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INTRODUCTION GENERALE

2. LE PEROU ET LE QUINOA, EMBLEMATIQUES DES GRANDS ENJEUX ACTUELS DE BIODIVERSITE ET GRANDS ENJEUX ACTUELS DE BIODIVERSITE ET

2.1. Les systèmes agraires de montagne dans les hautes Andes péruviennes

Au Pérou, le massif montagneux des Andes occupe le quart du territoire national. Il est composé de deux cordillères d’orientation nord-est/sud-ouest. Ces cordillères de haute altitude encadrent un ensemble contrasté de hauts plateaux froids et secs, de vallées perchées, aux versants plus ou moins abrupts, et des plaines alluviales d’altitude qui constituent l’Altiplano (Mazoyer et Roudart, 2017). A l’intérieur de ce massif, Pulgar

Vidal (1987) a distingué différentes régions naturelles, en se basant sur la distribution de la faune et de la flore ainsi que sur les connaissances et les classifications géographiques populaires. Tapia (1994), en ajoutant des variables agronomiques et ethnographiques, a proposé cinq grandes « zones agroécologiques » des Andes : Yunga ; Quechua ; Suni ; Puna désertique et Puna humide au sud du Pérou et Jalca pour le nord du Pérou ; Janka.

Les zones agroécologiques d’altitude, Suni, Puna et Janka, ont été décrites comme suit (Dollfus 1992 in Morlon 1992; Tapia et al. 2007; Mazoyer et Roudart 2017) :

 la zone agroécologique suni, étage qui va de 3 400 à 3 800 m d’altitude, présente une végétation spontanée peu abondante et fortement dégradée, qui se réduit à des formations herbeuses et arbustives clairsemées. La température moyenne annuelle est de 10 °C, avec des gelées nocturnes en saison sèche. Les précipitations sont de 600 à 1 200 mm par an. Autour du lac Titicaca et du lac Sunin, l’étage suni a un climat plus doux grâce à l’influence des lacs. Sur le plan agricole, c’est l’étage des tubercules et du quinoa ;

 la zone agroécologique puna, étage de 3 900 à 4 300 m d’altitude, est recouvert de pelouses et de steppes. Les précipitations sont de plus de 1 000 mm par an dans les punas humides (température moyenne annuelle de 10 °C), et de 150-200 mm dans les punas désertiques (température moyenne annuelle de 5 à 8 °C). La matière organique du sol est abondante mais son évolution est ralentie par le froid, avec une faible minéralisation. En fonction de l’exposition, des sols et du drainage, l’activité agricole reste possible jusqu’à 4 200-4 300 m d’altitude avec certaines variétés d’espèces résistantes comme la pomme de terre amère et la cañihua ;

 la zone agroécologique Janka, étage au-delà de 4 300 m d’altitude. Les déserts froids et les glaciers occupent les pentes et les sommets, qui culminent à 6 000 m. Dans ces étages, le territoire agricole est très fragmenté et dispersé au sein de vastes étendues incultes. Les moyennes et les hautes vallées cultivées des Andes, éventuellement irriguées, sont entrecoupées par d’immenses versants arides ou semi-arides, par les pâturages et par les déserts froids d’altitude. Ces territoires agricoles, très hétérogènes, sont assortis de climats contrastés et de conditions météorologiques instables, qui rendent souvent très aléatoires les rendements des cultures (Mazoyer et Roudart, 2017).

Tapia et al. (2007) ont identifié six systèmes de culture en fonction de l’altitude, de la présence ou absence de systèmes irrigués, de la qualité des sols, du type de production agricole, et de l’approche individuelle ou collective de la production : (1) autour de la maison, avec des cultures vivrières ; (2) individuels en altitude sans irrigation ; (3) en parties basses avec irrigation ; (4) collectifs (aynokas) ; (5) commerciaux dans de grandes exploitations (coopérative) ; (6) vergers d’arbres fruitiers.

La réussite des cultures des haut-plateaux andins est déterminée par des pratiques qui remontent à 8 000 ans. Les technologies développées sont ancrées dans un système cohérent avec la cosmovision andine, qui place le travail humain (qu’il soit agricole ou autre) dans son propre contexte culturel et religieux (Gonzales et al. 1998). Dans la cosmovision andine, tout est vivant et a sa place. Le monde vivant des Andes est formé de trois communautés étroitement interdépendantes (Gonzales et al. 1998; Gonzales 2000; Mazoyer et Roudart 2017) : la communauté des sallqa, c’est-à-dire la nature ; la communauté des êtres humains, dite runas ou jaques ; et la communauté des divinités, dite wacas. Ces trois communautés forment des ayllus, un ayllu étant défini comme un groupe à tendance endogame et dont les membres se réclament d’un ancêtre commun. Au niveau du territoire local, la chacra, parcelle destinée à la culture (Gonzales et al. 1998), est l’endroit où se déroule le dialogue entre les trois communautés.

Appliquée à l’agriculture et à l’agrobiodiversité, la cosmovision andine donne des clés pour mieux comprendre les systèmes agraires passés et présents. Les ethnies aymara et quechua (ethnies majeures de l’Altiplano péruvien) considèrent qu’une culture (au sens d’une plante cultivée), comme d’ailleurs toutes les formes de vie, vient d’une mère. Pour eux, il n’y a pas de culture vivante sans sa mère. De ce fait, les espèces dites mères deviennent une semence qui est chargée d’accompagner la procréation des différents types d’une espèce. Pour les habitants des Andes, ces espèces mères appartiennent aux dieux et peuvent être les ancêtres d’une espèce cultivée (c’est le cas du quinoa) ou ce qu’on appelle les parents sauvages d’une espèce cultivée du fait de leur proximité botanique et génétique. Ces espèces mères, qui ne sont pas cultivées par les hommes, sont en revanche cultivées par les dieux dans les espaces où la terre n’est pas utilisée à des fins agricoles, et aussi dans les parcelles en repos (jachères). Pour se référer à la relation réciproque qu’ils ont avec les plantes, les agriculteurs andins utilisent le mot crianza, qui implique « culture, protection, encouragement et tutelle ». Il existe ainsi un échange

continu entre les chacras (parcelles de terre) des dieux et les chacras des hommes. Les espèces mères peuvent pousser dans les parcelles cultivées des hommes pour devenir une nouvelle variété après un certain nombre de croisements avec une plante cultivée. Cette nouvelle variété ou espèce peut revenir sur les chacras des dieux pour se transformer encore une fois en une espèce mère. Les espèces cultivées par les hommes doivent être toujours accompagnées par des espèces mères dans la chacra. En tant que mères, elles peuvent alors défendre les plantes cultivées contre les ravageurs, les maladies ou le climat. Elles peuvent aussi les nourrir à travers leur contribution au maintien de la fertilité des sols. Ces allers-retours décrivent implicitement des flux de gènes entre la sphère sauvage et la sphère cultivée, flux reconnus comme nécessaires par les populations pour assurer la vigueur, la stabilité et la résistance des variétés cultivées face aux différents facteurs adverses. Enfin, les espèces mères, ancêtres des plantes cultivées, ont toujours été considérées comme les cultures des gentiles, définis comme les anciens habitants de l’Altiplano, qui étaient là avant les hommes. Dans la cosmovision andine, les gentiles sont les êtres qui ont commencé à prendre soin et à élever les espèces mères pour diversifier la vie naturelle des plantes sauvages.

Afin de réduire les risques de récoltes faibles ou nulles, les agriculteurs andins placent dans chaque chacra une diversité de plantes cultivées. Plus grande est la diversité, moins nombreux sont les risques de perdre totalement une récolte. Cette diversité est choisie selon certains critères d’association qui répondent aux besoins des agriculteurs, par exemple lutter contre les ravageurs, dissuader le bétail et les animaux sauvages de pénétrer dans la parcelle, assurer la production quels que soient les aléas climatiques, etc. (Tapia et al. 2007). Egalement, les agriculteurs jouent sur la complémentarité agroclimatique pour pallier ces risques : ils utilisent la dispersion spatiale des chacras dans des niches écologiques ou des microclimats diversifiés, ce qui permet notamment d’atténuer les effets des variations climatiques interannuelles (Morlon, 1992).

2.2. La conservation des ressources génétiques au Pérou, pilier

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