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Chapitre 5 Présentation et interprétation des données

5.5 Curriculum et culture du curriculum

5.5.1 Le programme comme une grande communauté d’apprentissage

5.5.1.2 La collégialité

Nous avons présenté le programme de formation comme une communauté d’apprentissage. Nous avons illustré la volonté du programme de faire évoluer l’étudiant en relation étroite et dynamique avec le savoir. Nous avons aussi exposé les différents contextes, certains plutôt théoriques, d’autres plus pratiques, dans lesquels l’étudiant est appelé à construire son savoir. Il est toutefois important, avant de conclure sur cet aspect du programme, d’aborder un élément de la culture du curriculum qui contribue largement à l’existence de cette communauté d’apprentissage : la collégialité.

La collégialité des rapports entre les formateurs et les étudiants, les formateurs entre eux ou encore les étudiants entre eux peut être observée dans plusieurs situations. Le programme est caractérisé par les rapports égalitaires, respectueux et intéressés qu’entretiennent, entre eux, les acteurs du programme: apprendre ensemble, apprendre des autres et avec les autres, construire son savoir en équipe, par l’échange, l’entraide, le pairage, et ce dans toutes sortes de contextes : travaux, examens, séminaires de recherche, etc.

Le désir de placer le futur enseignant dans des situations authentiques de collaboration avec ses pairs s’observe d’abord et avant tout dans la manière d’organiser les cours. La manière dont les étudiants sont répartis en plusieurs petits groupes témoigne d’une volonté de permettre aux étudiants ainsi qu’aux formateurs d’apprendre à se connaître et à travailler ensemble. Contrairement à certains cours donnés dans un amphithéâtre d'une centaine d’étudiants, la majorité des cours auxquels participent les enseignants en formation offre une approche pédagogique qui favorise la proximité avec le savoir, comme nous l’avons fait valoir, mais aussi la proximité avec les autres étudiants ainsi qu’avec leur formateur. Les rencontres en petits groupes servent à mener de courts projets, à en partager les résultats et à échanger sur les tenants et aboutissants du projet expérimenté dans le cours. Cet environnement permet de développer un sentiment de collégialité où l’étudiant réalise l’apport positif de la contribution de ses pairs à la réalisation d’une tâche. Le temps alloué aux discussions en groupe est particulièrement propice à l’apprentissage par les pairs :

Le cours de didactique des mathématiques portait sur les jeux de société utiles pour le développement de notions mathématiques. Nous avons passé la période en équipe de quatre à démystifier les différents jeux et à voir comment et quand il serait pertinent de les utiliser en classe. À la fin de la période, le formateur avait réservé du temps pour discuter de nos expérimentations. Une étudiante a tenu à nous parler des problèmes survenus quand elle avait introduit ces jeux lors d’une journée de suppléance. Elle

disait ne pas se sentir à l’aise de répéter l’expérience, car les enfants avaient été très turbulents. D’autres étudiants l’ont encouragé en partageant des expériences similaires qui, avec un peu plus de préparation, avaient donné de meilleurs résultats. Ça m’a donné l’impression que la discussion donnait aux étudiants la chance de se supporter les uns les autres dans les situations plus difficiles de la formation. Le formateur qui donne le cours et avec lequel j’ai pu échanger à la fin de la période aujourd’hui, met aussi de l’avant l’idée que les étudiants se sentent plus à l’aise/réconfortés quand ils voient que leur crainte par rapport à l’apprentissage des mathématiques est partagée par leurs pairs. Tout ça semble placer l’étudiant dans une situation où il se donne le droit de faire des erreurs et de ne pas se montrer infaillible aux yeux de ses futurs collègues. J’ai l’impression que ça place tout le monde sur une sorte de «pied d’égalité» où l’important n’est pas ce que tu sais déjà mais plutôt ce que tu es prêt à apprendre (tiré du journal ethnographique, 12 avril 2012).

Par leurs échanges, les futurs enseignants enrichissent leurs connaissances en s’alimentant de celles de leurs pairs. C’est aussi une manière pour eux de partager des expériences vécues et d’ouvrir leurs horizons à de nouvelles façons de voir les choses en confrontant leurs opinions à celles des autres. Il arrive aussi que certaines discussions soient source de réconfort pour ces derniers, qui découvrent en leurs pairs les mêmes craintes, les mêmes difficultés, les mêmes interrogations.

L’apprentissage par les pairs s’effectue aussi dans le cadre plus informel des travaux d’équipe. Notre présence sur le terrain nous a permis d’observer de nombreuses situations de travail en équipe dans les formules « ateliers » ainsi que dans les séminaires de recherche. Les étudiants sont alors placés devant des tâches à accomplir. Le plus souvent, il ne s’agit pas de projets à moyen terme (comme un travail de session), mais plutôt de tâches à réaliser lors d’une rencontre, en lien avec le thème du cours. Lors de ces activités, les étudiants sont appelés à se mobiliser afin de mener à terme la tâche prescrite. Pour un des formateurs avec lequel nous avons pu nous entretenir, le travail d’équipe constitue le « best of both worlds » parce qu’il place l’étudiant à la fois dans une situation d’apprentissage et de coopération:

Dans l’atelier d’aujourd’hui, les étudiants devaient élaborer un champ sémantique autour de la Fête de Pâques dans la religion catholique. Ils devaient y inclure des informations qu’ils ont apprises dans le cours théorique de la semaine passée. Dans mon équipe, nous avons élaboré le champ sémantique ensemble à partir de nos notes de cours. Nous sommes ensuite sortis de la classe pour aller à la bibliothèque de la faculté, où nous avons pris un livre sur le thème de Pâques (religieux) et un livre plus commercial (l’histoire d’un lapin de Pâques). Nous avons ensuite élaboré une séquence d’enseignement qui avait pour but de faire comprendre à des enfants de deuxième cycle la différence entre «Pâques» la fête religieuse et «Pâques» la fête du chocolat. L’idée de comparer ces livres a été apportée par un étudiant de l’équipe.

Nous avons ensuite ajouté d’autres idées afin de monter une séquence d’enseignement complète. C’était intéressant de voir l’ouverture des étudiants et leur pro-activité devant la tâche à accomplir. À la fin de la période, les équipes avaient généré des idées très différentes : illustrer la résurrection de Jésus suite à la lecture d’un passage de la Bible, créer des moules en chocolat illustrant des scènes du chemin de croix, participer à la représentation du chemin de croix organisée par la ville d’Helsinki à titre d’acteur ou de bénévole (tiré du journal ethnographique, 2 mai 2012).

Le travail d’équipe est une façon de recréer le contexte de l’école et de mettre l’étudiant à la place de l’élève qui apprend en interaction avec d’autres apprenants et de l’enseignant qui coopère avec ses collègues. La collégialité s’observe alors dans les échanges entre les étudiants ainsi que dans leur façon de s’entraider et de travailler en équipe. Dans ce contexte, le savoir se construit à l’intérieur d’une communauté d’apprentissage, à travers les échanges et dans les relations qu’entretiennent les étudiants et leurs formateurs. Le travail d’équipe constitue donc une partie importante de la formation des étudiants que ce soit lors des rencontres formelles en classe où à l’extérieur des cours, les étudiants eux aussi sont appelés à s’entraider. Ils le font d’ailleurs spontanément, même lorsque les occasions de rendre service ne sont pas directement en lien avec la formation :

Quand je leur ai expliqué que je devais manquer le cours de demain pour cause de conflit d’horaire avec un autre cours, deux étudiants se sont offerts pour prendre les notes à ma place et me transmettre les documents. J’étais surprise. Je me disais qu’ils étaient sûrement gentils parce que j’étais étudiante internationale et que je faisais un peu «pitié». Mais en réalité, je me suis rendue compte que je n’étais pas la seule à devoir m’absenter et que les étudiants étaient tous conscients des difficultés relativement aux horaires. Il règne un climat d’entraide à l’égard de cette réalité. J’observe depuis ce jour-là de nombreux échanges de bons procédés du même genre. Il arrive même que deux étudiants forment une équipe (lorsqu’ils participent aux même cours). Quand il y a conflit d’horaire, l’étudiant A se présente à un cours et prend les notes, alors que l’étudiants B participe à l’autre cours. Ensemble, ils partagent le fruit de leur travail et évitent ainsi de manquer des [contenus de] cours (tiré du journal ethnographique, 27 avril 2012).

Il est intéressant de voir, dans cet extrait, que la nécessité d’établir des rapports collégiaux prend une dimension très significative. Par l'échange de bons procédés, l’étudiant tire bénéfice de ses actes de collaboration. De la même manière, dans les discussions avec les pairs, comme nous en avons parlé plus tôt, l’étudiant est à même de réaliser les bienfaits de la collégialité dans le réconfort et le support qu’il trouve dans les témoignages de ses pairs. Nous pensons que la culture de la collégialité de ce programme pourrait inciter les futurs enseignants à adopter une telle attitude, car il leur est possible, dès leur formation initiale, d’en mesurer les retombées positives. C’est d’ailleurs ce que nous a mentionné un

informateur interrogé sur les activités de pairage qu’il organise dans son cours d’éducation physique :

Pour ce formateur, l’importance du pairage entre deux étudiants réside non seulement dans la nécessité d’apprendre les techniques spécialisées comme le patinage ou le ski de fond, mais bien dans la nécessité pour les étudiants de découvrir les aspects positifs de la collaboration et de l’apprentissage par les pairs. Pour elle/lui, les étudiants doivent «apprendre à apprendre» des autres. Quand une étudiante enseigne la natation à une autre qui lui enseigne le patinage en retour, cela représente une situation très concrète d’entraide. Le but de cette formule est certes de favoriser et de maximiser les apprentissages dans le contexte où les cours sont très courts, mais pour mon informateur, l’idée derrière le pairage est de «former à la collégialité» (elle me dit

train them to be open-minded regarding their peers), de façon à ce que l’étudiant

développe de l’intérêt pour ses pairs et un désir de partager ce qu’il sait tout en apprenant des autres (tiré du journal ethnographique, 3 février 2012).

Cet extrait explique l’idée d’une « posture collégiale » dont la finalité est de former des futurs enseignants enclins à adopter une attitude d’ouverture et à travailler au sein d’une réelle communauté d’apprentissage.

Les relations qu’entretiennent les formateurs entre eux sont aussi marquées par la collégialité. En effet, ces derniers sont constamment appelés à travailler en équipe dans le cadre des cours. Le plus souvent, un cours est supporté par un chef, mais ce sont deux, trois, quatre et parfois même cinq formateurs différents qui s’occupent de le dispenser. Cette manière de faire implique une concertation des acteurs qui doivent tous, chacun à leur façon, travailler envers des objectifs communs :

Quand j’ai procédé à mon inscription en septembre dernier, je ne comprenais pas pourquoi je devais choisir un formateur en particulier pour me donner un cours. Le plus souvent, je pouvais choisir entre trois ou quatre personnes, et je n’en connaissais aucune. À l’issue de mon entretien avec la direction du programme, je comprends aujourd’hui que les cours sont la responsabilité de plusieurs formateurs, qui décident ensemble de ses contenus et de ses objectifs. Les cours doivent être dispensés par plusieurs formateurs, car ils n’accueillent généralement qu’entre 15 et 20 étudiants alors qu’il y a une centaine d’inscriptions. La formation de petits groupes apparaît comme une manière intéressante de personnaliser la formation, de la rendre «à échelle humaine». Il est probablement plus facile de discuter de pédagogie dans un contexte propice à la pédagogie, qui se rapproche du contexte de la classe. Cela démontre aussi l’importance pour les formateurs de travailler ensemble et de partager une mission commune pour un cours donné (tiré du journal ethnographique, 29 novembre 2011).

Cet extrait illustre comment l’organisation du programme est propice au développement d’une attitude collégiale entre les formateurs. La façon d’organiser les cours, en partageant la responsabilité entre plusieurs formateurs, invite à la collaboration et à l’entraide. Le

travail d’équipe revêt, dès lors, une importance particulière, car il permet aux formateurs de mener à bien l’organisation des cours

5.5.1.3 Le rôle du formateur et de l’étudiant au sein de cette communauté