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logit(P ij ) représente la forme logistique de la variable « à expliquer »,

4.2. Volet qualitatif

4.2.3. Systématisation et interprétation

L’analyse des entretiens s’est faite dans le but de repérer des ressemblances et des différences selon le type de ménage et le sexe des interviewés. L’analyse est cependant restée ouverte à des sujets concernant l’expérience subjective. Ainsi, pour chaque transition sont présentés un résultat lié aux différences entre milieux sociaux et un résultat qui a émergé des idées et des expériences exprimées par les interviewés.

L’analyse de contenu a été réalisée en suivant des procédures de la théorie (Charmaz, 2006; Glaser et Strauss, 2010) à travers des étapes successives de codification des entretiens retranscrits, en ayant recours au logiciel NVivo 11. Ce logiciel s’avère très utile pour construction de « matrices de condensés », des tableaux qui croisent les extraits d’entretiens selon le code et les caractéristiques de l’interviewé (Bazeley et Jackson, 2013). A partir de cette systématisation, une nouvelle analyse s’est appuyée sur une codification renvoyant à un niveau d’abstraction plus élevé. Ce processus a permis de développer une conceptualisation progressive des différences entre groupes d’interviewés, tout en considérant la répartition des cas comme un élément important. Par ailleurs, cette procédure permet de garder la trace des analyses, car elle implique une codification et une élaboration des différentes étapes de l’évolution des matrices.

1. Premièrement, la réalisation d’un codage ou étiquetage selon les thèmes qui correspondent aux objectifs de l’entretien. Par exemple, la socialisation primaire au sein de la famille et la trajectoire pendant le secondaire. Ce codage était principalement fermé, c’est-à-dire avec des étiquettes créées au préalable. Néanmoins, l’analyse des entretiens admettait l’émergence de nouveau codes, ainsi le codage ouvert, bien que minoritaire, a quand même fait partie du travail d’analyse.

2. Ensuite, nous avons créé des « matrices de condensés » par thème. Le but de cette démarche est de faire ressortir des similitudes et des différences entre individus selon leur profil. Il s’agit d’une procédure comparatiste qui suit une logique inductive pour des analyses complexes (Ritchie et al., 2013). Les profils que nous avons comparés sont basés sur les trois critères d’échantillonnage (le lieu de résidence, le sexe et l’accès des parents au supérieur). Pour établir la matrice nous l’avons fait en deux temps :

a. Le premier moment nous organisons les extraits d’entretien selon l’interviewé (files) et les codes (colonnes) dans un tableau, de façon à avoir à l’intérieur de chaque case les extraits d’entretiens qui correspondent à un code et un interviewé donné.

b. La deuxième étape est de créer, à partir du premier tableau, des tableaux successifs qui réduisent par déduction le contenu des cases. Finalement, les tableaux résultants sont analysés en comparant leur contenu selon principalement le sexe et le niveau éducatif des parents. Un atout de cette technique est la création de produits successifs à chaque étape, ceci permet, au cours des analyses, de consulter des étapes précédentes dans la construction des inférences (Ritchie et al., 2013).

Cette démarche nous a permis d’identifier le degré d’homogénéité des expériences et des représentations selon le niveau d’instruction des parents puis selon le sexe, de même que la nature des similitudes dans les expériences. Nous avons également pu constater la nature des différences entre catégories d’interviewés, en particulier par rapport à l’accès des parents à l’enseignement supérieur.

La place qu’occupe le volet qualitatif dans la stratégie méthodologique a deux principaux atouts. Premièrement, l’analyse des résultats quantitatifs se voit enrichie par l’analyse des données qualitatives, qui apporte un plus grand éclairage des processus complexes de différenciation sociale lors des transitions postscolaires. En particulier, les récits de vie apportent la dimension biographique, contrairement aux données du recensement. C’est le cas en particulier dans les correspondances entre facteurs associés (quantitatif) et mécanismes de différentiation sociale (qualitatif). Les récits de vie sont particulièrement utiles à cause de leur apport exhaustif qui couvre autant la vie sociale qu’individuelle, sa dimension subjective, le vécu et les représentations « de l’intérieur », et de leur forme narrative qui restitue le changement dans la dimension temporelle (Kohli, 1981). Même si chaque histoire de vie est unique, un nombre important d’expériences est partagé dans un milieu social donné. Dans le corps du texte, la présentation d’extraits d’entretiens individuels est ainsi orientée par le principe de représentativité théorique (Corbetta, 2003), d’états, d’expériences ou de situations sociales partagées. Certains extraits impliquent des situations très singulières qui, en sortant de la norme, nous informent sur les conséquences de ne pas suivre les attentes sociales. Dans ce sens les « cas négatifs » (Sampson et Laub, 2005) sont très importants pour notre démonstration, notamment en ce qui concerne l’analyse des normes et des sanctions sociales. Deuxièmement, le qualitatif permet d’examiner en détail des cas qui ne répondent pas aux tendances générales observées. Ceci est valable autant pour les résultats des calendriers sociaux, que pour l’analyse des facteurs associés ou les études de cas.

Ce volet nous a permis de saisir des aspects clés dans la complexité des processus de transmission des ressources et normes sociales, ainsi que de leur mise en pratique. Cependant, nous avons été confrontés au fait que si l’influence des normes hégémoniques des milieux diplômés ne passe pas exclusivement par le niveau d’instruction des parents lors de la socialisation. C’est le cas de la transmission des ressources et des normes à travers des liens sociaux.

D’une part, des parents n’ayant pas eu accès à l’enseignement supérieur peuvent s’approprier ces normes et ces ressources. Dans la diversité de cas de figure de ménages sans accès au supérieur, nous avons identifié des jeunes ayant bénéficié de certaines ressources que leurs parents ont acquis. C’est par exemple le cas de parents qui ont des emplois peu qualifiés dans des environnements professionnels formels et hautement qualifiés. Un autre exemple est celui des parents ayant des liens personnels avec des personnes diplômées, qui peuvent s’avérer

d’une grande utilité, par exemple, lors du choix concernant le fait de suivre des études et la discipline des études.

D’autre part, les jeunes sont susceptibles d’être influencés par d’autres membres du ménage comme les grands frères ou grandes sœurs, des oncles ou tout autre adulte. A Lima, les frères et sœurs aînés sont des figures significatives au cours de la socialisation, ainsi que des alliés importants au moment des transitions (Cavagnoud, 2010 ; Tierney and Auerbach, 2005). Finalement, bien que les parents aient une influence spéciale, les jeunes ont des influences multiples parmi ces liens sociaux. Ces influences se font plus diverses pendant l’adolescence, à partir de laquelle les influences se multiplient au cours de la socialisation secondaire (Darmon, 2016). Si notre analyse s’est focalisée sur la socialisation familiale, d’autres espaces de socialisation ont une place importante dans les récits des jeunes, comme l’école et le quartier.

Le quartier, loin d’être une influence « négative » pour les jeunes, concernant la poursuite d’études et l’emploi, constitue un espace complexe, source d’une diversité de ressources et normes. Des adultes exemplaires ou des « contre-exemples » s’y s’affichent. Lieu de circulation de normes hégémoniques et déviantes, cadre qui offre différents types de ressources, le quartier est un espace social qui fait partie de la socialisation secondaire dans une ville ségrégée comme Lima. A travers nos entretiens, nous avons pu voir que le quartier, plus particulièrement dans les zones à accès faible et moyen à l’enseignement supérieur, tient sa place dans la formation d’aspirations et dans les choix individuels lors des transitions postscolaires.

Par ailleurs, la ségrégation sociale est caractéristique de l’enseignement secondaire à Lima, et les adolescents moins favorisés ont plus de chances de se retrouver dans des établissements avec des taux élevés de retard et d’échec scolaire (Cueto, 2010). Du point de vue de la préparation pour les transitions postscolaires, les établissements privés offrent plus de ressources et d’accompagnement, notamment en ce qui concerne la poursuite d’études. Lors de nos entretiens l’importance de l’école s’avère considérable, notamment au cours de la recherche des « vocations », cependant nous n’y avons pas focalisé notre analyse.

Aussi, ce volet nous a permis d’observer comment les choix et les actions des jeunes ne sont pas une réponse automatique à partir de « contenus » intégrés lors de la socialisation, mais plutôt le résultat d’une négociation permanente entre attentes, possibilités et préférences personnelles. Lors des entretiens, nous avons pu voir que les rapports entre parents et enfants ne ressemblent pas à une transmission intergénérationnelle « parfaite » ni unidirectionnelle.

On voit que chaque jeune, à travers les différentes étapes de sa vie, forme des visions dynamiques de la réalité en interaction avec son contexte, mais aussi à partir des expériences individuelles concrètes. Les réflexions, intérêts et quêtes personnelles font partie de ce processus, qui, pour la génération Ochentas, se sont vu nourris par les possibilités qu’offre internet, une expansion considérable en termes d’accès à l’information.

Ainsi, l’individualité a une place centrale dans les trajectoires éducatives et de participation au marché de travail, et peut-être plus pour cette génération que pour aucune autre auparavant. Nous avons focalisé notre analyse sur la dimension générationnelle, qui prend en compte l’évolution des normes sociales à Lima. Bien que des formes d’adaptation dans les différents milieux sociaux aient été observées, notre analyse a mis en lumière des individualités à travers les tensions entre les jeunes et ses parents.

Il est important de mentionner que, si dans notre stratégie méthodologique l’analyse qualitative était subsidiaire des résultats du volet quantitatif, elle comporte un degré de « liberté » lui permettant de laisser émerger certains aspects au cours du terrain et de l’analyse des entretiens. Par ailleurs, autant lors des entretiens que lors du processus d’analyse des retranscriptions de ceux-ci, nous avons laissé un espace pour l’émergence d’aspects importants pour les jeunes. Par exemple, au cours du processus d’étiquetage (coding) des entretiens, en plus des codes préétablis, nous avons créé de nouveaux codes, notamment à partir de la codification in vivo (Corbin et Strauss, 1990). Celle-ci implique reprendre les mots des enquêtés pour conceptualiser une expérience, une idée, une interprétation ou un sentiment partagé.

Ce fut le cas de l’expérience collective partagée de la difficulté pour choisir une formation, ou des expériences spécifiques des itinéraires féminins défiant les normes de genre du modèle patriarcal « traditionnel ». L’identification de ces expériences a permis d’analyser les réponses concrètes des contextes spécifiques, en termes de mobilisation de normes et ressources familiales. Dans cette démarche nous nous sommes appuyés principalement sur la mise en valeur de cas « emblématiques », avec une représentativité théorique forte. Cependant, l’analyse de « cas négatifs », c’est-à-dire de cas atypiques, a mis en lumière l’existence de certains mécanismes sociaux spécifiques. Ce fut le cas notamment lors de l’exploration des normes sociales au sein de la famille.

Du point de vue de la place du chercheur lors de l’enquête, il semble important de mettre en exergue deux aspects. D’un côté, ce fait présente quelques risques, à cause de mes a priori sur l’expérience des transitions postscolaires. C’est pourquoi j’ai essayé de donner le plus

d’espace possible aux explications des interviewés et de prendre une posture qui priorise le vécu spécifique de chaque interviewé. Il s’avère possible que mon origine sociale et mon genre aient un impact dans les réponses des interviewés du fait d’être liménien. Mais le fait que je fasse partie de la cohorte analysée présente aussi des avantages. Maîtriser l’espagnol et l’argot juvénile péruvien, et comprendre les codes culturels de la ville, ainsi que de la période vécue lors de l’enfance et l’adolescence ont contribué à la création d’empathie lors des entretiens. Ainsi, le fait d’appartenir à la génération en question a permis de comprendre un certain nombre d’éléments, grâce aux codes culturels « générationnels » partagés, ainsi qu’au fait d’avoir expérimenté la sortie de l’enseignement supérieur dans la même ville et à la même période.

Par ailleurs, en tant qu’homme ayant grandi dans une zone à accès répandu au supérieur, lors des entretiens j’ai été confronté à la « distance sociale » que j’analysais. En affichant clairement mon intention de connaître la diversité des trajectoires des jeunes de mon âge à Lima, et par une écoute active, j’ai réussi à établir des rapports de confiance avec les interviewés. Dans les quartiers plus défavorisés, le fait d’être d’appartenir à un milieu social différent –mais aussi par ma condition « d’étudiant péruvien à l’étranger »– j’ai senti davantage une volonté d’apporter des détails pour que je comprenne une réalité différente à celle qui avait été la mienne. Aussi, j’ai vécu chaque entretien avec un réel esprit d’ouverture et une bonne dose de naïveté, qui ont été, je pense, clé pour établir des dialogues riches et francs.