panier les marchands ruraux relevés dans les premiers rôles de capitation et ceux dénombrés dans la deuxième version de l’impôt par tête. Si les premiers appartiennent à une classe socio-professionnelle définie qui conditionne le tarif de leur taxation, ce n’est en rien le cas des marchands listés dans la deuxième capitation, dont le montant de l’impôt est désormais laissé à l’appréciation des péréquateurs des communautés. Avec la deuxième capitation ne sont désormais plus seulement dénombrés les marchands les plus riches, uniformément capités à 30 Livres selon les critères de la seizième classe, mais l’ensemble des individus qui faisaient profession de commerce, que ces derniers soient financièrement aisés ou non. Ainsi, avons-nous dû prendre en compte cette distinction entre les deux versions de l’impôt royal, afin d’éviter d’exploiter de la même manière des données par nature très différentes. En ce sens, nous avons pris le

4 Bluche, François, Solnon, Jean-François, La véritable hiérarchie sociale de l’ancienne France. Le tarif de la

parti de manier les deux capitations ou seulement l’une d’entre-elles, selon les buts recherchés.

Dans le dessein de comptabiliser les marchands ruraux dans les limites départementales iséroises de la fin du XVIIIè siècle, nous avons en effet choisi de prendre en compte les deux versions de la capitation. Si les marchands listés dans la première version de notre source fiscale sont majoritairement plus aisés que les commerçants relevés dans la deuxième capitation, l’exploitation par le chercheur de la première mouture de l’impôt royal offre l’indéniable intérêt de pouvoir inventorier les membres de notre milieu socio- professionnel dès la fin du XVIIè siècle, soit relativement précocement. Le choix de manier les listes fiscales de la première capitation s’est imposé de lui-même, les rôles de la deuxième capitation n’étant pas toujours assez abondants pour le début du XVIIIè siècle. Ainsi avons- nous pris le parti d’exploiter les deux versions de l’impôt royal, par delà leur différence, afin de répertorier l’ensemble des marchands ruraux présents dans les listes fiscales qui sont parvenues jusqu’à nous.

A l’inverse, nous avons choisi de n’utiliser que la deuxième capitation lorsqu’il s’est agi de mesurer l’état de richesse du groupe marchand. En effet, les critères de taxation ayant largement évolué entre la première et la deuxième capitation, il nous a paru inopportun de manier les deux versions de l’impôt royal, sous peine de fausser les résultats. Nous avons par conséquent utilisé uniquement la deuxième capitation, entre 1701 et 1790, afin de comparer entre eux les chefs de famille soumis à l’impôt par tête selon les mêmes critères, et ainsi déterminer la place de nos marchands ruraux dans la hiérarchie sociale au village sans fausser les résultats entre le début et la fin du Siècle des Lumières.

Après avoir précisé les modalités de notre démarche dans l’exploitation des rôles de capitation, il nous faut à présent établir l’état des lieux du corpus archivistique à disposition du chercheur, afin d’éclairer plus avant les qualités et les lacunes de notre matériau de recherche.

B.

Les rôles de capitation du département de l’Isère : Un corpus

Documents relatifs