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Schéma 1 : Les fondamentaux de l’Islam

Section 2- Le système économique islamique

3- Le rapport à la propriété

Dans toute économie, le rapport à la propriété a une valeur explicative décisive. C'est là que résident les différences les plus importantes entre les différents systèmes. Selon la conception islamique, l'économie islamique ne se distingue pas par une seule forme particulière de propriété. Plusieurs formes peuvent coexister simultanément sans chercher à faire prédominer l'une sur d'autres. La diversité des formes de propriété procède de

1 Voir sur ce sujet : Jean-Victor LOUIS et Diego DEVOS, L'éthique des marchés financiers, Éd. de l'Université de

l'originalité de la doctrine islamique fondée sur des bases et des règles conceptuelles données ; cette variété est déterminée par son système de valeurs.1

Dans l'Islam, les droits de propriété s’expriment par le résultat de trois principes fondamentaux :

le premier veut que Dieu Seul soit le propriétaire ultime de tout bien; pour que l'homme soit matériellement en mesure de remplir ses devoirs, il lui a été donné le droit de posséder, mais il n'en est que dépositaire ;

deuxièmement, il en découle que la propriété n'est qu'un moyen d'atteindre des objectifs plus élevés et non une fin en soi ; et tous les membres de la société partagent les ressources naturelles qui sont à la disposition de l'homme ;

le troisième principe, appelé principe d'invariance de la propriété, est dérivé des deux premiers : il établit les droits de la société et des individus à l'égard du produit final ; ces droits sont protégés par la Shari’a par le biais des limites imposées à la libre disposition des biens et des richesses qui en résultent.2

A la lumière de ces principes, attestés dans de nombreux versets du Coran à la signification particulièrement claire, il ressort que la propriété obéit selon la philosophie économique de l'Islam :

- au principe de propriété de Dieu : tous les biens qui sont à la disposition de l'homme appartiennent à l'origine à Dieu ; Dieu Seul possède "un droit de propriété absolu"; cela découle d'un concept qui est au cœur de la foi islamique, le Tawhid (l'unicité de Dieu) ;

- au principe de la "vice-gérance" ou "vicariat" de l’homme : ce dernier ne possède qu'une propriété apparente puisqu'elle est soumise aux conditions du propriétaire originel, Le Créateur; la vice-gérance implique pour celui qui en est le dépositaire l’observance des instructions, des recommandations et des limites déterminées par Dieu.

Le droit à la propriété privée qui en procède constitue du point de vue économique un simple "droit dérivé d'usufruit".3 Dieu a posé comme règle que tout ce qu'il donnait à l'homme doit être exploité pour le bien-être de l'humanité entière. En conséquence, l'homme en est le gestionnaire. Dans la Universal Islamic Declaration qui s'appuie sur le Coran et la Sunna, il est dit à ce propos :

"Tous les biens matériels qui sont à la disposition de l'homme en général et de la Umma en particulier doivent toujours être utilisés de la meilleure façon. Personne n'a le droit de les accumuler, de les laisser inemployés, de les gaspiller ou de les exposer de manière frivole, que ce soit en tant qu'individu, communauté ou État".4

1 M. B. ASSADR, Notre économie, Entreprise du livre islamique, Paris, 1983, Tome I, p. 266.

2 M. S. KHAN et A. MIRAKHOR, déjà cité, p. 33.

3 Ghanie GHAUSSY, La doctrine économique islamique, Problèmes Économiques, n°2042, Septembre 1987,

p. 30.

L'homme a donc le devoir entre autres d'éviter la prodigalité dans la consommation, le gaspillage des ressources, la thésaurisation de l'épargne. Il s'agit plutôt de chercher à fructifier le surplus éventuellement dégagé en l'affectant aux activités productives. Il est comptable des ressources mises à sa disposition devant Dieu et, surtout, il est responsable de la manière dont il les utilisera. Cette manière doit être conforme aux préceptes divins définissant les modalités de la dépense dont la zakât, la nafaqa, la sadaqa et interdisant l'intérêt, les jeux de hasard...

A cet égard, il se dégage que le droit de propriété apparaît comme un droit individuel conditionnel qui n'existe que par vice-gérance. Il ne peut être aliéné tant que le propriétaire s'engage à accomplir les fonctions individuelles et sociales définies par la Shari’a.

3.1- La propriété privée

L'Islam a établi la propriété privée et défini plusieurs prescriptions relatives à sa reconnaissance, son obtention et sa protection. La Shari’a évoque des dispositions légales et légitimes sévères pour la défense de la propriété privée contre toute forme d'aliénation. Selon un hadith, elle est sacrée au même titre que le sang et l’honneur.

On entend par propriété, d'après l'acception du fiqh (science de la jurisprudence), la possibilité pour l'individu de jouir légalement de façon directe ou indirecte de son capital ou en avoir une compensation. Est considéré comme capital tout ce qui peut faire l'objet d'une possession et d'une utilisation de manière régulière. Ce capital peut revêtir une forme utilitaire, monétaire ou en nature. Si la propriété comporte simultanément la nue-propriété et l'usufruit, elle est dite complète. Si elle ne concerne que l'un de ces deux éléments, elle est dite incomplète.1 Pour qu'un capital soit acquis légitimement et fasse l'objet d'une propriété reconnue, il faut :

- en premier lieu qu'il soit le produit des efforts personnels du propriétaire,

- ou en second lieu qu'il ait été acquis par héritage, conformément aux règles précises du droit successoral islamique.

3.2- La propriété publique

L'existence de la propriété publique n'est nullement en contradiction avec la doctrine islamique. La puissance publique pourrait être amenée à se substituer aux individus pour assurer l'harmonie des intérêts collectifs et même individuels. Outre son intervention par le contrôle et la régulation de l'activité économique animée par les entreprises privées, l'État peut promouvoir un secteur public afin de développer certaines productions qui lui incombent ou pour lesquelles les capitaux privés manifestent une incapacité ou une défaillance.

L'entreprise privée est guidée par sa logique à laquelle doit répondre celle de l'État, garant de l'intérêt général. Mais, pourvu que les objectifs de la politique économique ne soient pas une transformation radicale des rapports de propriété : "la socialisation de la propriété

privée contrevient incontestablement à la lettre et à l'esprit de la Shari’a".1 L'Islam encourage plutôt la complémentarité, le partenariat et la coopération dans un esprit de saine compétition.

3.3- Les restrictions à la propriété

La propriété toute relative reconnue est soumise à certaines restrictions destinées à prévenir les dépassements rejetés par l'Islam. Ces dernières concernent l'utilisation de la propriété ou l'usage fait du revenu en résultant. Elles s'adressent aux deux formes de propriété, privée et publique ; de toute manière, il n'a pas été proposé de délimitation claire des domaines. Il s'agit certainement de ne pas s'écarter du respect du code de conduite et de la finalité de la Shari’a.

Ces restrictions sont la conséquence de l'impératif social auquel est assujetti l'usufruit de la propriété: les principes d'intérêt public (maslaha) et de justice dans la communauté musulmane obligent les propriétaires à tenir compte de l'équilibre social et à accepter des limites à l'usage individuel de leurs biens.2 Tant que la propriété privée n'entre pas en conflit avec le bien public, il est possible d'en jouir pleinement.

L'Islam a exclu, à cet effet, du cadre de la propriété privée tout ce qui est indispensable à l'ensemble des membres de la société et qui ne peut être fructifié ou exploité par l'effort individuel. Le but est de contrecarrer la mainmise sur les richesses par un nombre limité d'individus au détriment de toute la communauté. Dans ce cas, l'Islam permet l'expropriation de la propriété privée et sa transformation en propriété collective si l'intérêt général l'exige.

L'établissement de contraintes et de devoirs à la propriété est motivé par le souci d'assurer la justice sociale, de diminuer les fortes disparités entre les revenus, de mettre des barrières à l'accumulation improductive ou à la dissipation des biens, de lutter contre la concentration des richesses entre les mains d'une minorité et, par là même, déposséder le capital de toute possibilité de domination et d'exploitation des individus démunis ou à faible revenu.