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Les résultats soulignent que la décision de vacciner n’est pas toujours simple et que celle-ci est influencée par différents facteurs. Malgré de nombreuses divergences entre les participantes, une certaine homogénéité est apparue par l’établissement des profils, c’est pourquoi j’ai favorisé la présentation de la synthèse des résultats selon ces derniers.

Les résultats de ce mémoire rejoignent en plusieurs points les études qui se sont attachées à identifier les fondements des réticences envers la vaccination. Tout d’abord, parmi les trois profils que j’ai identifiés, deux d’entre eux ont déjà été rapportés lors d’une étude menée en Estrie. En effet, Guay a nommé un profil « l’approche naturelle préférable à la vaccination» qui correspond au profil des mères défavorables à la vaccination. Le second profil qui a déjà été nommé «la vaccination, un moyen de prévention» correspond, dans ma recherche, aux profils des mères favorables à la vaccination (Guay et al, 2009). Les mêmes aspects relatifs à l’utilité, l’efficacité et la sécurité des vaccins ont émergé, ainsi que les différentes sources d’informations privilégiées par chacun d’eux.

Les mères favorables à la vaccination estimaient, en règle générale, qu’elle était utile, efficace et sécuritaire, même si parfois elles avaient des réserves, notamment au sujet de la composition des vaccins. Malgré ces craintes, la majorité d’entre elles faisait confiance aux autorités de santé publique, et, selon elles, les vaccins étaient suffisamment testés avant d’être administrés.

D’ailleurs même si des participantes agissaient par habitude en acceptant la vaccination, cela ne signifiait pas que leur décision n’était pas préalablement réfléchie, mais plutôt qu’elles adhéraient aux messages de promotion de la santé émis par les autorités de santé publique, par exemple, «La vaccination une bonne protection » (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2012c). Outre leur confiance envers les autorités de santé publique, elles l’accordent aussi aux professionnels de la santé, tels le médecin ou le pédiatre, qui, dans le cadre de la vaccination constitue la principale source d’information. Des auteurs ont souligné l’importance de cette confiance et notamment le rôle déterminant des professionnels de la santé (Black et al, 2010, Leask et al, 2006, Wilson et al, 2008). De plus, les mères favorables à la vaccination perçoivent en général les maladies infectieuses comme pouvant être dangereuses. Les complications des maladies, la mort du nourrisson ou bien encore l’évolution rapide des maladies étaient les aspects le plus souvent mentionnés. À cet effet, plusieurs d’entre elles ont rapporté des épisodes graves de maladies, que ce soit au niveau personnel ou vécu par un tiers. Ainsi, la vaccination constituait un des moyens privilégiés pour éviter les maladies infectieuses tout en étant combinée avec d’autres comportements tels que l’évitement des malades, l’hygiène et l’allaitement. Cette perception du danger des maladies infectieuses peut être mise en relation avec la valeur principale de protection du nourrisson évoquée pour expliquer leur choix. Certaines d’entre elles ont également mentionné le bien commun inhérent à la protection collective. Cependant, cette valeur morale n’était pas déterminante pour la décision, mais elle apparaissait plutôt comme un «bonus à la vaccination». Bien que tous ces éléments nous permettent de mieux comprendre la décision, il ne faut pas oublier que la majorité considérait qu’il était normal de se faire vacciner. Ainsi, il est également possible de dire qu’elles agissaient par conformité sociale.

Quant aux participantes défavorables à la vaccination, leur profil est tout à fait contraire. Elles considéraient majoritairement que la vaccination était inutile, inefficace, et non sécuritaire. La remise en cause de la sécurité des vaccins s’accompagnait, en général, d’une méfiance à l’égard des autorités de santé publique, des professionnels de la santé, mais aussi des compagnies pharmaceutiques. Ce scepticisme à l’égard de la vaccination existe depuis son invention, notamment par l’intermédiaire de groupes anti-vaccins, par exemple les vaccinophobes (Blume, 2006, Darmon, 1986). Les sources d’informations concernant la vaccination sont multiples et le manque de confiance envers les autorités de santé publique explique pourquoi les informations

issues des sources officielles ne sont pas privilégiées. Dès lors, pour s’informer, les mères défavorables privilégient les sources populaires, telles les amies, les recherches sur Internet ou les professionnels de médecine alternative. Ce manque de confiance envers les autorités de santé, qui a également été révélé dans d’autres études, amène Hobson-West à préciser qu’il n’est pas nécessaire de donner plus d’informations aux mères défavorables tant que le lien de confiance n’est pas établi (Hobson-West, 2003: 280). Certaines expriment leur satisfaction lorsque la baisse de la couverture vaccinale est évoquée. Selon elles, cela indique que la population est mieux informée et est en mesure de remettre en question les messages véhiculés par les autorités de santé publique. Pour la majorité d’entre elles, les maladies infectieuses n’étaient pas dangereuses et certaines maladies jugées bénignes étaient même considérées comme nécessaires, notamment la varicelle. Selon ces participantes, le corps est en mesure de lutter contre les maladies, et l’immunité acquise de façon naturelle est préférable à l’immunité acquise par la vaccination. Cette vision de la santé et de la maladie peut être associée à la valorisation de ce qui est naturel, valeur la plus fréquemment évoquée par les mères défavorables. Cette conception de la santé et de la maladie est développée par Hobson-West de la façon suivante : «Resistance to vaccination may be less about refusing a vaccine and more about choosing «positive health» (Martin 2000: 135 cité dans: Hobson-West, 2003: 278). Ainsi, les mères défavorables ne rejettent pas seulement la vaccination mais elles ont une conception de la santé différente de celle du modèle biomédical. Cela peut être associé aux conduites de santé qu’elles mettent en place pour éviter les maladies infectieuses, ou bien, dans certains cas, pour exposer l’enfant à celles-ci. En effet, la majorité d’entre elles favorise l’allaitement et y accorde beaucoup d’importance. Cela rejoint les résultats de l’étude de Burton-Jeangros, qui précise que les mères défavorables à la vaccination adopteraient des comportements vertueux (Burton-Jeangros et al, 2005). De plus, parmi les stratégies développées, elles évitent le contact avec les personnes souffrant de maladies qu’elles estiment dangereuses, et favorisent l’hygiène. Pour les maladies qu’elles jugent nécessaires, notamment pour que le système immunitaire de l’enfant puisse se développer, elles sont plus enclines à favoriser l’exposition de l’enfant, plutôt que de l’éviter, comme c’est le cas, par exemple, pour la varicelle.

Les mères hésitantes vis-à-vis de la vaccination constituent le troisième profil. Ces femmes se situent au croisement des deux positions : elles reconnaissent à la fois l’utilité, l’efficacité et la sécurité de la vaccination par certains aspects, et son contraire. En effet, la majorité d’entre elles admettent les bienfaits de la vaccination d’un point de vue de santé publique, telle que l’éradication des maladies, et les désavantages d’un point de vue personnel, celui de prendre le risque de faire vacciner leur nourrisson. Gust et Dempsey ont souligné que les parents hésitants vis-à-vis de la vaccination étaient partagés entre les possibles effets négatifs des vaccins d’une part, et la reconnaissance de l’efficacité et de l’utilité de la vaccination d’un point de vue de santé publique, d’autre part (Dempsey et al, 2011., Gust et al, 2005, Gust et al, 2008). Cette reconnaissance de l’utilité et de l’efficacité ressortait dans l’étude de Dempsey lorsqu’elle mentionne qu’une proportion importante des parents qui utilisent un calendrier alternatif à la vaccination concevait que cela participe à l’augmentation des risques de propagation des maladies infectieuses (Dempsey et al, 2011: 854). D’ailleurs, parmi les participantes hésitantes, certaines exprimaient leur crainte de la réapparition des maladies infectieuses en lien avec la baisse de la couverture vaccinale. Les participantes hésitantes à choisir la vaccination valorisaient, d’un côté, ce qui était naturel, cela s’exprimant par l’inconfort à inoculer un produit étranger et par la crainte de la sur-vaccination et de l’aseptisation. D’un autre côté, la valorisation de la protection du nourrisson était exprimée en lien avec la gravité des maladies infectieuses. Ces femmes étaient partagées entre la confiance envers les autorités de santé publique et la méfiance face à l’influence, notamment, du lobbying pharmaceutique. En règle générale, elles déploraient les positions trop tranchées et l’absence de nuance, ce qui compliquait leur prise de décision. C’est la raison pour laquelle, afin de recueillir une plus grande diversité d’avis, elles avaient recours à de multiples sources d’information. Il convient de souligner que toutes les participantes primipares étaient hésitantes à la vaccination, mais qu’elles ont toutes accepté de faire vacciner leur enfant. En règle générale, c’est le professionnel de la santé, ou bien des sources d’information officielles, qui ont influencé leur décision. Cela rejoint l’étude de Gust, notamment au sujet de l’importance du professionnel de la santé dans la prise de décision pour les parents hésitants (Gust et al, 2008). Leask ajoute qu’il serait primordial de former les professionnels de la santé, pour que ces derniers puissent inter-agir avec les parents hésitants quant à leur choix vis-à-vis de la vaccination (Leask, 2011). Ces femmes réalisent souvent une distinction entre les «vieux vaccins » qui, selon les mères hésitantes, ont fait leur preuve, et les

«nouveaux vaccins», notamment ceux contre la varicelle et la gastroentérite. Elles jugeaient ces maladies bénignes et l’inclusion de ces vaccins au calendrier alimentait leur scepticisme lié au lobbying pharmaceutique. L’étude de Gust soulignait également que le vaccin contre la varicelle était remis en question, notamment parce que cette maladie est jugée bénigne (Gust et al, 2008). Par contre, concernant les mères hésitantes ayant accepté la vaccination, elles évoquaient la protection et l’influence de la norme et étaient préoccupées par la réapparition des maladies. Quant à celles qui ont choisi et/ou retardé les vaccins, il s’agissait d’un compromis. En effet, en règle générale, elles estimaient que la vaccination à deux mois était trop tôt, sans toutefois souhaiter prendre le risque d’exposer leurs enfants à des maladies infectieuses qu’elles estimaient dangereuses. Leur décision était motivée à la fois par la protection de l’enfant et par la valorisation de ce qui est naturel.

Les résultats de mon mémoire identifiant les connaissances, les croyances les normes et les valeurs en lien avec la décision de vaccination rejoignent donc les résultats de la littérature existante à ce sujet. Dans le cadre de cette recherche, cela m’a permis d’identifier les composantes qui animent la moralité populaire des mères québécoises.