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La conservation des ressources génétiques végétales : évolution des concepts et des actions

INTRODUCTION GENERALE

1. ETAT DE L’ART : LIENS ENTRE GEOGRAPHIE, BIODIVERSITE, DOMESTICATION ET GESTION DES BIODIVERSITE, DOMESTICATION ET GESTION DES

1.3. La conservation des ressources génétiques végétales : évolution des concepts et des actions

L’homme a puisé dans le potentiel de la biodiversité les ressources dont il avait besoin pour sa sécurité alimentaire. Les qualités de rendement, de résistance, d’adaptation des espèces sont fondées sur une diversité de caractères génétiques que l’on trouve dans les variétés anciennes et dans les formes sauvages des espèces cultivées (Hawkes, 1990). On parle de ressources, du fait de leur nature héréditaire : c’est ce que vont rechercher les sélectionneurs pour transférer les gènes (ou combinaisons de gènes) dans de nouvelles variétés en fonction de leurs objectifs d’amélioration des plantes. Le terme est apparu dès les années 1960, à l’époque où s’est posé le problème de maintenir la disponibilité de la diversité génétique agricole (Louafi et al., 2013), et il associe l’idée que la diversité du vivant se joue également au niveau du gène (Bonneuil et Fenzi, 2011).

A partir de 1900, à la suite de la loi de Mendel, qui fait du gène l’unité fondamentale du vivant, les généticiens vont constituer des collections de germoplasmes des races animales et variétés végétales de la planète dans le but de moderniser l’agriculture selon la théorie synthétique de l’évolution (le gène comme unité de transmission, de mutation et de sélection) et d’amélioration du vivant (Bonneuil et Fenzi, 2011).

Nicolaï Vavilov (1887-1943), botaniste et généticien russe, fut l’un des premiers scientifiques à faire un large travail de prospection pour la mise en place de collections de matériel végétal, des espèces sauvages ou cultivées, à des fins de recherche sur les gènes. Ces expéditions de collecte, via le programme d’amélioration des plantes cultivées ou potentiellement utiles à l’URSS, lui permirent de développer sa théorie sur les « centres d’origine », ou centres de diversification génétique des plantes cultivées (Pitrat et Foury, 2015). Pour Vavilov, les communautés paysannes ont joué un rôle de productrices de diversité à travers la domestication des espèces, attribuant une valeur fondamentale à la dimension anthropique et culturelle de la diversité cultivée (Bonneuil et Fenzi, 2011).

Des chercheurs contemporains à Vavilov, en Europe et en Amérique, ont aussi développé de grandes collections de matériel végétal des variétés traditionnelles dans le monde entier. Citons Hans Stubbe (1902-1989) en Allemagne, Jack Hawkes (1915-2007) au Royaume-Uni, et Harry Harlan (1882-1944) aux Etats-Unis. Ces collections ont servi aux recherches en génétique et en biologie de l’évolution, et elles ont constitué la base des premiers programmes de sélection et d’amélioration génétique des plantes en Europe (Jarvis et al., 2016).

Ces efforts de prospection ont été interrompus pendant la Seconde Guerre mondiale. Face à la famine survenue en Europe et plus largement dans le monde, les Etats ont mis l’accent sur la sécurité alimentaire et la production de masse des aliments (Jarvis et al., 2016). Un début de processus d’érosion génétique est déclenché par le développement de la production agricole industrielle d’après-guerre. Cette production, centrée sur la culture des variétés améliorées uniformes à la place des races locales, a entraîné une diminution de la diversité génétique des principales plantes cultivées (Van Soest, 1990). A cette période, la diversité génétique est vue comme un stock statique où les généticiens et sélectionneurs puisent, se considérant comme les seuls capables de transformer ces ressources en variétés améliorées. Les paysans se retrouvent de ce fait comme de simples usagers des innovations (Bonneuil et Fenzi, 2011).

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), préoccupée dès les années 1960 par cette érosion génétique agricole, organise des conférences pour discuter d’un effort de recensement et de conservation des plantes (Hawkes, 1990). Le « Technical Meeting on Plant Exploitation and Introduction » (1961) est le premier événement international à aborder la perte de diversité génétique. En 1961, 1967, 1973 et 1981, quatre conférences sont ainsi conduites pour définir les bases scientifiques et les mesures requises pour recueillir, conserver et évaluer les ressources génétiques (Frankel et al., 1970; Frankel et Hawkes, 1975; Holden et al., 1984). La FAO a d’abord pris en charge ces dossiers au sein de sa Division de la production végétale et de la protection des plantes puis, en 1968, a créé une sous-division de l’écologie végétale et des ressources génétiques (Bonneuil et Fenzi, 2011).

L’une des principales conclusions de ces conférences a été de privilégier la conservation ex situ sur la base de critères économiques, axée sur les plantes d’intérêt

(Louafi et al., 2013). Le but de la conservation ex situ est de maintenir les caractères génétiques de l’échantillon original le plus longtemps possible sans qu’il y ait de mutation ou de dérive génétique. La conservation ex situ de gènes a porté sur trois méthodologies différentes. Les semences qui peuvent être séchées et stockées à faible température pour une période prolongée ont été conservées dans des banques de gènes. Les espèces sans semence ou avec des semences qui ne peuvent pas être conservées selon les conditions précédentes sont soit maintenues dans des banques de gènes de terrain (plantations), soit stockées sous forme de tissus, embryons, ou suspensions cellulaires, dans des banques de gènes in vitro. Pour certaines espèces, le pollen est également stocké (Jarvis et al., 2016; Louafi et al., 2013).

En 1971, le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI, Consultative Group on International Agricultural Research) est créé. Le GCRAI, soutenu par un consortium de donateurs aux côtés de la FAO, va contribuer à faire de la gestion des ressources génétiques en agriculture une discipline à part entière. En 1974, sous la houlette du GCRAI, a été créée l’une des plus importantes infrastructures de collecte et de conservation des ressources génétiques à l’échelle mondiale, le Conseil international des ressources phytogénétiques (International Board for Plant Genetic Ressources, IBPGR), aujourd’hui devenu Bioversity International (Bonneuil et Fenzi, 2011; Louafi et al., 2013). La FAO se voit ainsi marginalisée dans la gestion des ressources génétiques du fait que l’IBPGR opère comme une institution du GCRAI qui lui apporte son budget (Pistorius et Wijk, 1999 in Bonneuil et Fenzi 2011).

L’IBPGR devient le coordinateur principal des collections d’une soixantaine de banques de gènes, principalement dans les pays en développement. Toutefois, des critiques politiques liées au mode de gouvernance mis en place par le GCRAI sur la gestion des ressources génétiques se font entendre. Plusieurs pays du Sud expriment leur préoccupation sur le développement d’un mécanisme de protection intellectuelle sur les inventions biotechnologiques, tandis que les ressources génétiques du Sud, matières premières des inventions biotechnologiques des pays industrialisés, sont gratuites (Bonneuil et Fenzi, 2011; Jarvis et al., 2016). Ces gouvernements posent la question de la propriété intellectuelle sur les collections des centres GCRAI.

En 1981, pour résoudre ces tensions, la FAO prend le contrôle de l’IBPGR et une convention internationale établit un nouveau système de banque de gènes indépendant du

GCRAI (Bonneuil et Fenzi, 2011). En 1983, l’Engagement international sur les ressources phytogénétiques (résolution 8/83 de la FAO) est négocié, réaffirmant les ressources génétiques comme « patrimoine commun de l’humanité ». Entre 1983 et 2001, année de l’adoption du TIRPAA (Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, International Treaty on Plant Genetic Resources for Food and Agriculture), la Convention sur la diversité biologique avait remis aux Etats la souveraineté sur la biodiversité, ce qui s’oppose à la circulation des semences des agriculteurs. C’est seulement lors de l’adoption du TIRPAA en 2001 qu’a été rendue formelle la reconnaissance du droit des agriculteurs via l’article 9 (Bonneuil et Fenzi, 2011; Jarvis et al., 2016; Louafi et al., 2013), redéfinissant ainsi un nouveau modèle de bien commun avec le système multilatéral.

1.4. L’agrobiodiversité, un concept né de la sécurité alimentaire

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