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Influence de la moralité populaire et des stratégies de gestion du risque dans le cadre de la vaccination des nourrissons au Québec

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Academic year: 2021

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Influence de la moralité populaire et des stratégies de

gestion du risque dans le cadre de la vaccination des

nourrissons au Québec

Mémoire

Maryline Vivion

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A)

Québec, Canada

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Résumé

Au Québec, la vaccination des nourrissons n’est pas obligatoire. Dès lors, la décision revient aux parents d’accepter ou de refuser les vaccins. Cette décision relève d’un processus complexe qui implique différents facteurs qu’il m’a semblé pertinent d’étudier. Ce projet, mené auprès de vingt mères québécoises, vise à déterminer l’influence de la moralité populaire et les stratégies de gestions du risque sur la décision de vaccination des nourrissons québécois. Trois profils de participantes ont été établis, les mères favorables à la vaccination, les mères hésitantes et enfin, les mères défavorables à la vaccination. Pour chacun des profils, les composantes de la moralité, telles les normes et les valeurs ont été identifiées. De plus, les stratégies de gestion du risque envers les maladies infectieuses et la vaccination ont été documentées. Au sein des profils, une homogénéité quant aux moralités et aux stratégies de gestion du risque mises en place a pu être observée.

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Remerciements

Je tiens tout d’abord à adresser mes remerciements à Monsieur Raymond Massé, qui en tant que directeur de ce mémoire, a été à l’écoute et disponible. Merci pour m’avoir guidée et orientée tout au long de mon cheminement universitaire.

Ensuite, je remercie sincèrement Madame Eve Dubé qui m’a toujours soutenue, encouragée et impliquée dans ses projets. Son aide, sa patience et son écoute m’ont été très précieuses et m’ont permis d’achever ce mémoire.

Je remercie également l’institut d’éthique appliquée (IDEA) qui, par l’octroi d’une bourse, m’a aidée financièrement pour la réalisation de ce projet.

Un merci spécial à Stéphane, mon mari, qui me soutient, m’encourage, m’écoute, me corrige et surtout me fait confiance pour tous les projets que j’entreprends. Merci de m’avoir soutenue dans mon changement de carrière et mon retour à l’université qui n’a pas été facile et n’aurait pas été possible sans ton aide.

Enfin, j'adresse mes plus sincères remerciements à tous mes proches et amis, qui m'ont toujours soutenue et encouragée au cours de la réalisation de ce mémoire. Un merci spécial à Didier Adinolfi pour ses corrections, Chantal Beauchesne pour son écoute et sa bonne humeur et Anne-Sophie Amah-Deleuze pour ses encouragements lors de la dernière ligne droite.

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Table des matières

Résumé ... iii

Remerciements ... v

Table des matières ... vii

Liste des tableaux et annexes ... ix

Introduction... 1

Chapitre premier : Problématique ... 3

1.1 La vaccination et la couverture vaccinale ... 3

1.2 Les fondements socioculturels des réticences à la vaccination ... 5

1.3 Les attitudes envers la vaccination ... 7

1.4 Le rôle des valeurs ? ... 8

1.5 Conclusion ... 9

Chapitre deux : Orientations conceptuelles ... 11

2.1 Approche anthropologique de la moralité ... 11

2.2 Distinction morale et éthique ... 13

2.3 Les différentes moralités ... 15

2.3.1 Moralité partagée (Common morality) ... 15

2.3.2 Moralité instituée ... 16

2.3.3 Moralité séculière... 18

2.3.4 Moralité populaire et moralité incarnée ... 19

2.4 Les composantes des moralités ... 19

2.4.1 Les croyances et les connaissances ... 20

2.4.2 Les normes ... 20

2.4.3 Les valeurs ... 20

2.5 Les méthodes de construction de jugements et de raisonnements moraux ... 22

2.5.1 Les différents comportements envers la vaccination des nourrissons ... 25

2.6 Le concept de risque ... 27

2.6.1 Le risque en santé publique ... 27

2.6.2 Approche anthropologique du risque ... 29

2.6.3 Les stratégies familiales de gestion du risque ... 30

2.7 Conclusion ... 31

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3.1 Objectifs de la recherche ... 33

3.2 Contexte de l’étude ... 34

3.3 Choix et justification de l’analyse qualitative. ... 35

3.4 Recrutement des participantes ... 35

3.5 Technique et collecte des données ... 36

3.6 Construction du schéma d’entrevue ... 37

3.7 Analyse des données ... 37

3.8 Population de l’enquête et échantillon ... 39

3.9 Profil des participantes selon l’attitude et la décision vaccinale ... 40

Chapitre quatre : Les connaissances et les croyances en lien avec la vaccination ... 43

4.1 Définition des maladies infectieuses et de la vaccination par les participantes ... 43

4.2 L’utilité, l’efficacité et la sécurité des vaccins. ... 44

4.2.1 L’utilité de la vaccination ... 44

4.2.2 L’efficacité de la vaccination ... 46

4.2.3 La sécurité des vaccins ... 47

4.3 Conclusion ... 49

Chapitre cinq : Les normes et les valeurs qui servent de fondements au jugement moral des mères québécoises ... 51

5.1 Les normes ... 51

5.1.1 La normalité de la vaccination... 51

5.1.2 La normalité des maladies infectieuses ... 53

5.2 Les valeurs ... 54

5.3 Conclusion ... 59

Chapitre six : Reconstruction des étapes et des déterminants du processus de construction d’une prise de décision. ... 63

6.1 Les sources d’information et d’influence ... 63

6.2 Le rôle des expériences ... 67

6.2.1 Les expériences en lien avec la vaccination ... 67

6.2.2 Les expériences des maladies infectieuses ... 70

6.3 Le rôle des émotions en lien avec la vaccination ... 72

6.4 Conclusion ... 74

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7.1 Rappel sur la perception du risque associé aux maladies infectieuses ... 79

7.2 Les stratégies de gestion du risque ... 82

7.2.1 Stratégies pour éviter les maladies infectieuses ... 82

7.2.2 Stratégies pour éviter les effets indésirables de la vaccination ... 85

7.2.3 Stratégies pour exposer l’enfant aux maladies infectieuses ... 85

7.3 Conclusion ... 86

Chapitre huit : Synthèse et conclusion ... 89

8.1 Synthèse des résultats selon les profils ... 89

8.2 La moralité populaire ... 93

8.3 Les stratégies de gestion du risque ... 98

Bibliographie ... 101

Annexes ... 109

Liste des tableaux et annexes

Tableau 1 Attitudes envers la vaccination : Un continuum ... 8

Tableau 2 Calendrier vaccinal québécois pour les nourrissons de 2 à 18 mois ... 34

Tableau 3 Répartition des participantes selon le nombre d'enfants et la décision ... 39

Tableau 4 Répartition des participantes selon leur attitude et leur décision. ... 41

Annexe 1 Formulaire d'invitation ... 109

Annexe 2 Schéma d'entrevue avec les mères en prénatal ... 117

Annexe 3 Schéma d'entrevue avec les mères en postnatal ... 121

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Introduction

La vaccination serait l’une des mesures les plus efficaces en santé publique pour lutter contre les maladies infectieuses (Black et al, 2010, Ministère de la Santé et des Services sociaux., 2011). Depuis la popularisation de la vaccination en 1796 par Edward Jenner, celle-ci n’a cessé d’évoluer notamment par le développement de nouveaux vaccins (Hobson-West, 2003: 274). Aujourd’hui, la grande majorité des pays sont dotés de programmes de vaccination, et au Canada, ce sont les provinces qui ont la responsabilité de ces derniers. Certaines populations sont ciblées par ces programmes, tels que les nourrissons, pour qui la majorité des vaccin leur sont destinés, les personnes âgées ou bien les personnes ayant des maladies chroniques les rendant plus vulnérables face à une maladie infectieuse (Ministère de la Santé et des Services sociaux., 2011). Ainsi, au Québec, un calendrier de vaccination débutant à deux mois pour les nourrissons est proposé, et la décision revient aux parents de l’accepter ou de le refuser.

Malgré les réussites attribuées à la vaccination par les autorités de santé publique, une baisse des couvertures vaccinales est observée dans les pays industrialisés. En effet, paradoxalement, plus les maladies infectieuses disparaissent, plus la nécessité de la vaccination est remise en question. D’ailleurs, depuis quelques années déjà, un phénomène d’hésitation à la vaccination a été identifié (Gust et al, 2008, Kennedy et al, 2011). Ce phénomène est caractérisé par l’existence de personnes ayant des doutes envers la vaccination retardant et/ou choisissant les vaccins (Gust et al, 2008). Ces personnes se distinguent de celles qui sont favorables à la vaccination et qui, par conséquent, acceptent tous les vaccins, ainsi que de celles défavorables à la vaccination et refusent l’ensemble des vaccins (Schwartz et al, 2011b).

Diverses études se sont attachées à documenter le fondement des réserves des personnes face à la vaccination. Différents aspects ont été identifiés telles que la remise en question de l’utilité, de l’efficacité ou bien de la sécurité des vaccins. La décision de vaccination est complexe et de nombreux facteurs tels que les connaissances, les croyances et le niveau de scolarité influencent

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la décision (Hobson-West, 2003). Parmi ces différents facteurs, il m’a semblé intéressant de porter une attention particulière aux valeurs. Pour certains parents la décision peut poser un véritable dilemme, suite à la confrontation de diverses valeurs. Au sein de la littérature scientifique, les maladies infectieuses et la vaccination sont étroitement liées à la notion de risque. Ces perceptions du risque par les mères, serait à l’origine de la mise en place de routines visant la bonne santé des membres de la famille (Burton-Jeangros, 2004). Dans le cadre de ce mémoire, je vais m’attacher à déterminer l’influence des moralités et les stratégies de gestion du risque des mères québécoise sur la décision d’accepter ou non la vaccination

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Chapitre premier : Problématique

1.1 La vaccination et la couverture vaccinale

Au Québec, les maladies infectieuses représentaient la principale cause de mortalité jusqu’au 19e siècle (Paradis et al, 1988). C’est en 1885, suite à l’épidémie de variole, faisant environ 3000 victimes à Montréal, qu’un conseil d’hygiène de la province de Québec a été formé (Anctil, 1986: 39, Ruelland, 2012). Dès lors, des programmes de vaccination sont mis en place pour lutter contre la variole. Toutefois, ceux-ci sont peu acceptés par la population qui remet en cause notamment la sécurité du vaccin (Anctil, 1986: 37, Ruelland, 2012). Malgré les réticences de la population, le premier programme officiel de vaccination a été établi au Québec en 1919 (Ministère de la Santé et des Services sociaux., 2011). Ces programmes ont pour but de maximiser les bénéfices de la vaccination en prévenant la mortalité et la morbidité au sein de la population, tout en minimisant les effets indésirables des vaccins et en favorisant la prise de décision autonome (Schwartz et al, 2011a). La vaccination n’a cessé de s’améliorer, et aujourd’hui, elle est considérée comme le moyen le plus efficace et le plus sécuritaire pour lutter contre certaines maladies infectieuses. De plus, la vaccination est présentée comme l’une des plus grandes réussites de la santé publique. À cet effet on peut lire dans le protocole d’immunisation du Québec la mention suivante :

De toutes les interventions sanitaires, la vaccination est l’une des plus efficaces. Elle a permis d’éradiquer la variole, de réduire de 99 % l’incidence mondiale de la poliomyélite et de faire baisser de façon spectaculaire la morbidité, les incapacités et la mortalité dues à la diphtérie, au tétanos, à la coqueluche et à la rougeole. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime que la vaccination a permis d’éviter plus de 2 millions de décès pour la seule année 2003 (Ministère de la Santé et des Services sociaux., 2011: 43).

Pour protéger efficacement contre les maladies évitables par la vaccination, un taux de couverture vaccinale1 doit être maintenu à un niveau suffisant, afin d’éviter l’apparition et la propagation rapide des maladies. Cela constitue d’ailleurs l’une des caractéristiques de la vaccination. Quand la couverture vaccinale est optimale, les personnes vaccinées protègent

1 Taux de couverture vaccinale : La couverture vaccinale est définie comme : « le pourcentage d’enfants ayant reçu

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celles qui ne le sont pas ou celles ne pouvant pas recevoir de vaccins, comme les enfants trop jeunes, ceux allergiques à différentes composantes du vaccin, ou les personnes ayant un système immunitaire affaibli pour qui la vaccination sera moins efficace (Vacc-Info., 2011). C’est le principe de «herd immunity» : la vaccination devient alors, non seulement un geste de protection individuelle, mais aussi un geste citoyen qui sert l’intérêt collectif.

Actuellement, les maladies infectieuses ne font plus partie des causes principales de mortalité en Occident, les maladies dites de civilisation ayant pris leur place : maladies cardio-vasculaires, cancers, accidents (Desrosiers, 1999: 8). Malgré cette réussite, on assiste, dans les pays industrialisés, à une remise en question de la vaccination (Blume, 2006: 628). Certains diront qu’elle est victime de son succès, à tel point que la population a souvent oublié jusqu’aux noms des maladies contre lesquelles leurs enfants sont vaccinés (Gaudelus, 2008: 772). Par exemple, les pays industrialisés ne font plus face à des cas de diphtérie ou de poliomyélite qui peuvent être létaux, par conséquent de nombreux parents ignorent ces maladies (Dawson, 2009: 164). Cependant, depuis quelques années, certaines maladies apparaissent à nouveau dans les pays occidentaux, telles la rougeole et la coqueluche (Institut de veille sanitaire, 2011, Markowski et al, 2012). En 2011, des cas de rougeole ont été déclarés au Québec. Ces derniers étaient importés de France où une épidémie sévissait depuis 2008 (Institut de veille sanitaire, 2011). Selon le rapport faisant état de la situation au Québec le 23 mars 2012, 776 cas de rougeole étaient confirmés, la majorité d’entre eux se situant dans les régions de la Mauricie, du Centre du Québec et de la Montérégie. Une hospitalisation a été nécessaire dans 11 % des cas, plus particulièrement pour les jeunes enfants de 12 à 17 mois. Enfin, 64 cas de complications ont été rapportés, ces dernières étant principalement de nature respiratoire (27 cas de pneumonie). Concernant le statut vaccinal des cas, les autorités de santé publique estiment que 79 % d’entre eux n’étaient pas considérés comme protégés, parmi eux 29 enfants de moins d’un an qui n’avaient pas encore atteint l’âge de recevoir leur 1èredose de ce vaccin. Il convient de noter que 146 cas de rougeole ont été rapportés chez des personnes adéquatement vaccinées (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2012b). À cela s’ajoutent des cas de coqueluche déclarés au Québec. Le registre des maladies à déclaration obligatoire a fait état de 688 cas déclarés entre le

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1er janvier et le 1er septembre 2012 alors que pour la même période en 2011, 82 cas avaient été déclarés (Markowski et al, 2012).

1.2 Les fondements socioculturels des réticences à la vaccination

La réapparition des maladies infectieuses dans les pays industrialisés pourrait s’expliquer, entre autres, par le fait que l’objectif du taux de couverture vaccinale fixé à 95% n’est pas atteint. Par exemple, le taux de couverture vaccinale pour les enfants de deux ans n’atteint que 82% en 2010 (Boulianne et al, 2011). Diverses études se sont attachées à identifier les fondements des réticences, et il apparaît que la décision d’accepter ou de refuser la vaccination relève d’un processus complexe. Différents éléments influencent la décision parmi eux, les connaissances, les croyances, la perception du risque, les informations et le niveau de scolarité (Burton-Jeangros et al, 2005, Hobson-West, 2003). Certains auteurs notent que les motifs religieux peuvent constituer un facteur influençant la décision. Pour certains, la vaccination est perçue comme une interférence avec la volonté de Dieu, constituant ainsi un argument en défaveur de la vaccination (Hobson-West, 2003: 278, Velan et al, 2012). D’autres études soulignent l’importance de la conception de la santé et de la maladie. Burton-Jeangros, lors d’une étude menée en Suisse, précise que le recours à des pratiques alternatives de soins serait associé à un rejet plus marqué de la vaccination (Burton-Jeangros et al, 2005: 342). Hobson West explique que dans le cadre de l’homéopathie, la santé est comme un état qui peut être continuellement amélioré en renforçant les forces vitales (Hobson-West, 2003). L’auteure précise : « In this world-view ˋdiseaseˊ takes on highly personalised meaning and is evidence of the body’s natural and automatics effort to heal itself » (Hobson-West, 2003: 278). Ainsi, les réticences à la vaccination, ne sont pas toujours liées directement au rejet du vaccin, mais plutôt à la façon de concevoir la santé, ou la maladie (Hobson-West, 2003: 278).

Outre la conception de la santé et de la maladie, d’autres études soulignent que la vaccination est directement remise en question. Trois angles d’approche permettent d’aborder le rejet de la vaccination : l’efficacité, l’utilité et la sécurité. Tout d’abord, le fait qu’il est possible de contracter la maladie même en étant vacciné constitue, pour certains, un argument pour questionner l’efficacité de la vaccination (Bond et al, 1998: 443). De plus la quasi-disparition des maladies infectieuses amène certains parents à s’interroger sur l’utilité de celle-ci (Cooper et al,

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2008, Downs et al, 2008). À cela s’ajoute l’affirmation par certains groupes défavorables que les maladies infectieuses avaient diminué avant l’introduction des vaccins, ce qui non seulement remet en cause l’efficacité des vaccins, mais aussi leur utilité (Wolfe et al, 2002). Les programmes de vaccination ne cessent d’évoluer, notamment par le retrait ou l’ajout de vaccins. Par exemple, suite à l’éradication de la variole le vaccin a été retiré, alors que d’autres se sont ajoutés tels le vaccin contre la varicelle ou celui contre la gastro-entérite à rotavirus (Ministère de la Santé et des Services sociaux., 2011). Toutefois, l’introduction de vaccins pour des maladies jugées bénignes, comme la varicelle alimente le scepticisme de certains parents à l’égard du bien-fondé de la vaccination (Gust et al, 2008: 723, Schwartz et al, 2011b: 721). Ce bien fondé est ébranlé par des questionnements concernant le lobbying pharmaceutique et les intérêts financiers des compagnies (Black et al, 2010). L’introduction de vaccin pour des maladies jugées peu sévères participe à ces questionnements quant aux réelles intentions attribuées à la vaccination, mettant en doute l’utilité de la vaccination.

Enfin, la sécurité des vaccins constitue un aspect important dans le fondement des réticences (Bond et al, 1998, Freed et al, 2004, Hobson-West, 2003). La quantité de vaccins constitue un facteur associé aux réticences face à la vaccination. Cela s’explique, entre autres, par la conception du système immunitaire. Certains parents perçoivent la vaccination comme étant bénéfique pour éviter les maladies infectieuses, mais ils la conçoivent aussi comme pouvant être néfaste pour le système immunitaire (Bardenheier et al, 2004: 574, Bond et al, 1998: 443). La vaccination stimulerait de façon trop importante le système immunitaire qui, chez un nourrisson de deux mois, n’est pas encore développé (Bond et al, 1998). De plus, il convient d’ajouter que certaines maladies jugées bénignes, comme la varicelle, sont considérées comme étant nécessaires au développement du système immunitaire (Bond et al, 1998: 444). De plus, au-delà des risques pour le système immunitaire, l’aspect de la sécurité des vaccins est également interpellé par les effets secondaires de la vaccination. Certaines études soulignent que, pour certains, la vaccination est responsable du développement de certaines maladies chroniques, ou maladies neurologiques (Hobson-West, 2003, Leask, 2002, Schwartz et al, 2011b). La plus importante controverse en lien avec la vaccination est attribuée au docteur Andrew Wakefield, qui en 1998, publia les résultats d’une étude dans le journal The Lancet. Cette étude effectuait un

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lien entre le vaccin RRO et l’autisme (Leask, 2002: 124). Fortement relayés par les médias, ces résultats furent démentis par la communauté scientifique. Malgré cela, une forte diminution de la vaccination RRO a été observée, notamment en Grande-Bretagne où la controverse a éclaté (Schwartz et al, 2011b). La sécurité est également évoquée en lien avec l’incertitude des effets secondaires à long terme de la vaccination (Bardenheier et al, 2004, Bond et al, 1998: 443). La remise en question de la sécurité des vaccins souligne l’importance de la notion de risque dans le cadre de la vaccination (Hobson-West, 2003). Cette notion est centrale, toutefois comme le précise Burton Jeangros : «le risque doit être envisagé comme une construction sociale, c'est-à-dire qu’il est interprété de manière différente en fonction de la position des individus dans la structure sociale» (Burton-Jeangros et al, 2005: 343). Cette compréhension différenciée du risque entraîne la mise en place de stratégies de gestion du risque (Burton-Jeangros, 2004). Par exemple, certains parents vont s’appuyer sur l’ouvrage du Docteur Sears, intitulé : « The Vaccine Book : Making the right decision », qui propose un calendrier alternatif à la vaccination (Schwartz et al, 2011b). Par exemple, afin d’éviter les interactions entre les vaccins, il est conseillé, dans cet ouvrage, d’éviter plusieurs injections lors d’une même visite (Schwartz et al, 2011b: 721).

1.3 Les attitudes envers la vaccination

Bien souvent, on se limite à une opposition entre les « pro-vaccinations » et les « anti-vaccinations ». Or, cette présentation des faits omet les différentes positions nuancées envers la vaccination que l’on retrouve au sein de la population. Les études soulignent qu’entre les « anti-vaccinations » et les « pro-anti-vaccinations », il y a des parents hésitants. Le tableau suivant illustre le continuum dans lequel s’inscrit les différentes positions que les parents peuvent présenter face à la vaccination (Benin et al, 2006, Burton-Jeangros, 2004) :

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Tableau 1 Attitudes envers la vaccination : Un continuum

Vaccinant Non Vaccinant

Acceptation de la vaccination. Hésitation envers la vaccination Retardement de la vaccination Rejet de la vaccination Acceptation de la vaccination sans remise en question Accepte la vaccination, malgré un questionnement Retardement de la vaccination ou bien sélection de certains vaccins seulement Rejet total de la vaccination

(Source: Benin et al, 2006: 1535, Traduction personnelle)

La quasi-disparition des maladies infectieuses rend la vaccination sujette à la controverse, et fragilise les programmes de vaccination. D’ailleurs, certains ne manquent pas de souligner le rôle des médias, comme Spier qui précise : «In a sensation starved media, the exacerbation of single incidents into major disasters is one temptation too far for most the media commentators. By contrast the successful prevention of diseases in tens of millions of individual is virtually ignored » (Spier, 2001: S83). Ces controverses, auxquelles la population est facilement exposée, peuvent alimenter le phénomène nommé «l’hésitation à la vaccination». En effet, dans son étude Gust estime que près de 30 % des parents seraient hésitants à la vaccination, alors que seulement 5 % d’entre eux y seraient clairement défavorables (Gust et al, 2008). L’hésitation face à la vaccination se retrouve chez les parents qui acceptent la vaccination malgré des questionnements ou bien des doutes importants. Ils choisissent certains vaccins seulement, ou bien retardent la vaccination. Cette distinction est importante, car elle souligne que la décision relative à la vaccination est issue d’un processus complexe.

1.4 Le rôle des valeurs ?

Au Québec la vaccination n’est pas obligatoire et il revient aux parents de prendre la décision pour leurs enfants. La vaccination est un acte préventif qui s’inscrit dans un contexte plus large de soins à apporter aux enfants. Chaque parent a sa propre conception de ce qui est bon pour la santé de son enfant et, en règle générale, les décisions visent le bien-être de ce dernier. La décision de vacciner s’inscrit dans un processus complexe et ne se limite pas aux connaissances des parents. En effet, différents éléments jouent un rôle dans le processus de prise de décision des parents envers la vaccination des nourrissons. Par exemple, les savoirs populaires, les pressions sociales, le niveau d’information. Bien que de nombreuses études se soient attachées à

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identifier les fondements des réticences à la vaccination, il serait intéressant d’aborder le rôle des valeurs morales dans le processus de prise de décision. En effet, les parents adhèrent à des valeurs et la décision de vacciner peut entraîner une confrontation de celles-ci notamment si les parents sont hésitants à la vaccination. Ainsi, dans le cadre de ce mémoire, je vais m’intéresser à l’influence des valeurs morales et à la perception du risque par les mères québécoises dans le processus de prise de décision de la vaccination des nourrissons.

1.5 Conclusion

Dans le cadre de ce chapitre, j’ai présenté la vaccination et l’importance d’un taux élevé de la couverture vaccinale qui, selon les autorités de santé publique permettraient d’éradiquer les maladies infectieuses évitables par la vaccination. Toutefois, la quasi-disparition de ces maladies a pour effet paradoxal le questionnement du bienfondé de la vaccination par la population. Le fondement des réticences a été étudié, et les questionnements relatifs à l’utilité, l’efficacité et la sécurité des vaccins ont été dégagés avec une importance accordée à la notion de risque. De plus, l’analyse des attitudes envers la vaccination a été affinée, mettant à jour le phénomène de «l’hésitation à la vaccination». Outre les connaissances, croyances et attitudes qui peuvent jouer un rôle important lors de la prise de décision, je fais l’hypothèse que les valeurs auxquelles les parents adhèrent influencent aussi la décision. C’est pourquoi, dans le cadre de ce mémoire, je vais aborder la vaccination des nourrissons sous l’angle des valeurs qui sont associées à la vaccination et de la notion de risque telle que perçue par la population.

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Chapitre deux : Orientations conceptuelles

2.1 Approche anthropologique de la moralité

La morale ou moralité, a suscité de nombreux écrits, notamment dans les domaines de la sociologie, de la philosophie et de la psychologie. Toutefois, ce concept de morale est confus, comme le souligne Frankena: « There is something which goes on in the world which is appropriate to give the name «morality». Nothing is more familiar; nothing is more obscure in its meaning» (Frankena cité dans Krebs, 2011: 15). Cependant, certains auteurs sont reconnus pour leurs apports à la définition de ce concept. Parmi eux, Durkheim, Weber et Foucault (Fassin, 2012b, Zigon, 2008). Pour Durkheim, trois principes régissent les faits moraux : tout d’abord les obligations morales qui apparaissent comme un système de règles et de conduites, ensuite les règles morales qui sont investies d’une entité dotée d’une autorité spéciale à laquelle les individus obéissent. Enfin, le dernier principe est précisé comme suit : «To become the agent of an act it must interest our sensibility to a certain extent and appears to us as, in some way, desirable » (Fassin, 2012b: 7). En somme, la morale selon Durkheim est une combinaison du devoir et du désir, dont les obligations morales sont au fondement de toutes les sociétés et sont entendues comme des systèmes de faits moraux (Fassin, 2012b, Massé, 2009a: 23). Foucault, quant à lui, a établi trois types de moralité. Tout d’abord, il définit la moralité comme un ensemble de valeurs et de règles d’action recommandé aux individus par l’intermédiaire d’institutions telle que la famille ou l’éducation (Fassin, 2012b: 7). Ensuite, la morale correspond aussi aux comportements réels des individus en relation avec les règles et les valeurs qui leur sont recommandées (Fassin, 2012b: 7). Enfin, le troisième type de moralité selon Foucault correspond à « the manner in which one ought to form oneself as an ethical subject acting in reference to the prescriptive elements that make up the code » (Foucault cité dans Fassin, 2012b: 7). Pour Foucault, c’est la troisième dimension qui est intéressante, c'est-à-dire l’étude de la conduite des individus. Weber a également participé à notre compréhension de la morale, notamment en établissant une distinction entre les faits qu’il qualifie de rationnels et les valeurs irrationnelles (Zigon, 2008). Bien que Weber ne définisse pas la moralité de façon précise, il la situe dans l’interconnexion des faits et des valeurs (Zigon, 2008: 38). Zigon précise : «Morality for Weber, then, is the everyday lived relationship between fact and values, or between practice

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and meaning» (Zigon, 2008: 38). Fassin souligne également les apports de l’historien EP Thompson et notamment le concept d’économie morale qu’il a défini de la façon suivante :

Premièrement l’économie morale correspond à un système d’échanges de biens et de prestations […]. Mais deuxièmement, l’économie morale correspond aussi à un système de normes et d’obligations. Elle oriente les jugements et les actes, distingue ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Plus que des règles économiques, ce sont des principes de bonne vie, de justice, de dignité, de respect, en somme, de reconnaissance […] (Fassin, 2009: 1243).

Bien que les apports de Thompson puissent être discutables dans le domaine de la morale, Fassin précise que ce sont les anthropologues qui ont fait un usage fécond du concept d’économie morale. Cet usage apparaît dans les recherches sur les inégalités structurelles et les mouvements sociaux tels que l’étude de J.C. Scott sur les modes de production et les formes de résistance en Birmanie et au Viet Nam (Fassin, 2009, 2012b). Ainsi, c’est aux disciplines de la sociologie, de la philosophie et de l’histoire qu’est attribué le développement du concept de morale. Ce concept est très peu théorisé en anthropologie et son utilisation est floue (Zigon, 2008: 2). Sperber et Baumard expliquent cette absence par le fait que, dans la parenté, la politique, l’économie, la religion, les pratiques culinaires, sexuelles, etc., la dimension morale est suffisamment traitée (Baumard et al, 2007). Cependant, même si l’anthropologie de la morale et de l’éthique fût délaissée par les anthropologues, elle n’était pas complètement absente de l’anthropologie classique. Massé souligne les contributions de Westermark, Lévy Bruhl et Raymond Firth. Ce dernier a fourni cette définition de la moralité :

Morality is a set of principles on which [judgments of right and wrong] are based. Looked at empirically from the sociological point of view, morality is socially specific in the first instance. Every society has its own moral rules about what kind of conduct are right or wrong, and members of society conform to them or evade them and pass judgement accordingly (Firth 1951: 183 cité dans Zigon, 2008: 6).

Bien que l’intérêt pour l’anthropologie de la morale et de l’éthique ait été discret au sein de la discipline, récemment de nouvelles publications ont relancé le débat. Tout d'abord, l’ouvrage d’Howell, intitulé the Ethnogaphy of Moralities, qui est perçu par certains comme un ouvrage central pour une nouvelle approche de l’anthropologie des moralités (Heintz, 2009: 2, Zigon, 2008: 8). En effet, l’auteure dresse un bilan des problèmes théoriques et méthodologiques inhérents à l’étude des moralités (Howell, 1997). Selon cette auteure, le défi pour les anthropologues se résume de la façon suivante :

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The challenge for anthropologist lies precisely in discerning the link between value which are derived from a larger metaphysical whole and actual behaviour and practices. The relationship between moral values and practice is a dynamic one. Value are continuously changing and adapting through actual choices and practices, while at the same time, they continue to inform and shape choices and practices (Howell, 1997: 4).

Suite à la publication de l’ouvrage d’Howell, d’autres auteurs se sont penchés sur l’anthropologie de la morale. Ainsi, Jarrett Zigon a publié Morality an Anthropological

Perspective en 2008, Monica Heintz a publié The Anthropology of Moralities en 2009 (Heintz,

2009), et un volume d’anthropologie et société sous la direction de Raymond Massé a été publié en 2009, Anthropologie de la morale et de l’éthique. Plus récemment, Didier Fassin s’est attaché au concept de l’économie morale. En 2009, il a publié un article intitulé les économies morales revisitées (Fassin, 2009) et en 2012 un ouvrage intitulé Économies morales contemporaines. Enfin, un ouvrage majeur paru aux éditions Blackwell dans la collection the Blackwell Companion to Anthropology, sous la direction de Didier Fassin a également été publié en 2012. Ce collectif de 34 auteurs s’intitule A Companion to Moral Anthropology, et se veut une synthèse de l’anthropologie de la morale à ce jour. Ces ouvrages s’intéressent à l’anthropologie de la morale et de l’éthique comme objet de recherche anthropologique et non pas aux aspects éthiques de la pratique anthropologique (Massé, 2009a: 11).

2.2 Distinction morale et éthique

Au sein de cette littérature, il apparaît que certains auteurs établissent une distinction entre l’anthropologie de la morale (ou des moralités) et l’anthropologie de l’éthique alors que d’autres utilisent chacun des termes de façon interchangeable (Fassin, 2012a, Massé, 2009c). Par exemple, dans son ouvrage, Heinz précise que les recherches en éthique, sur les valeurs morales ou bien sur la moralité appartiennent au même champ de recherche qu’elle nomme anthropologie des moralités (Heintz, 2009: 4). L’auteure ne souhaite pas établir de distinction entre l’anthropologie de la morale, fondée sur les valeurs en tant que normes partagées au sein d’une société, et l’anthropologie de l’éthique axée sur les libertés individuelles face à ces normes (Massé, 2009b: 212). Heinz précise:

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Operating a choice based on the holist/individualist dichotomy at this early stage would have meant presupposing how morality/ethics/moral values are experienced in various cultures […] while we need first to question the relevance of «freedom» and «choice» and even of the existence of a society/individual dichotomy in every cultural context (Heintz, 2009: 4).

Pour les tenants d’une distinction entre la morale et l’éthique, c’est justement cet aspect de liberté qui est mis en avant (Laidlaw, 2002, Zigon, 2008). Dans ce sens, Laidlaw précise qu’une anthropologie de l’éthique n’est possible que si les libertés individuelles sont prises en considérations, car les individus ne sont pas seulement soumis à des normes qu’il n’est pas possible de négocier (Laidlaw, 2002: 315). Comme le précise Bourgeault : « Le lieu de l’éthique […], est celui de la discussion et du débat, avec la diversité des convictions et des options qui s’y croisent et qui se confrontent, entrant en conflit, et non, d’emblée, dans le consensus, même provisoire qui peut en résulter » (Bourgeault, 1998: 237). Par conséquent, l’éthique ne serait pas statique, mais au contraire, en perpétuelle évolution, sujette à la négociation, et renverrait aux valeurs plutôt qu’aux obligations (Firth et Kleinman cité dans Legault, 2010: 73, Massé, 2009a: 27). L’éthique se distinguerait donc de la morale, et comme le mentionne Bourgeault : « La morale, sachant d’où vient l’Homme et où il doit aller, use allègrement de l’impératif » (Bourgeault, 1998: 227). La morale est fermée, car elle cherche à se faire entendre comme unique et universelle (Bourgeault, 1998). En effet, un point commun à l’ensemble des définitions est que les moralités s’inscrivent dans le domaine du devoir, Legault souligne :

C’est le concept d’obligation qui est au cœur de la morale. La morale nous parle toujours de nos DEVOIRS, de ce que nous devons faire, de ce que nous sommes obligées de faire. Elle situe notre décision personnelle (autodiscipline) en fonction d’obligation que nous reconnaissons comme nous gouvernant (Legault, 2010: 72).

L’éthique souligne la dimension réflexive des individus (Zigon, 2008), et comme le souligne Massé : « l’éthique, par opposition [à la morale], est plutôt le lieu du questionnement sur le bien-fondé de ces normes, voire d’un arbitrage effectué par les individus et les collectivités entre plusieurs normes éthiques potentiellement conflictuelles» (Massé, 2009a: 27-28). Dans le cadre de ce mémoire de maitrise, j’opterais pour une distinction entre morale et éthique au regard de mon approche spécifique. En effet, cette distinction semble pertinente quant au choix présenté aux parents d’accepter ou de refuser la vaccination, car cela peut entrainer une confrontation des valeurs et par conséquent un véritable dilemme. De plus, comme le souligne Zigon, c’est lors de

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ces dilemmes qu’il devient possible d’étudier comment la moralité joue un rôle dans la vie quotidienne des individus que nous étudions (Zigon, 2008: 18).

2.3 Les différentes moralités

Certains des ouvrages susmentionnés tentent de relever les défis méthodologiques, inhérents à l’anthropologie de la morale et de l’éthique, en proposant pour certains des cadres théoriques permettant d’opérationnaliser les différents concepts. De ce point de vue, Zigon offre une perspective tout à fait intéressante. Selon lui, la morale est composée de trois sphères distinctes, mais inter-reliées : la moralité instituée, la moralité incarnée et les discours publics de moralité. (Zigon, 2008: 162). En me basant sur les travaux de Zigon, mais aussi sur ceux d’autres auteurs, je vais identifier les différents concepts de la moralité qui ont été développés. Pour commencer, je vais présenter le concept de moralité partagée développé par Beauchamps et Childress, pour ensuite m’appuyer sur le concept de moralité séculière de Rozin et Katz, et enfin, le concept de moralité populaire sera présenté avec le concept de moralité incarnée développé par Zigon. 2.3.1 Moralité partagée (Common morality)

L’approche développée par Beauchamp et Childress pour traiter des enjeux éthiques en biomédecine s’appuie sur quatre principes moraux : le respect de l’autonomie, le principe de non-malfaisance, le principe de bienfaisance et enfin le principe de justice (Beauchamp et al, 2001: 12). Les auteurs définissent la moralité partagée comme suit :

Étant donné que pratiquement tout le monde grandit avec une compréhension de base de la morale instituée, ses normes sont facilement comprises. Toute personne réellement désireuse de vivre une vie morale saisit les dimensions essentielles de la morale. Elle sait qu’elle ne doit pas mentir, pas voler, qu’elle doit tenir ses promesses, respecter les droits d’autrui, ne pas tuer ni faire de mal à une personne innocente, etc. Toute personne moralement sérieuse accepte sans difficulté ces règles et ne conteste pas leur pertinence et leur importance […]. Nous nous référons à l’ensemble des normes que toutes personnes moralement sérieuses partagent en parlant de morale commune (Beauchamp et al, 2008: 16).

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L’approche principiste développée par Beauchamp et Childress s’appuie sur la reconnaissance d’une moralité partagée « common morality »2qui servirait de fondation à l’élaboration des théories de la morale et de l’éthique (Beauchamp et al, 2008: 579). Ainsi, les points communs, à chacune des théories, seraient qu’elles se basent sur les croyances ordinaires partagées et ne font pas appel à la raison, la rationalité ou bien la loi de la nature. Pour résumé, ce que l’on peut retenir du concept de moralité partagée, c’est qu’il se base sur un ensemble de croyances morales partagées «par tous les citoyens enculturés dans un univers de normes de base définissant les limites de l’acceptable et de l’inacceptable » (Massé, 2007a: 5). Gert, quant à lui, définit la moralité de sens commun comme un système moral que les individus utilisent quand ils prennent une décision morale ou qu’ils posent un jugement (Gert, 2004). Selon cet auteur, la moralité de sens commun est un guide de conduite : il serait donc normal de penser que la morale fournit les informations nécessaires pour que les individus puissent agir conformément à la moralité partagée par le groupe. Malgré ces informations, Gert precise également : «Is not the same as providing a unique correct answer to every question about how a person should act in every moral situation » (Gert, 2004). Ce concept de moralité de sens commun peut être compris comme un dénominateur commun partagé par la moralité instituée, la moralité séculière et la moralité populaire.

2.3.2 Moralité instituée

La moralité instituée est définie par Zigon comme étant les valeurs et les normes transmises par les institutions formelles et informelles. Dans le cadre de la vaccination des nourrissons, la morale instituée peut être véhiculée par les autorités de santé publique via les programmes d’immunisation. Le corps médical tels, les médecins, les infirmières et les sages-femmes, peut véhiculer les mêmes discours que les autorités de santé publique ou bien les nuancer (Sauvageau et al, 2011). Les institutions informelles peuvent être les organisations sociales ou les regroupements, tels que le réseau québécois d’accompagnantes à la naissance, ou encore celui des naturopathes. Chacun des individus est en relation plus ou moins forte avec différentes

2 La moralité partagée ou de sens commun réfère selon Massé : « au partage, par une collectivité, de valeurs

fondamentales aptes à justifier des principes, règles et normes éthiques» (Massé, 2007a: 4). Le sens commun selon Massé est dans toutes les cultures, et au même titre que le savoir il constitue un système culturel. Massé précise : le sens commun : «[…] se transmet d’une génération à une autre, servant toujours de grille d’analyse, d’interprétation et de classification des objets et des évènements quotidiens» (Massé, 1995: 256).

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institutions. L’auteur souligne: «Lastly, it can be said that most, if not all, institution proclaim the truth or the rightness of a particular morality» (Zigon, 2008: 162). Ainsi, chaque institution transmet sa propre morale qui devient alors le véhicule des codes et des règles auxquels se réfèrent les membres d’une société pour guider leurs actions, soit un ensemble de balises axiologiques à l’intérieur desquelles évoluent les membres d’une communauté morale (Massé, 2009a: 21). Dans le cadre de la vaccination, les autorités de santé publique encouragent les parents à faire vacciner leurs enfants, mentionnant que cela est bon et que l’enfant est protégé contre des maladies infectieuses graves. D’un autre côté, certains naturopathes vont encourager les parents à questionner la vaccination en identifiant des incohérences dans le discours vantant ses bienfaits (Arsenault, 2003: 129).

L’identification de la morale instituée est très intéressante. Cependant, ne pas établir de distinction entre les institutions formelles et informelles constitue certainement une limite. Les moralités véhiculées par ces deux institutions n’ont pas le même poids et les individus réagissent différemment selon la provenance de l’information. Les autorités de santé publique, représentant la moralité institutionnelle formelle, peuvent être envisagées comme des entreprises d’acculturation visant la promotion de certaines valeurs (Massé, 2003). Certains auteurs s’inscrivant dans un courant foucaldien dénoncent cette acculturation, en soulignant que la volonté pour les autorités de santé publique est de réguler les corps (Lupton, 1995). Lupton s’attache à identifier les relations de pouvoir entre les autorités de santé publique et la population. Toutefois, cette relation n’est pas structurée selon une opposition traditionnelle gouvernement versus société civile (Lupton, 1995: 3). L’auteure s’appuie sur les propos de Rose and Miller pour lesquels la relation de pouvoir n’est pas contraignante. Ils expriment cela comme suit : « Rather than acting simply to constrains citizens, power works to produce or ‘make up’ citizens who are capable of autonomy and a "kind of regulated freedom"» (Rose et Miller cité dans Lupton, 1995: 3).

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2.3.3 Moralité séculière

La moralité séculière est issue d’un processus de moralisation, c'est-à-dire qu’il s’agit d’une nouvelle moralité qui émerge et prend le dessus sur les anciens codes (Katz, 1997: 298). Ainsi, la morale n’est pas statique, ce qui autrefois était immoral ne l’est peut-être plus aujourd’hui et inversement. Rozin souligne que certaines activités peuvent s’inscrire dans le domaine moral ou non, mais que ce statut peut varier dans le temps. L’auteur s’intéresse au processus de moralisation qu’il définit comme suit : « […] as the acquisition of moral qualities by objects and activities that were previously morally neutral» (Rozin, 1997: 380). Le processus de moralisation peut être amorcé par la population et ensuite les institutions peuvent s’aligner sur la nouvelle position morale. L’auteur s’appuie sur l’étude de Katz concernant le développement de l’interdiction de fumer qui est devenu un enjeu moral. L’auteur précise : « In the contemporary United States, communication media, laws, courts charitable institution universities […] openly support the spread of consensus moral position » (Rozin, 1997: 381). Cependant, le processus de moralisation peut aussi être amorcé par les institutions qui vont véhiculer des valeurs et des normes à adopter en vue de modifier des comportements, cela pour viser le bien-être de la population. Les campagnes valorisant la consommation de cinq fruits et légumes par jour, véhiculées par le guide alimentaire canadien, visent à introduire de nouvelles normes et habitudes dans l’alimentation. Ainsi, la moralité séculière est issue du processus de moralisation qui peut être défini comme une nouvelle moralité qui donne lieu à un ensemble « hiérarchisé de croyances, d’attitudes et de valeurs à portée morale construit par une population face à un problème de santé et de comportement associé » (Massé, 2007a: 5). La moralité séculière révèle le caractère évolutif de la morale, elle induit un changement de comportement, face à une situation particulière. Cependant, cette nouvelle moralité peut ne pas être partagée par la majorité de la population même si elle tente de s’imposer. C’est le cas, par exemple, des végétariens ainsi que des parents refusant la vaccination.

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2.3.4 Moralité populaire et moralité incarnée

Enfin, la dernière moralité identifiée correspond aux actions morales des individus guidées par un ensemble de valeurs, de normes et de croyances (Massé, 2007a). Cette moralité, qualifiée de populaire, sous-entend que les individus peuvent être conscients ou non des valeurs, des normes ou des croyances qui les animent et guident leur actions. La moralité populaire rejoint la moralité de reproduction telle que la présente Robbins. Selon cet auteur, la moralité de reproduction « morality of reproduction », désigne les actions morales pour lesquelles les individus adhérent aux normes de leur société (Robbins, 2009: 278). Par exemple, dans un autobus, nous cédons notre place à une personne âgée parce que cela semble évident. Cela s’inscrit dans la moralité de reproduction à tel point que si un individu ne cède pas sa place, les autres passagers vont émettre un jugement moral. Par contre, la moralité populaire se distingue de la moralité incarnée «Morality as embodied disposition» telle que décrite par Zigon. L’auteur associe cette moralité à l’habitus décrit par Mauss :

Morality in this third sense, then, unlike the way morality is so often considered as rule-following or conscious reflection on a problem or dilemma, is not thought out before hand, nor is it noticed when it is performed. It is simply done. Morality as embodied dispositions is one’s everyday way of being in the world (Zigon, 2008: 164).

Cela signifie que les individus agissent d’une façon moralement appropriée sans avoir à considérer leurs actions. Nombre de nos actions sont spontanées puisqu’elles nous semblent évidentes. Legault souligne que : « c’est l’habitude qui guide souvent la décision d’agir de telle façon, dans telles circonstances ; le besoin de réflexion ne s’impose plus » (Legault, 2010: 75). Dans le cadre de ce mémoire, c’est le concept de moralité populaire qui sera retenu, car il offre l’avantage de reconnaître aux individus qu’ils peuvent être conscients ou non des valeurs, des normes et des croyances qui guident leurs actions.

2.4 Les composantes des moralités

Tel que souligné précédemment, un point commun à l’ensemble des définitions de la moralité est que cette dernière regroupe des valeurs, des normes, des connaissances et des croyances qui guident la décision morale. Je vais définir rapidement ces différentes composantes.

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2.4.1 Les croyances et les connaissances

Les connaissances et les croyances sont les éléments de base des moralités populaires dans le sens où elles peuvent être l’assise des valeurs. Par exemple, si une mère conçoit les maladies infectieuses comme étant dangereuses pour son enfant, cela va activer des valeurs telles que la protection de son enfant et elle le fera vacciner. Pour Massé, les connaissances et les croyances « […] peuvent être mises en évidence par des questions précises portant sur la nature, les causes ou les conséquences d’un symptôme, d’une maladie, d’une thérapie ou d’un comportement » (Massé, 1995: 241).

2.4.2 Les normes

Les normes peuvent être définies comme suit : « Les normes sont des construits socioculturels véhiculés par une société donnée, intégrés à des degrés divers par des citoyens à travers le processus de socialisation et défendu par des autorités et reconnu par la collectivité» (Massé, 2003: 19). Mais elles peuvent également être définies comme des « règles de conduite déterminant un comportement obligatoire» (Legault, 2010). Dans le cadre des études sur la vaccination, les normes sont importantes, car certains parents pensent que la vaccination est obligatoire au Québec. Les normes se distinguent des valeurs, car elles sont plus spécifiques et concernent généralement un contexte particulier (Massé, 2003: 20). Des valeurs sont à la base de ces normes, cependant les individus peuvent être conscients ou inconscients de ces dernières.

2.4.3 Les valeurs

Les valeurs et les normes peuvent sembler similaires, pourtant il convient d’effectuer une distinction. Le concept de valeur a fait l’objet de nombreux écrits. Selon Schwartz, « on les [les valeurs] utilise pour caractériser les individus ou les sociétés, pour suivre le changement au cours du temps, et pour expliquer les motivations de base qui sous-tendent attitudes et comportements» (Schwartz, 2006: 929). C’est peut-être cette large conception qui a entraîné l’absence de consensus quant à la définition de ce concept. Pour Bonte, ce concept est fréquemment utilisé, mais peu explicité par les anthropologues (Bonte, 2007: 733). En 1951 Kluckhohn définit les valeurs « comme des orientations normatives de l’action, positives ou

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négatives, explicite ou implicite, organisée systématiquement au sein d’une totalité culturelle » (Kluckhohn cité dans Bonte, 2007: 733). Le projet de Kluckohn accompagné de Parson et Brew consistait à effectuer une étude comparative des valeurs entre cinq sociétés (Bonte, 2007: 733). Dumont, quant à lui, a introduit la notion de « système de valeurs ». Selon lui, les valeurs évolueraient au sein d’un système dans lequel elles seraient mises en relation. Certaines seraient complémentaires alors que d’autres s’opposeraient. Ainsi, Dumont présente le principe de hiérarchisation des valeurs qui consiste à ce que, face à une situation, certaines valeurs soient prédominantes sur d’autres. Legault, quant à lui, insiste sur la fin visée par l’action, il définit les valeurs comme suit :

Élément de la motivation effective permettant de passer à l’acte. Elle constitue la fin visée par l’action envisagée dans la décision et se traduit verbalement comme raison d’agir et comme sens de l’action en créant une ouverture au partage de sens pour toutes les personnes impliquées dans la décision (Legault, 2010: 285).

Par conséquent, on peut établir une corrélation entre les valeurs et les comportements, ce que différentes études, notamment dans le domaine de la psychologie, se sont attachées à faire (Bardi et al, 2003, Ubel, 1999). Afin d’établir cette corrélation, Bardi et Schwartz ont développé un questionnaire pour être en mesure de déterminer une échelle de valeurs et tenter d’établir des corrélations entre les valeurs et les comportements. Ce questionnaire, nommé SVS [Schwartz

value survey], comprenait dix séries de six à dix comportements. Chaque série était associée à

une des dix valeurs de base telles les valeurs de sécurité, conformité ou bienveillance (Schwartz, 2006: 955). Ce type d’étude présuppose donc que les valeurs influençant tel ou tel comportement sont pré-identifiées. Toutefois, cela ne permet pas de déterminer les valeurs qui par exemple ont amené une mère à accepter ou refuser la vaccination pour son enfant. Pour l’élaboration du questionnaire, Schwartz a identifié les dix valeurs de base suivantes : sécurité, conformité, tradition, bienveillance, universalisme, autonomie, stimulation, hédonisme et réussite. Ces valeurs peuvent être assimilées, comme le souligne Legault, à « un catalogue de valeurs générales, abstraites et purement idéales » (Legault, 2010: 126). Dans le cadre de ce mémoire de maitrise, « l’attribution des valeurs vise à nommer celles qui sont agissantes dans la situation, car elles sont mobilisatrices de l’action » (Legault, 2010: 126). Ainsi, pour ma recherche, je me suis attachée à déterminer ce que les mères québécoises valorisent en décidant de vacciner ou non leurs nourrissons. Pour cela, je me suis basée sur une approche inductive et non pas à partir

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d’une liste prédéfinie de valeurs. Par exemple, la valorisation de la bonne santé du nourrisson qui peut être définie par la protection de ce dernier face aux maladies évitables par la vaccination. D’autres mères valorisent le respect de la nature qui peut être défini par la nécessité de respecter le caractère naturel et bénéfique des maladies. Les participants à une étude n’expriment pas toujours de façon explicite les valeurs ou les normes qui les ont mené à la décision, cependant ils peuvent expliquer comment ils sont parvenus à cette dernière.

2.5 Les méthodes de construction de jugements et de raisonnements moraux

Tel que précisé, le raisonnement moral n’est pas statique, bien au contraire. Suite à une réflexion, les parents prennent une décision. Cependant cette dernière n’est pas irréversible. Différents éléments affectent les jugements et les raisonnements moraux. Dans le cadre de ce mémoire, j’ai retenu les expériences, les émotions et les discours véhiculés par les institutions ou les médias.

Les expériences vécues ou rapportées par un tiers jouent un rôle dans la construction de jugements moraux. Par exemple, lors d’une étude menée au Texas, une participante rapportait avoir rencontré un enfant hospitalisé parce qu’il avait contracté la coqueluche. Cette expérience a incité la participante à vacciner son enfant (Smartt Gullion et al, 2008: 406). Par contre, lors de l’éclosion de rougeole au Québec, certains enfants ont contracté la maladie alors qu’ils étaient vaccinés. De ce fait, certains parents ont pu être amenés à remettre en cause la vaccination. Cela illustre de quelle manière l’expérience influence le jugement et le raisonnement (Leask, 2011).

Les émotions doivent être prises en considération (Wroe et al, 2004). En effet, des études ont mis en avant l’existence de «biais d’omission» qui résultent de l’anticipation de la culpabilité, du blâme ou des regrets qui pourraient être liés à des résultats négatifs suite à une action (Wroe et al, 2004). Cette notion, développée par Baron et Ritov, souligne que, pour certains individus, il est plus acceptable de souffrir des effets secondaires d’une maladie, que de souffrir des effets

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indésirables provoqués par l’inoculation d’un vaccin (Baron et al, 2004). De plus, il faut noter que la décision de ne pas vacciner est réversible alors que la décision de vacciner ne l’est pas (Serpell et al, 2006). A l’inverse, pour certains parents, les risques de la vaccination sont plus acceptables que les risques d’une maladie évitable par la vaccination. Il s’agit dans ce cas d’un «biais de commission» (Leask et al, 2006).

Les discours véhiculés par les institutions ou les médias jouent également un rôle dans le processus de prise de décision. Parmi les trois sphères identifiées par Zigon, l’une d’elles correspond aux « discours publics de moralité », découlant de la moralité instituée. Or, il ne s’agit pas d’un type de moralité, mais plutôt d’une forme de construction de la morale. Les discours moraux peuvent être véhiculés par le biais des professionnels de la santé, des médias et des documentaires. Le rôle du professionnel de la santé est important dans la prise de décision. Des études soulignent que c’est la recommandation de vacciner émise par leur professionnel de la santé qui influence la décision des parents (Freed et al, 2011, Kennedy et al, 2011). L’étude de Kennedy, menée aux États-Unis, souligne que 81% des parents ayant accepté la vaccination ont été influencés par un professionnel de la santé (Kennedy et al, 2011). De plus, si la télévision et les journaux jouent un rôle important, l’utilisation d’Internet ne peut pas être négligée, car il constitue un moyen de plus en plus utilisé pour obtenir de l’information. Kata précise que 74 % des Américains et 72 % des Canadiens utilisent régulièrement Internet et parmi eux de 75 % à 80 % des utilisateurs font des recherches en lien avec la santé. Environ la moitié d’entre eux (52 %) pense que toutes ou une grande majorité des informations trouvées en ligne sont crédibles (Kata, 2010: 1716). Une autre étude menée par Kata souligne que parmi ceux qui font des recherches en lien avec la santé sur Internet, 16% s’informent sur la vaccination, et parmi eux, 70% affirment avoir été influencés par les renseignements trouvés (Kata, 2012).

Deux sociologues français ont été mandatés par le Conseil Général de l’Industrie, de l’Énergie et des Technologies (CGIET) pour savoir si, entre autres, la consultation de sites Internet favorise la construction d’un savoir spécifique (Broca et al, 2011). Leurs conclusions révèlent que certains sites participent à la construction d’ «un savoir profane, pratique, complémentaire

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du savoir expert des médecins» (Broca et al, 2011). La vaccination n’échappe pas aux sujets traités sur Internet, et des auteurs ont mené des études sur les messages véhiculés par différents sites. Certaines recherches se sont penchées essentiellement sur une analyse des arguments antivaccinalistes que l’on retrouve sur Internet (Betsch et al, 2010, Kata, 2010, Schmidt et al, 2003). Les résultats d’une de ces études mentionnent que les parents refusant la vaccination se basent plus fréquemment sur des informations obtenues via Internet que les parents acceptant la vaccination (Kata, 2010: 1709). Les raisons principales de non-vaccination résultent d’un questionnement sur la sécurité des vaccins et la confiance quant à l’efficacité de ces derniers (Wilson et al, 2008: 234). Les messages qui remettent en question la vaccination et ceux qui la préconisent cohabitent sur la toile. Par exemple, sur le site Internet du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec on peut lire « Se faire vacciner, c’est s’offrir la meilleure protection contre certaines maladies graves » (Ministère de la Santé et des services sociaux, 2012c). Ainsi, des discours parfois opposés coexistent au sein d’une population. C’est ce que souligne Howell en disant que : «One insight derived from this collection of papers is that it is possible for two or more moral discourses to exist within any one society, each predicated upon a specific kind of sociality » (Howell, 1997: 11). Là encore, dans le cadre d’une étude sur la vaccination, il est important d’effectuer une distinction entre les discours issus des institutions formelles et ceux émanant d’institutions informelles, d’autant plus qu’un certains nombre de ces derniers se positionnent clairement en opposition avec les discours formels.

Ce processus de construction du jugement tient au fait que les différentes moralités ne cessent de s’inter-influencer. Bien qu’il existe une moralité dominante au sein d’une société, telles que les normes et les valeurs véhiculées par les autorités de santé publique, cette moralité instituée peut être remise en question par des moralités séculières. Ainsi, si les discours véhiculés par les autorités de santé publique recommandent de suivre le calendrier de vaccination pour protéger la santé des nourrissons, les mères québécoises peuvent être exposées à des discours contradictoires. Par exemple, certains sites Internet défavorables à la vaccination vont évoquer les dangers des vaccins (Kata, 2010). Ces messages contradictoires vont amener les mères à se poser des questions et, pour certaines, à faire des recherches afin d’être en mesure de prendre leur décision. Cela souligne l’importance d’appréhender l’étude des moralités dans leurs

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contextes spécifiques afin de saisir au mieux les méthodes de construction du jugement et du raisonnement.

2.5.1 Les différents comportements envers la vaccination des nourrissons

Les attitudes envers la vaccination peuvent être comprises comme un continuum allant de l’acceptation de la vaccination au refus complet de tous les vaccins, en passant par les parents hésitants (Benin et al, 2006, Burton-Jeangros et al, 2005). Les parents qui acceptent la vaccination sans remise en question, et ceux qui la rejettent totalement s’inscrivent, dans le cadre d’une décision qui a été prise par conformité sociale. Dans le cas de l’acceptation de la vaccination, c’est par conformité à la moralité instituée que la décision a été prise, alors que dans le cadre du refus de la vaccination, c’est par conformité à une moralité séculière. Cela signifie qu’au moment de décider de la vaccination de leurs enfants, les parents n’ont pas hésité et ont basé leur décision sur des devoirs. Il faut noter que la spontanéité des actions ne reflète pas une absence de réflexion, puisque chaque manière d’agir relève de raisons précises. En effet, la morale est issue d’un jugement raisonné qui a donné lieu à « une pondération de l’importance relative accordée à des valeurs et à des normes selon les circonstances» (Massé, 2009a: 33). Dans le cas de ces deux positions, c’est le respect de la norme qui guide la décision : il s’agit d’un raisonnement normatif. Boisvert définit ce dernier comme suit : « On sait que dans ces derniers [les raisonnements normatifs], c’est une autorité qui dicte à l’individu la manière de décider ou d’agir, et que le respect des règles et la crainte de la sanction régulent le comportement» (Boisvert et al, 2003: 26). Bien que cette définition ait été établie pour la gestion publique, elle peut également s’appliquer à d’autres domaines. Dans le cadre de la vaccination, la crainte que l’enfant développe la maladie peut être comprise comme la sanction pour les parents acceptant la vaccination. Pour ceux refusant la vaccination, la crainte de voir diminuer la résistance du système immunitaire de l’enfant peut exprimer la sanction. Ce raisonnement normatif, inscrit dans une moralité, peut être poussé à l’extrême, c'est-à-dire que pour certains individus les valeurs et les normes préconisées par cette moralité prévalent en tout temps. Comme le souligne Katz : «Ironically, however some individuals carry their exercise morality to extremes and suffer major disabilities due to excessive practice of their new «moral code» Jogging, when carried to excess, can become a significant source of both orthopedic injuries and cardiovascular death » (Katz, 1997: 298). Par exemple, pour certains parents, le souci de

Figure

Tableau 1 Attitudes envers la vaccination : Un continuum
Tableau 2 Calendrier vaccinal québécois pour les nourrissons de 2 à 18 mois
Tableau 3 Répartition des participantes selon le nombre d'enfants et la décision
Tableau 4 Répartition des participantes selon leur attitude et leur décision.

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