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Impact de la variation du taux d’intérêt sur le marché financier

Section 3- L’Égypte antique

3.1- L’Égypte pharaonique, une limitation de la somme des intérêts

Peu d’éléments ont été réunis en matière de pratique du prêt à intérêt durant cette grande civilisation antique qui demeure entourée encore de beaucoup de questions. Néanmoins, nos investigations ont été attirées par une disposition juridique qui ne peut passer inaperçue.

Dans l’Ancienne Égypte, BOCCHORIS (718-712 av. J.-C.), l’un des rois de la vingt-quatrième dynastie qui passa auprès des Grecs pour être l’un des plus grands législateurs égyptiens, a promulgué une loi selon laquelle il est interdit que le montant total des intérêts dépasse le principal c’est-à-dire le capital. L’Égypte contemporaine est revenue à la même règle décidée par ce souverain pharaonique, il y a déjà environ 3 000 ans ! En effet, l’article 232 du code civil égyptien en vigueur actuellement au XXème (ap. J.-C.) stipule qu’«en aucun cas, il n’est permis que le total des intérêts perçus par le créancier soit supérieur au capital»1.

Par cette disposition juridique, nous détenons la preuve de l’existence de la pratique du prêt à intérêt au temps pharaonique. Nous pouvons aussi facilement en déduire que le débiteur ne finissait pas de se dégager de sa dette soit que :

- le taux d’intérêt exigé par le créancier était élevé ;

- les conditions économiques ne permettaient pas de générer le surplus nécessaire au remboursement ; l’emprunteur était donc acculé à repousser de façon récurrente l’échéance ; ce qui alourdissait la dette et le mettait en situation sociale difficile, probablement, de servitude à l’instar de ce qui se produisait dans les autres sociétés antiques.

Ce fait illustre puissamment la similitude dans la pratique de l’intérêt entre des époques très éloignées. Les mêmes préoccupations de contrôle de son niveau et de ses limites mobilisent les pouvoirs publics afin d’en éviter les conséquences économiques et sociales dommageables. Il n’en reste pas moins vrai que le recours à la loi exprime l’idée qu’il n’y a pas d’autre choix que la nécessité de la répression. Il s’agit en l’occurrence de mettre un terme à un contrat de créance qui se transforme dans le temps en un état d’exploitation et de fragilité du débiteur qui verse à son prêteur plus du double de la somme reçue en début de période. A l’échelle sociale, la généralisation de cette pratique peut se traduire par un danger pour l’équilibre de la société et une cause essentielle de sa désintégration comme nous continuerons de l’observer dans d’autres exemples historiques plus connus.

1 Abderrazak EL-SENHOURI, Les sources de la vérité dans la science de la jurisprudence islamique. Étude

3.2- Égypte hellénistique, le prêt à intérêt ou le système de l’oppression

A l’intérieur du monde hellénistique1, l’Égypte se caractérise par un étatisme plus poussé qu’ailleurs. Le dirigisme des Ptolémée à but mercantiliste et fiscal se propose de remplir la caisse du roi, de lui fournir des ressources qui seront consacrées à une politique de grandeur et de conquêtes. Plusieurs moyens sont mis en œuvre au profit de cette finalité.2

- Le premier moyen est constitué par le capitalisme d’État, c’est-à-dire que l’État est propriétaire de la plupart des moyens de production et d’échange : d’une grande partie de la terre, sans compter qu’il administre les immenses domaines des temples à qui il alloue seulement un budget des cultes ; d’un gros cheptel ; de nombreuses entreprises : mines, carrières, salines, ateliers, pêcheries. Il est propriétaire aussi de certains instruments de travail, notamment de tous les outils en fer, qu’il prête ou loue aux artisans.

- L’organisation bancaire a également participé en tant que levier à cette entreprise. Durant l’époque hellénistique, l’Égypte bénéficie d’importants apports des Grecs notamment des méthodes commerciales et bancaires ainsi que d’une abondante circulation monétaire. Les banquiers sont des États, des cités, des particuliers et des temples qui font valoir leurs trésors. Les banques qui sont affermées remplissent plusieurs fonctions. L’affermataire achète le droit exclusif de vendre, d’acheter et de changer la monnaie ; monopole, mais point monopole d’État. C’est chez elles que sont déposés les titres de créances que les fermiers et leurs cautions donnent en garantie de la gestion fermière. Comme caisses royales, elles reçoivent le produit des impôts et des redevances versé au compte du roi par l’intermédiaire de la ferme. Elles délivrent ainsi d’innombrables reçus de taxes. Les fonctionnaires, les petits artisans ont un compte en banque qui constitue pour l’État un moyen de contrôle extrêmement efficace car il peut à tout moment bloquer ces comptes.

La plus grande puissance bancaire est la Banque Royale d’Égypte, dotée d’un monopole étendu. Elle a son siège à Alexandrie, mais elle a des succursales dans les moindres bourgs ou villages du pays. Elle est doublée, pour le blé, d’un réseau parallèle de greniers publics, véritables magasins généraux, établis également dans toutes les bourgades. Des paiements en blé sont aussi effectués par simple jeu d’écritures, sans déplacement matériel. Cette double série de banques, d’argent et de blé, joue un rôle capital.

- Le troisième moyen qui joue un rôle primordial est constitué par les prêts à intérêt sous forme d’argent ou de semences.3 Les services du roi prêtent aussi les instruments

1 On appelle époque hellénistique le monde et la civilisation d’expression grecque ; on peut faire commencer cette période historique de la culture grecque à la mort d’Alexandre le Grand de Macédoine en 323 av. J.-C. et s’achever avec l’absorption de la Grèce et des Grecs par Rome à la fin du 1er siècle av. J.-C.

2 Ce qui suit est fondé sur J.-P. LEVY, L’économie antique, ouvrage cité, pp. 44-56 ; Claire PREAUX, Le monde

hellénistique : la Grèce et l’Orient (323-146 av. J.-C), Tome I, 2ème édition, P.U.F., Paris, 1987, pp. 363-398 dans lequel l’auteur cite souvent son Économie royale des Lagides, Bruxelles, 1939, pp. 280-297.

3 La banque d’Alexandrie finance aussi des expéditions maritimes comme en témoigne un prêt consenti au IIème siècle à des armateurs étrangers pour un voyage au Pays des Aromates en mer Rouge A Alexandrie, les

banques consentaient des prêts maritimes. Cet exemple est évoqué par C. PREAUX, Le monde hellénistique : la

aratoires. On note que “les intérêts sont très lourds : 24% par an pour les prêts d’argent, 50%

pour les semences qui doivent être rendues dans les six mois”.1 L’État a le monopole des semences de graines oléagineuses (sésame, croton, ricin), et les cultivateurs sont obligés de les lui emprunter. Toute la récolte est vendue aux fermiers du monopole d’État et les producteurs n’ont même pas le droit de conserver les graines en vue de la prochaine campagne. C’est l’Administration qui approvisionne seule les détaillants et tous les prix sont fixés d’autorité à tous les échelons. Le double réseau parallèle de la Banque Royale, pour l’argent, et des entrepôts de grains, par lequel passent, sous le contrôle de l’État, l’énorme majorité des paiements facilite ces actions.

D’autre part, les banques reçoivent les dépôts des particuliers et font pour ceux-ci des paiements. Elles font fructifier l’argent du roi, comme celui de leurs clients privés, en accordant des prêts dont elles sont évidemment garantes à leur égard. La nature de ces garanties semble réglementée par la loi. Mais elles n’ont pas le monopole des opérations de prêt : les papyrus ont fourni, en effet, beaucoup de contrats de prêts conclus entre particuliers. Le taux maximum des intérêts, de 24%, est fixé par législation royale, dès le milieu du IIIème siècle.2 Considéré comme “double de ce qu’il est dans le monde hellénistique, il maintient en

Égypte, au profit des prêteurs et des banquiers une politique de crédit cher, nuisible à l’esprit d’entreprise que pourrait avoir le paysan ou le pauvre. Nous percevons ici sans doute une volonté d’attirer les capitaux étrangers. La réglementation du taux d’intérêt n’est d’ailleurs pas étrangère à la pratique de la cité grecque”.3 On cite un exemple au milieu du IIIème siècle d’après un papyrus de Zénon 59341 au Caire.

En conséquence, les travailleurs souffrent des abus du dirigisme et de la «loi d’airain». La plupart d’entre eux vivent dans la misère. Ils n’ont aucun capital : ni terres, ni instruments de fer, monopole d’État, et peu de cheptel. Les artisans, particulièrement pour l’huile, ne sont pas propriétaires de la matière première qu’ils transforment. Les pêcheurs doivent emprunter de quoi acheter leurs filets. Les travailleurs n’ont aucune initiative et subissent contraintes, pressions administratives, surveillances tracassières et coups de bâton. S’ils n’ont pas les avantages de la libre entreprise, ils ne peuvent pas non plus avoir l’insouciance des salariés. En somme, les producteurs sont tenus de tous les côtés ; ils ne fournissent ordinairement guère plus que leur travail, tout en demeurant responsables des résultats de l’exploitation et en subissant tous les risques.

Si l’économie égyptienne connut une période brillante, elle s’effondre dès la fin du IIIe siècle ainsi que sa stabilité politique. Certains résultats négatifs incombent à cette conduite de l’économie : la crise financière est permanente ; la monnaie est dévaluée ; le R.°BOGAERT, Banquiers, courtiers et prêts maritimes à Alexandrie, Chronique d’Égypte XL, n°79 (1965), pp.°140-156.

1 J.-P. LEVY, L’économie antique, ouvrage cité, p. 53.

2 Papyrus de ZENON 83, Columbia University. Quelques 2°000 papyrus constituent les Archives de Zénon

conservés dans différents lieux.

3 C. PREAUX, Le monde hellénistique : la Grèce et l’Orient (323-146 av. J.-C), Tome I, 2ème édition, P.U.F.,

commerce alexandrin décline. Dégoûtés des conditions qu’on leur impose, les travailleurs abandonnent les terres et disparaissent dans la campagne.

Les informations parvenues au moyen des papyrus révèlent que plusieurs révolutions des paysans ont même éclatées au IIème siècle et iront en s’amplifiant. Le mécontentement des paysans peut s’expliquer : Après la moisson, le blé est battu sur l’aire commune du village. Il est séquestré sur l’aire où s’opère le prélèvement royal ; après quoi le paysan reçoit ce qui lui revient. Le roi prend le fermage - selon la qualité de la terre, jusqu’à 40 ou 50% de la récolte - ensuite l’impôt foncier et de menues taxes. Quand il a abandonné fermages et taxes et remboursé le prêt de semence, il reste au paysan moins de la moitié de sa récolte.1

Pour rendre compte du malaise de la paysannerie, nous reprenons en illustration cet événement insurrectionnel parmi tant d’autres. Suite à une grave révolte qui eut lieu en Basse et Moyenne-Égypte entre 206 et 186, les prêtres louent dans leur décret de Memphis en 196 Ptolémée Epiphane pour une série de réformes qui révèlent les revendications des insurgés. Parmi ceux-ci, il y avait les soldats égyptiens qui sont l’objet de mesures de clémence et à qui sont rendues leurs propriétés, qui avaient sans doute été confisquées. Aux paysans et à ses

autres sujets, le roi a fait remise de leurs dettes au trésor. Ceci correspond à l’abolition des dettes privées dans les cités grecques. Le paysan égyptien, cultivant la terre royale, comme le paysan de Grèce cultivant la terre d’un propriétaire privé, a peine à payer son fermage. Nous venons de voir, en effet, que le roi lui prend plus de la moitié de sa récolte. Il s’agit donc d’une révolte de pauvres et de gens endettés, comme en Grèce. Certains étaient depuis longtemps en prison et bénéficient d’une amnistie.2

A en croire ces faits qui nous sont rapportés sur l’expérience de l’utilisation du prêt à intérêt dans un espace privilégié du monde hellénistique, nous constatons l’existence historique d’un véritable régime fondé sur l’exploitation, l’oppression et l’avilissement de la personne humaine. Nous relevons essentiellement que le système du prêt à intérêt y concourt absolument et s’y présente comme un moyen parfaitement approprié et efficace. D’ailleurs, la réglementation du taux d’intérêt et le régime des banques, instrument de la collecte des revenus, sont cités parmi les principaux chefs sous lesquels se répartit la législation royale ptolémaïque. La banque a été l’instrument d’un perfectionnement du droit des obligations. Héritière en cela de la banque grecque du IVème siècle, ses livres font preuve des transactions et particulièrement des paiements effectués par son intermédiaire. On note cependant que le droit de l’Égypte hellénistique a dû constituer une masse d’autant plus considérable que certaines dispositions, comme la prohibition de l’exécution personnelle pour dettes privées, n’étaient pas respectées et devaient être rappelées maintes fois.3

1 C. PREAUX, Le monde hellénistique : la Grèce et l’Orient (323-146 av. J.-C), Tome I, ouvrage cité, p. 371.

2 Idem, p. 392.

3 C. PREAUX, Le monde hellénistique : la Grèce et l’Orient (323-146 av. J.-C), Tome II, 2ème édition, P.U.F.,

Section 4- L’antiquité grecque, une philosophie et une sagesse contre