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Lima dans les années 2000 et

2.2. Enseignement, emploi et nuptialité en contexte néolibérale

2.2.1. Système éducatif et accès à la formation professionnelle

Au Pérou, l’enseignement de base a été conçu comme un droit fondamental et une forme d’intégration des individus à la nation. L’Etat est tenu d’assurer une provision gratuite des enseignements à tous ces niveaux47F47F

48. Le ministère de l’Education gère directement les

institutions éducatives publiques et doit superviser les établissements privés. D’un point de vue institutionnel, le système éducatif péruvien s’inspire du modèle français, avec une tendance à la centralisation de sa gestion et à l’homogénéité des programmes et des processus éducatifs, aligné avec l’Etat Nation unitaire48F48F

49.

A part quelques exceptions ponctuelles, depuis la moitié du XXe siècle l’éducation n’a pas été

considérée comme une dimension clé dans les stratégies de développement national mises en place par l’Etat (Miranda, 2011). Les politiques du secteur ont été caractérisées par leur

47 Afin d’alléger le texte, nous utiliserons mariage au sens large, c’est-à-dire « entrée en union conjugale » ou

« formation d’un couple ». Quand le raisonnement l’exigera nous distinguerons les différents types d’union conjugale.

48 Les plus grands mouvements populaires concernant le secteur ont pris forme quand la gratuité a été menacée

(Degregori, 1990).

49 Dans son application ce système est très rigide dans un pays multiculturel avec plus de 30 langues autochtones

vivantes. L’enseignement péruvien n’a jamais vraiment intégré un modèle d’inclusion active des étudiants de langue maternelle autochtone tout au long du système éducatif (Ames, 2002 ; Crouch, 2006 ; Crouch et al., 2008).

instabilité, leur mauvaise coordination interne et la négociation salariale constante avec les syndicats d’enseignants. Le pays se caractérise en Amérique latine comme celui qui consacre la plus faible part de son PIB au budget pour l’éducation49F49F

50. La logique et le fonctionnement

du Ministère ont été guidés par l’objectif de la couverture universelle, c’est-à-dire par la construction d’écoles dans la vaste et accidentée géographie du pays. Une des principales faiblesses du système public est la préparation déficiente des enseignants, dans la formation initiale et surtout dans la formation continue (CNE, 2010).

Concernant l’enseignement supérieur, trois modèles institutionnels adoptés par le ministère au cours du XXe siècle ont été identifiés (Palomino, 1993 ; Roldan, 2010). Le premier assigne à

ce niveau le rôle de former les élites issues des classes aisées, leur assignant le rôle de diriger le pays. Le deuxième modèle prône l’enseignement supérieur ouvert à tous les secteurs sociaux selon un critère méritocratique, où l’université devient un espace démocratique ayant comme objectif la production et le partage des connaissances (Tedesco, 1982). Le troisième modèle définit l’enseignement supérieur comme un service et se structure sur l’idée d’un marché éducatif. Les trois courants se sont succédé historiquement mais, en fait, ils coexistent comme logiques institutionnelles explicites ou implicites. Le premier modèle, hégémonique durant la première moitié du XXe siècle, cède son importance pendant la deuxième moitié du siècle aux idées sur l’enseignement supérieur ouvert à tous, avec la réflexion sur les questions sociales et le projet de société nationale au cœur de sa mission. Sous cette optique, pendant les années 1960 sont créés plusieurs établissements d’enseignement supérieur publics et privés. L’Eglise catholique a été un acteur majeur dans la création de ces nouvelles universités, autant pour les premières universités du pays, comme pour celles crées sous le deuxième courant institutionnel50F50F

51. Le troisième courant s’introduit à partir des années 1980 et prend son essor

pendant la deuxième moitié de la décennie 1990. Avec la libéralisation, le modèle d’entreprenariat éducatif a le vent en poupe. Suivant une logique d’entreprise, les

50 Le budget de l’Etat destiné à l’éducation a une tendance générale à la baisse pour la période 1970-2005 (Silva

et Rodriguez, 2001). Le Pérou est le seul pays américain n’ayant pas augmenté ses dépenses en éducation entre 2000 et 2013, et se positionne comme celui qui investit la moindre proportion de son PIB (3%). En particulier, la dépense par étudiant du supérieur (comme pourcentage du PIB par habitant) s’est réduite dans cette période et est la plus faible de la région. Dans l’enseignement supérieur le pays dépense deux fois moins que des pays comme le Panama, la Colombie et le Paraguay (UNESCO, 2015).

51 A Lima a été fondée la première université du continent américain en 1551, l’Université Mayor de San

Marcos, une des universités les plus prestigieuses du pays. Depuis l’indépendance du pays en 1821, les universités fondées par l’Eglise sont administrées par l’Etat péruvien. En 2015, 15 universités privées appartiennent à l’Eglise catholique (Sunedu, 2018).

établissements mettent en avant la démocratisation de l’offre en réduisant les coûts des « services » éducatifs, notamment en évitant l’investissement dans la création de savoirs (recherche fondamentale et appliquée, innovation, publications) et en précarisant les postes d’enseignant. Ce modèle s’exprime à travers des valeurs individualistes, mettant en avant le progrès personnel, la concurrence et l’efficacité (Seclén, 2014), s’inscrivant totalement dans le cadre institutionnel libéral.

En ce qui concerne l’organisation du parcours scolaire, aucune réforme d’ampleur n’a été mise en place depuis les années 1970 (Cuenca et al., 2007 ; Cuenca et Stojnic, 2008). Le cycle d’éducation de base comprend deux niveaux. Le niveau primaire, d’une durée de six années, et le niveau secondaire d’une durée de cinq années. Les parcours scolaires dans le niveau secondaire sont censés s’achever à l’âge de 16 ou 17 ans. Le certificat de fin d’études primaires correspond au niveau 1 de la classification internationale type de l’éducation, et le certificat d’études secondaires équivaut au niveau 3 de la classification (UIS, 1997).

Le niveau primaire, accessible dès les cinq ans, est obligatoire à partir de l’âge de six ans, et n’a pas d’évaluation de sortie à valider. Une trajectoire « normale », c’est-à-dire scolarisé à temps et sans redoublements, arrive à terme dans le niveau primaire à l’âge de 11 ou 12 ans.

Le niveau secondaire, intégralement obligatoire depuis 1993, a un tronc commun tout au long des années d’enseignement. D’un point de vue du cursus, 12 matières sont obligatoires pour tous les établissements scolaires dans la modalité « régulière »51F51F

52. Le certificat d’études

secondaires est acquis en ayant une moyenne générale d’au moins 11 sur 20 et en ayant approuvé obligatoirement les cours d’espagnol et de mathématiques. À part l’obtention des moyennes obligatoires, il n’existe pas de brevet, de baccalauréat ou d’épreuve spécifique de sortie pour valider le niveau secondaire.

Pour accéder au niveau supérieur d’enseignement, chaque établissement a son propre concours d’entrée. Pour la plupart des filières, il s’agit d’un examen à options multiples. Les formations de premier cycle dans l’enseignement supérieur universitaire ont une durée de cinq

52 Le cycle scolaire dans sa modalité « régulière » concentre 90% des individus inscrits dans un établissement à

Lima en 2007. Le cycle scolaire en modalité « alternative » ou « spéciale » près de 10% d’inscrits (MINEDU, 2015).

ans52F52F

53. Ainsi, si un jeune enchaîne des études supérieures immédiatement après le secondaire,

il est censé obtenir sa licence à 21 ou 22 ans. Le taux général d’admission dans les universités était de 43% en 2007 (Rodríguez et Montoro, 2013).

L’enseignement supérieur technique s’organise en trois niveaux : élémentaire, moyen et professionnel. Pour le niveau de technicien professionnel, les études sont de trois ans (3 060 heures minimum). Le diplôme de technicien, qui correspond au niveau moyen, les études durent une année minimum et deux années maximum (1 500 heures minimum). La formation technique élémentaire exige un minimum de 300 heures de formation et c’est le seul niveau qui n’exige pas un certificat d’études secondaires pour l’admission. L’âge « normal » de sortie des formations techniques varie selon le type de diplôme ; ceux qui enchaînent directement leurs études après le secondaire sont censés les finir à 20 ans.

Entre les années 2007 et 2010, le taux d’admission aux filières techniques est resté stable, avec une moyenne de 73% de postulants admis53F53F

54 (Rodriguez et Montoro, 2013).

Concernant les évolutions récentes du système éducatif péruvien, deux processus principaux méritent d’être signalés : l’expansion et la privatisation de l’enseignement. Il s’agit de deux processus intimement liés.

Pendant les dernières décennies, le pays a connu une importante expansion de l’accès à l’éducation secondaire et supérieure. L’expansion de la scolarisation au Pérou se démarque de la tendance régionale par son rythme et son ampleur. Le taux brut de scolarisation pour l’éducation de base passe de 41% en 1960 à 74% en 1980, le Pérou passe de la quatorzième à la quatrième place dans le classement régional, après le Panama, l’Argentine et Cuba. Cette évolution est d’autant plus impressionnante si on considère que selon le PIB par habitant, l’espérance de vie ou la mortalité infantile, le Pérou se situe parmi les derniers du classement régional pendant cette période (Degregori, 1991). Déjà en 1990, le taux brut de scolarisation en primaire est de 90%, dépassant des pays voisins à revenus plus élevés comme le Chili, le Brésil ou la Colombie. Au niveau secondaire, au début des années 1990 le pays est classé

53 Cependant, on peut signaler quelques exceptions comme les filières médicales où les formations sont plus

longues.

54 En particulier, pour les Instituts Pédagogiques ce taux est de 20%, les Instituts Supérieurs Techniques de 75%

troisième de l’Amérique du Sud avec un taux brut de scolarisation de 70%, deux fois plus important qu’en Bolivie ou au Vénézuela (Di Gropello, 2006). Quinze ans après, en 2005, le taux brut de scolarisation secondaire a progressé de 21 points. Finalement, au niveau national, la proportion de personnes qui achèvent l’éducation secondaire passe de 57% en 1975 à 84% en 2005 (MINEDU, 2015).

Cependant, même si l’expansion est importante, les taux de retard scolaire sont significatifs. En 2007, 71,3 % des jeunes de 16 ans à Lima n’ont pas de retard, 17 % ont une année de retard et 11,7 % en ont deux ou plus (INEI, 2007). Les écarts selon le sexe sont minimes et favorables aux femmes. Celles-ci ont moins de retard que les hommes : 27 % d’entre elles en ont contre 30,5 % parmi les hommes.

Les jeunes issus de ménages ayant des responsables diplômés ont significativement moins de retard que les autres. En effet, 77,7% des jeunes issus de ce type de ménages n’a pas de retard scolaire, par rapport à 66% pour les enfants de non diplômés. Concernant les cas sévères, deux années ou plus de retard, c’est le cas de 15,3% des premiers et 7,5% des deuxièmes (INEI, 2007). On note aussi que les jeunes issus de districts plus aisés et éduqués ont moins de retard dans leur scolarité. En particulier, les différences sont plus fortes concernant le retard sévère (Cuenca, 2013). Ceci nous donne une idée de l’hétérogénéité sociale des trajectoires scolaires dans leur dimension chronologique. En plus des conditions de scolarisation, déterminées par le ménage, la répartition des différences sociales dans la capitale illustre les niveaux de ségrégation urbaine. Cependant, au-delà d’un rapport de distribution spatiale inégale des ménages dans l’espace, le contexte urbain aurait un effet spécifique sur la motivation des individus vis-à-vis l’éducation (Kaztman et Retamoso, 2007).

Concernant l’expansion de l’enseignement supérieur, entre 1975 et 2005 le nombre de personnes de 15 ans et plus ayant accédé aux études supérieures est multiplié par 10, et atteint 25% de la population urbaine en 2005. En 1990, le taux d’inscription (36%) était deux fois plus élevé que la moyenne de la région, seulement dépassé par l’Argentine (Ansion, 1995). Une des principales raisons de l’expansion, du point de vue de la demande est l’incorporation des filles aux études (Garavito et Carrillo, 2004). La proportion de femmes inscrites dans une formation professionnelle passe de 25,4% en 1960 à 45,2% en 2004 (Diaz, 2008). Même si les femmes restent plus vulnérables à l’abandon scolaire lors de la transition primaire- secondaire, elles ont toutefois de plus fortes probabilités de finir le secondaire et d’accéder à l’enseignement supérieur (Castro et Yamada, 2010).

Le deuxième processus est la privatisation de l’enseignement. La libéralisation du secteur a impliqué une croissance soutenue de l’offre privée à tous les niveaux d’enseignement. En particulier, celle-ci encourage l’investissement de capitaux privés pour élargir l’offre de formations dans l’enseignement supérieur, tandis que l’offre publique ne s’élargit que modérément. Ainsi, dans un contexte de dividende démographique, de croissance urbaine et de forte croissance de la demande d’enseignement supérieur, le programme néolibéral a cédé le rôle de principal pourvoyeur de formation supérieure aux investisseurs privés.

Entre 2000 et 2015, l’offre privée connait une forte croissance dans le pays : le nombre d’universités privées a été multiplié par 4,5, passant de 20 à 90 établissements dans le pays. Le Pérou devient le deuxième pays sud-américain pour son nombre d’universités devant des pays ayant une population étudiante beaucoup plus importante comme le Venezuela, la Colombie ou l’Argentine. Le pays, avec le Chili, présente les taux les plus élevés de scolarisation privée dans la région en 2010 (Brunner et Ferrada, 2011).

Dans le cas des établissements d’enseignement supérieur non universitaire, à partir de 1995 l’offre privée est plus importante que l’offre publique, comme on peut le voir dans la figure 4 ci-dessous. Entre 1990 et 2015, les effectifs inscrits dans le privé ont triplé, tandis que ceux inscrits dans le public n’ont augmenté que de 23%. Entre 2007 et 2015, la part d’étudiants dans le privé passe de 60 à 68% du total d’étudiants inscrits dans des formations supérieures non universitaires.

Dans l’enseignement universitaire, l’offre privée devient plus importante à partir de la deuxième moitié des années 2000, comme le montre ci-dessous la figure 5. Entre 1990 et 2015, le nombre d’inscrits dans une université privée a quadruplé, tandis que celui du public n’a augmenté que de 24%. Entre 2007 et 2015, la part d’étudiants dans le privé passe de 40 à 66% du total d’étudiants de formations universitaires.

Figure 4. Effectifs inscrits dans l’enseignement supérieur non universitaire selon le type de gestion et année, en milliers d’effectifs

Figure 5. Effectifs inscrits dans l’enseignement universitaire au selon le type de gestion et année, en milliers d’effectifs

Elaboration de l’auteur à partir de données de l’Asamblea Nacional de Rectores (19802014), Díaz (2008) et INEI (2014).

On observe aussi que le nombre d’étudiants en formation universitaire représentent deux tiers du total d’étudiants. Concernant le système universitaire, avant la réforme de la loi d’éducation en 1996, Lima comptait deux grands types d’établissements universitaires. Premièrement, les universités publiques gratuites caractérisées par un accès restreint à cause du grand nombre de candidats face à une offre de places constante, et par une qualité qui tend à la baisse depuis les années 1990 (Cuenca et al., 2015). Deuxièmement, les établissements privés payants élitistes, avec une meilleure qualité des formations mais des droits de scolarité annuels qui représentent entre deux et trois fois le salaire minimum en moyenne (Cotler et al., 2011). Troisièmement, face à une demande croissante de formation professionnelle, et dans un contexte de dérégulation, les nouvelles universités privées, crées à partir de 1996, se présentent comme un débouché pour un large secteur qui se trouvait exclu dans le système

0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 Mi ll ers Année privée publique 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 Mill ie rs Année privée publique

antérieur au programme néolibéral. Ces nouvelles universités sont moins chères, et on observe une plus grande diversité du point de vue du niveau socioéconomique de leurs étudiants (Benavides et al., 2015). Néanmoins, comme elles sont moins exigeantes du point de vue académique, les problèmes pour assurer une qualité des formations sont considérables (Yamada et al., 2012). Les taux d’admission à l’université passent de 16 à 43% des postulants admis, entre 1993 et 2007 (Rodríguez et Montoro, 2013).

Ce nouveau panorama de l’enseignement supérieur implique une réduction de la proportion des jeunes qui poursuivent des études non universitaires, par rapport à ceux qui suivent des études universitaires. Ceci révèle la plus grande accessibilité à l’université, autant d’un point de vue financier que de la sélection à l’entrée, ainsi qu’au prestige et la rentabilité associés à l’obtention d’un diplôme universitaire (Yamada et Bazán, 2014).