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CHAPITRE 4. L’éducation postsecondaire des Inuit du Nunavik

4.1 Le Service aux étudiants du postsecondaire

Jusqu’à la signature de la CBJNQ, l’éducation postsecondaire des Inuit du Nunavik était financée uniquement par des fonds fédéraux (Vick-Westgate, 2002, 261). En effet, comme je l’ai souligné dans le chapitre précédent, le gouvernement du Québec n’a assumé aucune responsabilité en matière d’éducation auprès de la population du Nunavik avant les années 1960. Cela incluait bien évidemment l’éducation postsecondaire, d’autant plus que la province était elle-même en période de grande réforme de son système d’éducation. Dans ce contexte, même si des initiatives d’éducation primaire ont été par la suite amorcées dans ce qui était alors le Nouveau-Québec, rien n’a été prévu pour les études postsecondaires. Conséquemment, c’est le gouvernement fédéral qui finançait l’éducation postsecondaire pour l’ensemble des Inuit du Canada, dont ceux du Nunavik.

La signature de la CBJNQ a certes permis à la CSK d’administrer l’éducation scolaire sur son territoire, mais cela ne lui conférait aucune autorité sur ce qui était proposé au sud de la province. Cela signifiait que les cycles d’études qui devaient être poursuivis en dehors du Nunavik étaient conformes aux programmes de la province et non à ceux développés par la CSK. Par exemple, un élève de la CSK qui, peu importe son cycle d’études, doit aller à l’école en dehors du Nunavik fera automatiquement sa formation dans les programmes du ministère responsable de l’éducation au Québec. Dans les circonstances, et puisque la CSK n’est pas mandatée pour administrer la formation postsecondaire, celle- ci se poursuit au sud avec les programmes de la majorité. Selon les modalités établies par la CSK et en fonction de l’entente mentionnée plus haut avec le gouvernement du Québec, les étudiants doivent choisir les établissements d’enseignement postsecondaire en fonction des critères suivants :

Le candidat, de concert avec un conseiller des Services aux étudiants du postsecondaire, choisira le programme qu'il désire suivre ou l'établissement d’enseignement postsecondaire qu'il désire fréquenter avant la date

38 Ces entrevues ont été menées avec l’aide de Melissa Ruston, alors étudiante inuit à l’Université Concordia

d’échéance prévue pour le dépôt des demandes d’admission de l’établissement postsecondaire. Il est de la responsabilité du candidat de postuler et de fournir à l’établissement tous les documents de candidature nécessaires. Dans le cas d’étudiants de secondaire 5, les étudiants ainsi que les étudiants qui postulent pour la première fois, les candidatures seront effectuées avec l’aide des Services aux étudiants.

L'étudiant devra fréquenter un établissement d’enseignement postsecondaire public de la province de Québec. L'étudiant qui fait une demande de parrainage pour fréquenter un établissement privé ou à l'extérieur de la province devra se présenter à une entrevue d'orientation professionnelle avec un conseiller des Services aux étudiants du postsecondaire; pouvoir justifier sa demande.

Si un étudiant dont la demande d’aide financière a été approuvée choisit de fréquenter un établissement à l'extérieur de la province ou du pays pour y suivre un programme d'études offert dans un établissement d’enseignement postsecondaire du Québec, on ne remboursera dans le cadre du Programme d’aide financière que les coûts équivalents aux coûts des mêmes études dans un établissement du Québec.

Le Comité exécutif de la Commission scolaire Kativik prendra une décision finale concernant la sélection d’un établissement s’appuyant sur les recommandations des Services aux étudiants du postsecondaire.

CDC, 2014, 5-6 Bien qu’il soit postulé qu’ils sont libres de fréquenter l’établissement de leur choix, les Nunavimmiut, sont encouragés à poursuivre leurs études postsecondaires dans des établissements d’enseignement du Québec.

Contrairement à la CSK, qui assume la responsabilité de l’éducation pour l’ensemble de la population localisée sur son territoire, le SEP ne soutient que les bénéficiaires de la CBJNQ, et ce, selon certaines conditions :

Être bénéficiaire de la Convention de la Baie James et du Nord québécois tel que défini au chapitre 3 de ladite convention et faire la preuve qu’il/elle est sur la liste active de la communauté;

En outre, les personnes qui obtiennent le statut de bénéficiaire par la voie du mariage pourront être parrainées à condition d’avoir vécu au Nunavik pendant les douze mois précédant leur demande d’inscription.

Répondre aux exigences éducationnelles ou autres de l'établissement d'enseignement postsecondaire reconnu où il demande l'admission;

Avoir des chances raisonnables de réussir des études postsecondaires. Les candidats seront évalués à plusieurs égards, dont :

- le dossier scolaire; - la motivation;

- la compétence en langue seconde (TestCan, TOEFL); - la responsabilité sociale

Avoir obtenu l'approbation finale du Comité exécutif de la Commission scolaire Kativik;

Être prêt à assumer toutes les responsabilités et obligations décrites dans la présente ligne de conduite en signant le contrat d'entente de parrainage.

CDC, 2014, 3-4 La CSK se réserve le droit de mettre un terme au parrainage d’un étudiant qui ne respecte pas les responsabilités et les obligations décrites dans le contrat d’engagement qu’il signe avec le SEP. Un des critères est de s’engager à réussir au moins 50 % des cours. Puisque les étudiants sont sélectionnés en fonction de leur dossier scolaire et de l’obtention du DES, il s’agit de ceux qui sont les plus performants dans le système scolaire de la CSK (SEP-1, Montréal, 2012; SEP-5, Montréal, 2012).

Ce sont les mesures d’accompagnement et de soutien mises en place par le SEP qui caractérisent ses activités. Ces mesures se basent sur le constat que les étudiants devront inévitablement s’intégrer dans les programmes postsecondaires de la majorité, et ce, pour la plupart, dans les établissements de la province. Les difficultés rencontrées par les étudiants sont connues et documentées dans les différents rapports de la CSK depuis les 30 dernières années (1985; 1992; 1995; 2008; CSNI, 2011). Dans cette perspective, le SEP a établi des liens privilégiés avec deux établissements d’enseignement collégial afin d’offrir des mesures particulières à leurs étudiants. Dans ce contexte, les étudiants parrainés sont encouragés à s’inscrire dans ces deux cégeps, dont l’un est francophone et l’autre anglophone. Ces établissements d’enseignement obtiennent à cet effet du financement de la part du ministère responsable de l’éducation au Québec.39 Cela signifie

que les étudiants sont certes libres dans le choix de la formation qu’ils veulent suivre, mais pour avoir accès à l’ensemble des services du SEP, ils n’auront que ces deux options sur lesquelles je reviendrai plus amplement dans ce chapitre.

39 Tout établissement d’enseignement collégial peut obtenir du financement pour offrir des services particuliers

aux autochtones au moyen du programme d’accueil et d’intégration des étudiants autochtones au collégial : http://www.education.gouv.qc.ca/le-ministere/programmes-de-soutien-financier/programme-accueil-et-

4.1.1 Les mesures de soutien du SEP

Une fois que les étudiants admissibles au soutien du SEP reçoivent leur acceptation au programme de parrainage, ils bénéficient de mesures qui se déclinent en deux volets distincts. Le premier volet propose des mesures de soutien qui relèvent du registre de l’administration et des finances, c’est-à-dire (SEP-1 Montréal, 2012; CDC, 2014, 6-11) :

- Les droits de scolarité

- Les livres et fournitures scolaires

- Les frais pour de l’aide individuelle supplémentaire

- Les frais de téléphone et d’Internet pour les étudiants qui vivent de façon indépendante

- Les frais de transport (ex. : la logistique et les frais de transport par avion entre le Nunavik et le lieu des études [3 voyages aller-retour]; transport local, ex. : passe d’autobus)

- Les vêtements ordinaires

- L’équipement et les vêtements spéciaux (en lien avec la formation suivie) - Les imprévus et les services extraordinaires

- Des allocations de séjours (dépenses personnelles et nourriture) - Le logement en appartement

- Les loisirs

- Les frais de gardiennage, le cas échéant

Ce volet du parrainage a cependant une limite en matière de durée afin d’éviter que la période d’aide s’échelonne sur une période jugée trop longue (CDC, 2014, 12) :

Tableau 3 : Durée du soutien du SEP pour l’éducation postsecondaire

Cégep préuniversitaire 40 mois

Cégep technique 60 mois

Baccalauréat ou l’équivalent 40 mois

Baccalauréat spécialisé 48 mois

Maîtrise ou l’équivalent 24 mois

Le second volet des mesures offertes par le SEP cible le soutien scolaire et personnel. Il inclut également des activités parascolaires. Ce sont principalement les conseillers pédagogiques qui assurent ce soutien personnel et scolaire. Ceux-ci sont appuyés par un service de tutorat pour les questions académiques (SEP-1, Montréal, 2012). En début de parcours, les étudiants bénéficient également d’un programme de préparation pour le collège. Dans le cadre de ce programme, les nouveaux étudiants du SEP peuvent expérimenter, sur une période de trois semaines, le type et la charge de travail auxquels ils seront confrontés tout au long de leur formation. C’est le personnel du SEP qui met en œuvre cette simulation afin que les étudiants puissent se faire une meilleure idée de ce qui les attend. Plusieurs membres du personnel du SEP soutiennent que certains étudiants retournent au Nunavik pendant ou après cette période d’essai. Par conséquent, ils n’entament même pas leurs études collégiales (SEP-1, Montréal, 2012; SEP-2, Montréal 2012; Lachapelle, Ruston et Rodon, 2011).

Cependant, la préparation aux études postsecondaires ne s’amorce pas avec le programme de préparation pour le collège. Dès la quatrième année du secondaire, des conseillers en orientation, de pair avec les enseignants, proposent différents choix de carrière aux étudiants et commencent dès lors à les sensibiliser à la vie dans le sud. Les conseillers pédagogiques du SEP se rendent annuellement dans les villages du Nunavik pour recruter de futurs étudiants en les sensibilisant aux études postsecondaires. Ils viennent visiter les étudiants qui terminent leur dernière année d’études secondaires (CMV, 2007, 14). En cinquième secondaire, ces étudiants passent des tests d’aptitudes, dont le Test canadien de français et le TOEFL (test of English for a second language), en vue de faire un choix de carrières qui leur correspond (CSK, 2011; CMV, 2007, 15). Ceux qui réussissaient le test de français étaient jusqu’alors encouragés par la CSK à poursuivre leurs études en français au cégep Marie-Victorin (CMV, 2007, 15). Ils sont dorénavant encouragés à aller au cégep Montmorency, situé à Laval. Les étudiants qui réussissent le test en anglais sont pour leur part encouragés par la CSK à aller au collège John Abbott. Quant à eux, les étudiants qui échouent au test sont invités à entreprendre un sixième secondaire40 en vue d’améliorer leurs compétences linguistiques et leur

méthode de travail. Cette étape les prépare mieux à faire leur entrée au cégep l’année

40 La CSK propose une sixième année de secondaire alors qu’il est d’usage au Québec d’en avoir seulement

cinq. Celle-ci est destinée à ceux et celles qui diplôment du secondaire, mais qui ne sont pas prêts pour les études postsecondaires. Cette année supplémentaire sert principalement à faire une mise à niveau dans la langue seconde (CSK-1, Kuujjuaq, 2011).

suivante (CMV, 2007, 15). Selon le personnel du SEP, les élèves des plus gros villages sont plus enclins à poursuivre des études postsecondaires que ceux provenant de plus petits villages (SEP-1, Montréal, 2012; SEP-2, Montréal, 2012; SEP-5, Montréal, 2012).

Dans ce même volet, par l’organisation d’activités parascolaires, le SEP s’assure de créer et de maintenir un sentiment d’appartenance entre les étudiants qui bénéficient de ses services. En effet, ces étudiants habitent dans des résidences ou des appartements environnant l’établissement d’enseignement où ils sont inscrits. Cependant, les deux collèges avec lesquels le SEP avait jusqu’ici une entente particulière sont localisés aux extrémités opposées de l’île de Montréal. Pour leur part, les universités sont généralement situées entre les deux. Dans les circonstances, les étudiants sont divisés en fonction de leur établissement d’enseignement, à une distance considérable les uns des autres. Par exemple, un étudiant inscrit au cégep Marie-Victorin qui voudrait aller voir son frère ou sa sœur au cégep John Abbott devra faire plus de deux heures de transport en commun pour s’y rendre. Cela n’inclut pas le retour. Ainsi, réunir l’ensemble des étudiants qui bénéficient des services du SEP est une façon de contrer l’effet d’isolement que peut produire la vie dans une grande ville comme Montréal (Lachapelle, Ruston et Rodon, 2011). Cette réalité géographique a cependant changé dans le courant de l’année 2016 puisque les étudiants du secteur francophone se rendent dorénavant au cégep Montmorency à Laval. Bien que celui-ci se situe à l’extérieur de l’île de Montréal, il est à proximité d’une station de métro, ce qui n’était pas le cas pour le cégep Marie-Victorin.