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CHAPITRE 1. Les Inuit du Nunavik

1.5 Les Nunavimmiut, un peuple arctique

Carte 3 : Région circumpolaire-nord

Source : L’Atlas du Canada, Ressources Naturelles :

http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosclim1/motscles/Images/arctique.html, consulté en septembre 2016

Bien que la culture des Inuit ait évolué et se soit diversifiée au fil du temps et de leurs déploiements migratoires, qu’ils habitent l’Alaska, le Groenland, le Nunavut, le Nunatsiavut ou le Nunavik, ils demeurent tous étroitement liés. Ils ont certes des ancêtres communs, mais ils partagent toujours plusieurs composantes de cette culture qu’ils défendent aujourd’hui en plus d’être confrontés à des enjeux sociaux, économiques et culturels

18 Lors d’une rencontre dans les bureaux de Makivik avec les étudiants inuit du collège Marie-Victorin, Minnie

Grey et Harry Tulugak répondaient à leurs questions sur le projet de gourvernement et les résultats du référendum. Les étudiants leur partageaient que les gens de leurs villages ne se sentaient pas suffisamment bien informés pour prendre une telle décision. Grey et Tulugak ont confirmé aux étudiants que cette hypothèse semblait avoir joué un rôle important dans l’opposition de la population du Nunavik au projet de gouvernement régional. Cette visite dans les bureaux de Makivik est documentée dans l’édition d’Automne-Hiver 2011-2012 du Makivik Magazine (90-91).

similaires. Ainsi, depuis 1977, la voie unifiée des Inuit est portée par le Conseil circumpolaire inuit19 (CCI). Cette organisation témoigne de leurs positions sur les enjeux

auxquels ils sont confrontés au sein des nations qui les ont incorporés. Le CCI a pour mission de faire valoir et de renforcer l’unité entre les Inuit de la région circumpolaire. À ces fins, il se dédie à promouvoir leurs droits et intérêts à l’échelle internationale, ainsi qu’à développer et à encourager des politiques protectrices de l’environnement qu’ils habitent, en plus de militer pour leur permettre de prendre activement part aux décisions économiques, politiques et sociales qui les concernent. De cette façon, les Inuit s’unissent depuis la fin des années 1970 en tant que communauté partageant certes l’héritage du passé, mais aussi une destinée commune.

Cette destinée commune que les Nunavimmiut partagent à l’échelle internationale au sein du CCI, fait également écho à l’intérieur des frontières nationales. Au Canada, les Inuit habitent quatre territoires ayant des statuts politiques différents : le Nunavut (territoire reconnu depuis 1999), le Nunavik (signataire de la CBJNQ en 1975), le Nunatsiavut (gouvernement ethnique autonome depuis 2005) et la région des Territoires du Nord- Ouest peuplée par les Inuvialuit. Ainsi fragmentés à l’intérieur du pays selon un découpage territorial sans aucun égard pour leurs conceptions du monde, les Inuit ont vu leurs destinées emprunter des tournants singuliers. Malgré tout, leurs liens identitaires se sont maintenus et leurs revendications politiques, sociales et culturelles se répercutent à l’extérieur de ces frontières intra-nationales édictées. Ainsi, au sein de la société canadienne, les Inuit partagent une identité qui leur est propre (Dorais, 2010a, 101-102)

À cet effet, l’organisation inuit canadienne Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), anciennement Inuit Tapirisat of Canada, a vu le jour en 1971. Elle unit les Inuit canadiens dans leurs revendications en matière d’autonomie, d’autodétermination et de revendications territoriales, mais aussi valorise l’identité, la langue et la culture partagées par l’ensemble des Inuit du Canada. Elle porte d’ailleurs depuis 2011 la Stratégie nationale sur la scolarisation des Inuit. Cet effort constitue le projet d’éducation scolaire que les Inuit canadiens, pour la première fois réunis dans une initiative commune en matière d’éducation, souhaitent concrétiser pour leurs enfants et les générations futures. Bien que l’éducation au Canada soit une compétence provinciale et non fédérale, cette stratégie

19 Pour en apprendre davantage sur le Conseil circumpolaire inuit, consulter le site web suivant :

constitue un cadre de référence en mesure de transcender ces délimitations politiques et de se déployer dans les différents ministères provinciaux qui les portent.

Les Nunavimmiut partagent certes une communauté, qu’Anderson (1991) qualifierait d’imaginée, avec les autres Inuit du Canada, ainsi qu’avec ceux qui forment le CCI. Toutefois, ils ont également accepté de prendre part aux sociétés québécoise et canadienne. Ils valorisent aujourd’hui les emplois, la scolarisation et l’apprentissage d’une langue seconde (Dorais, 2010a, 104). Dans leur désir d’autodétermination, ils ne demandent pas nécessairement à quitter le pays, mais souhaitent davantage d’autonomie et de contrôle sur leur destinée. Ils aspirent au respect de leurs valeurs, de leur culture et de leur identité au sein de la société. En effet, comme je viens de l’exposer, d’abord au gré de rencontres sporadiques, ensuite des logiques colonisatrices et finalement par l’ingérence soudaine et violente de la part des gouvernements fédéral et provincial envers ces citoyens qu’ils avaient jusqu’alors à peine reconnus du bout des lèvres, l’intégrité des sociétés inuit a sérieusement été affectée. Toutefois, ces efforts d’assimilation n’ont pas eu raison de leur culture et de leur identité. Grâce à la résilience qu’on leur reconnaît, ils ont su s’adapter à ces bouleversements.

Dans cette nouvelle trajectoire où ils se sont engagés, ils ont choisi de s’approprier le monde occidental au cœur duquel ils ont été catapultés et qu’ils ne peuvent plus ignorer. Ils ont choisi de se familiariser avec ce nouveau mode de vie imposé par la majorité, alors que cette dernière s’est entêtée à ignorer leur culture et leur identité. Dans ce contexte au sein duquel les Inuit tentent de prendre la place qui leur revient, l’éducation scolaire a incontestablement un rôle à jouer. Dans ce rôle que la scolarisation peut jouer réside justement une occasion de reconnaître et de valoriser les Inuit. Dans cette volonté d’être reconnus en tant que peuple, les Inuit s’unissent au-delà des frontières territoriales.

Conclusion : Définir sa place dans le monde

Selon Brayboy (2005, 436), l’expression du pouvoir passe par l’habilité d’un peuple à définir sa place dans le monde. Cette habilité peut sans contredit se baser sur des savoirs à la fois autochtones et européens. Ce pouvoir s’exercerait notamment dans les sphères identitaire et culturelle. L’exercice de celui-ci s’exprimerait par exemple dans la possibilité d’un peuple à être autonome, ainsi que dans la liberté de celui-ci à se gouverner et à être maître de son éducation. Brayboy (2005) soutient également que la culture est à la base du savoir; c’est justement ce savoir qui mène à l’expression du pouvoir. Si l’on brime la

culture, l’habileté à définir sa place dans le monde en est affectée et l’expression du pouvoir s’en trouve amoindrie, voire annihilée.

Par ce premier chapitre, je souhaitais que le lecteur puisse se familiariser avec les Inuit du Nunavik en présentant quelques faits de leur histoire, incluant leur intégration au sein du Québec et du Canada. Parallèlement, j’exposais dans ces lignes la façon dont les gouvernements ont porté atteinte à leur capacité à définir leur place dans le monde. Les écrits d’où émane le contenu de ce premier chapitre ont servi à exposer le contexte au sein duquel, longtemps après leurs premières rencontres avec les Européens, les Nunavimmiut ont été en mesure d’exercer un certain pouvoir sur leur destinée, même si des changements sociaux et culturels s’opéraient à la suite de ces rencontres. Cet exercice du pouvoir s’est notamment manifesté lors de l’appropriation de la religion chrétienne (1.2.2) ou dans les modifications apportées à certaines de leurs habitudes de chasse (1.2.1). Cependant, ils ont perdu l’entièreté de cette habileté lorsque les politiques du gouvernement fédéral leur ont été imposées dans les années 1950. La perte de pouvoirs et la sédentarisation ont eu de graves conséquences dans plusieurs sphères de leur vie (1.3.2). Néanmoins, loin de rester passifs devant les événements, les Nunavimmiut tentent, depuis les cinquante dernières années, de regagner ces pouvoirs. De plus, au sein du CCI, ils retrouvent cette identité et cette culture à laquelle ils appartiennent et selon laquelle ils se définissent toujours. À l’intérieur comme à l’extérieur des frontières des territoires nationaux qu’ils habitent, ils se définissent toujours comme un peuple inuit.

Toutefois, cette réappropriation de leur capacité à définir leur place dans le monde ne s’opère pas sans défis. Le quotidien des Inuit du Nunavik s’inscrit toujours dans une dynamique de domination politique au sein du Québec et du Canada. Ils n’ont toujours pas le plein pouvoir sur leur destinée, et ce, malgré leur droit d’administrer certaines sphères d’activité dans leur région. Or, si le contrôle de son éducation constitue l’une des voies par lesquelles un peuple peut asseoir son autonomie et son habileté à définir sa position dans le monde, il s’agit également d’un domaine clé permettant de comprendre la place dont les Inuit disposent pour se définir en tant que peuple dans la société québécoise et canadienne. Ainsi, l’espace qui leur est imparti dans le système d’éducation accroît notre compréhension de leur marge de manœuvre vis-à-vis du pouvoir, ce dernier étant conçu selon les termes de Brayboy (2005). La suite de cette thèse propose une réflexion sur cet enjeu en l’examinant sous le prisme de l’éducation scolaire, plus précisément en contexte

d’éducation postsecondaire. Il s’agit en effet d’une étape charnière, puisque les Inuit la considèrent comme indispensable à l’achèvement de leurs ambitions politiques et territoriales.

PREMIÈRE PARTIE

L’éducation au Nunavik

L’éducation émerge d’un incessant dialogue entre enseigner et apprendre. Elle porte à la fois en elle l’acte de transmettre et celui de recevoir. Dans les deux cas, ces actions ne sont pas apathiques. Celui qui transmet le fait en fonction de ce qu’il connaît, de son interprétation de ce qui lui a été enseigné et de ce qu’il croit qu’il faut dire ou faire. Celui qui enseigne ne le fait pas nécessairement dans un acte délibéré ou intentionnel, il arrive que l’enseignement soit fortuit. Celui qui apprend sélectionne ce qui l’intéresse, ce qu’il juge utile ou ce qu’il croit devoir savoir. Il s’approprie ainsi les connaissances et les façons de faire qu’il aura la possibilité de mobiliser et de mettre en œuvre dans différents contextes. L’éducation prépare les individus à acquérir et à développer les compétences, les habiletés, les savoirs, les valeurs et la compréhension de la culture dont ils ont besoin pour participer adéquatement à leur société.

L’éducation se pose également comme un projet culturel, économique, politique et social. Sa neutralité est illusoire. Elle maintient une certaine forme d’ordre et de cohésion sociale grâce au partage d’un bagage commun qui est véhiculé et dans lequel chacun peut puiser. Lorsque le processus éducatif est bousculé, les sociétés et les cultures en sont inévitablement perturbées, puisque l’éducation a pour but d’assurer leur pérennité. Avec la construction des États-Nations et la démocratisation de certaines sociétés, une forme spécifique d’éducation, la scolarisation, avec les visées modernisatrices qu’elle sous-tend, a certes bouleversé les pratiques, les valeurs et les croyances. Ces États-Nations espéraient que l’école facilite le développement économique tout en contribuant à la reproduction des sociétés (Lê Thânh Khôi, 1999, 578). Toutefois, avec la globalisation de la scolarisation, il apparaît juste de se demander de quelles sociétés elle assure la reproduction. Cette question est activement débattue par les penseurs de l’éducation comme je l’exposerai plus en détail dans la deuxième partie.

L’éducation comporte donc de multiples facettes et peut prendre différentes formes. Qualifiée de formelle, de non formelle ou d’informelle, de traditionnelle ou de moderne, ou encore de scolaire ou non, ces attributs ne sont que des façons de catégoriser son expression. L’éducation n’est pas un agencement de compartiments indépendants les uns des autres. Elle ne s’arrête pas à la sortie de l’école. C’est peut-être le cas pour sa forme scolaire, mais l’éducation en soi ne s’arrête pas brusquement. Dans les circonstances,

tenter de limiter l’apprentissage d’un élève au cadre scolaire est futile et penser que l’école aura transmis l’ensemble des connaissances que possède un individu est vain. L’éducation est plutôt un processus complexe, propre à toutes les sociétés humaines. Les différentes facettes de son expression ne peuvent être examinées isolément les unes des autres. Avec cette idée en tête, il est alors possible de mettre en lumière une seule des formes qu’elle prend.

Pour cette raison, le deuxième chapitre de cette thèse revêt une importance particulière. Il porte sur l’éducation inuit. Plusieurs ont été tentés de la qualifier de « traditionnelle » (Douglas, 1998; Targé, 2005). Néanmoins, je préfère éviter de lui attribuer un qualificatif d’une telle portée. La tradition est à mon avis trop souvent associée au passé. Au contraire, je préfère penser que l’éducation inuit n’a pas d’âge, pas de date et encore moins de date de péremption. Elle a sans contredit croisé la route de l’éducation scolaire occidentale et je suis tout à fait consciente que cette rencontre ne s’est pas faite sans heurts. Cependant, les discours sur les oppositions entre l’éducation scolaire et celle qui était d’usage dans la tradition inuit ne sont pas l’objet de ma thèse. Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas tant ses transformations, mais plutôt, à l’instar de Laugrand et Oosten (2009), ce qui constitue l’expression de l’éducation. Ce deuxième chapitre nous plonge dans la première partie de cette thèse, visant à présenter quelques principes de l’éducation inuit qui se manifestent aux côtés du système scolaire. Les Inuit continuent d’avoir ce dialogue incessant entre enseigner et apprendre, dont la neutralité est illusoire, et qui porte en lui la pérennité de leurs cultures et sociétés. Cela permettra ultérieurement d’apporter un éclairage différent sur certains aspects des expériences vécues par les étudiants postsecondaires du Nunavik, celles-ci ne se limitant pas à la réussite et à l’échec scolaires.

Dans le troisième chapitre de la thèse, second de cette partie, je m’attarderai à l’évolution du système scolaire au Nunavik. Je commencerai par décrire l’imposition de ce dernier par le gouvernement fédéral, puis par le gouvernement provincial, et je présenterai finalement son appropriation par les Nunavimmiut à la suite de la création de la CSK. Ce chapitre ne constitue pas l’aboutissement d’une démarche ethnohistorique. Il vise plutôt à exposer la forme que prend le système scolaire au sein duquel évoluent les étudiants du Nunavik. Cette mise en contexte est nécessaire pour bien comprendre le cadre dans lequel ces étudiants négocient leur parcours postsecondaire. Pour le lecteur qui souhaiterait approfondir cette question davantage, je suggère l’ouvrage d’Ann Vick-Westgate (2002)

qui porte sur l’appropriation du système scolaire au Nunavik, dont je ne reproduirai pas le travail, mais qui a grandement alimenté la sélection des éléments contenus dans ce chapitre.

Pour finir, le dernier chapitre de cette première partie cible l’objet particulier de la thèse, soit l’éducation postsecondaire des Inuit du Nunavik. Dans ce quatrième chapitre, je n’entre pas encore dans le registre de l’expérience, qui sera plutôt développé en troisième partie. Je me contenterai de présenter le contexte dans lequel les Inuit du Nunavik négocient leurs expériences postsecondaires. Passant d’un système scolaire administré par la CSK sur l’ensemble du territoire, les étudiants postsecondaires doivent par la suite quitter leur village pour aller s’intégrer dans les programmes du sud de la province. La destination privilégiée est alors Montréal. C’est là qu’ils bénéficieront de l’ensemble des mesures offertes pour les accompagner dans leur parcours. En effet, cette intégration est complexe et fait l’objet de nombreuses initiatives. Dans ce contexte, c’est le SEP qui sera présenté. Il propose les services dont les Inuit se sont dotés pour accompagner et soutenir les étudiants dans cette entreprise, au cours de laquelle ils doivent quitter le nord, leur famille et leur système scolaire.

Ces trois chapitres composent la première partie de ma thèse portant sur l’éducation au Nunavik. Les balises contextuelles requises pour amener le lecteur vers les repères conceptuels nécessaires à l’analyse y auront été posées. Je serai alors en mesure d’expliquer pourquoi le champ de l’anthropologie de l’éducation est celui que je privilégie pour examiner l’expérience postsecondaire des Inuit du Nunavik.