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L’agrobiodiversité, un concept né de la sécurité alimentaire et du développement durable

INTRODUCTION GENERALE

1. ETAT DE L’ART : LIENS ENTRE GEOGRAPHIE, BIODIVERSITE, DOMESTICATION ET GESTION DES BIODIVERSITE, DOMESTICATION ET GESTION DES

1.4. L’agrobiodiversité, un concept né de la sécurité alimentaire et du développement durable

En 1948, le droit à l’alimentation a été reconnu lors de la ratification de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. En conséquence, après la Seconde Guerre mondiale, le processus de modernisation du système agricole a fortement augmenté la production agricole et la productivité du travail, au détriment de l’environnement et de la biodiversité (Deguine et al., 2016; Le Roux, 2008). Les bases de ce modèle productiviste se caractérisent par de grandes surfaces en monoculture avec des variétés normées, ainsi que par sa forte consommation en énergie, en eau et en intrants (Deguine et al., 2016). Le progrès génétique et les travaux sur la sélection variétale, associés au développement du machinisme et des intrants chimiques (engrais et pesticides), ont apporté une amélioration certaine des rendements et une autonomie alimentaire des pays (Ricou, 2014).

Les concepts relatifs à la sécurité alimentaire ont évolué au fil des années. L’expression sécurité alimentaire est apparue au Sommet mondial de l’alimentation en 1974, où elle a été définie en termes d’approvisionnement alimentaire : « Capacité de tout temps d’approvisionner le monde en produits de base, pour soutenir une croissance de la consommation alimentaire, tout en maîtrisant les fluctuations et les prix » (FAO, 1975). C’est seulement lors du Sommet mondial de l’alimentation de 1996 que sa définition a été élargie et rendue consensuelle. L’accent a été mis sur la dimension éthique et sur les

droits de l’Homme, et le droit à une nourriture adéquate a été officiellement adopté (Clay, 2002) : « La sécurité alimentaire est assurée quand toutes les personnes, en tout temps, ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et leurs préférences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et saine » (FAO, 1996).

Depuis le XXIe siècle, le changement climatique, la perte de la biodiversité, la raréfaction des terres, les processus d’urbanisation et la pression démographique sont les grands enjeux agricoles de la planète (Deguine et al., 2016). Assurer la sécurité alimentaire est devenu un défi majeur. Le monde doit produire plus de nourriture, sur une surface plus réduite, avec une moindre consommation en eau et en énergie, tout en minimisant l’usage d’engrais et de pesticides (Beddington, 2010; UK APPG, 2010 in Lenné 2011). Face à ce contexte, la durabilité de la production agricole implique une nouvelle transformation de l’agriculture en accord avec les principes du développement durable et de la conservation de la biodiversité. La durabilité exige d’intégrer les critères économiques, environnementaux et sociaux sur des échelles de temps et d’espace suffisantes, la stratégie de production agricole devant tenir compte du milieu (sol, climat…), de la biodiversité présente, et des ressources mobilisables (Griffon 2007 in Hainzelin 2013; Bazile 2014).

Ce changement de paradigme considère l’ensemble de ce que l’on appelle l’agroécosystème. L’agroécosystème désigne les communautés végétales et animales qui interagissent physiquement et chimiquement avec leur environnement, qui lui-même a été modifié par la société humaine pour la production agricole et qui est connecté à d’autres écosystèmes (Altieri, 2004; Bazile, 2014; Conway, 1987; Griffon, 2017; Wood et al., 2015). L’objectif est alors de valoriser les ressources des écosystèmes au profit du fonctionnement durable des agroécosystèmes (Deguine et al., 2016).

Le bon fonctionnement de l’agroécosystème est assuré par la diversité des espèces qui coexistent et interagissent ; en retour, elle contribue à la productivité et à la stabilité des écosystèmes (Deguine et al., 2016). Cette biodiversité agricole, reconnue comme une ressource par les agriculteurs pour la production agricole (Hazard, 2016), introduit le concept d’agrobiodiversité, étroitement associé à la Convention sur la diversité biologique de 1992. L’agrobiodiversité fait référence à la variété et à la variabilité des organismes vivants qui contribuent à l’alimentation et à l’agriculture dans le sens le plus

large, et aux connaissances qui leur sont associées (Barbault et al., 2008). Qualset et al. (1995) ont défini l’agrobiodiversité comme « all crops and livestock, their wild relatives, and the species that interact with and support these species: pollinators, symbiots, pests, parasites, predators and competitors » (Qualset et al. 1995 in Lenné et Wood 2011). Pour certains auteurs, l’agrobiodiversité inclut aussi les terres cultivées et les champs, tout comme les habitats et les espèces hors du territoire des exploitations, mais qui bénéficient à l’agriculture et qui régulent les fonctions des écosystèmes (Jackson et al. 2007).

L’approche écosystémique de l’agrobiodiversité prise en compte par la Convention de la diversité biologique intègre à la fois les caractéristiques des écosystèmes et les parties prenantes dans leur gestion (Barbault et al., 2008). Les stratégies agricoles peuvent avoir un rôle positif dans la conservation de la biodiversité lorsqu’elles prennent en compte la complémentarité agriculture - biodiversité, que Perrings et al. (2006) qualifient sous trois angles : la biodiversité n’est pas une menace pour l’agriculture, elle est une clé de sa « soutenabilité » ; une agriculture « biodiverse » n’est pas une menace pour la biodiversité sauvage ; une agriculture « biodiverse » procure des services qui augmentent la capacité des organismes vivants de la Terre à faire face aux risques climatiques et aux autres risques environnementaux.

La conservation de l’agrobiodiversité est donc essentielle pour maintenir les processus écosystémiques, dont dérivent les « services environnementaux », c’est-à-dire l’ensemble des conditions qui permettent la vie sur Terre, régulent l’environnement et fournissent des ressources naturelles (y compris les ressources alimentaires), ainsi qu’un ensemble d’éléments non matériels culturellement valorisés (spirituels, récréatifs, esthétiques, scientifiques, pédagogiques) (Jarvis et al. 2011; MEA 2005 in Jardel Peláez et al. 2013). Dans les systèmes agricoles traditionnels, il existe une utilisation multiple des ressources naturelles : c’est le cas lorsque les paysans conservent dans leurs parcelles et dans les zones adjacentes un grand nombre d’espèces ainsi que des habitats variés, grâce à une gestion diversifiée du territoire et des ressources naturelles (Toledo et al. 1976, 2003, Altieri et al. 1987 in Jardel Peláez et al. 2013).

L’évolution de l’agrobiodiversité reflète le dynamisme des multiples relations entre les sociétés humaines, les plantes et leur environnement, ces relations traduisant la recherche permanente de solutions face à de nouveaux défis ou de nouvelles difficultés

interagissent avec leur environnement dépendent du contexte des conditions culturelles, économiques et institutionnelles, et non pas seulement de l’adoption de moyens techniques. Ces changements sont reliés étroitement et de manière dialectique à l’agrobiodiversité et à sa conservation (Lenné et Wood, 2011; Wood et Lenné, 1999). C’est pourquoi, en 1989, la FAO a déclaré, en lien avec la conservation de l’agrobiodiversité, que « la conservation in situ est la seule méthode rationnelle actuellement disponible pour conserver une grande variété d’écosystèmes, d’espèces et de gènes, aujourd’hui vulnérables, menacés ou en danger. Non seulement la conservation in situ des ressources génétiques permet la conservation d’un ensemble de différentes espèces et la co-évolution des systèmes biologiques, mais elle est compatible avec une gestion permettant la fourniture durable de biens qui répondent aux besoins quotidiens des populations locales : nourriture, fourrage et plantes médicinales, bois d’œuvre, bois d’industrie et bois de feu, notamment » (FAO, 1989).

Toutefois, la conservation de l’agrobiodiversité a été un sujet marginalisé dans les politiques de conservation pendant une longue période (Wood et Lenné, 1999). Le début des efforts de conservation de l’agrobiodiversité a été fait ex situ en banques de gènes sur des espèces d’importance économique en agriculture (Louafi et al. 2013). Puis, vers les années 1960, des avancées en conservation ex situ et in situ ont été enregistrées (Maxted, 2012) mais toujours au détriment des espèces sauvages apparentées à des plantes cultivées (ou crop wild relatives, CWR) qui ont continué à disparaître partout dans le monde (Hunter et Heywood, 2010a). Or, les espèces sauvages apparentées à des plantes cultivées constituent une part significative des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Frese et al., 2012). Il est aujourd’hui indispensable d’assurer leur conservation à la fois dans des espaces naturels et dans des banques de gènes tant que la diversité génétique qu’elles représentent est disponible (Frese et al., 2012; Hunter et Heywood, 2010a; Maxted et al., 2007).

1.5. Les espèces sauvages apparentées aux plantes cultivées

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