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La coordination des processus économiques

Schéma 1 : Les fondamentaux de l’Islam

Section 2- Le système économique islamique

4- La coordination des processus économiques

Le principe de la liberté des sujets économiques et de leur comportement sur les marchés ainsi que la mise au point et la coordination des processus économiques apparaissent, à côté de la question de la propriété, comme des éléments déterminants du système économique. Nous montrerons que la responsabilité du développement économique relève de façon complémentaire autant de l’initiative privée que de l’intervention étatique. De même leur participation, toutes les deux à la fois, aux processus de développement est subordonnée aux contraintes de respect des intérêts de la société et de ceux des individus à travers la recherche d’un équilibre équitable.

1 G. GHAUSSY, Étude sur la théorie de l'ordre économique islamique in Les capitaux de l'Islam, ouvrage

collectif coordonné par Gilbert BEAUGE, Presses du C.N.R.S., France, 1990, p. 41.

4.1- La liberté sur les marchés

Le principe de la liberté économique découle lui-même de la reconnaissance de la propriété privée et des droits individuels.

- En effet, selon l'Islam, les droits individuels sont une conséquence des obligations humaines et non un préalable. Si ces obligations sont remplies, alors certains droits sont acquis. L'Islam met l'accent sur la nécessité de respecter les obligations de même que les droits des individus ; on relève d'abord le devoir puis le droit de l'individu de promouvoir ses propres intérêts économiques dans le cadre de la Shari’a. L' "individualisme" a droit de cité en Islam sous réserve de l'intérêt de la collectivité ; de même s'il y a "collectivisme" en Islam, il ne justifie pas l'expropriation des droits des individus, sous condition, une fois encore, des exigences de l'intérêt général.1

- Alors que la liberté individuelle est le signe principal d'une économie de marché, le principe d'une régulation collective est celui d'une économie à administration centralisée. L'Islam ne fait pas de la distinction entre le principe de l'initiative privée et celui de la gestion économique par la puissance publique une question dogmatique. Il n'existe pas de frontière précise entre privé et public susceptible de conditionner le comportement des acteurs économiques.

De façon générale, "la doctrine islamique souligne la prépondérance de la décision

individuelle des acteurs économiques à l'intérieur du cadre fixé par les valeurs éthiques de la foi. Cependant, du fait du principe de l'unité de la religion et de l'État (din et dawla), la foi ne trace aucune séparation nette entre sphère d'action privée et sphère d'action étatique".2 En somme, les comportements des individus sont tout aussi légitimes que les interventions de l'État.

4.2- une liberté économique limitée

Les restrictions par les valeurs islamiques à la liberté des acteurs individuels et collectifs dans le champ économique se manifestent à un double plan :

- une limitation personnelle propre tirant sa source du contenu spirituel et idéel de la personnalité islamique ;

- une limitation objective exprimée par une force extérieure déterminant le comportement social ; il s'agit précisément des règles régissant la société musulmane par la force du droit islamique selon le principe: pas de liberté sur ce que stipule expressément la Shari’a.3

1 A. A. NEJJAR, ouvrage cité, p. 221.

2 G. GHAUSSY, Étude sur la théorie de l'ordre économique islamique, déjà cité, p. 42.

Ces restrictions à la liberté économique se concrétisent notamment sur un double niveau :

- à travers ses sources, la Shari’a a défini un certain nombre d'interdits touchant certaines activités économiques et sociales contraires à la réalisation des idéaux et valeurs portés par l’Islam ; il s'agit des interdits relatifs à la ribâ (intérêt), au monopole, etc.

- la Shari’a a établi le principe de direction de l'activité économique par l'autorité légitime ; l'État intervient pour assurer la protection des intérêts de la société en contrôlant l'exercice des libertés individuelles dans la conduite des affaires ; l'exigence de justice sociale qui suppose un certain degré d'altruisme fixe les limites de la liberté d'action privée.

4.3- L'intervention de l'État

Si le principe individualiste - laissant a priori la décision aux particuliers - met partout au premier plan la liberté personnelle ainsi que la responsabilité individuelle comme trait distinctif essentiel du principe de foi, cela ne remet pas pour autant en question l'activité de l'État dans le domaine économique. Au contraire, l'Islam consacre à l'État - à travers la notion d'"autorité légitime" (ul al-amr) - un rôle important dans la vie économique. La question du rôle économique de l'État ne concerne pas seulement son ampleur (le poids du secteur public dans l'économie), mais la manière dont ce rôle est exercé.

En effet, en vertu du principe d'unité (din et dawla), l'État peut à tout moment intervenir. Ses interventions découlent :

- d'abord du fait que les actes individuels ne sont pas toujours conciliables avec les normes religieuses et éthiques ;

- d'autre part, elles sont considérées comme nécessaires lorsque les actes des particuliers contreviennent à l'intérêt public et qu'il s'ensuit un désagrément pour la communauté.

Plus que cela, il incombe à l'État de veiller dans ce cas à ce que les opérations économiques (production, répartition, crédit…), ne soient pas en contradiction avec la

Shari’a. De même il a la charge de réaliser la solidarité sociale et l'équilibre général au sein de

la société.1 En outre, son rôle ne s'arrête pas seulement à l'application des prescriptions déjà contenues dans le Coran et la Sunna, mais il s'étend également à la résolution des questions d'ordre conjoncturel, spécifique et évolutif non prévues par ces derniers.

Selon l'économie d’inspiration islamique, l'État est garant de l’harmonie sociale et de l’équité de traitement ; son rôle consiste à éliminer les conditions de l’exclusion sociale. Parmi les tâches à concrétiser, il doit veiller à ce que :

- un minimum vital couvrant la sécurité et les assurances sociales, un minimum de ressources et d'autres services essentiels incluant l'éducation, la santé, le logement soit garanti ;

1 Nous expliciterons ces aspects plus loin.

- il y ait accès égal aux ressources naturelles et aux moyens de subsistance,

- chaque individu ait des chances égales - apprentissage, formation et technologie pour exploiter ces ressources ;

- les marchés soient surveillés pour assurer une justice dans les échanges ; l'Islam insiste beaucoup sur le marché et son fonctionnement efficace ; la Shari’a fournit tout un ensemble de règles de comportement éthiques et morales concernant tous les participants au marché ;

- le transfert se fasse des plus aptes à exploiter les ressources de l'économie aux moins aptes.

L'action de l'État n'est pas absente en matière de production. Elle est due à la nécessité de veiller à produire les biens et services élémentaires en quantité suffisante pour la société. L'Islam impose que la production sociale ne conduise pas au gaspillage des ressources factorielles provoqué par le comportement individuel ou général de la société au cours du processus de production. Certains économistes à l'instar de M. B. ASSADR affirment que la loi islamique rend possible le contrôle et l'exploitation des ressources naturelles primaires et des industries extractives par l'autorité de l'État dans l'intérêt général de la société.1

L'État est chargé d'élaborer les politiques économiques nécessaires pour garantir la réalisation de ces objectifs et faire face aux dépenses exigées par l'exécution de ses devoirs par le biais de la perception de l'impôt et de l'emploi des ressources nationales.2 L'État ne peut affecter les dépenses publiques qu'aux emplois définis par la Shari’a. En raison de son importance, nous reprendrons cette question des dépenses publiques dans un prochain paragraphe.

Sous cette optique, il apparaît que l'intervention de l'État en Islam prend une grande dimension. L'orientation économique est tracée en vue d'objectifs déterminés qui seraient réalisés par l'effort commun et complémentaire des capitaux publics et privés dans le cadre d'un plan global établi à partir d'une politique économique coordonnée. Nous retrouvons à ce niveau le principe de la planification économique.

Rien dans l'Islam, en effet, n'interdit une coordination par l'État. Certains principes généraux de la Shari’a encouragent sa mise en œuvre afin de mieux prendre en charge les besoins futurs sans verser dans le dirigisme étatique et bureaucratique. La planification économique globale prend en considération les intérêts privés et publics ; elle assure un équilibre entre ces derniers sur la base de leur complémentarité. Ces intérêts concordant au sein d'un ensemble dynamique, il s'avère qu'en protégeant la propriété privée, on assure également la protection de la propriété publique et inversement. Il s'agit pour l'Islam de sauvegarder l'équilibre entre ces différentes formes de propriété sans favoriser l'une contre l'autre.

1 M. B. ASSADR, ouvrage cité, tome II, p. 311.

4.4- Les contrats

L'Islam place toutes les relations économiques, y compris les échanges, sur le plan des contrats. Le principe de liberté d'action individuelle sur les marchés apparaît clairement dans la liberté contractuelle. L'exigence d'exécution fidèle des contrats passés est affirmée par le Coran et peut-être plus nettement encore par la Sunna.

A ce sujet, la Shari’a a élaboré une réglementation précise et détaillée qui vise explicitement la responsabilité et la liberté des parties contractantes : les contrats doivent stipuler avec exactitude les prestations et obligations de chacun. Les conditions de validité du contrat reposent d'abord sur la clarté de l'offre (ijab) et sur son acceptation (qobul) par les contractants, lesquels ne peuvent contrevenir aux bonnes mœurs ni aux prescriptions fixées par la religion. La liberté contractuelle est notamment réduite lorsque :

- elle donne lieu à des pratiques frauduleuses de la part des partenaires ; - on limite l'offre en vue de dégager des bénéfices spéculatifs ;

- les prix font l'objet d'accords de monopoles ;

- les objets ou clauses des contrats contreviennent aux commandements religieux. Au cours de ce travail, nous exposerons dans le contexte opportun certains contrats importants les uns considérés comme licites (qirad), d’autres entachés de riba (muzâra’a) ou carrément frappés de nullité (vente gharar).

4.5- Système de marché et de prix

Dans tout ordre économique, la production et la consommation de biens sont liées à des régulations collectives (plans...), dans la mesure où leur relative rareté impose des décisions rationnelles à leur propos.

En règle générale, ces objectifs peuvent être fixés soit par des entreprises individuelles, soit par l'État mais, quels qu'en soient les responsables, la coordination de tous les plans particuliers apparaît décisive. Alors que dans les économies libérales, les conditions de la production et de l'échange sont établies par des acteurs privés, indépendamment les uns des autres, leur coordination étant opérée par le marché, dans les économies à direction centralisée, elles sont fixées par une instance centrale qui, de plus, décide de leur coordination par le biais de règlements et de consignes.

D'après G. GHAUSSY, "il serait vain de rechercher dans la doctrine islamique de tels

systèmes de coordination et de viser une typologie quelconque : l'Islam ne dit rien à ce sujet".1 Cependant, à l'appui de la Sunna et d'écrits de prestigieux docteurs de l'Islam, il ressort que l'Islam garantit la liberté des marchés, le marché régulant les mécanismes de fixation des prix comme "une main invisible". Le système de prix prôné serait celui que refléterait le fonctionnement d'un marché de concurrence multiple, les situations monopolistiques étant bannies.

Si les règles de concurrence sont menacées (information des consommateurs, barrières d'entrée dans une activité...), l'État peut intervenir en exerçant ses prérogatives de contrôle des conditions de compétition équitable. Il garantit la souveraineté du marché et la protection des consommateurs de certains abus (contrôle de la qualité des produits...). En tous les cas, l'État ne peut contrecarrer l'efficacité propre des lois du marché au détriment de l'effort de production.

Néanmoins, il faut garder à l'esprit l'impératif islamique d'assistance aux individus à faible revenu. Pour l'Islam, le problème ne réside pas tant dans la détermination des prix en soi mais dans le niveau d'inégalité des revenus. Si une équitable distribution des revenus est établie, alors les prix du marché peuvent être utilisés comme guide du bien-être social. Si ce n'est pas le cas, une certaine dose de contrôle doit être introduite pour que puisse être prise en compte la dimension du bien-être social c'est-à-dire pour que les individus à faible revenu puissent avoir accès au marché.1

Section 3- Allocation et distribution dans l'ordre économique