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Au-delà de la subjectivité : savoir faire preuve de rigueur scientifique

Chapitre 4 Méthodologie

4.7 Au-delà de la subjectivité : savoir faire preuve de rigueur scientifique

L’ethnographie, bien qu’elle présente de nombreux avantages sur le plan méthodologique comme la souplesse et la proximité, doit être menée avec rigueur puisqu’elle se fonde sur la subjectivité du chercheur et de ses informateurs. Faire preuve de rigueur dans le cadre d’une enquête de terrain implique, selon Merriam (1988), de procéder à une observation à long terme des sujets étudiés, d’impliquer les participants à toutes les étapes de la recherche et finalement, de déclarer la subjectivité et les préconceptions du chercheur dès le début du projet.

Dans le cadre de ce projet, on peut affirmer que ces trois recommandations ont été prises au sérieux et mises en application. Mentionnons d’emblée que nous avons privilégié l’utilisation d’un journal de bord comme principale stratégie de mise à distance. En effet, c’est par l’écriture que nous sommes parvenus à objectiver notre démarche de recherche celle-ci permettant de porter un regard analytique sur notre travail.

Les dix mois passés ensuite au sein du programme de formation ont permis une intégration graduelle qui a facilité les activités d’observation, lesquelles étaient de plus en plus fidèles à la réalité des acteurs. Alors qu’au départ, les observations se faisaient de loin, dans les corridors, ou à l'intérieur des cours n’incluant que quelques étudiants inscrits au programme de formation des maîtres, les dernières semaines d’observation se sont déroulées dans les cours pratiques destinés uniquement aux étudiants de la formation des maîtres.

Les contacts avec la Faculté, les formateurs puis avec les étudiants finlandais, le contact avec le pays et la langue, ont contribué à la richesse des données et à la qualité du travail de description-interprétation. Au fil des mois, notre compréhension du terrain s’est affinée et le travail d’interprétation a été nourri jusqu’à la fin de nos expériences dans un contexte universitaire. À ce sujet, mentionnons que les enjeux de proximité et de contact prolongé avec le terrain nous ont fait opter pour la rédaction d’un journal de bord (journal ethnographique) comme principale stratégie de mise à distance avec notre terrain d’étude. Nos préconceptions, pour leur part, étaient d’abord issues de notre propre expérience de formation à l’enseignement en adaptation scolaire et sociale. Le fait d’avoir pris part à un programme de formation initiale à l’enseignement nous a poussés à nous intéresser aux éléments de contenu et de structure comparables à ceux présents dans le programme de

formation québécois. Voici, à titre d’exemple, des réflexions issues du journal ethnographique qui montrent combien, dans les premiers mois de l’étude, nous tendions à comparer ce que nous observions en Finlande avec ce que nous connaissions du contexte québécois :

Je remarque que les stages sont vraiment courts comparativement à nous (20 semaines en Finlande et dix mois au Québec). Je trouve aussi que les cours sont curieusement organisés. On ne reçoit pas de plan de cours. On reçoit juste des consignes pour des travaux (essai) avec plusieurs dates de remises différentes. Les lectures obligatoires sont substantielles ! (tiré du journal ethnographique, 26 septembre 2011).

L’idée très positive que nous détenions de la formation des maîtres dispensée en Finlande fut une autre préconception ayant contribué à biaiser nos observations et nos interprétations de la réalité dans les premières semaines de travail sur le terrain. À notre arrivée, nous étions rapidement tentés d’observer et d’interpréter la réalité en considérant, d’emblée, toutes les caractéristiques du programme comme des éléments expliquant la performance des élèves aux évaluations PISA. La fascination que nous avions pour le programme nous a toutefois empêchés de prendre le recul nécessaire pour l’observer selon ce qu’il est vraiment. Pendant plusieurs semaines, les observations réalisées menaient de facto à des interprétations positives de la réalité. Une fois passée l’étape de familiarisation avec le terrain, ces interprétations se sont avérées impressionnistes.

Je trouve que les étudiants semblent cultiver une belle curiosité intellectuelle. On est en octobre et la bibliothèque est déjà pleine. Les étudiants ne se plaignent jamais du travail à faire dans les cours et ils parlent tous en anglais. Ils participent même à des cours en anglais qui ne sont pas obligatoires à leur cheminement. Je trouve qu’ils sont très motivés (tiré du journal ethnographique, 3 octobre 2011).

Nos préconceptions à l’égard du modèle finlandais ont eu une influence sur le regard que nous posions sur les situations. Comme nous savions que les étudiants de la formation initiale étaient soumis à un processus de sélection sévère, ces derniers nous apparaissaient d’emblée comme étant « brillants » et « motivés ». De plus, les expériences que nous avions vécues dans le cadre de notre propre formation, où des étudiants cherchaient à diminuer les charges de travail proposées par les formateurs, nous ont fait voir les étudiants finlandais comme étant « travaillants » et « sérieux » puisqu’ils n’adoptaient pas ce genre d’attitude.

Ce regard sur le programme et ses étudiants était aussi biaisé par la conception que nous nous avions alors d’un « bon » programme de formation à l’enseignement, conception que nous avions développée suite à notre propre expérience de formation perçue alors comme incomplète. Pour nous, un bon programme cherche à former des enseignants qui valorisent la curiosité intellectuelle en favorisant des apprentissages n’étant pas directement en lien avec la tâche d’enseignement, mais qui contribuent à enrichir le savoir de l’enseignant. Comme nous pensions que la Finlande valorise ce type de formation, nous avions tendance à interpréter la réalité de manière à inscrire ce que nous voyions dans ce type de formation :

Je vois que le programme offre une série de cours vraiment variés pour développer la culture générale des étudiants. Il y a des cours d’histoire et de musique. Il y a même des cours de littérature et de langues étrangères. On voit que le programme cherche vraiment à ouvrir les enseignants sur le savoir. Ça fait une formation vraiment intéressante comparativement à une formation qui est davantage axée sur l’acquisition de compétences utiles uniquement à notre tâche d’enseignement (tiré du journal ethnographique, 21 septembre 2011).

Ces préconceptions, au fil des semaines, étaient mises en exergue par le travail d’analyse des observations et des discussions avec le superviseur de recherche. Les premières observations du terrain se sont effectuées à travers des « lunettes » cherchant des réponses à nos questions plutôt que des pistes de réflexion. Avec le temps, ces préconceptions se sont amoindries et un réel travail de compréhension du milieu s’est enclenché par une mise à distance de l’objet d’étude. À ce sujet, nous croyons que le fait d’avoir passé près d’une année entière sur notre terrain de recherche a eu un impact positif sur le travail de terrain, d’abord parce qu’il nous a permis de nous rapprocher des acteurs, mais aussi parce que ce n’est qu’après avoir rompu avec nos préconceptions qu’une réelle démarche de compréhension de l’autre a été rendue possible.

4.8 La triangulation comme moyen d’assurer la validité interne de la recherche