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CHAPITRE 3. L’éducation scolaire des Nunavimmiut

3.1 L’éducation scolaire : les écoles fédérales et provinciales

3.1.1 Le système scolaire fédéral

Selon Scott McLean (1995, 194), l’implantation d’un système scolaire en Arctique canadien découlait d’un processus plus large de construction de l’État. Grâce à la mise en place d’institutions d’administration et de gouvernance, le Canada était dorénavant en mesure de soutenir une telle initiative. McLean (1995, 182-183) rapporte en ce sens que Jenness avait tenté dès les années 1920 et 1930 de faire valoir la pertinence de scolariser les Inuit, mais que ses arguments n’avaient pas mené à des actions gouvernementales. L’hypothèse de McLean (1995) est qu’à cette époque, le gouvernement n’avait pas les structures requises sur le territoire arctique pour mener cette entreprise. Par exemple, les missionnaires et les agents des postes de traite constituaient la seule population euro- canadienne et la Gendarmerie royale y était la seule présence officielle représentant l’État canadien. De plus, le gouvernement canadien considérait comme un problème la faible densité de population de l’Arctique et le mode de vie nomade des Inuit sur ce grand territoire (Vick-Westgate, 2002, 56). McLean (1995, 191) ajoute même qu’avant les années 1940, le gouvernement fédéral n’avait tout simplement pas d’intérêt à mettre en place un système d’éducation, puisque la préservation du mode de vie se présentait selon lui comme la voie la plus avantageuse pour les Inuit.

La thèse de McLean confirme que c’est dans la conjoncture exposée au chapitre 1, amalgamant des conditions géopolitiques et des obligations d’assistance sociale envers la population, que le gouvernement canadien a implanté des structures permanentes en Arctique. Ces structures ont favorisé la mise en place d’un système scolaire. L’éducation scolaire devint alors la voie promue par le gouvernement canadien pour amener les Inuit à faire leur entrée dans la modernité (McLean, 1995, 191). Dans ce contexte, nul besoin de repenser les programmes pour qu’ils correspondent à la culture des Inuit et qu’ils soient pertinents pour eux. Il suffisait d’importer les programmes scolaires proposés aux élèves du reste du pays.

Photo 11 : Classe du dispensaire, Inukjuak, 1940

Source : Margery Hinds collection, Vick-Westgate, 2002, 47

Les visées assimilatrices de l’État envers les Inuit ont été clairement démontrées dans le rapport Berger (2006)25. Ce document déclarait ouvertement qu’au moyen d’un tel

processus, les Inuit allaient devenir une force de travail canadienne (Coldevin et Wilson, 1982, 30). Le prétexte que les Inuit avaient un rôle à jouer dans le développement économique du nord est devenu la justification pour augmenter leur niveau de compétence selon les critères du sud, ce qui devait augmenter leurs chances d’obtenir un emploi rémunéré.

L’État canadien comptait dorénavant intégrer les Inuit à la société sous le principe de l’égalité des chances. L’éducation en constituait le moyen (Gauthier, 1989, 64). À cet effet, les enseignants et autres acteurs de l’éducation scolaire promettaient aux Inuit que la scolarisation allait préparer les élèves à travailler dans le système économique occidental. Les parents migraient alors vers les villages sédentaires pour que leurs enfants puissent

25 Le rapport produit par Thomas Berger concerne les revendications territoriales des Inuit du Nunavut. Dans

les sections sur l’éducation et la langue il reconnaît par exemple que le Canada a tenté d’imposer la scolarisation en anglais uniquement, portant atteinte à la transmission de l’inuktitut. De surcroît, il soutient que les écoles résidentielles ont détachés les enfants de leur culture. C’est dans ce contexte qu’il qualifie le modèle éducatif canadien de ces années-là d’assimilationiste. Pour consulter ce rapport en ligne, consultez le site web suivant : https://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100030982/1100100030985#chp5.

bénéficier de ces perspectives, bien que sceptiques (Vick-Westgate, 2002, 38). De plus, la fréquentation des écoles jouait un rôle décisif dans la délivrance des allocations familiales et de l’aide sociale (ibid.). Pour recevoir cette aide, les parents devaient envoyer leurs enfants dans les écoles fédérales jusqu’à l’âge de 16 ans (Lachance, 2005). Cela signifiait qu’ils devaient soit : 1) abandonner leurs enfants durant la période scolaire, ou; 2) se sédentariser pour rester auprès d’eux lorsque cela était possible.

À cette époque, certains Inuit en sont venus à penser qu’il serait préférable pour leurs enfants de ressembler davantage aux Qallunaat (Blancs). Ces derniers semblaient avoir de meilleures conditions de vie qu’eux. D’autres ont cependant résisté à l’imposition de ces changements. Toutefois, peu importe les opinions des Inuit, le système scolaire canadien, à la fois assimilationniste et paternaliste, s’était implanté pratiquement partout dans l’Arctique canadien à la fin des années 1950 (McGregor, 2010, 55). Plusieurs résidences ont été construites près de ces écoles pour y loger les élèves des régions plus éloignées où il n’y avait pas d’établissement scolaire (Macpherson, 1991, cité dans White et al., 2009, 22). La formule des écoles résidentielles était encouragée par endroits et justifiée du fait qu’elle pouvait permettre aux parents de maintenir leur mode de vie nomade pendant que leurs enfants allaient à l’école. Par exemple, Eva Deer raconte dans sa biographie que ses parents sont restés semi-nomades alors qu’elle étudiait et habitait à Kangirsuk. « Après avoir passé l’automne à un endroit ou à un autre, mes parents s’installèrent à Tasirjuakuluk à l’arrivée de l’hiver, quand il fut à nouveau possible de se déplacer en traîneau à chiens. Pendant ce temps, je demeurais à Kangirsuk pour y étudier. Puisque ma famille n’avait pas encore déménagé dans cette communauté, j’ai d’abord habité, avec d’autres enfants, le foyer réservé aux écoliers » (Dorais, 2015, 44). Or, les parents trouvaient difficile d’être loin de leurs enfants et aboutissaient souvent dans les villages permanents (Vick-Westgate, 2002, 52).

Les écoles résidentielles, dont le tragique des sévices que les élèves y ont vécus, ont marqué la vie des Inuit et notre histoire. En effet, dans la mise sur pied du système d’éducation du nord, les pensionnats 26 représentent l’une des entreprises

gouvernementales dont les conséquences sont les plus marquantes pour les sociétés inuit. Les Nunavimmiut qui ont connu ces pensionnats sont principalement les habitants de Kuujjuaraapik et d’Inukjuak. Les autres élèves étaient plutôt logés dans des résidences

26 Pour plus de détails sur l’expérience des Inuit dans les pensionnats canadiens, voir le volume 2 du rapport

scolaires appelées hostels. Situées dans les villages inuit, ces résidences étaient généralement tenues par des Inuit et les enfants y étaient libres de visiter les familles du village. Pour leur part, l’école de Métier de Churchill et celle de Kuujjuaraapik n’étaient pas des pensionnats à proprement parler (Dorais, communication personnelle, 24 janvier 2017). Or, quelle qu’en soit la forme, la séparation des enfants d’avec leur famille en raison de la scolarisation eut des conséquences desquelles les jeunes générations subissent encore les contrecoups. Cela a créé un fossé entre les Inuit d’une même communauté, voire d’une même famille (GTÉN, 1992, 12).

La première école fédérale au Nunavik a été mise en place à Inukjuak, sur la côte de la baie d’Hudson. Les enfants, qui avaient d’abord l’habitude de se rendre au dispensaire tous les matins pour recevoir de la nourriture dans le cadre d’un programme de nutrition, y apprenaient la lecture, l’écriture et les mathématiques avec l’infirmière locale (Vick- Westgate, 2002, 47). Le contenu proposé par la suite par le sous-comité sur l’éducation des « Eskimo », mis sur pied en 1952 et composé de missionnaires chrétiens et de représentants des Affaires indiennes du Canada, reprenait ces éléments, mais les complétait avec des notions d’hygiène, de sciences naturelles et de géographie. Néanmoins, on jugeait pertinent pour les élèves de maintenir l’apprentissage de compétences manuelles telles que la couture et l’artisanat (ibid., 51).

À l’époque, les programmes offerts étaient basés sur ceux de la Commission scolaire protestante du Québec (ibid., 54). On n’y enseignait ni l’inuktitut, ni la culture inuit, ni le français (CSK, 1985, 6). L’école se faisait en anglais depuis les années 1950. En conséquence, même si les enfants inuit parlaient encore l’inuktitut, l’écriture syllabique se perdait, puisqu’elle n’était plus transmise par l’école et les parents (Louis-Jacques Dorais, communication personnelle, 24 janvier 2017). Par conséquent, leur implantation s’effectuait au détriment de la langue, des pratiques et de la culture des Inuit. Par exemple, le calendrier scolaire et le mode de vie inuit posaient de nombreux problèmes. Le climat, le cycle des saisons et les activités liées à la chasse et au mouvement du gibier constituaient des éléments de nature culturelle et écologique en contradiction avec ce calendrier scolaire, ce qui se reflétait notamment sur le taux d’absentéisme en classe.

Les écoles présentes en Arctique et au Nunavik n’offraient de l’enseignement qu’au niveau primaire. Dans les plus petits villages, là où il n’y avait qu’un seul enseignant, ce dernier devait enseigner tous les niveaux, de la première à la sixième année (Dorais,

communication personnelle, 24 janvier 2017). Aucune formation secondaire n’était dispensée sur le territoire. Celles et ceux considérés comme particulièrement intelligents étaient incités à se rendre dans une région plus au sud pour avoir accès aux cycles plus avancés (Vick-Westgate, 2002, 54; Gauthier, 1989, 64). Or cela n’était généralement pas l’issue d’une décision délibérée, mais bien d’une voie que l’on avait tracée pour eux, comme en témoigne cet extrait du mémoire de Betsy Annahatak :

I remember my childhood years when we were still living in our seasonal camps near the village of Kangirsuk, situated in the northern part of Quebec about 1,000 miles north of Montreal. Our camp consisted of several households of families. In the spring we moved out towards the seacoast for the seal-hunting season. In the fall we moved back to our winter camps. I was nine years old when my sister, my brother and I were placed in the village for schooling. Our families continued to live in camps for two years before they moved to Kangirsuk. Thus came the start of settlement life. […] We had been living and going to school in the community for five years, when again my sister and I had to leave our family for schooling. But this time it was so very far I remember being sick from being homesick. The government of Canada had put up a vocational school in Fort Churchill, Manitoba for Inuit from all across the Canadian North. It was a three-year program to prepare Inuit students for jobs and also to prepare students for further schooling in southern Canada. After a three years of schooling I was sent again to Ottawa for further schooling.

Annahatak, 1998, 1-2

Toutefois, pour d’autres, l’éducation scolaire faisait l’objet d’une décision éclairée. Les expériences des Inuit avec le système d’éducation fédéral sont variées et certains souhaitaient même y prendre part. C’est justement ce que me confiait une Inuk lors d’une entrevue menée dans le village d’Inukjuak en 2012 :

When I went to school in the 60’s we only had up to grade seven. If you wanted to go to high school you had to leave Inukjuak. So they were going to Churchill, Manitoba. And my older sister went, was already going there… and my mother, when it was time for me she said no, you’re not going. So I started to work as a teacher aid, and I was only fourteen. I taught after that. I went to Ontario to learn to be the teacher’s aid, so I started to help the teacher. I started to teach and help the teacher when I was fifteen, and my mother won’t let me leave Inukjuak. So I taught for a few years and I was not happy with my education. So I asked my mother again, can I go to Churchill, I want to have more education. Finally she said ok, but I went for only one year, and then I taught again, I went back to teaching. I taught here and in Puvirnituq. And then I went back to school again, I went to Ottawa for two years this time. Humm…after that…humm…I came back and I got involved with teaching once again and I started going to administration. First I was the secretary and then I

was hired to be the centre director. I was the centre director when they were building the school. We had a very small office. It’s no longer there, it’s gone.

I-1, Inukjuak, 2012

Cette citation illustre que l’éducation scolaire trouvait une certaine forme de pertinence pour quelques Inuit. Elle démontre que le rapport qu’entretenaient ces derniers avec l’éducation fédérale n’était pas uniforme, sans que cela n’amenuise la portée des impacts de l’obstruction causée par cette forme d’éducation dans la mise en œuvre de la leur. En effet, à ce contexte sensible et délicat dans lequel s’opérait l’éducation scolaire s’ajoutait l’ignorance du personnel des écoles sur les Inuit et le nord. À cette époque, les enseignants qui arrivaient en Arctique n’avaient aucune qualification particulière. Aucune règle précise ne leur était prescrite concernant le matériel scolaire à utiliser ou encore sur la durée d’une journée d’école. La forme que prenait leur travail pouvait être aussi variable que le nombre d’enseignants dans l’école. D’ailleurs, les premiers à arriver dans le nord avaient plus de responsabilités que leur charge d’enseignement. Parfois, les seuls agents du gouvernement dans les villages, ils devaient alors prendre en charge l’administration des différents programmes fédéraux (Vick-Westgate, 2002, 48). Il n’était d’ailleurs pas rare que des Inuit jouent un rôle de conseillers auprès des enseignants. En effet, les Inuit pouvaient trouver de l’emploi rémunéré dans les écoles, notamment à titre de concierges, ou encore en fournissant de l’aide avec l’inuktitut, facilitant les communications entre les enseignants et les élèves. Ces employés inuit aidaient grandement, puisque les enseignants n’étaient pas familiarisés avec la langue et la culture (ibid., 56). Ainsi, tout comme l’exposait l’extrait de l’entrevue citée, non seulement certains souhaitaient recevoir cette éducation, mais d’autres voulaient bien y travailler.

En effet, il ne faut pas se méprendre. Les Inuit ne sont pas restés passifs dans ce processus imposé. Au contraire, l’ignorance dont faisaient preuve les agents du système d’éducation constituait un levier pour négocier une forme d’adaptation du système à la réalité quotidienne des Inuit. Par exemple, ceux qui étaient employés par l’école pouvaient influencer les façons de faire des enseignants. Vick-Westagte (2002, 50) relate en ce sens l’histoire d’un Inuk qui a emmené une enseignante en classe un samedi, alors qu’il n’était pas d’usage, voire impensable, d’enseigner la fin de semaine. Il lui a expliqué qu’en ce samedi la météo n’était pas favorable et que c’était donc un bon jour pour se rendre à l’école. En revanche, peut-être que le prochain mardi serait une belle journée pour la chasse et que les Inuit ne verraient aucune raison valable d’envoyer leurs enfants à

l’école. Par ce genre d’influence, les Inuit ont pu, en quelque sorte, agir sur la forme scolaire qui leur était alors imposée.

Or cette mince marge de manœuvre ne suffisait pas pour empêcher le système d’éducation de créer un fossé entre les générations. En faisant de l’anglais l’unique langue d’enseignement et en rejetant la pertinence de la culture inuit dans un système scolaire qui proposait plutôt l’assimilation, le gouvernement fédéral a grandement fragilisé le peuple inuit. Les écoles fédérales du Nunavik furent en activité sur le territoire jusque dans les années 1970 (Vick-Westgate, 2002, 56). Durant cette période, la scolarisation a infligé une rupture avec l’éducation inuit et ébranlé la confiance des Inuit envers leur culture, mais surtout leur connaissance de celle-ci. Pour sa part, le gouvernement provincial appliqua une autre approche. Cette dernière constitue d’ailleurs les assises sur lesquelles repose le système d’éducation scolaire de la CSK. La province se trouvait elle-même dans un profond changement et en pleine période de revendications culturelles et linguistiques de la part de sa majorité francophone, toutefois minoritaire au pays.

3.1.2 La Commission scolaire du Nouveau-Québec : le système d’éducation