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Chapitre 5 Présentation et interprétation des données

5.7 L’importance de la réflexivité

5.7.1 Systématiser une démarche professionnelle

La formation d’un enseignant réflexif est située au cœur des préoccupations du programme. La réflexivité se présente comme la compétence à développer dans le but d’assurer l’autonomie du futur enseignant. Elle est envisagée comme un exercice permettant à l’enseignant d’analyser ses propres pratiques en adoptant une posture critique, et a pour objectif de maximiser l’efficacité des pratiques pédagogiques de l’enseignant :

“As future teachers, they have to learn to make decisions by themselves and to justify them. Being a good teacher means making decisions based on knowledge that aren’t only intuitive. On the contrary, they should always base their argumentation on rational arguments. Teachers should always be able to justify why they decided to use some specific approach over another. That being said, deciding isn’t always easy, but it is something the teacher has to do by himself if he wants to be considered as a professional” (tiré du journal ethnographique, extrait d’un entretien, 24 février 2012).

La réflexivité est considérée comme un outil de travail visant à systématiser une démarche de remise en question de ses actes et de ses décisions pédagogiques. Le fait d’être autocritique par rapport à son travail contribue à garantir une certaine qualité des pratiques, car l’enseignant cherche constamment à s’améliorer sur le plan pédagogique. La réflexivité est vue comme une compétence nécessaire à un processus de « prise de décisions pédagogiques ». À ce sujet, nous avons remarqué que plusieurs formateurs associent la tâche d’enseignement à une tâche de prise de décisions. Pour plusieurs, l’acte d’enseigner constitue, en partie, une tâche de résolution de problèmes pédagogiques. La réflexivité est associée à la capacité d’autoréguler ses pratiques professionnelles ainsi qu’à celle d’assurer sa formation continue, comme en témoigne cet extrait d’entretien auprès d’un informateur :

Les informateurs parlent fréquemment de «rationalité» en référence à une démarche de résolution de problèmes centrée sur la justification des décisions prises par l’enseignant. L’informateur rencontré aujourd’hui me disait : «°teachers have to learn to make educational decisions based on rational argumentation. To work efficiently as a teacher, you need to be able to rely on research to help you decide what is best to do in the classroom. Relying only on personal experience is not sufficient to be a good teacher anymore°» (tiré du journal ethnographique, 1er mars 2012).

Il est souhaité que le futur enseignant apprenne à poser un regard analytique sur sa propre pratique, ce que la littérature présente comme « metacognition of one’s own work ». Le désir de développer, chez le futur enseignant, des capacités réflexives s’observe à l’intérieur de la formation à la recherche. L’étudiant est alors placé dans une position de

questionnement face aux pratiques pédagogiques qu’il expérimente et qu’il observe en milieu scolaire. Bien que cette formation serve réellement à introduire l’étudiant à une démarche scientifique, à consommer ainsi qu’à produire du savoir, les informations recueillies sur le terrain nous portent à croire que l’objectif derrière la formation à la recherche est davantage de développer chez l’étudiant la « posture du chercheur » que de former des chercheurs à proprement parler :

Le futur enseignant apprend à analyser son travail, sa pratique en adoptant l’attitude du chercheur qui se questionne constamment, qui ne prend rien pour acquis et qui ne valide pas ses pratiques en se basant uniquement sur son savoir d’expérience. Il ne s’agit pas tant de recourir aux données de la science que de réfléchir en adoptant la posture du chercheur. Même si beaucoup d’emphase est mise sur la formation à la recherche, ce n’est pas tant la capacité de faire des recherches sinon le bon prétexte que donne la réalisation d’une recherche. L’étudiant doit se questionner, chercher des réponses, être rationnel (tiré du journal ethnographique, 30 mai 2012).

Dans ce contexte, on comprend que la formation dite « basée sur la recherche » n’a pas pour objectif de former des chercheurs, mais bien des enseignants qui en adoptent la posture. Si on insiste sur la nécessité de se référer à des informations issues de la recherche scientifique, c’est que l’on cherche à former des enseignants qui ne se fient pas exclusivement à leur savoir d’expérience. Nous avons d'ailleurs remarqué que le contact avec le milieu scolaire par les stages est moins important que la formation à la recherche ou les études multidisciplinaires :

J’ai profité de ma rencontre pour lui faire part de mes observations à l’égard des stages. Je lui disais que j’étais surprise de constater que les stages comptaient pour uniquement 20 des 300 crédits du programme. Il me disait que cela comptait pour 12 semaines en milieu scolaire à l’intérieur d’une formation de cinq ans. Il me dit: «We prefer to train our teachers within the university, where they can acquire knowledge that they can’t really find in the schools» (tiré du journal ethnographique, 16 novembre 2011)

La forte valorisation de la formation à la recherche au détriment de la formation pratique en milieu scolaire témoigne toutefois de l’importance et de la crédibilité accordée aux savoirs issus de la recherche par rapport aux savoirs d’expérience. Cela s’observe notamment à travers des commentaires recueillis lors d’entretiens. Au sein du programme, les savoirs scientifiques sont associés à des savoirs « vivants » alors que les savoirs issus de la pratique et de l’expérience sont associés à des savoirs « morts » ou « figés dans le temps ». Pour plusieurs formateurs, le savoir d’expérience est conceptualisé comme un bagage qui n’est pas appelé à évoluer vers de nouvelles pratiques, plus récentes. Il s’ancre dans les pratiques

du passé et se conforte dans ces dernières. Former à la recherche constitue donc un moyen de mettre l’étudiant en contact avec des savoirs en évolution au lieu de mettre les étudiants uniquement en contact avec l’héritage de l’expérience pratique de leur prédécesseur. Dès lors, les cours offerts dans la formation semblent détenir une plus grande importance que le temps passé à chausser les bottes d’un enseignant en contexte de stage pratique :

Mon professeur me parle de «dead knowledge» en référence aux savoirs d’expérience. J’en comprends qu’il associe en quelque sorte les connaissances issues de la pratique à des connaissances «figées», qui n’évoluent pas avec le temps. Il renchérit aussi sur le sujet de manière très intéressante quand il parle des stages et qu’il mentionne, à ma grande surprise, que «practice is good, but too much practice is not good. 30 years of teacher’s work is enough practice» (tiré du journal ethnographique, 7 février 2012).

Grâce aux propos de cet informateur, il est possible de constater toute l’importance que l’on accorde aux savoirs de la recherche associés au progrès, versus les savoirs d’expérience, que l’on associe d’une certaine manière à des savoirs ancrés dans le passé et qui refusent d’évoluer.

La réflexivité s’entend donc comme la « posture du chercheur ». Elle sert à baliser le processus décisionnel de l’enseignant vis-à-vis ses pratiques pédagogiques. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi, dans la littérature, l’argument de rationalité est fortement mis en valeur. Le travail de l’enseignant est vu comme une tâche de prise de décisions pédagogiques se basant sur des arguments rationnels. Les résultats issus de la recherche scientifique en éducation sont considérés comme des arguments rationnels.

Notre présence sur le terrain nous a permis de réaliser que la réflexivité, même quand elle est dite critique, réfère davantage à une manière de systématiser une démarche rationnelle de résolution de problèmes. La tâche de l’enseignant est donc vue comme une tâche de résolution de problèmes, et la réflexivité est là pour assurer le jugement rationnel de l’enseignant. La réflexivité comme une manière d’assurer un professionnalisme de qualité, une manière d’assurer l’autonomie de l’enseignant qui a pour guide cette posture réflexive. En conclusion, la réflexivité est considérée comme une compétence à développer dans le but d’assurer l’autonomie du futur enseignant. Elle est envisagée comme un exercice permettant à l’enseignant d’analyser ses propres pratiques en adoptant une posture critique.

«Being reflexive gives the teacher the capacity to keep learning and doing better outside of the University. It is only by increasing this capacity that we can ensure the

quality of the teaching staff in the school 20 years from now» (tiré du journal ethnographique, extrait d’entretien, 2 février 2012).

La réflexivité a aussi pour objectif de maximiser l’efficacité des pratiques pédagogiques de l’enseignant. Les informateurs parlent fréquemment de « rationalité » en référence à une démarche de résolution de problèmes centrée sur la justification des décisions prises par l’enseignant :

«Teachers have to learn to make educational decisions based on rational argumentation. To work efficiently as a teacher, you need to be able to rely on research to help you decide what is best to do in the classroom. Relying only on personal experience is not sufficient anymore to be a good teacher» (tiré du journal ethnographique, extrait d’entretien, 2 février 2012).

L’autonomie est abordée, sur le terrain, comme la compétence que l’enseignant doit posséder dans le monde d’aujourd’hui et cette compétence se présente comme essentielle à l’accomplissement de sa tâche. La réflexivité constitue l’outil permettant à l’enseignant d’être autonome, et la rationalité agit comme régulateur de l’acte réflexif. Dans ce contexte, la réflexivité se présente comme un moyen « indirect » d’opérer un certain contrôle sur la pratique de l’enseignant qui agit de manière autonome. Cette compétence est associée à la capacité d’autoréguler ses pratiques professionnelles ainsi qu’à celle d’assurer sa formation continue :

«The teacher has to be autonomous in order to stay updated in a world where knowledge evolves very fast. It is only by adopting a reflexive stance that a teacher will be able to react and adapt his or her practice to newer approaches» (tiré du journal ethnographique, extrait d’entretien, 4 novembre 2011).