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Chapitre 5 Présentation et interprétation des données

5.5 Curriculum et culture du curriculum

5.5.1 Le programme comme une grande communauté d’apprentissage

5.5.1.1 La proximité

Le premier élément nous permettant d’envisager le programme de formation comme une grande communauté d’apprentissage est celui de proximité. Nous utilisons ce terme pour illustrer le lien étroit entre le savoir et les étudiants. En effet, notre présence sur le terrain nous a permis de constater que quels que soient les savoirs à apprendre, les étudiants ainsi que leur formateur évoluent au centre de ces savoirs. L’étudiant apprend par les échanges, la manipulation, l’expérimentation, la pratique ou encore la rédaction. Son savoir se

construit activement de différentes manières et selon différents objectifs. Dans ce qui suit, nous tenterons de fournir des exemples issus du terrain qui soutiennent cette idée.

La formation à la recherche constitue certainement l’élément du programme qui traduit le plus explicitement le désir de placer les étudiants en contact étroit avec la connaissance. Cette formation offre d’abord une introduction à la recherche scientifique grâce aux cours axés sur la méthodologie de recherche et au projet de fin d’études. Elle offre par la suite la possibilité à l’étudiant d’approfondir ses compétences à titre de chercheur par la réalisation d’un mémoire professionnel.

En se prêtant à l’exercice de rédaction du projet de fin d’études et du mémoire, l’étudiant apprend à produire autant qu’à s’approprier les savoirs issus de la recherche. Dans les séminaires de recherche tout comme dans l’exercice autonome de la recherche, l’étudiant est appelé à faire des recherches en lien avec son sujet de mémoire dans les bases de données. Ce travail de recension de la littérature l’amène à consulter et sélectionner des articles pertinents. Dans ce contexte, l’étudiant évolue au sein même du savoir en sciences de l’éducation. Il participe activement à la construction de ses connaissances en lien avec son objet de recherche. À cette étape de son travail, l’étudiant devient un utilisateur du savoir. Plus tard, le processus de collecte de données et d’écriture le placera plutôt dans une position de producteur du savoir. Cette proximité avec le milieu de la recherche constitue, selon un informateur, le meilleur moyen de rendre compte du caractère évolutif des savoirs dans le domaine des sciences de l’éducation :

Je note les propos de cet informateur suite à notre entretien d’aujourd’hui au sujet de la formation à la recherche : « future teachers have to understand that knowledge is constantly changing. What’s good today was not necessarily good ten years ago, and might not be any more in ten years from now. If teachers want to be competent throughout their career, they have to understand that by making their own research, they can realize it, and only then they know how important it is to update their knowledge regarding pedagogy » (tiré du journal ethnographique, 3 décembre 2011).

La formation à la recherche telle que présentée dans cet extrait donne à l’étudiant l’occasion de se familiariser avec le monde de la recherche en éducation. En apprivoisant cette dimension de la formation universitaire, notamment par la réalisation d’un mémoire, l’étudiant est à même de constater le caractère changeant, évolutif et parfois même contradictoire de la connaissance. La proximité avec le savoir qu’offre cette formation permet aussi à l’étudiant de « désacraliser » le savoir scientifique, de le démystifier de

manière à en comprendre la teneur et l’implication dans le contexte plus pratique du travail de l’enseignant. Le contact avec la recherche a permis à cette étudiante de découvrir en quoi consistent les activités de recherche et de reconnaître la portée des résultats générés par ces activités sur sa propre pratique :

Pour ma collègue, le séminaire de projet personnel a été comme une «révélation». Elle m’a dit qu’au départ, elle avait vraiment peur que ce soit difficile et «plate», parce qu’elle ne voyait pas ce que ça lui donnerait et que beaucoup d’étudiants se plaignaient que c’était inutile. Pourtant, elle admet avoir beaucoup appris de son séminaire. Elle dit qu’elle se sentait très «intelligente» quand elle comprenait les articles. Elle s’était même fait un cahier de notes. Elle dit que certains articles lui donnaient des idées pour ses stages ou encore qu’elle comprenait dans les articles des choses par rapport à son propre passé d’élève. Elle m’a parlé notamment des études en lien avec son projet de recherche sur la lecture à soi pour les élèves de première année. Elle me disait qu’elle avait beaucoup aimé connaître les différentes manières de présenter la lecture à des apprentis et elle avait particulièrement été «épatée» par les retombées positives des activités de lecture à voix haute qu’elle a pu répertoriées dans le cadre de son mémoire (tiré du journal ethnographique, 25 janvier 2012).

Par la recherche, l’étudiant est invité à découvrir, à utiliser et à produire du savoir. Nous avons utilisé le terme « désacraliser » afin d’illustrer le caractère inaccessible, le rapport hiérarchique qui peut exister entre les connaissances à caractère pratique que possède un enseignant et les connaissances théoriques produites par la recherche. Dans le cas de cette formation, l’intégration théorie-pratique cherche en quelque sorte à briser ce rapport hiérarchique pour établir un rapport sain, basé sur la curiosité intellectuelle, l’effort et la rigueur de chacun. Il n’y a pas de savoirs jugés inaccessibles ou trop complexes. Chaque étudiant a la possibilité d’apprivoiser le savoir par le travail, la discussion et l’entraide. D’ailleurs, la collégialité des rapports entre les étudiants et les formateurs constitue une caractéristique importante du programme, qui contribue à l’établissement d’un climat propice au développement d’une communauté d’apprentissage. Nous reviendrons sur ce point dans la prochaine section de ce chapitre.

Nous venons de voir que la formation à la recherche offre à l’étudiant l’occasion d’évoluer en contact étroit avec un savoir à caractère théorique, qu’il est appelé à intégrer dans sa pratique. La proximité avec le savoir s’observe aussi dans la formation à caractère pratique, soit la formation dite « multidisciplinaire ». La formation à la recherche est présentée dans la littérature comme le cœur de la formation initiale offerte en Finlande. Pourtant, nous avons remarqué qu’elle ne trouvait pas toute cette importance sur le terrain. L’intégration

théorie-pratique se vit en partie à travers cette formation, mais elle se vit surtout dans les études multidisciplinaires et les stages, segments de la formation qui semblent intéresser davantage les étudiants. En effet, ces derniers semblent tirer davantage de satisfaction de leur formation multidisciplinaire que de leur formation à la recherche. Ils associent d’ailleurs la formation à la recherche à une charge substantielle de travail n’étant pas directement reliée à la tâche d’enseignement :

Je remarque que beaucoup d’étudiants me disent que la rédaction du mémoire de maîtrise constitue une étape difficile et frustrante de la formation. Plusieurs d’entre eux affirment ne pas être en mesure d’évaluer la portée ni les retombées de ce travail sur leurs compétences professionnelles. Les commentaires recueillis permettent aussi de constater que les étudiants appréhendent la formation à la recherche comme un passage obligé, alors qu’ils semblent apprécier davantage les cours à caractère pratique comme le cours de musique dans lequel j’ai eu la chance de les questionner. Les étudiants déplorent le fait qu’ils cheminent beaucoup plus lentement à cause de la formation à la recherche, information qui concorde avec celle recueillie auprès d’un formateur qui m’expliquait que les étudiants prennent généralement six ans pour terminer leurs études, alors que le programme est conçu pour être réalisé en cinq ans (tiré du journal ethnographique, 15 mars 2012).

La formation multidisciplinaire, bien qu’elle ne soit pratiquement jamais mentionnée dans la littérature au sujet du programme, constitue, à notre avis, un élément très important de la formation. Bien que nous reconnaissions l’importance et l’originalité de la formation à la recherche, nous croyons que la formation multidisciplinaire contribue fortement à la fois à la création d’une communauté d’apprentissage et à une expérience de formation captivante, car elle donne à l’étudiant la chance de faire des expérimentations, des manipulations et de se découvrir des talents ainsi que des intérêts nouveaux. Si la formation à la recherche offre une proximité avec le savoir théorique, la formation multidisciplinaire, pour sa part, introduit l’étudiant à une quantité de savoirs pratiques indispensables.

En effet, les études multidisciplinaires proposent des contenus concrets: l’étudiant expérimente des techniques en lien avec l’éducation physique (le ski de fond, la natation, etc.), rédige des poèmes dans le cours de littérature finnoise, visite le musée d’art moderne suite à un projet en lien avec cette forme d’art. Les études multidisciplinaires permettent à l’étudiant d’expérimenter les techniques propres à une discipline. Bien que les cours incluent aussi une formation didactique, à savoir « comment enseigner » une discipline donnée, les cours qui font partie des études multidisciplinaires se tournent surtout vers l’expérimentation et la découverte :

Je remarque que les ateliers sont des moments réservés à l’expérimentation et à la discussion, de manière à développer des habiletés propres à chaque domaine d’activité. La première fois que je suis entrée dans un local de musique, je me suis demandée où j’étais. Les étudiants s’étaient déchaussés. Mon formateur se tenait devait moi, avec sa guitare. J’ai alors compris qu’aujourd’hui contrairement au cours précédent, nous n’allions pas seulement parler de didactique de la musique, nous allions bel et bien jouer de la musique. J’ai joué de la guitare électrique. Nous avons aussi chanté des chansons connues en créant de nouveaux rythmes. Tout le monde semblait avoir beaucoup de plaisir. Maintenant, avec le cours d’éducation physique, je fais des kilomètres de randonnée de ski de fond ou je m’exerce à patiner à reculons…! (tiré du journal ethnographique, 18 janvier 2012).

Les étudiants réalisent des projets artistiques dans les cours d’art, apprennent le piano dans les cours de musique et façonnent des plateaux-repas dans leur cours de menuiserie. Leurs travaux sont souvent exposés ou publiés et des expositions spéciales sont parfois organisées dans les salles communes de la faculté, comme dans le cas de cette exposition de projets d’art en face de la bibliothèque et dans les corridors du pavillon principal.

Photos 7 et 8 (tirées du journal ethnographique)

D’autres événements, notamment une pièce de théâtre, sont organisés annuellement par les étudiants prenant part au cours d’introduction à l’art dramatique. En avril, les étudiants font la promotion de leur pièce avec des affiches et par la distribution de « flyers ». Trois représentations sont organisées en collaboration avec une salle de théâtre de la ville d’Helsinki.

Les études multidisciplinaires, dans ce contexte, offrent à l’étudiant la possibilité d’évoluer en étroite relation avec le savoir, au même titre que la formation à la recherche. La différence entre ces deux sphères de la formation réside dans la nature des connaissances à bâtir : des connaissances pratiques/techniques versus des connaissances théoriques.