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Le système de la Shari'a ou Loi islamique 2.1- Définition

Schéma 1 : Les fondamentaux de l’Islam

2- Le système de la Shari'a ou Loi islamique 2.1- Définition

Le droit islamique sur lequel est bâtie la justice des Musulmans se structure à travers la Shari’a et le fiqh qui est l'émanation de cette dernière. Étymologiquement, le mot Shari'a signifie la voie ou le chemin ; le terme de fiqh correspond à la compréhension.

La Shari’a se confond avec la religion révélée par Dieu c’est-à-dire le chemin du salut qu’Il a tracé. La finalité de la Shari’a consiste à procurer des avantages aux hommes et de les prévenir des inconvénients. Le fiqh est l'appréhension des docteurs de l'Islam (fouqahas) de cette Shari’a en vue de son application ; c'est la science des préceptes légaux pratiques et détaillés.2 La Shari’a représente les dimensions que véhicule l'Islam dont nous avons fait une esquisse au précédent paragraphe ; elle englobe ses règles et ses fondements généraux. De cette Shari’a, le fiqh précise les jugements qu'elle contient et en déduit ceux qui n'ont pas été prescrits pour des aspects évolutifs et naissants du comportement humain des musulmans dans leur vie courante. La Shari’a ne peut faire l'objet d'aucune modification alors que le fiqh - résultat de l'effort intellectuel humain - est susceptible de l'être.

La Shari’a se caractérise par sa généralité et sa validité en ce sens qu'elle s'adresse à toute l'humanité en tout temps et en tout lieu. On considère que ses préceptes sont immuables, éternels et justes c'est-à-dire non entachés d'erreurs. Mais, en reprenant un auteur, nous dirions à ce propos que l'Islam ne fige pas la société dans un système économique. Il ne constitue pas non plus une panacée ponctuelle, ni ne propose une organisation sociale transitoire que l'humanité connaîtrait durant un laps de son histoire puis disparaîtrait. L'Islam est plutôt une voie qui transcende toutes les époques.3

Le champ du droit islamique est plus large que le droit positif actuel puisque, selon un classement en genre, il comporte :

- les règles de culte qui concernent les piliers de l’Islam ;

- les règles d'affaires qui s'étendent aux applications et solutions des problèmes économiques, sociaux, juridiques et constitutionnels.4

1 Youcef EL-QARADAOUI, Le fiqh de la zakât, Éditions Rihab, Alger, 20ème édition, 1988, pp. 5-6.

2 Omar Souleimane AL-ACHKAR, Histoire du fiqh islamique, Palais du livre, Blida, 199O, p. 14.

3 M. B. ASSADR, Notre économie, ouvrage cité, Tome 2, p. 339.

4 Zouheir OBEIDI, La banque islamique : une nouvelle technique d'investissement, Dar Al-Rashad Al-Islamiya,

Autrement dit, selon la Shari’a, le droit islamique détermine aussi bien les principes de l'éthique que la juridiction économique. En règle générale, il constitue la loi essentielle des États où la religion dominante est l’Islam.1

Cela suppose qu’il est parfaitement possible de s’inspirer de toutes les autres législations qui proposent des recommandations allant dans le sens du bien ou de l’intérêt public (maslaha â‘mma). Il est exclu d’en prendre en considération toute disposition juridique qui soit contraire à un texte ou une règle explicite de la Shari’a islamique.

Il nous paraît important d’exprimer le sentiment que nous avons eu à la lecture des sources fondant la Shari’a (Coran et Sunna notamment) que nous serons amené à éclaircir. Cette Loi islamique recommande vivement et fréquemment à travers son appréhension et sa mise en œuvre de s’éloigner de toute attitude empreinte d’extrémisme conduisant vers l’excès et le fanatisme.

“Dieu ne vous veut pas la gêne, mais Il vous veut l’aisance et la facilité.” [Coran, sourate II, La vache, verset 185]

De même elle prévient de toute attitude contraire poussant à négliger et à dévoyer sa finalité. Elle préconise à chaque occasion d’adopter une position d’impartialité, de tolérance et de modération (i’tidel). L’Islam prêche pour une umma (communauté) du “juste milieu” tel qu’il est écrit dans un verset.2

En faisant une lecture moderne du texte coranique et des hadiths, nous n’avons rencontré aucun élément susceptible d’aller à l’encontre de la croissance économique, du développement ou du changement social. Nous n’avons décelé aucune contradiction ou opposition à la rationalité économique ou aux exigences du calcul économique. Le calcul économique qui repose sur le trinôme investissement-financement-prix, le profit et les prévisions de dépenses n’est certainement pas un champ étranger aux agents économiques d’une société musulmane.

De même l’encouragement à la production et à la consommation tout en condamnant le gaspillage et la prodigalité, le vif appel à la dépense au profit de qui de droit tout en avertissant violemment contre la thésaurisation et l’avarice, l’incitation voire l’obligation de travailler avec dextérité et dans la complémentarité en vue d’obtenir de la richesse licite et, donc, de se prendre en charge tout en désavouant l’oisiveté et la paresse - la pauvreté ne pouvant s’accepter comme une fatalité - ne constituent aussi que quelques exemples seulement des prescriptions de la Loi islamique en matière économique parfaitement imbriquées à des considérations sociales et morales qu’il est manifestement logique et utile de mobiliser. Ces enseignements contenus dans la Shari’a ne peuvent à l’évidence que servir la croissance économique et le développement social.

1 G. GHAUSSY, Étude sur la théorie de l'ordre économique islamique, déjà cité, p. 36.

2.2- Constitution de la législation islamique 2.2.1- La genèse

La législation de l'Islam s'est élaborée peu à peu à partir du Coran considéré comme le texte de base intangible. Mais le Coran ne contient qu'un nombre limité de textes ayant un caractère proprement juridique.

Sous le gouvernement de la dynastie des Omeyyades (661-750 de l'ère chrétienne) qui a développé les instruments essentiels de l'État centralisateur (l'écriture arabe, la monnaie, l'orthodoxie religieuse, l'administration...), naquit l'institution des qâdis ou juges islamiques ; ces derniers, nommés par les khalifes, ont dû faire face à une société plus développée. Ils ont rendu la justice en faisant état du droit en vigueur mais aussi en prenant en considération qu'ils détenaient leur pouvoir du khalife musulman et que le droit applicable doit être un droit adapté à la nouvelle foi.1

Ces qâdis jouaient un rôle important dans la fondation du droit islamique ; ils étudiaient tous les aspects juridiques et transformaient les habitudes administratives et populaires en droit islamique. A ces qâdis s'associaient dans la réflexion de pieux spécialistes ayant pour préoccupation exclusive un idéal de vie parfaitement conforme aux préceptes du Coran. L'accroissement en nombre et en cohésion de ces pieux spécialistes a amené la création des "anciennes écoles de droit" dont les plus réputées furent celle de Kûfa en Iraq et celle de Médine en Arabie.2 Les différences entre ces écoles ne résultaient pas de désaccords notables sur les principes et les méthodes mais plutôt de facteurs géographiques, sociaux et coutumiers.

Dans ces écoles naquit la théorie de la "tradition vivante" représentée par la doctrine des représentants qualifiés de chacune d'entre elles. Cette "tradition vivante" (sunna) se présentait sous les deux aspects du respect du passé et de la prise en compte du présent :

- sous l'aspect du passé, elle représentait la coutume réelle de la communauté locale mais contenant une part normative d’idéal ;

- la prise en compte du présent était assurée par le fait que les décisions sur les normes étaient laissées à la dernière génération des représentants de chaque école.

Cette "tradition vivante" était basée sur le principe du consensus des savants. Un caractère essentiel de ces écoles est que des conclusions formelles étaient désormais tirées de l'ensemble intrinsèquement religieux et moral du Coran. Ces anciennes écoles de droit se référaient à l'un ou l'autre des compagnons du Prophète.3

1 C. CHEHATA, Les expressions de l’Islam : le droit islamique, Encyclopaedia UNIVERSALIS, Paris, Édition 1989, p.°696.

2 O. S. AL-ACHKAR, ouvrage cité, p. 78.

En l'an 132 de l'hégire (750 après J. C.), le centre de gravité de l'État musulman passa ensuite à Bagdad où les Abbassides fondèrent l'empire qui devait donner à la civilisation musulmane son plein essor. C'est alors seulement que l'on constate l'existence d'un droit musulman entièrement élaboré. En effet, les anciennes écoles de droit se transformèrent en écoles fondées sur leur allégeance à un maître particulier. Cette transformation fut progressive et aboutit à la formation :

- de l'école hanafite du maître Abû Hanifa regroupant les anciennes écoles irakiennes (ancienne Mésopotamie) ;

- et de l'école malikite du maître Malik rassemblant celles de Médine et de la Mecque.

C'est le début de la constitution des écoles juridiques orthodoxes. Nous donnons un très bref aperçu de ces écoles qui ont survécu et se sont imposées dans le champ législatif islamique.

2.2.2- Les principales écoles juridiques orthodoxes

Dès le IIIème siècle de l'hégire, se sont constituées les quatre principales écoles juridiques1 qui se répartissent depuis cette époque l'ensemble de l'Islam sunnite, très largement majoritaire. L’autre partie est représentée par l’école chi’ite principalement concentrée en Iran.

- La première, l'école hanafite est fondée par l'imam Abû Hanifa (m. en 767). Elle est considérée d'esprit assez large puisque c'est celle qui fait le plus appel au raisonnement individuel (dans le sens de "opinion saine et respectée") et à l’analogie ; ce raisonnement peut refléter le choix personnel et arbitraire du juriste guidé par sa conception de ce qui est convenable (istihsan). En fait, affirme C. CHEHATA, "le système dit hanafite n'est que la

cristallisation d'un droit de source irakienne qui a été accommodé aux besoins de la société musulmane."2 Actuellement, elle se rencontre surtout en Turquie, en Inde et en Chine.

- La deuxième, l'école malikite, provient de l'enseignement de l'imam Malik Ibn Anas (m. en 795). Elle penche pour une plus stricte interprétation du Coran et des hadiths. Malik et ses prédécesseurs (les sept jurisconsultes de Médine) ont modelé la coutume médinoise, et le droit dit malikite n'est qu'une nouvelle dénomination du système juridique appelé médinois qui était toujours opposé, dès avant la fondation des écoles, au système irakien.3 Mais, d'après H. ALGABID, on comprend que les différences restent minimes avec l'école hanafite ; en ce sens que l'école malikite marqua un certain retard dans l'élaboration de sa doctrine juridique par rapport à cette dernière qui, historiquement, exerça sur elle une influence.4

1 Sur la question de la constitution de ces écoles, nous recommandons aux lecteurs deux ouvrages de référence :

Max WEBER, Sociologie du droit, PUF, 1986; et Joseph SCHACHT, Introduction au droit musulman, G.-P.

Maisonneuve et Larose, 1983. 2 C. CHEHATA, déjà cité, p. 696. 3 Idem, p. 696.

Originaire de Médine, l'école malikite s'étend vers l'ouest : Haute-Egypte, Afrique du Nord, Afrique occidentale et centrale ; elle est aussi représentée sur la côte orientale de l'Arabie. La société algérienne est ainsi dans son écrasante majorité d'obédience malikite à l'exception d'une faible minorité située au M'Zab qui opte pour le rite ibadite, très proche du malikisme.

Les "traditionalistes" intervinrent au cours du IIème siècle de l'hégire. Leur thèse était que les traditions formelles (hadiths) venant du Prophète devaient remplacer la tradition vivante des écoles, la Sunna du Prophète lui-même et non celles de ses compagnons. Ces hadiths étaient reconnus s'ils étaient transmis par une chaîne ininterrompue (isnâd) de personnes dignes de foi.

- La troisième école qui s'imposa à l'intérieur de l'orthodoxie musulmane est celle de l'imam Shafi'i enterré au Caire en 820 (ap. J. C). En adoptant la thèse des traditionalistes, il déclencha un mouvement doctrinal aboutissant à l'école shafi'ite. Celle-ci restreint la part du raisonnement personnel et met l'accent sur la notion de consensus. Elle établit un compromis entre les deux précédentes tendances en faisant prévaloir celle de Médine. Ces dernières durent d'ailleurs adopter des théories juridiques d'inspiration traditionaliste. Cette école

shafi'ite se rencontre maintenant en Basse-Egypte, en Syrie, en Arabie du Sud, en Malaisie, en

Indonésie et Afrique orientale.

Ainsi naquit la théorie des usul al-fiqh (racines ou fondements du droit) qui sont : le Coran, la Sunna du Prophète, l'ijmâ (consensus des savants de la communauté) et le qiyâs (méthode du raisonnement par analogie).

- La quatrième école : certains traditionalistes estimaient que les doctrines des trois écoles faisaient encore trop appel au raisonnement analogique et systémique. Vint alors le tour de l'imam Ibn Hanbal (m. en 855). L'école hanbalite est caractérisée par un retour à un traditionalisme strict. Elle tenta de minimiser le recours au raisonnement humain en optant pour un éclectisme manifeste ; le jugement personnel n'étant accepté qu'en cas de nécessité absolue et à la condition expresse d'un consensus. Mais elle dut ensuite adopter les usul

al-fiqh des autres écoles. Elle se trouve particulièrement en Arabie.

Les quatre écoles arrivèrent à un compromis grâce au consensus agissant comme facteur d'intégration de l'Islam : "Elles sont également couvertes par l'ijmâ ; elles sont toutes

réputées traduire dans des règles juridiques individuelles la volonté d'Allah, telle qu'exprimée dans le Coran et dans la Sunna du Prophète ; leurs diverses interprétations sont toutes également valables, leurs méthodes de raisonnement également légitimes ; en bref, elles sont également orthodoxes".1