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Répartition des revenus et justice sociale

Schéma 1 : Les fondamentaux de l’Islam

Section 3- Allocation et distribution dans l'ordre économique islamique

3- Répartition des revenus et justice sociale

L'une des plus anciennes causes d'injustice réside en la mauvaise répartition des revenus et la privation des individus de leurs droits. L’histoire humaine est assez nourrie des conséquences qui découlent de l’état d’injustice et d’iniquité. D’ailleurs, croyons-nous, les Écritures saintes à travers leurs commandements que nous retrouvons dans les Livres monothéistes ne sont-elles pas justement révélées avec la finalité de s’élever contre toute situation et toute forme d’injustice préjudiciable au genre humain et à son environnement dont il supporte la responsabilité. Agissant en averti, l'Islam combat l'injustice sociale en établissant la réalisation de l'équité dans la répartition des revenus comme un fondement essentiel à travers le processus de production et de sa croissance. La lutte contre les situations d'injustice assure l'individu de son droit de tirer profit de son labeur.1 Cette motivation renforce favorablement la production dont dépend en général, dans tout système économique, la répartition des revenus. Cela vaut aussi bien pour la répartition personnelle que pour la répartition fonctionnelle.

3.1- Répartition des revenus

Quand le Coran commande de dépenser du revenu acquis licitement, en général par le travail, cela suppose que l'acte de production d'où résulte le revenu s'érige lui-même en devoir puisque, il va de soi, l'obligation de dépense et de versement de la zakât ne peut exister sans production de richesse. Nous remarquons que la zakât, l'un des cinq piliers de l'Islam, ne signifie pas son accomplissement en soi mais le développement des revenus afin qu'ils dépassent le seuil (nissâb) à partir duquel la zakât est exigible ; et devient-il obligatoire de la verser à qui de droit. Le développement des revenus apparaît comme la pierre angulaire dans la dynamique économique.

Le concept de développement économique en Islam se traduit par la répartition équitable des fruits obtenus de cet effort social de sorte que chaque individu perçoive la rétribution de son travail et que le minimum social soit la base de la qualité de vie.

- Nous avons déjà évoqué à propos du salaire la répartition personnelle du revenu ; elle concerne principalement la rémunération de la force de travail et se trouve, de ce fait, liée à la personne du bénéficiaire.

- Mais la répartition dépend également de la distribution fonctionnelle du revenu social qui, dans une économie, concerne la répartition des différents revenus factoriels. Du point de vue islamique, "la répartition fonctionnelle des revenus des facteurs que sont la rente, l'intérêt

et le salaire n'est pas remise en cause : seul l'intérêt ne reflète pas le vrai prix factoriel du marché de l'argent".1 Un autre système de rémunération du capital lui est substitué que nous développerons ultérieurement.

Bien que l'Islam admette expressément la propriété privée des moyens de production et qu'en conséquence la structure des prix factoriels soit différente selon les divers groupes de bénéficiaires de revenus, les inégalités qui en résultent ne sont pas compatibles avec les principes de solidarité et de justice sociale.

D'un point de vue islamique, ces principes appellent une nouvelle distribution des revenus, que ce soit par le biais de transferts ou au moyen d'autres mesures de politique sociale. Notons cependant que la doctrine islamique n'est jamais allée jusqu'à réclamer un égalitarisme tel qu'il imposerait un nivellement des revenus sociaux.

Les disparités en matière de revenu et de patrimoine constituent un stimulant au travail. Mais, par disparités, on entend une hiérarchisation contrôlée de la fortune et des revenus non préjudiciable à l'équilibre économique et social.2 Dans cet esprit, énonce un verset coranique, il faut se prémunir de la spoliation par une minorité des richesses de la collectivité. On peut aussi bien déduire du Coran et de la Sunna la légitimité des différences de revenus fondées sur le travail accompli que l'exigence d'une correction des fortes dispersions selon le principe de justice sociale.

1 G. GHAUSSY, Étude sur la théorie de l'ordre économique islamique, déjà cité, p. 46.

3.2- La justice sociale

Nous avons souvent fait allusion à ce principe de justice sociale antérieurement. Mais il n'en demeure pas moins qu'un paragraphe consacré à cette question ne serait pas de trop tant certains économistes1 considèrent la justice sociale comme le troisième fondement de l'économie islamique après ceux relatifs à la diversité des formes de propriété et aux principes de la liberté économique. Le système de distribution de la richesse dans la société musulmane est, démontrent-ils, suffisamment construit pour y réaliser la justice sociale. Celle-ci est bâtie sur deux principes généraux : la solidarité générale et l'équilibre social.

3.2.1- La solidarité sociale

Dans la doctrine économique islamique, le principe de solidarité sociale repose sur deux éléments :

- La prise en charge générale : dès l'origine, l'Islam a souligné la responsabilité personnelle des musulmans et l'obligation religieuse de transférer aux nécessiteux une fraction de son revenu ou de son avoir par le biais de la zakât, sadaqa et autres prestations.

- Le droit de la communauté aux richesses naturelles : à ce niveau, la responsabilité de l'État est engagée pour permettre à chacun d'obtenir sa part de ces richesses et lui assurer le minimum social pour une vie décente. On peut référer à plusieurs textes de la Shari'a qui étayent cette responsabilité directe de l'État pour organiser et appliquer la solidarité sociale.

C'est d'ailleurs de ces prescriptions ainsi que du principe de justice sociale que l'on déduit la nécessité d'une plus large intervention de l'État visant une politique de redistribution des revenus à grande échelle. Dans cette perspective, l'Islam impose à l'État, par l'exercice de son autorité, de garantir le niveau de vie des membres de la société, soit :

- en assurant à chacun la chance de participer à l'activité économique pour qu'il puisse vivre de son effort;

- en le prenant en charge dans le cas de son incapacité à exercer une activité en faisant jouer ce principe de solidarité.

Concrètement, outre la zakât et d'autres recettes fiscales, il s'agit de doter l'État de ressources financières générées par le développement d'un secteur public. Cela empêcherait :

- la monopolisation de toutes les richesses par les plus forts au détriment des plus faibles,

- contribuerait à la prise en charge des défavorisés de la société,

- et, bien entendu, permettrait le financement des dépenses publiques relatives aux projets qui ne peuvent être réalisés autrement que par cette solidarité sociale et à son profit.

3.2.2- L'équilibre social

Par ce principe, il s'agit de permettre aux individus à faible niveau de vie de rattraper le bien-être général qui règne dans la société. L'équilibre social vers lequel il faut tendre réside en "un équilibre entre les membres de la société dans le niveau de vie et non pas dans

celui du revenu».1

L'équilibre social recherché suppose que les individus ont de l'argent. Ce dernier connaîtrait une certaine vitesse de circulation de sorte qu'il leur soit loisible de vivre au niveau du bien-être général c'est-à-dire de se situer à un niveau qui, s'il admet une certaine hiérarchisation, réfute cependant un fort déséquilibre qui serait à l'origine de contradictions criardes et donc d'explosion sociale. La finalité de l'équilibre social est de généraliser l'enrichissement au sein de la société et non pas de provoquer l'appauvrissement d'une partie de la population au profit d'une autre.

De même que l'Islam a défini le contenu de l'équilibre social, il s'est préoccupé de fournir à l'État les moyens nécessaires pour qu'il puisse mettre en application cet objectif dont il a la charge dans la limite de ceux-ci. Ils se résument dans les points suivants :

- l'institution d'un système fiscal stable par lequel les ressources serviraient à couvrir les dépenses d'entretien de cet équilibre ;

- le développement d'un secteur public orienté vers l'exploitation d'activités aux fins de cet équilibre ;

- la nature de la législation islamique qui organise la vie économique dans différents domaines ; il s'agit par exemple des prescriptions relatives à l'interdiction de la thésaurisation et du ribâ, à l'exploitation des richesses naturelles, à l'héritage, au pouvoir de décision dévolu à l'État, autorité légitime, en cas d'absence de textes mais dans le respect de la Shari’a, etc.

Les deux premiers points ont trait à l'imposition et aux dépenses publiques. Eu égard à leur importance dans cette synthèse sur le système économique islamique, nous leur réservons le prochain paragraphe consacré aux objectifs de la politique financière dans une économie islamique.