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La négociation d'un parcours d'intégration : expériences postsecondaires d'Inuit du Nunavik

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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LA NÉGOCIATION D’UN PARCOURS D’INTÉGRATION

Expériences postsecondaires d’Inuit du Nunavik

Thèse

Marise Lachapelle

Doctorat en anthropologie

Philosophiae Doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Marise Lachapelle, 2017

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LA NÉGOCIATION D’UN PARCOURS D’INTÉGRATION

Expériences postsecondaires d’Inuit du Nunavik

Thèse

Marise Lachapelle

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

Cette thèse est une contribution à l’étude de l’éducation postsecondaire des autochtones, plus spécifiquement des Inuit du Nunavik. Située dans le champ de l’anthropologie de l’éducation, elle documente l’expérience d’intégration des Nunavimmiut (habitants du Nunavik) dans les établissements d’enseignement postsecondaires au Québec. Elle porte une attention particulière à l’expérience collégiale, car cette étape, spécifique à la province, fait suite aux études secondaires et est antérieure à l’université.

Elle examine plus particulièrement la place qui est faite aux Inuit dans le système d’éducation postsecondaire québécois. En s’intéressant aux négociations quotidiennes qu’effectuent les étudiants inuit, elle discute des expériences et des pratiques dont les registres ne tiennent pas compte. Celles-ci sont tout aussi déterminantes sur les résultats scolaires, sinon davantage, en plus d’être révélatrices des obstacles rencontrés par ces étudiants.

En trame de fond, la méconnaissance des Québécois à l’égard des Inuit vient soutenir la pertinence de s’affranchir d’une approche d’intégration vers l’inclusion scolaire. Il semble y avoir consensus entre le gouvernement québécois et les organisations inuit sur l’importance d’augmenter la participation des Inuit aux études postsecondaires. Cependant, les options offertes aux Nunavimmiut participent à leur marginalisation sociale. Même si l’importance d’adapter l’éducation scolaire aux cultures autochtones en y intégrant leurs langues, leurs histoires, leurs revendications, leurs représentations du monde et leurs savoir-faire, est reconnue, bien peu de changements se constatent. Certes, l’intégration favorise la mise en place de stratégies compensatoires afin de permettre aux Inuit de participer à cette éducation standardisée reflétant la société québécoise, mais dans ce processus, le système d’éducation n’est pas remis en question.

Dans une discussion entre intégration et inclusion, cette thèse soutient que malgré les mesures proposées par le gouvernement du Québec et le service aux étudiants du postsecondaire de la commission scolaire Kativik pour favoriser l’intégration des Nunavimmiut dans les établissements d’enseignement postsecondaires et dans les programmes, cette approche maintient la prédominance de l’éducation occidentale. Dans ce contexte, il y a peu de place pour être inuit, car ces dernières doivent s’adapter à cette trajectoire normalisée. Cependant, l’inclusion scolaire, dont les bienfaits sont reconnus par

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de nombreux chercheurs, semble représenter une voie prometteuse pour enfin accorder une valeur comparable aux Inuit en matière d’éducation postsecondaire et soutenir la décolonisation de l’éducation qu’attendent les Inuit et les Premières Nations du Québec.

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ABSTRACT

This thesis is a contribution to the study of Aboriginal post-secondary education, specifically the Inuit of Nunavik. Located in the field of anthropology of education, it documents the Nunavimmiut (Nunavik residents) experiences of integration into post-secondary institutions in Quebec. It pays particular attention to the college experience, because students usually attend college university in Quebec.

In particular, it examines the place made for the Inuit in the post-secondary education system in Quebec. By focusing on the day-to-day negotiations of Inuit students, it discusses experiences and practices that are not reflected in the registers. These are just as important to academic achievement, if not more revealing than the obstacles faced by these students.

As a backdrop, Quebecers’ lack of knowledge of Inuit supports the relevance of moving away from intergration and moving towards inclusive education. There seems to be a consensus between the Quebec government and Inuit organizations on the importance of increasing Inuit participation in post-secondary education. However, the options available to the Nunavimmiut contribute to their social marginalization. Although the importance of adapting school education to indigenous cultures by integrating their languages, histories, claims, representations of the world and their knowledge is recognized, very few changes have be seen. Of course, integration favors the implementation of compensatory strategies to enable Inuit to participate in a standardized education reflecting Quebec society, but in this process, the education system is not called into question.

In a discussion between integration and inclusion, this thesis argues that despite the measures proposed by the Government of Quebec and the post-secondary student services of the Kativik School Board to promote the integration of the Nunavimmiut into post-secondary institutions and programs, this approach maintains the predominance of a western education. In this context, there is little room for being Inuit, as they have to adapt to this normalized trajectory. However, inclusive education, which many researchers recognized as beneficial, appears to be a promising way to finally give Inuit the same value in post-secondary education and to support the decolonization of education that the Inuit and The First Nations of Quebec are waiting for.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... v

Liste des cartes ... x

Liste des photos ... xi

Liste des images ... xii

Liste des tableaux ... xiii

Liste des graphiques ... xiv

Liste des annexes ... xv

Dédicaces... xvii

Remerciements ... xviii

INTRODUCTION ... 1

Construction de l’objet de recherche ... 6

Objectif et questions de recherche ... 8

Découpage de la thèse ... 10

Méthodologie, Méthode et travail de terrain ... 12

Le « je » méthodologique ... 13

Contexte de la recherche et du travail de terrain ... 15

Méthode de recherche et collecte des données ... 19

Contexte du travail de terrain ... 22

CHAPITRE 1. Les Inuit du Nunavik ... 26

1.1 Les Nunavimmiut, l’Arctique et leurs ancêtres ... 26

1.2 Des explorations à la colonisation : les relations avec les Européens ... 28

1.2.1 Les relations économiques ... 29

1.2.2 La christianisation ... 31

1.3 Les interventions gouvernementales jusqu’à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois ... 34

1.3.1 Avant 1950 : la préservation du mode de vie des Inuit ... 35

1.3.2 Après 1950 : l’intégration des Inuit à la société canadienne ... 40

1.3.3 L’administration régionale Kativik et le Nunavik ... 43

1.5 Les Nunavimmiut, un peuple arctique ... 45

Conclusion : Définir sa place dans le monde ... 47

PREMIÈRE PARTIE ... 50

L’éducation au Nunavik ... 50

CHAPITRE 2. L’éducation inuit ... 53

2.1 Acquisition des qualités nécessaires à la vie ... 54

2.1.1 La sagesse (silatuniq) ... 56

2.1.2 L’autonomie (immiguurniq) ... 57

2.1.3 L’intelligence (isuma) ... 59

2.2 Stratégies d’éducation ... 60

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2.2.2 La tradition orale et l’éducation ... 64

2. 3 Connaissance du monde inuit ... 66

2.3.1 L’âme-nom (atiq), le domaine des ancêtres ... 67

Conclusion : L’éducation inuit, un incessant dialogue entre enseigner et apprendre ... 69

CHAPITRE 3. L’éducation scolaire des Nunavimmiut ... 71

3.1 L’éducation scolaire : les écoles fédérales et provinciales ... 72

3.1.1 Le système scolaire fédéral ... 76

3.1.2 La Commission scolaire du Nouveau-Québec : le système d’éducation du Québec ... 82

3.2 La Commission scolaire Kativik : l’administration de l’éducation au Nunavik ... 86

3.2.1 Une responsabilité d’administrer, mais une autonomie partielle ... 88

3.2.2 L’adaptation du système d’éducation scolaire : de nombreux défis à relever ... 90

3.3 La Commission scolaire Kativik aujourd’hui ... 97

Conclusion : une éducation primaire et secondaire implantée, des études postsecondaires à encadrer ... 99

CHAPITRE 4. L’éducation postsecondaire des Inuit du Nunavik ... 101

4.1 Le Service aux étudiants du postsecondaire ... 104

4.1.1 Les mesures de soutien du SEP ... 107

4.2 L’éducation postsecondaire : évolution d’un service ... 109

4.2.1 Le Collège John Abbott et la formation postsecondaire en anglais ... 112

4.2.2 Du programme « Exploration et intégration – Inuit » du cégep Marie-Victorin au Collège Montmorency : les études collégiales en français ... 115

4.2.3 Un nouveau départ, le Tremplin DEC au cégep Montmorency ... 119

4.2.3 Les études universitaires ... 120

4.3 Portrait statistique de la participation des Nunavimmiut aux études postsecondaires ... 122

4.4 Ambitions inuit pour l’éducation postsecondaire ... 124

Conclusion – L’éducation postsecondaire : un parcours d’intégration scolaire ... 127

CONCLUSION PARTIE 1 ... 129

L’éducation scolaire : un espace de négociation ... 129

DEUXIÈME PARTIE ... 133

L’anthropologie de l’éducation : cadre d’une réflexion ... 133

CHAPITRE 5. Le champ de l’éducation en anthropologie ... 136

5.1 La scolarisation comme objet d’étude et l’école comme lieu d’investigation anthropologique ... 137

5.2 L’anthropologie de l’éducation appliquée : au fondement de l’anthropologie de l’éducation... 139

5.3 L’éducation, l’envers de la notion de culture : un aparté ... 141

5.3.1 Balise 1 : La culture n’est pas innée, la culture n’est pas donnée ... 142

5.3.2 Balise 2 : La notion de culture a une valeur opératoire ... 143

Conclusion : Entre la culture, l’école et une anthropologie appliquée ... 145

CHAPITRE 6. L’émergence de l’anthropologie de l’éducation: déploiements

théoriques ... 147

6.1 Culture et personnalité : naissance du champ ... 147

6.2 L’anthropologie de l’échec scolaire ... 150

(10)

6.2.2 Les théories de la scolarisation culturellement sensible ... 153

6.3 Éducation, domination et inégalités structurelles ... 157

6.3.1 Les théories critiques portant sur le racisme ... 160

6.3.2 Théories critiques portant sur le racisme et l’éducation autochtone ... 162

6.4 L’anthropologie de l’éducation, quelques constats ... 163

Conclusion : Entre différences culturelles et domination ... 169

CHAPITRE 7. Entre inclure et intégrer les étudiants postsecondaires... 170

7.1 La scolarisation des autochtones ... 171

7.1.1 Les postures parallélistes ... 175

7.1.2 Les postures intégrationnistes ... 176

7.1.3 L’éducation biculturelle ... 179

7.2 Le concept d’intégration en éducation ... 183

7.3 Le concept d’inclusion scolaire ... 187

7.3.1 La décolonisation vers une éducation inclusive ... 191

Conclusion : Aspirer à l’inclusion scolaire ... 195

CONCLUSION PARTIE 2 ... 197

Vers l’analyse d’une négociation ... 197

TROISIÈME PARTIE ... 200

Parcours postsecondaires des Inuit du Nunavik : des expériences

d’intégration ... 200

CHAPITRE 8. La négociation des parcours postsecondaires des

Nunavimmiut ... 204

8.1 Négocier sa transition scolaire ... 208

8.1.1 Négocier sa transition avec la préparation scolaire reçue ... 209

8.1.2 Négocier le travail scolaire ... 214

8.1.3 Négocier les barrières linguistiques ... 219

8.2 Négocier les différences entre le nord et le sud ... 221

8.2.1 Ma différence entre le nord et le sud ... 222

8.2.2 vroum VROUM ... 224

8.2.3 « J’me suis pas levé ce matin, j’ai regardé des vidéos sur Youtube jusqu’à 3 heures. C’est pour ça que j’suis en retard » ... 225

8.3 Négocier avec la nostalgie de la maison ... 228

8.4 Négocier la méconnaissance d’une majorité ... 232

8.5 Négocier avec des difficultés personnelles ... 238

8.5.1 Entre la réalité et la fiction : changer le cours des choses ... 239

8.5.2 Être étudiante. Être mère ... 240

8.5.3 Poursuivre ses études et jouer le rôle d’un vrai Inuk auprès des siens, possible? ... 242

8.6 Négocier son retour au Nunavik ... 243

8.6.1 Faire des études postsecondaires et devenir un « Eskimo » ... 246

8.6.2 Inspirer les plus jeunes en servant de modèle ... 249

Conclusion : Une trajectoire pour tous, des parcours propres à chacun ... 252

CHAPITRE 9. L’éducation postsecondaire des Inuit du Nunavik : une arène

de négociation limitée ... 255

9.1 Les expériences postsecondaires des Inuit du Nunavik : le prisme de l’intégration ... 256

(11)

9.2 Les expériences postsecondaires des Inuit du Nunavik : des catégories, lourdes à

porter ... 260

9.3 Le concept d’autodétermination et l’éducation inuit : une réflexion sur l’inclusion ... 265

9.3.1 L’autodétermination et la motivation ... 267

9.3.2 L’autodétermination et l’agencéité ... 268

9.3.3 L’autodétermination et les enjeux culturels ... 270

9.3.5 Inclusion, décolonisation et autodétermination ... 276

Conclusion : De l’intégration vers l’inclusion ... 280

CONCLUSION PARTIE 3 ... 282

Parcours d’étudiants, l’échec d’une logique d’intégration ... 282

CONCLUSION ... 285

Qui sont les étudiants inuit du Nunavik? ... 286

Quel est le contexte dans lequel les études postsecondaires des Inuit du Nunavik se déroulent? ... 288

Quelles sont les expériences qui caractérisent le quotidien des étudiants postsecondaires? ... 289

Quels sont les obstacles rencontrés par les Nunavimmiut qui poursuivent leurs études au-delà du secondaire? ... 292

Est-ce que le système d’éducation postsecondaire au Québec est un lieu d’inclusion pour les Inuit? ... 293

L’exemple inuit : la nécessité de revoir le système d’éducation postsecondaire ... 295

Vers des actions visant à décloisonner le système d’éducation postsecondaire québécois ... 296

Les défis d’une éducation inclusive ouverte à l’éducation inuit ... 300

Retour sur les principales conclusions ... 301

Bibliographie ... 303

ANNEXE 1. Schéma d’entrevue thématique pour les étudiants ... 324

ANNEXE 2. Questionnaire d’entrevue semi-dirigée : employés

d’établissements d’enseignement postecondaire et CSK ... 325

ANNEXE 3. Formulaire de consentement pour les étudiants inuit ... 326

ANNEXE 4. Formulaire de consentement pour les employés d’établissments

d’enseignement postsecondaire et de la CSK ... 329

ANNEXE 5. Formulaire d’engagement à la confidentialité des interprètes .. 332

ANNEXE 6. Vidéos produites par les étudiants du cégeps Marie-Victorin ... 333

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Liste des cartes

Carte 1 : Collectivités inuit du Canada ... 1 Carte 2 : Le Nunavik ... 27 Carte 3 : Région circumpolaire-nord ... 45

(13)

Liste des photos

Photo 1 : Village au Nunavik ... 2

Photo 2 : Étudiants inuit dans une classe de cégep ... 3

Photo 3 : Capture d’écran - Corriger le tableau ... 5

Photo 4 : Activités réalisées dans le cadre du partenariat ArcticNet ... 23

Photo 5 : Inukjuak, 1947, comptoir de la Compagnie de la Baie d’Hudson ... 31

Photo 6 : Congrégation anglicane de Kuujjuaraapik, 1946 ... 33

Photo 7 : Présence de gendarmes en Arctique Canadien ... 37

Photo 8 : Disque d’identification ... 39

Photo 9 : Enfant qui écrit au tableau ... 71

Photo 10 : Élèves de l’école d’Inukjuak, 1950 ... 73

Photo 11 : Classe du dispensaire, Inukjuak, 1940 ... 77

Photo 12 : Classe au Nunavik ... 99

Photo 13 : Étudiants du Collège John Abbott ... 113

Photo 14 : Anciens étudiants du cégep Marie-Victorin ... 116

Photo 15 : Première cohorte d’étudiants inuit au cégep Montmorency ... 120

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Liste des images

Image 1 : Différence entre intégration et inclusion scolaire ... 187 Image 2 : Les Inuit et l’écriture ... 200

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Séjours en Actique canadien ... 25

Tableau 2 : Années de construction des écoles au Nunavik ... 74

Tableau 3 : Durée du soutien du SEP pour l’éducation postsecondaire ... 107

Tableau 4 : Critiques et recommandations formulées par Vick-Westgate (2002) ... 264

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Liste des graphiques

Graphique 1 : Stratégie nationale sur la scolarisation des Inuit ... 96 Graphique 2 : Organigramme de la CSK ... 98

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Liste des annexes

ANNEXE 1. Schéma d’entrevue thématique pour les étudiants ... 324

ANNEXE 2. Questionnaire d’entrevue semi-dirigée : employés d’établissements

d’enseignement postecondaire et CSK ... 325

ANNEXE 3. Formulaire de consentement pour les étudiants inuit ... 326

ANNEXE 4. Formulaire de consentement pour les employés d’établissments

d’enseignement postsecondaire et de la CSK ... 329

ANNEXE 5. Formulaire d’engagement à la confidentialité des interprètes ... 332

ANNEXE 6. Vidéos produites par les étudiants du cégeps Marie-Victorin ... 333

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Abréviations

AÉA : Association des étudiants autochtones

ARUC : Alliance de recherche Université-communauté CBH : Compagnie de la Baie d’Hudson

CBJNQ : Convention de la Baie-James et du Nord québécois CCA : Conseil canadien sur l’apprentissage

CCI : Conseil circumpolaire inuit

CIÉRA : Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones CMV : Cégep Marie Victorin

CNSI : Conseil national sur la scolarité des Inuit CRSH : Conseil de recherche en sciences humaines CSK : Commission scolaire Kativik

CSNQ : Commission scolaire du Nouveau-Québec DES : Diplôme d’études secondaires

GTÉN : Groupe de travail sur l’éducation au Nunavik ITC : Inuit Tapirisat of Canada

ITK : Inuit Tapiriit Kanatami KSB : Kativik School Board

MEES : Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur PCUC : Programme de collaboration universités-collèges

SEP : Service aux étudiants du postsecondaire

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Dédicaces

Je dédie cette thèse aux étudiants inuit rencontrés tout au long de sa réalisation.

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Remerciements

La réalisation d’une démarche doctorale est un processus complexe qui génère une foule d’incertitudes, de questionnements et d’appréhensions. Poser les lignes qui suivent la page frontispice n’est certainement pas simple, mais contrairement aux idées reçues, l’aboutissement d’une telle entreprise est loin d’être un accomplissement solitaire. Cette thèse est sans aucun doute écrite par une seule personne, mais elle porte de nombreuses rencontres et opportunités sans lesquelles elle n’aurait pu voir le jour tel que conclue. Aussi bien la commencer avec des remerciements envers ceux qui en ont marqué la finalité.

J’aimerais d’abord remercier les étudiants inuit qui m’ont fait réaliser qu’être scolarisé au sein de sa propre culture et dans sa langue maternelle est le privilège de certains et non l’acquis de tous. Merci de m’avoir permis de poser un regard critique sur ma propre société et d’avoir échangé avec moi sur votre parcours dans ce système d’éducation que nous devrions partager, mais qui vous est imposé. En espérant que cette place qui vous revient vous soit enfin accordée.

Un merci tout particulier à Mélodie Duplessis pour m’avoir accompagnée dans la découverte de cette expérience, singulière aux siens. Encore, pour m’avoir tant appris et m’avoir tant soutenue dans ma démarche, sans jugement, alors que j’en connaissais si peu sur les Inuit. Merci d’avoir été un repère et de m’avoir montré la voie lorsque parfois je m’égarais.

Je tiens également à souligner la précieuse participation de Melissa Ruston à différentes étapes de la collecte de données. Je la remercie d’avoir également partagé avec moi la relation conflictuelle qu’elle entretient avec l’éducation scolaire et qui pourtant l’a menée jusqu’à l’université.

Je remercie mon directeur, Frédéric Laugrand, d’avoir partagé avec moi sa passion contagieuse. Un merci tout particulier pour les opportunités offertes tout au long de mon parcours, au CIÉRA ou dans le cadre de l’ARUC. Ces expériences ont sans aucun doute fait leur marque dans cette démarche que je termine, enfin! À cet égard, j’en profite également pour remercier Thierry Rodon de m’avoir fait confiance et de m’avoir donné la chance de prendre part au projet qu’il a lancé en vue de favoriser l’accès aux études

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universitaires dans l’Arctique canadien. J’offre toute ma reconnaissance à Louis-Jacques Dorais, Michèle Therrien et Lisa Koperqualuk pour ces riches échanges et pour avoir partagé avec moi leur connaissance des Inuit.

J’aimerais témoigner toute ma gratitude envers l’équipe du Service aux étudiants postsecondaires de la Commission scolaire Kativik. Je tiens à souligner le soutien particulier de Paul Khatchadourian et le remercie personnellement d’avoir cru en ce projet et de m’avoir facilité l’accès au terrain au Nunavik et à Montréal.

Ce travail que j’ai effectué prend également sa substance dans les conversations avec les collègues rencontrés au CIÉRA et qui partageaient avec moi cet intérêt pour le nord. Un merci tout particulier à mes amies rencontrées au département d’anthropologie, Florence Dupré, Lysanne Lacoste-Guyon, Andréanne Guindon et Catherine Larouche avec qui j’ai vécu les hauts et les bas du doctorat. J’offre des remerciements à l’infini à Rachel Bégin pour avoir investi tant d’énergie dans la lecture et les commentaires du premier jet de cette thèse, ainsi qu’à Catherine Loiselle pour sa compréhension de la difficile conciliation entre le travail à temps plein et les études doctorales.

Cette thèse n’aurait pu être possible sans le soutien financier du Programme de Formation scientifique dans le Nord du Fonds Georges-Henri Lévesque.

Finalement, merci à Romain, à ma famille et à mes amis d’avoir accepté aussi longuement que travailler à temps plein et faire un doctorat en même temps, limite parfois les moments avec ceux qu’on aime!

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INTRODUCTION

À l’hiver 2009, j’ai pour la première fois entendu parler de l’objet qui est au cœur de ma thèse de doctorat en anthropologie. Je co-coordonnais alors l’organisation du colloque du Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA) et de l’Association étudiante autochtone de l’Université Laval (AÉA). À ce moment, j’étais engagée dans une démarche doctorale ancrée dans le champ du développement et je m’intéressais aux populations minoritaires de l’Asie du Sud-Est continental. Toutefois, l’organisation de l’une des activités de ce colloque s’est avérée déterminante et a engendré un tournant important dans la suite de mon cheminement au doctorat. Nous avons eu le privilège d’accueillir trois étudiants postsecondaires autochtones inscrits au cégep Marie-Victorin. Il s’agissait d’Inuit du Nunavik, un des quatre territoires inuit1 du

Canada situé au nord du 55e parallèle de la province de Québec.

Carte 1 : Collectivités inuit du Canada

Source : Stratégie nationale sur la scolarisation des Inuits, 2011, 10

1 L’ethnonyme « Inuit » ne sera accordé ni en genre ni en nombre. Conformément à l’un des usages accepté

dans la langue française, il sera utilisé de façon invariable. C’est Inuk qui sera utilisé au singulier, puisqu’Inuit en constitue la forme au pluriel. Certaines sources citées en cours de texte l’accordent au féminin et au pluriel, cet usage sera respecté au moment d’y faire référence.

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Ils étaient venus échanger avec l’auditoire sur leur expérience en tant qu’étudiants postsecondaires originaires d’un des 14 villages localisés sur le long des côtes du Nunavik. Puisqu’ils étaient gênés de faire une présentation, mais se sentaient à l’aise de répondre à des questions, nous leurs avions proposé de produire une courte vidéo d’introduction pour amorcer la discussion. De cette façon, ils pouvaient susciter l’intérêt des personnes présentes à l’atelier du colloque auquel ils participaient, ce qu’ils ont accepté. Je m’étais alors impliquée avec eux et l’une de leurs enseignantes dans la réalisation de cette vidéo. Au cours de celle-ci, ils présentaient les différences entre Montréal et le Nunavik, ils exposaient les raisons pour lesquelles ils ont décidé de poursuivre leurs études et ils mentionnaient les difficultés quotidiennes qu’ils éprouvaient loin de leurs familles et de leurs proches. Il leur fallait en effet prendre l’avion pour entreprendre des études postsecondaires. Non seulement il n’y a pas d’établissements scolaires offrant ces formations au Nunavik, mais il n’y a pas d’accès routiers qui relient le territoire avec le sud de la province de Québec, ainsi qu’entre les 14 villages établis le long des côtes.

Photo 1 : Village au Nunavik

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Dans la vidéo présentée lors du colloque, ces trois étudiants abordaient également les difficultés qu’ils éprouvent avec le français, qui est leur langue seconde. L’inuktitut est la langue d’usage au Nunavik, mais lorsque les enfants arrivent en troisième année du primaire, les parents doivent faire le choix de l’apprentissage d’une langue seconde. Afin de répondre aux exigences linguistiques nationales, ce choix se fait entre le français ou l’anglais. Le niveau de maîtrise de cette langue seconde est variable chez les diplômés du secondaire, ce qui peut générer de nombreux obstacles dans leur parcours postsecondaire. Les taux de décrochage importants dont les étudiants ont fait mention dans leur vidéo sont, selon eux, en partie dus à cette difficulté. Ils mentionnaient également le rôle que jouent les différences culturelles entre les Inuit et la population québécoise « blanche », notamment autour de la notion de partage. En effet, cette dernière est pour eux une valeur profonde et les contextes pour l’exprimer sont plus rares à Montréal. Ainsi, dans cette vidéo et lors de l’atelier, ils ont traité de plusieurs aspects de leur parcours d’étudiants postsecondaires inuit.

Photo 2 : Étudiants inuit dans une classe de cégep

Source : Capture d’écran, Inuit ilinniatuit 3/9 565

Grâce à cette expérience, j’ai eu la chance et le plaisir d’apprendre à les connaître, mais je me suis retrouvée profondément embarrassée devant ma grande ignorance des Inuit et des Premières Nations du Québec. Force a été de constater que je n’étais pas la seule à me retrouver dans cette situation malencontreuse. Ce constat était également la motivation première des trois étudiants impliqués dans l’atelier présenté au colloque du CIÉRA et de l’AÉA. Ils espéraient sensibiliser les gens sur les Inuit en venant partager leur

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expérience. Ils souhaitaient ainsi : « […] présenter les Inuit qui viennent étudier au cégep » (Inuit ilinniatuit 3/9 565, 2009). Motivés par cette volonté, malgré leurs craintes, leur gêne de ne pas parler suffisamment bien français et leur sentiment d’être jugés par les « Blancs » qui seraient présents, ils se sont engagés dans ce projet en plus de leurs cours. Ancrés dans un amalgame de sentiments se situant entre une envie de briser le cycle de la méconnaissance et la peur de subir des préjugés, ils ont trouvé le courage de présenter l’atelier Inuit ilinniatuit 3/9 565 lors du colloque du CIÉRA et de l’AÉA de 2009. Le choix de ce titre était pour signifier qu’ils n’étaient que trois devant l’audience, mais qu’ils représentaient les 9 565 habitants du Nunavik. Je ne peux dire aujourd’hui si leur témoignage a touché les personnes présentes à cet événement comme je l’ai été, mais cette rencontre a été pour moi le déclencheur d’une envie sincère de mieux les connaître et de contribuer à les faire connaître. En effet, j’ai été particulièrement troublée par une phrase prononcée par l’un de ces trois étudiants : « […] on doit changer notre vie, on doit changer notre langue pour avoir des études, je pense qu’il y a quelque chose qui ne marche pas ici » (Inuit ilinniatuit 3/9 565, 2009).

À la suite de cette rencontre, je suis retournée en Asie du Sud-Est poursuivre les recherches doctorales que j’avais amorcées. Au cours de ce séjour, j’ai ressenti un profond malaise face à cette quête que j’entreprenais sur les relations inégalitaires entre populations majoritaires et minoritaires du Sud-est asiatique. J’ai fait le constat qu’il m’était impossible de poursuivre les travaux jusqu’alors entrepris. Ma rencontre avec ces étudiants inuit m’avait fait réaliser que les mêmes enjeux, les mêmes questions, les mêmes inégalités que j’étudiais en Asie du Sud-Est existaient chez moi. Non seulement j’en étais jusqu’à maintenant quasi-ignorante, mais je constatais douloureusement que j’y contribuais en prenant part à une société qui ne cesse de les perpétuer. À la fois ébranlée et outrée de ce constat, j’ai été motivée par l’envie d’y changer quelque chose. J’ai donc amorcé une nouvelle démarche doctorale portant sur l’éducation postsecondaire des Inuit au Canada en septembre 2009. L’objet de cette démarche s’est graduellement précisé, abordant plus spécifiquement l’expérience des Inuit du Nunavik dans le système d’éducation de la province de Québec.

Ma thèse s’ancre ainsi dans le terreau de la grande méconnaissance des autochtones chez les Canadiens et les Québécois. Tout au long des expériences au cœur de cette thèse, je n’ai pu que confirmer ce constat déplorable. Les étudiants postsecondaires inuit que j’ai rencontrés avaient tous été visés à un moment ou un autre par les préjugés et

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stéréotypes qui circulent à leur égard. À titre de coordonnatrice des programmes et de la recherche pour un organisme communautaire de Montréal qui travaille avec de jeunes awtikamekws de l’école Otapie à Manawan, j’ai constaté que d’autres peuples autochtones faisaient face à cette même réalité. Ces jeunes avec qui nous avons collaboré dans le cadre d’un projet nommé « Empreintes » ont notamment travaillé avec le Wapikoni mobile pour réaliser une vidéo intitulée : « Corriger le tableau ». Celle-ci dénonçait les préjugés dont ils étaient la cible.

Photo 3 : Capture d’écran - Corriger le tableau

Source : http://www.wapikoni.ca/films/corriger-le-tableau

Encore, en tant que coordonnatrice pour un centre de recherche affilié au cégep du Vieux Montréal et au Collège Dawson, j’ai entendu les étudiants du collège Kiuna, lors d’un Café citoyen tenu au Cégep du Vieux Montréal sur les relations entre autochtones et allochtones, décrier cette ignorance lourde de conséquences.

Ma thèse s’enracine certes dans le constat de cette méconnaissance et des conséquences tragiques qui en découlent depuis trop longtemps, mais elle ne s’y limite pas. Ma démarche propose également une réflexion sur un possible vivre-ensemble. Comment nous réconcilier, dans le présent et pour le futur, malgré les conséquences dramatiques des relations entretenues jusqu’à maintenant entre autochtones et allochtones? Comment panser les blessures et prendre en compte ces profondes cicatrices qui ne s’effaceront probablement jamais? Par le truchement des enjeux d’éducation scolaire, cette thèse s’inscrit dans ce pan de la réflexion auquel contribue l’anthropologie.

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Construction de l’objet de recherche

Les études et les recherches menées auprès des Inuit sont nombreuses et la littérature produite en anthropologie est tout aussi abondante. Déjà, à l’aube de l’anthropologie américaine, Franz Boas a marqué la discipline avec son travail sur les Inuit de l’île de Baffin (1888). D’autres anthropologues ont emboité le pas à Boas et ont contribué par leurs travaux à faire croître l’intérêt pour la recherche sur les Inuit. Par exemple, Asen Balikci a imprégné l’anthropologie visuelle (Netsilik Eskimo, 1968) et Bernard Saladin d’Anglure, fondateur de la revue Études Inuit, a documenté plusieurs aspects des sociétés inuit, dont le chamanisme. La question de l’éducation scolaire des Inuit demeure toutefois un sujet peu exploité par les anthropologues. 2 Néanmoins, il ne fait nul doute que la

scolarisation des Inuit suscite l’intérêt, notamment celui des gouvernements et des organisations inuit. Cela se constate au nombre important de rapports et de documents officiels produits dans les dernières années (ITK, 2004, 2005, 2007, 2007a, 2008, 2009; CNSI; GTÉN, 1992; CSK, 1985, 1993, 1998, 2009; CCA, 2007, 2009). Toutefois, le document présentant la stratégie nationale en matière d’éducation scolaire des Inuit soutient que peu de recherches sont publiées sur les obstacles à la participation des Inuit aux études postsecondaires (CNSI, 2011, 37).

En définissant l’objet de ma recherche au début de cette nouvelle démarche doctorale, j’espérais documenter la marge de manœuvre dont disposent les Inuit du Canada pour répondre à leurs besoins en matière d’éducation postsecondaire. Or étudier l’éducation postsecondaire des Inuit du Canada d’un point de vue anthropologique s’est avéré un objet trop ambitieux pour une seule thèse. Au moment où j’ai soumis mon projet de recherche au Département d’anthropologie de l’Université Laval, je n’avais pas d’expérience concrète auprès des Inuit, outre la rencontre à l’origine de cette entreprise. Peu de temps après, j’ai obtenu un poste de coordonnatrice pour un projet de recherche portant sur l’amélioration de l’accès à l’université pour les Inuit du Canada.3 Dans le cadre

de ce projet, j’ai pu rencontrer plusieurs étudiants postsecondaires inuit à travers le Canada. J’ai alors compris, grâce à leurs témoignages et à l’approfondissement de mes

2 Les anthropologues qui se sont penchés sur la question de l’éducation des Inuit (Briggs, 1970, 1983; 1991;

2000; 2000a, 2001; Lipka 1991, 2005; Saladin d’Anglure, 1988; Laugrand, 2008) ne s’intéressent pas nécessairement au système d’éducation scolaire et postsecondaire, et les recherches anthropologiques qui approfondissent les enjeux découlant de la scolarisation des Inuit demeurent peu nombreuses. Parmi ces recherches, deux mémoires de maîtrise ont été produits à l’Université Laval (Targé, 2005 ; Forgues, 1987).

3 Pour en connaître davantage sur ce projet de recherche intitulé Improving Access to University Education in

the Canadian Arctic, consulter le lien suivant : https://www.chairedeveloppementnord.ulaval.ca/en/improving-access-university-education-canadian-arctic-0, consulté en mars 2017.

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connaissances, que leurs expériences, bien qu’elles soient similaires pour plusieurs aspects, sont très différentes selon le territoire inuit qu’ils habitent. Devant l’ampleur du défi de la démarche comparative qui s’imposait pour étudier la question de l’éducation postsecondaire des Inuit du Canada dans son ensemble et afin de respecter la visée anthropologique que je m’étais fixée, j’ai jugé plus judicieux de limiter le spectre de ma recherche à l’éducation postsecondaire des Inuit du Nunavik, et ce, en posant un regard plus particulier sur l’expérience collégiale.4

Alors que je m’appropriais cet objet, j’ai également réalisé que l’objectif énoncé n’était pas représentatif de la réalité étudiée. En effet, il n’y a pas d’établissements d’éducation postsecondaire inuit au Québec et le projet d’en créer un vient tout juste d’être lancé au moment où j’écris ces lignes.5 De plus, il n’y a toujours pas d’université en territoire inuit

canadien, bien que certains collèges localisés à l’extérieur du Nunavik offrent quelques formations universitaires.6 Conséquemment, la marge de manœuvre dont disposent les

Inuit réside surtout dans la mise en place de mesures de soutien offertes aux étudiants inscrits dans les établissements d’enseignement postsecondaire du Québec. M’intéresser à la marge de manœuvre dont ils disposent signifiait de me limiter à l’examen de cette structure de soutien complémentaire au système d’éducation postsecondaire et non au système lui-même. Pour étudier le système, il me fallait approcher la question sous un autre angle. J’en suis alors venue à m’intéresser à la place faite aux Inuit dans le système d’éducation postsecondaire au Québec plutôt qu’à leur marge de manœuvre pour la définir.

Je discute de cette « place faite », parce que le système d’éducation postsecondaire au Québec ne tenait pas compte, jusqu’à tout récemment, des besoins potentiels des étudiants inuit et encore aujourd’hui il ne peut prétendre le faire entièrement. D’une part, ceux-ci accèdent aux études dites supérieures depuis peu et d’autre part, l’histoire de leur scolarisation en est devenue une d’assimilation et d’intégration et non de reconnaissance. Tout de même conscient que les étudiants inuit et des nations autochtones peuvent éprouver des besoins particuliers lors des études au-delà du secondaire, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec (MEES) propose deux programmes

4 Puisqu’au Québec il faut passer par le Collège d’enseignement général et professionnel (cégep) avant

d’entrer à l’université lorsque l’on est âgé de moins de 21 ans et que peu d’étudiants inuit graduent de l’un ou de l’autre, la majorité des données recueillies dans le cadre de cette thèse concernent les études collégiales.

5 Voir le lien vers la page Facebook du programme pour en apprendre davantage : https://www.facebook.com/sivunitsavut/?fref=ts

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de soutien financier aux établissements d’enseignement postsecondaires : 1) Programme Accueil et intégration des autochtones au collégial et; 2) Programme de soutien financier aux membres des communautés autochtones : enseignement universitaire.

Ces programmes visent à faciliter l’accès aux études postsecondaires pour les autochtones par le biais de différentes mesures de soutien, mais aussi par la mise en place de programmes d’études qui se veulent spécialisés et créés en fonction des besoins de ces communautés et qui leur sont exclusivement réservés. Finalement, ces occasions de financement permettent d’adapter des programmes d’études généraux dans les secteurs jugés prioritaires par les autochtones. Au collégial, les cégeps Marie-Victorin (jusqu’en 2016), John Abbott et nouvellement Montmorency, bénéficient de ces subventions pour le soutien et les programmes qu’ils offrent aux étudiants inuit. Du côté universitaire, McGill et l’UQAT par exemple reçoivent également ce type de financement. Malgré la mise en place d’initiatives, le cheminement postsecondaire des étudiants inuit demeure une démarche laborieuse et complexe que l’on ne peut résumer en termes de réussites ou d’échecs scolaires. En m’intéressant aux expériences d’étudiants inuit originaires du Nunavik, j’ai choisi d’étudier cette « place » qu’on leur réserve aujourd’hui dans le système d’éducation postsecondaire québécois.

Objectif et questions de recherche

Ancrée dans le champ de l’anthropologie de l’éducation, l’intégration postsecondaire des Inuit du Nunavik est le phénomène social au cœur de ma thèse. L’anthropologie de l’éducation est un champ qui s’intéresse aux interactions complexes qui constituent la relation entre enseigner et apprendre, quel que soit le contexte. Les concepts d’enculturation et d’acculturation sont inhérents à son développement. L’anthropologue qui se réclame de ce champ s’interroge sur les différentes expressions de l’éducation, puisqu’elle façonne les sociétés et les cultures. Avec la prolifération des écoles, il n’a pu passer outre les transformations qui ont modifié son objet d’étude à travers l’éducation scolaire. Ce ne sont pas tous les états qui ont développé l’école, mais l’école ne s’est nulle part imposée antérieurement à la naissance d’un état (Cohen, 2000, 98). Vestiges de la modernité, les états ont alors implanté et institutionnalisé l’éducation scolaire modifiant les pratiques sociales et culturelles des populations touchées. Avant, l’éducation s’opérait dans un cadre informel par des processus où les valeurs, les connaissances et les compétences à acquérir étaient transmises d’une génération à l’autre par les parents, les

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aînés, les proches et les membres des communautés. De nos jours, elle est devenue le complément d’une éducation structurée et régie par une institution étatique qui contraint les jeunes générations à aller à l’école sous le prétexte, maintenant légal avec la Déclaration des droits de l’homme de 1948, qu’il s’agit d’un droit fondamental à l’être humain. L’article 26 (1948, 108) stipule que : « Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental […] l’accès aux études supérieures doit être ouvert à tous en fonction de leur mérite ». Au Québec, la Loi sur l’instruction publique indique que tout enfant âgé entre 6 ans et 16 ans doit fréquenter l’école, sous réserve de clauses particulières, car il a droit, a minima, à l’éducation préscolaire, primaire et secondaire.

La scolarisation est ici comprise comme une des formes que peut prendre l’éducation. Cette dernière est reconnue depuis longtemps par les anthropologues comme un processus culturel. Il s’agit plus précisément d’un processus par lequel des connaissances sont à la fois acquises et transmises. Chaque individu doit maîtriser certains savoirs et apprendre à se comporter adéquatement en tant que membre d’un groupe pour y prendre part et y contribuer. Certains ont pour rôle d’enseigner ce que les autres doivent apprendre. Il n’y a évidemment pas qu’une seule façon d’apprendre ou d’enseigner et tous les savoirs peuvent être transmis. Toutefois, la scolarisation systématise et uniformise particulièrement le format, les contenus, les standards à atteindre et les aptitudes requises. Or, dans ce processus, la normalisation des uns entraîne inévitablement la marginalisation des autres. Dans le cadre de ma thèse, la scolarisation constitue de la sorte le prétexte d’une réflexion plus large sur l’inclusion scolaire des Inuit, que d’autres pourraient interpréter en termes de décolonisation.

Convaincue du postulat qui soutient que le système d’éducation postsecondaire participe à la marginalisation des Inuit du Nunavik, l’objectif de ma thèse est d’examiner la place qui leur est faite dans ce système en me posant les questions suivantes :

- Qui sont les étudiants inuit originaires du Nunavik? - Quel est le contexte de leurs études postsecondaires?

- Quelles sont les stratégies mises en place pour répondre à leurs besoins en vue de favoriser la persévérance scolaire et ultimement la diplomation?

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- Quels sont les obstacles que rencontrent les Inuit du Nunavik qui poursuivent leurs études au-delà du secondaire?

- Le système d’éducation postsecondaire au Québec est-il un lieu d’inclusion pour les Inuit?

J’ai fait le choix de circonscrire l’objet de ma thèse au système d’éducation postsecondaire actuellement en place, soit l’accès aux études supérieures dans les établissements d’enseignement du Québec ouverts à tous les étudiants. Je n’aborderai donc pas directement la question d’un cégep ou d’une université au Nunavik, bien que cette question ait pu être discutée lors de mes recherches. Je ne partagerai donc pas d’opinion à savoir si une telle institution représente la solution aux constats jugés alarmants concernant la réussite scolaire des Inuit du Nunavik ou la forme qu’elle devrait prendre. Je laisse le soin aux Inuit de poursuivre ce cheminement. Je m’intéresse plutôt au processus d’intégration des Nunavimmiut (habitants du Nunavik) dans le système d’éducation postsecondaire québécois, puisqu’il est déterminant pour comprendre la place que leur réserve le système d’éducation postsecondaire québécois.

Découpage de la thèse

Cette thèse se décline en trois parties, faisant suite à un premier chapitre de présentation du contexte général. Ce dernier permet de comprendre les relations des Nunavimmiut avec les gouvernements qui leur ont imposé le système scolaire. En décrivant d’abord leur arrivée, les premiers contacts et les interventions gouvernementales, j’expose l’apprivoisement graduel et mutuel qui a eu cours entre les Inuit et les Occidentaux, le revirement soudain dans les politiques de laisser-faire des gouvernements envers les Nunavimmiut, mais aussi l’appartenance de ces derniers à des sociétés qui dépassent les frontières canadiennes. L’édification de ce contexte a constitué le cadre contemporain dans lequel s’opère l’éducation postsecondaire des Inuit du Nunavik. Son analyse m’apparaît nécessaire pour comprendre les enjeux d’éducation actuels et répondre à une de mes questions de recherche, visant à mieux connaître les étudiants inuit du Nunavik.

En première partie, j’aborde le contenu qui m’amène à répondre à deux questions de recherche en particulier : 1) Quel est le contexte dans lequel les études postsecondaires des Inuit se déroulent?; 2) Quelles sont les stratégies mises en place pour répondre à leurs besoins en vue de favoriser la persévérance scolaire et ultimement la diplomation? Avant d’aborder plus spécifiquement l’éducation scolaire, je présente quelques aspects de l’éducation inuit. Ce deuxième chapitre n’a toutefois pas pour objet d’illustrer les

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divergences entre l’éducation scolaire et l’éducation qui se voudrait traditionnelle. Certes, je constate que l’éducation inuit est toujours transmise et que ces divergences expliquent certaines des difficultés éprouvées par les étudiants inuit dans le monde scolaire, à cause de leurs différences. Toutefois, je soutiens que l’éducation inuit est non seulement vivante et pertinente, mais aussi qu’elle pourrait enrichir le cadre scolaire québécois et être bénéfique à l’ensemble de la société (chapitres 8-9). Le troisième chapitre cible particulièrement la scolarisation. Des premières écoles à la CSK, elle fait aujourd’hui l’objet d’une appropriation et n’est pas remise en cause. En effet, elle est dorénavant administrée par l’organisation que les Inuit ont mandatée pour le faire sur l’ensemble du territoire du Nunavik. Cette adaptation du système scolaire représente cependant de nombreux défis et ce troisième chapitre expose certains de ces enjeux qui sont également déterminants dans la poursuite des études postsecondaires. Ce dernier point, développé au quatrième chapitre conclura la première partie. J’y expose le cadre dans lequel se négocie l’expérience postsecondaire des Inuit du Nunavik.

Pour faire suite à cette première partie intitulée L’éducation au Nunavik, je propose une incursion dans le champ de l’éducation en anthropologie afin d’exposer le cadre théorique et conceptuel qu’embrasse ma démarche. Contrairement à l’usage commun, je propose d’amener la perspective théorique après la présentation du contexte général dans lequel s’inscrit ma recherche. Je considère la présentation de ce contexte utile à la compréhension des choix théoriques et conceptuels que j’ai faits, puisqu’ils en découlent. Avec cette idée en tête, le cinquième chapitre s’attarde particulièrement à deux composantes caractéristiques de l’anthropologie de l’éducation : 1) son intérêt dominant pour l’éducation scolaire; 2) sa vocation souvent appliquée. Cette étape est essentielle, puisque l’objet de cette thèse se déroule en contexte scolaire et que cette volonté d’intervenir a eu de profonds impacts dans le développement de l’éducation scolaire depuis les années 1960.

Je termine le chapitre avec un aparté sur le concept de « culture ». Celui-ci nécessite d’être balisé, car il est à l’origine des déploiements de l’anthropologie de l’éducation, née dans la foulée de l’anthropologie culturelle américaine. De plus, cet aparté est important, car le concept de culture a une valeur opératoire en contexte d’éducation autochtone. Ensuite, je m’attarde spécifiquement aux développements théoriques, qui constituent le champ aujourd’hui et qui influent sur la forme que peut prendre l’éducation scolaire. Cette étape permet également de positionner ma réflexion dans sa discipline, l’anthropologie.

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Finalement, j’expose les concepts et les débats au cœur desquels j’ai choisi d’inscrire ma discussion sur la négociation du parcours postsecondaire des Inuit du Nunavik. Entre intégration et inclusion, entre « intégrationnisme » et « parallélisme », entre décolonisation et éducation biculturelle, je pose le cadre et l’angle qui me permettront d’analyser les expériences vécues par les Nunavimmiut qui ont pris part à ma thèse, mais aussi de les inscrire dans cette réflexion. Dans ce septième chapitre, je pose le dialogue entre anthropologie et éducation en tant que domaines distincts, mais susceptibles de se nourrir mutuellement.

La troisième partie de cette thèse compte deux chapitres. Le premier des deux – huitième de la thèse – s’intéresse à l’expérience des étudiants postsecondaires inuit. Divisé en fonction des thèmes discutés lors des entrevues et observés lors du travail de terrain, ce chapitre expose la complexité de cette expérience qu’ils négocient au quotidien lorsqu’ils poursuivent leurs études. En cherchant à m’affranchir des catégories que sont l’échec et la réussite scolaires, je tente plutôt de répondre à cette volonté, dépeinte dans la stratégie d’éducation promue par le Comité national sur la scolarisation des Inuits (CNSI), de documenter et d’exposer les obstacles rencontrés par les Inuit dans le système d’éducation postsecondaire québécois. C’est en puisant dans les expériences du quotidien des étudiants inuit que je tente de le faire. Ces expériences me permettront d’amener la réflexion vers une discussion sur la place qui est faite aux Inuit dans le système d’éducation postsecondaire. En remettant en cause le paradigme dominant de l’intégration scolaire, je propose dans le dernier chapitre d’explorer le concept d’autodétermination en éducation et d’expliquer pourquoi l’éducation inuit pourrait le nourrir et par conséquent être bénéfique à l’ensemble du système d’éducation scolaire québécois. Par cet exercice, je tente d’ouvrir la réflexion vers une démarche d’inclusion des Inuit pouvant contribuer à la décolonisation de l’éducation scolaire. Avant d’entrer dans le corps de cette thèse, je poursuis avec le cadre méthodologique et la méthode sous-jacente à la collecte et à l’analyse des données recueillies.

Méthodologie, Méthode et travail de terrain

La dernière section de cette introduction s’attarde à la méthodologie et aux méthodes privilégiées pour sa mise en œuvre. J’en ai construit l’objet avec l’intention de mener une recherche qualitative dont les méthodes sont incontestablement ancrées dans la pratique de l’anthropologie. La pertinence d’une telle approche repose d’une part sur un désir de

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présenter des points de vue, des perspectives et des pratiques afin de mieux comprendre les négociations que les participants à cette étude réalisent tout au long de leur parcours postsecondaire. De nature empirique, ma recherche comprend une part d’observation sur le terrain, des entretiens, un corpus de données consignées dans des notes de terrain et elle s’ancre fortement dans les écrits. Comme cela est le cas chez plusieurs anthropologues (de Sardan, 1995, 83), elle est issue d’un processus itératif, c’est-à-dire constitué d’allers-retours sur le terrain. Dès lors, on se trouve à modifier la problématique et la production des données qui s’élargissent et se précisent à la fois, au fil du déroulement de ce processus. La thèse que je propose est par conséquent l’aboutissement d’un dialogue constant entre le projet de thèse entrepris et le fruit de sa réalisation.

Le « je » méthodologique

Avant d’aller plus loin, j’aimerais préciser que j’ai rédigé ma thèse à la première personne du singulier en raison d’un souci méthodologique, celui de reconnaître la subjectivité inhérente au travail anthropologique. En effet, le chercheur sur le terrain n’est pas uniquement chercheur, comme le mentionne de Sardan (2000, 434) : « […] il transporte aussi avec lui un monde personnel qui entre en contact avec les mondes personnels de ceux auprès de qui il travaille et vit, pour un temps. Cette part-là de la présence sur le terrain n’est (heureusement) pas au sens strict professionnalisable, c’est-à-dire régulable selon des normes professionnelles, bien qu’elle ait indubitablement des effets sur la production professionnelle ».

À cela j’ajouterai que ce choix, qui n’est pas uniquement d’ordre narratif, repose également sur une prise de conscience de la critique que pose Bourdieu sur ce qu’il qualifie de « rêve positiviste d’une parfaite innocence épistémologique ». Celui-ci suppose l’existence d’une différence entre une science qui opère une construction et une autre qui ne le ferait pas. Bourdieu défend a contrario que : « […] la différence n’est pas entre la science qui opère une construction et celle qui ne le fait pas, mais entre celle qui le fait sans le savoir et celle qui, le sachant, s’efforce de connaître et maîtriser aussi complètement que possible ses actes, inévitables, de construction et les effets qu’ils produisent tout aussi inévitablement » (Bourdieu, 1993, 905).

L’écriture de cette thèse à la première personne du singulier souscrit aux idées de Bourdieu. La recherche est une création (Bernard, 2006, 1). Elle soutient l’idée que

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l’anthropologie, tout comme les sciences sociales, ne peut échapper aux contraintes de la construction de l’objet (de Sardan, 1995, 19) et doit en être consciente. En effet, loin de réduire la visée empirique du travail de terrain, tout au long de la collecte, le chercheur sélectionne et s’approprie les données qu’il structure, d’abord par la problématique posée, mais aussi par son langage, sa formation et inévitablement sa personnalité (de Sardan, 1995, 74). Les biais du chercheur sont inévitables, la question qui demeure est à savoir ce qu’il en fera. Comme l’avancent Robben et Sluka (2007, 63) : « […] fieldwork is not a detached activity carried by an objective observer but that subjective experiences and selfhood are part and parcel of fieldwork and its results. The ethnographer’s multiple social identities and his or her dynamic self may be liabilities but also research assets ».

Le chercheur demeure de la sorte un producteur culturel et il se doit d’en être conscient. Il y a toutefois une différence entre accepter et exploiter la subjectivité du chercheur (de Sardan, 2000) dans la réalisation d’une recherche et se mettre en scène à outrance. Malgré le contexte de chevauchement entre les sphères personnelle et professionnelle qui guette l’anthropologue sur le terrain, je suis d’avis, à l’instar de de Sardan, que l’objet de l’anthropologie demeure la connaissance empirique du social. Ces deux registres qui entrent en jeu dans le travail de recherche, et dont les interactions sont évidentes, gagnent à ne pas être confondus par le chercheur et à demeurer de l’ordre des considérations méthodologiques (de Sardan, 2000, 442). Ainsi, l’utilisation que je fais de la première personne du singulier ne réside surtout pas dans l’intention de m’épancher sur mon expérience personnelle de chercheur, elle se pose plutôt comme une critique de ce que Bourdieu appelle le « méthodologisme » (Wacquant, 1992, 31-32). Bourdieu dénonce la tendance en sciences sociales : « […] de séparer la réflexion sur la méthode de son utilisation effective dans le travail scientifique et à cultiver la méthode pour elle-même » (ibid., 31). Dans la foulée de Bourdieu, j’ai rédigé ce texte au « je » dans un souci de ne pas diviser son objet de sa construction, tentant d’éviter que cette thèse parle davantage de ma relation à l’objet que de l’objet lui-même (ibid., 32, 47). Pour ces raisons, le « je » réflexif, introspectif et personnel ne figurera que dans ce chapitre, là où je considère qu’il sert le propos. Comme le souligne Patai’s (cité par Pillow, 2003, 177), nous n’échappons pas à notre position en l’abordant continuellement.

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Contexte de la recherche et du travail de terrain

La recherche en milieu autochtone est sans aucun doute une entreprise sensible et politique, a fortiori lorsqu’elle est réalisée par un allochtone. Comme tout travail de terrain, elle doit se faire dans le plus grand respect des populations auprès de qui elle se déroule. De plus, les autochtones revendiquent un souci particulier à l’égard de leurs histoires, cultures, traditions et valeurs. Ils ont particulièrement souffert des conséquences déplorables engendrées par plusieurs études les concernant, dont celles qui ont mené aux visées d’assimilation au moyen de l’éducation scolaire. Ces études avaient souvent plus d’égard pour le point de vue du chercheur que pour le leur et elles pouvaient donc leur être plus nuisibles que bénéfiques.

La prise de conscience d’une forme d’hégémonie dans la production du savoir (Said, 1989) et l’accroissement des questionnements sur la possible objectivité et neutralité du chercheur (Robben et Sluka, 2007, 17-18) ont contribué dans les années 1970 à un revirement en anthropologie. Grâce à l’émergence de positions marxistes et anti-impérialistes (Wolf, 1972, 1982; Sahlins, 1972), du courant féministe (Abu-lughod, 1993, Butler, 1990) d’une anthropologie interprétative (Geertz, 1973), réflexive (Clifford, 1983), engagée (Bourgois, 1990)… la discipline a développé des regards critiques sur sa pratique et son objet. Ces différentes postures pour étudier le social reposent néanmoins sur un arrimage commun : il faut repenser l’anthropologie. Il faut la repenser non seulement théoriquement et méthodologiquement, mais aussi dans la relation de l’anthropologue avec les participants. De ces mouvements émergent les notions de réciprocité, de partenariat et l’idée d’un engagement envers les autochtones vers une recherche collaborative qui doit apporter quelque chose d’utile au milieu visé par l’étude. La production de connaissances résultant du travail de terrain doit s’opérer dans le cadre d’un dialogue entre l’anthropologue et les participants. Le fruit de cet échange ne doit plus être réductible à l’unique voix du chercheur (Marcus, 1997, 92; Robben et Sluka, 2007, 63). Il s’agit d’un renversement des pouvoirs que certains présentent comme une forme de décolonisation de la recherche (Harrison, 1992, 1997; Smith 1999). Said (1989) a ainsi visé juste lorsqu’il a avancé que les anthropologues d’aujourd’hui ne peuvent plus aller sur le terrain de la même façon qu’auparavant. Une recherche avisée ne peut plus passer outre cette dimension dans la construction de son cadre théorique et dans les choix méthodologiques qui conduisent à sa réalisation. À plus forte raison : « […] on attend des études anthropologiques qu’elles conduisent à une meilleure compréhension des

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autochtones et à une juste reconnaissance de leurs droits » (Petit et de Bocarmé, 2008, 16).

La recherche contemporaine se situe dans un effort pour renverser la tendance inégalitaire qui perdure depuis les colonisations et à laquelle elle a malheureusement contribué. Elle se déroule au cœur du processus de réparation, d’autodétermination, de redéfinition des relations et des rôles, dont celui du chercheur. Or l’héritage pernicieux qui caractérise l’histoire de l’anthropologie l’entache toujours. La mauvaise réputation de la recherche en milieu autochtone pratiquée par des non autochtones perdure à ce jour (Castellano 2004, 98-99). Jérôme (2010) avançait à ce propos dans sa thèse de doctorat auprès des Atikamekws du Québec qu’un interlocuteur sur le terrain lui avait mentionné clairement qu’il ne voulait pas que son histoire soit écrite par un Blanc. Les chercheurs non autochtones, même bien intentionnés, ressentent souvent ce malaise (Cairn, 2000, 15; Ouellette, 2011, 79).

Le chercheur marche ainsi sur une ligne mince où le moindre faux pas peut engendrer des conséquences irrémédiables. Cette position inconfortable présente tout de même un avantage indéniable, puisqu’elle impose la sensibilité et le respect que toute recherche devrait avoir envers ses participants. Toutefois, elle comporte également le risque que dans ce processus le chercheur ressente le devoir d’esquiver toute critique. Ouellette avançait à ce propos : « If writers and scholars are afraid to speak their minds in a decolonized society, then it is no better than a colonial society. Little has changed in the power and how that power is used » (Ouellette, 2011, 73). En présentant cette citation, je ne suppose pas que nous vivons dans une société où l’entreprise de décolonisation est achevée, mais plutôt avec le souci d’illustrer ce qu’elle évoque. Même si le danger de l’hégémonie du chercheur est toujours présent, le chercheur qui tait certains aspects de son travail, croyant ainsi réparer les blessures du passé, contribue à ce que la recherche soit censurée. Dès lors, envers qui l’anthropologue doit-il être loyal (Scheper-Hugues, 2000, 227)? La quête de l’équilibre sur cette mince ligne est une négociation importante avec laquelle il faut apprendre à manœuvrer au cours d’une recherche.

Ouellette (2011, 37) avance également que s’il n’y a pas d’autochtones pour mener les recherches, ce sera forcément un Blanc qui comblera ce vide. Bien que leur nombre augmente, les autochtones demeurent peu présents dans l’arène scientifique. À cela, j’ajouterai que la négociation du terrain par un chercheur autochtone est nécessairement

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différente de celle d’un non-autochtone et les données produites témoigneront certes de cette réalité. L’une de ces positions s’avère incontestablement plus favorable qu’une autre à certains moments, mais elles peuvent également s’avérer complémentaires (Lachapelle, 2010).

Le chercheur qui s’engage sur un terrain familier (insider) s’investit d’une position intellectuelle et émotionnelle bien différente de celui qui travaille en terrain non familier (outsider). Il est déjà inscrit dans un système social et engagé dans des rapports sociaux définis. De par les liens qui unissent le participant au chercheur, il peut s’avérer délicat, embarrassant, voire conflictuel, de révéler certaines informations. Cette situation peut également s’avérer troublante pour le chercheur. Dans l’exemple présenté dans les Cahiers du CIÉRA, j’illustrais le fait que ma collègue devait apprendre à négocier avec des informations concernant sa famille. Elle réagissait visiblement de façon différente lorsque les informations recueillies la concernaient de près. Par ailleurs, Smith (1999, 10) soulevait que le chercheur natif est confronté à de nombreuses critiques quant à ses compétences, critiques combinées à la méfiance vis-à-vis d’un possible « agenda caché ». Elle affirme qu’il n’est pas rare que l’on préfère parler à un chercheur outsider plutôt qu’à un insider. Cet extrait d’entrevue tiré des Cahiers du CIÉRA témoigne de cette réalité :

La personne blanche qui m’accompagnait, elle, avait un autre statut parce qu’elle ne vient pas de là. […] parce que moi je viens de là et que je connais déjà beaucoup de choses. Un moment donné, j’ai ressenti que je jouais plus le rôle d’interprète que de chercheure. On me parlait et on me disait : « Traduit à elle ». C’est comme si j’avais pas monté ce projet-là, j’ai eu l’impression que j’étais juste l’interprète. J’avais l’impression que j’étais pas capable de faire comprendre mon rôle. […] Je dois dire que j’étais déçue, j’aurais aimé que les gens, peu importe l’âge, reconnaissent ce que je faisais et c’est pas tout le monde qui l’a reconnu, je me sentais pas poche, simplement déçue. […] Les Inuit sont moins gênés de répondre aux non-Inuit, ils répondaient plus à ma collègue qu’à moi.

Lachapelle, 2010, 54 L’insider, tout comme l’outsider, demeure en constante négociation et revendication de sa légitimité sur le terrain. Le travail du chercheur autochtone, tout comme celui du non autochtone, est inévitablement tributaire d’une négociation. Ce qui différencie le chercheur autochtone et le non autochtone ne se trouve donc pas dans la légitimité de l’un vis-à-vis de la non-légitimité de l’autre, mais plutôt dans la négociation du travail de terrain, puisque les enjeux diffèrent. Une recherche est toujours menée dans un contexte social et historique qui en détermine et limite l’univers des possibles (Menzies, 2001, 22).

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La recherche en milieu autochtone ne me semble donc pas déterminée par qui peut parler pour qui, mais plutôt par la relation que développe et entretient l’anthropologue avec les participants. Elle est davantage d’ordre éthique (Scheper-Hugues, 2000, 127). En effet, l’anthropologie est une discipline de nature intrusive, dont l’intrusion s’opère principalement lors du travail de terrain. Elle comporte inévitablement son lot de violence symbolique et interprétative à l’égard des participants et de leur compréhension des réalités étudiées par l’anthropologue (ibid.). Cependant, bien que le travail de recherche en milieu autochtone soit sensible et politique, comme l’affirme Cairn (2000, 86) : « To participate in the debate, given its politicization and the sensitivities involved, is to risk being misunderstood. To keep silent is to guarantee that the one will not be understood. If we talk, we all might learn ». Une fois que la décision de s’y engager est prise, reste à savoir comment ce sera fait.

L’énoncé politique des trois Conseils canadiens en éthique de la recherche avec des êtres humains expose clairement cet enjeu dans un chapitre dédié à la recherche avec les autochtones (EPTC-2, chapitre 9). Il y est stipulé un ensemble de principes qui doivent être respectés par tout chercheur financé par les fonds du gouvernement canadien, en plus de constituer un cadre de référence pour les comités d’éthique de la recherche avec des êtres humains. Ces principes, selon la nature du projet et le niveau de participation souhaité dans sa conduite, sont notamment : l’obligation d’obtenir la participation de la communauté aux projets de recherche visant les autochtones, le respect de l’autorité gouvernementale des Premières Nations, des Inuit et des Métis, la participation des organismes et des communautés d'intérêts, le respect des coutumes et des codes de pratique communautaires, la signature d’ententes de recherche, le renforcement des capacités en recherche, la reconnaissance du rôle des Aînés et autres détenteurs de savoirs, etc. Le dialogue et la collaboration entre les chercheurs et les participants sont ainsi non seulement souhaités, mais sont aussi devenus inévitables. Cela est d’autant plus vrai dans la pratique, puisque de plus en plus d’autochtones prennent part à des projets de recherche à titre de chercheurs et d’assistants de recherche, mais aussi parce que les communautés autochtones sont de mieux en mieux informées des conséquences et bénéfices potentiels d’une participation.

Dans cette section, je souhaitais expliciter les enjeux inhérents à l’entreprise d’une étude anthropologique menée en contexte autochtone, du moins ceux que j’ai remarqués et que j’ai essayé de pallier. Je n’y ai pas spécifiquement abordé mon statut de femme, puisque

Figure

Tableau 1 : Séjours en Actique canadien
Tableau 2 :  Années de construction des écoles au Nunavik
Graphique 1 : Stratégie nationale sur la scolarisation des Inuit
Graphique 2 : Organigramme de la CSK

Références

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