• Aucun résultat trouvé

Du programme « Exploration et intégration – Inuit » du cégep Marie-Victorin au

CHAPITRE 4. L’éducation postsecondaire des Inuit du Nunavik

4.2 L’éducation postsecondaire : évolution d’un service

4.2.2 Du programme « Exploration et intégration – Inuit » du cégep Marie-Victorin au

Ce n’est que depuis le début des années 1990 que les Nunavimmiut entreprennent des études collégiales et diplôment en français (SEP-1, Montréal, 2012). Depuis 1991, ils étudiaient pour la plupart au cégep Marie-Victorin situé à Montréal (CMV, 2007). Le choix de cet établissement d’enseignement découlait du désir d’avoir des résidences à proximité pour les étudiants inuit. Le cégep Marie-Victorin (CMV) offrait cette commodité contrairement à d’autres cégeps montréalais et il était enclin à mettre en place des mesures de soutien aux étudiants de la CSK (SEP-5, Montréal, 2012). Au tout début, les étudiants suivaient les cours de la formation régulière, mais un conseiller pédagogique de la CSK pouvait les accompagner en classe afin, tout comme pour le secteur anglophone,

44 Pour plus d’information à ce sujet, consulter le site web du collège John Abbott : http://www.johnabbott.qc.ca/services-to-students/aboriginal-resource-centre/

45 De façon générale, ceux qui choisissent d’autres collèges le font parce que le programme dans lequel ils

souhaitent étudier n’est pas offert au Collège John Abbott. C’est le cas des formations spécifiques, comme celle pour les pilotes d’avions.

de mieux les soutenir par la suite. Les étudiants bénéficiaient également de tutorat et de périodes d’études supervisées obligatoires. Malgré cela, dès les débuts, les différents intervenants impliqués dans le parcours postsecondaire des Inuit se sont questionnés à savoir si ces étudiants bénéficiaient d’une mise à niveau scolaire suffisante et d’un soutien adéquat dans leur transition à la fois scolaire et culturelle. En effet, les premiers étudiants de la CSK du secteur francophone n’avaient pas connu beaucoup de succès dans leurs études (SEP-5, Montréal, 2012).

Photo 14 : Anciens étudiants du cégep Marie-Victorin

Source : Nunatsiaq News, 21 octobre 2010.

Selon l’un des conseillers pédagogiques présents à l’époque, les cours de français et de philosophie s’avéraient particulièrement difficiles pour les étudiants inuit, mais la réussite des cours n’était pas le seul enjeu qui préoccupait la CSK. Dans les circonstances, le SEP, en collaboration avec le CMV, a élaboré un programme de formation qu’il jugeait davantage adapté aux besoins des étudiants du Nunavik. Conformément à l’article 3 de la Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel du Règlement sur le régime des études collégiales du Québec, le SEP et le CMV ont pu proposer des activités de mise à niveau pour répondre spécifiquement à ces besoins identifiés. D’une part, l’objectif était d’effectuer une transition plus lente vers la formation régulière, plutôt que de passer directement du secondaire dans les programmes réguliers. D’autre part, par cette même occasion, la CSK souhaitait qu’on intègre un souci culturel à la formation. C’est ainsi que

le programme « Exploration et intégration – Inuit »46 a vu le jour en 1994. Le ministère

responsable de l’éducation au Québec l’a reconnu à partir de 1996. Ce programme proposait une démarche en deux temps s’amorçant avec une première étape d’accueil et d’exploration, et une seconde, d’intégration dans les programmes. La réflexion entourant sa création était nourrie par le désir de proposer une période transitoire au cours de laquelle les Inuit ne seraient qu’entre eux (CMV, 2007, 7). Par cette première étape, le SEP et le CMV croyaient que la transition entre le secondaire et le cégep serait plus douce pour les étudiants de la CSK (SEP-5, Montréal 2012).

Afin d’inclure un souci culturel, le programme a intégré dès le départ des cours d’inuktitut obligatoires. Or les difficultés à trouver des enseignants ne permettaient pas toujours d’offrir cette option, qui autrement était remplacée par l’anglais langue seconde. Les cours de philosophie ont également été remplacés par des cours de culture inuit conçus dans une perspective anthropologique. Les motivations derrière cette proposition ne visaient pas à rendre les étudiants encore plus inuit, mais plutôt à leur permettre de développer des compétences encore incomplètes à partir de contenus qu’ils connaissaient (CMV-1, Montréal, 2012). Un projet personnel a de plus été ajouté à la plage horaire des étudiants afin de leur permettre, dans une approche d’apprentissage par projet47, de mettre en

pratique les apprentissages issus de leur culture. En 1994, les étudiants de la CSK publiaient même un journal en inuktitut, le Sivunitsavut.

Dans cette logique, le programme « Exploration et intégration – Inuit » proposait une première année où les Inuit étaient uniquement entre eux dans tous les cours, à l’exception des cours d’éducation physique. Lors de la deuxième année, ils migraient graduellement dans les cours de programmes réguliers. Ils terminaient finalement leurs études dans les cours du programme qu’ils avaient choisi avec l’ensemble des étudiants du cégep. Pendant ces années d’intégration, ils suivaient des cours de mise à niveau en français, des cours de culture inuit (1- Fondements de la culture inuit48, 2- Culture et

46 Pour plus d’information sur le programme, consulter le site web : http://inuits.collegemv.qc.ca/. Toutefois, il

est possible que ce site devienne inactif, puisqu’au terme de l’année scolaire 2016-2017, il n’y aura plus de programme spécifique aux étudiants inuit au cégep Marie-Victorin.

47 L’approche par projet postule que l’apprentissage est plus significatif lorsqu’il est expérimenté. Pour ce faire,

il faut susciter, dans un processus continu, la curiosité, la créativité et l’initiative des étudiants en leur offrant des activités au sein desquelles ils pourront explorer, manipuler et résoudre des problèmes. De cette façon, ils construisent eux-mêmes leurs connaissances, en fonction de leurs intérêts et de leur rythme personnel. Pour découvrir plus amplement cette approche, voir notamment l’article de Talbot intitulé « L’enseignement par projet » (1990).

48 L’intitulé de ce cours a, dans la dernière année du programme, été modifié pour « Évolution humaine et

traditions inuit, 3- Cultures et enjeux du temps présent), un cours de méthodologie du travail intellectuel, deux cours d’inuktitut ou d’anglais langue seconde, deux cours d’éducation physique et finalement, deux cours complémentaires, dont le premier leur était spécifiquement adressé. Au départ, ce premier cours complémentaire était un cours d’informatique, puisque les étudiants n’avaient pas accès aux ordinateurs au Nunavik (SEP-5, Montréal, 2012). Plus récemment, ils eurent le choix entre deux ou trois options. Par exemple, en 2012, ils ont choisi de suivre le cours « L’Univers, la vie, l’humain ».

Dans le cadre de ce programme, les cours d’inuktitut, lorsqu’ils étaient offerts, remplaçaient les cours de langue seconde normalement donnés dans le cadre de la formation régulière. Pour leur part, les cours de culture inuit prenaient la place des cours de philosophie, qui font habituellement partie de la formation générale, c’est-à-dire de l’ensemble des cours obligatoires pour les étudiants visant l’obtention d’un DEC, et ce, peu importe le programme. Le ministère responsable de l’éducation au Québec finançait également, dans le cadre de ce programme, les tuteurs responsables des périodes d’études obligatoires destinées aux étudiants inuit.

Le corps professoral du programme d’intégration provenait du CMV. L’enseignant qui donnait les cours de mise à niveau était choisi en fonction de l’ancienneté dans le personnel du Département de français. Les enseignants des cours de culture inuit, de méthodologie et des cours complémentaires provenaient de la banque de chargés de cours de la Formation continue et du service aux entreprises du CMV. En effet, pour des raisons administratives, le programme « Exploration et intégration – Inuit » était, dans les dernières années, géré par la formation continue et le service aux entreprises49 du CMV,

mais les étudiants transitaient toujours vers les programmes de la formation régulière pour l’obtention de leur diplôme. Malgré cela, les responsables du programme au CMV sélectionnaient des candidats qui comprenaient que la façon d’enseigner est déterminante pour les étudiants inuit. Il était important pour le CMV que ces chargés de cours acceptent que les cours magistraux ne sont pas efficaces auprès des Inuit et que la réussite scolaire de ces élèves n’est pas la réussite absolue (CMV-1, Montréal, 2012). En effet, un membre du personnel du SEP me confiait que, selon son expérience, la réussite est bien différente

49 La formation continue est le secteur d’activités collégiales qui s’adresse aux adultes, dont ceux qui occupent

déjà un emploi et qui voudraient parfaire leur formation scolaire. Elle vise ainsi à répondre aux besoins des Québécois et des entreprises. Pour en savoir davantage sur ce type de formation, visitez le site de la Fédération des cégep : http://www.fedecegeps.qc.ca/cegeps/formation-continue/.

pour chacun des étudiants et que l’on ne peut présumer qu’elle se résume à l’évaluation de critères scolaires (SEP-2, Montréal, 2012).

En plus du personnel enseignant, même si le SEP est basé à Sainte-Anne-de-Bellevue, les étudiants inscrits au programme du cégep Marie-Victorin bénéficiaient localement du soutien de deux conseillers pédagogiques de la CSK, tant dans les sphères personnelles et administratives, que scolaires. Ces conseillers étaient responsables d’administrer les différentes mesures de soutien offertes par la CSK, dont le logement, les allocations, les frais de déplacement, les activités sociales, etc., ainsi que le soutien scolaire. La CSK finançait toutes ces mesures non incluses au sein du programme pour lequel le CMV recevait du financement pour les étudiants inuit.

Avant de devenir un programme officiel, « Exploration et intégration – Inuit » a été un projet pilote, reconduit deux fois sur une période de dix ans. L’un des administrateurs du programme me confiait en entrevue qu’on a dû démontrer aux personnes mandatées par le ministère responsable de l’éducation que son succès ne se mesurait pas en taux de diplomation. Le succès se reconnaissait plutôt par les taux de succès professionnel de ceux qui y avaient participé, et ce, avec ou sans diplôme obtenu. Selon lui, ce n’était donc pas l’obtention du diplôme qui était mise de l’avant, bien qu’elle soit souhaitée. L’objectif était d’abord de donner accès aux études postsecondaires. Le programme devait tout de même respecter les devis ministériels, les plans-cadres, les compétences, etc. En somme, les exigences du collégial devaient être maintenues ainsi que la Politique d’évaluation des apprentissages dont s’était doté le collège (CMV-1, Montréal, 2012).