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4. Résultats et discussion

4.4 Synthèse des principaux constats

Les résultats de cette étude permettent de dresser cinq principaux constats sur la prise de décision du personnel scolaire de signaler les situations de maltraitance envers les enfants à la protection de la jeunesse, en particulier lorsqu’elles impliquent des enfants de groupes culturels minoritaires.

1e constat : Le personnel scolaire n’a pas tendance à signaler automatiquement à la

protection de la jeunesse tout indice de maltraitance observé.

Cette étude permet d’abord de constater que la simple reconnaissance d’indices de maltraitance ne suffit pas pour décider de faire un signalement à la protection de la jeunesse, et ce, dans la plupart des situations qui impliquent aussi bien les enfants de groupes culturels minoritaires que ceux du groupe culturel majoritaire. En fait, les résultats montrent que pour prendre une telle décision, le personnel scolaire s’assure d’une part de confirmer qu’une situation de maltraitance soit à l’origine des indices observés et d’autre part, que la situation soit matière à signalement. Pour y parvenir, il entreprend généralement des démarches qui font appel à son jugement personnel. Le personnel scolaire ne semble donc pas enclin à signaler tout indice de maltraitance qu’il observe, et ce, peu importe l’appartenance culturelle de l’enfant impliqué dans la situation.

2e constat : L’incertitude joue un rôle central pour comprendre la prise de décision de

signaler la maltraitance envers les enfants.

L’incertitude joue un rôle central pour comprendre de quelles façons le personnel scolaire prend des décisions de signaler les situations de maltraitance à la protection de la jeunesse. Cette présence d’incertitude est d’ailleurs la plus importante convergence entre les situations de prise de décision impliquant des enfants de groupes culturels minoritaires et celles impliquant des enfants du groupe culturel majoritaire.

Les résultats indiquent que l’incertitude peut s’infiltrer à différents moments du déroulement des processus décisionnels et qu’elle peut être provoquée par divers facteurs d’ordre situationnel,

individuel ou organisationnel. Par exemple, sur le plan situationnel, la présence d’indices de maltraitance vagues ou ambigus semblent provoquer une forme d’incertitude quant à la véritable présence de maltraitance. L’incertitude peut aussi provenir de facteurs individuels lorsqu’elle est la conséquence d’un manque de connaissances des indices susceptibles d’être associés à de la maltraitance. Il est aussi possible que l’incertitude soit déclenchée par des facteurs externes à la situation décisionnelle, surtout lorsque les procédures de collaboration avec les partenaires externes, en particulier avec le personnel de la protection de la jeunesse, ne sont pas suffisamment explicites.

Dans les études empiriques qui se sont penchées sur la prise de décision de signaler la maltraitance envers les enfants, seulement deux d’entre elles se sont intéressées à l’incertitude ou à un concept voisin. Premièrement, celle de VanBergik (2007) réalisée auprès du personnel scolaire montre que plus les personnes sont certaines qu’un abus soit survenu, plus elles auraient tendance à le signaler aux services de protection de l’enfance. Ce résultat significatif a été obtenu en vérifiant la relation statistique entre le niveau de certitude qu’un abus soit survenu et les décisions de le signaler ou de ne pas le signaler. Pour mesurer cette variable, les personnes devaient se rapporter à une situation réelle de prise de décision et indiquer sur une échelle de 1 à 5 le degré de certitude qu’un abus soit survenu, soit de « très certain » à « pas du tout certain ». L’incertitude est aussi un facteur examiné dans une étude qualitative de Eisbach et Driessnack (2010) réalisée auprès du personnel infirmier. Leur étude a permis d’identifier la présence de deux catégories de situations, soient les situations faciles et les situations complexes à signaler ; l’hésitation caractériserait particulièrement les situations complexes. Bien que ces études suggèrent que la prise de décision soit une tâche possiblement influencée par l’hésitation ou l’incertitude, elles ne permettent pas de comprendre de quelles façons ce facteur s’immisce dans les processus décisionnels.

La présente étude se démarque notamment parce qu’elle fournit des connaissances nouvelles en documentant les différentes formes d’incertitude et montrant qu’elles sont attribuables à divers facteurs situationnels, individuels et organisationnels. De plus, cette étude montre que la présence d’incertitude motive les personnes à utiliser des démarches de réduction d’incertitude, ce qu’aucune étude sur la prise de décision de signaler les situations de maltraitance envers les enfants ne semble être parvenue à faire auparavant.

3e constat : Il existe d’autres formes d’incertitude qui s’ajoutent à la prise de décision

impliquant des enfants de groupes culturels minoritaires.

Lorsqu’il s’agit de situations impliquant des enfants de groupes culturels minoritaires, d’autres formes d’incertitude s’introduisent dans les processus décisionnels du personnel scolaire, en particulier dans les démarches d’évaluation de la sévérité des situations. Cette étude a identifié des

recherches d’explications culturelles dans divers domaines comme le style de stratégies éducatives,

d’encadrement et de surveillance des enfants de même que dans le parcours migratoire, les rites et les croyances religieuses et les habitudes de vie des familles. De plus, le personnel scolaire cherche à valider la normalité de ces explications culturelles. Le fait d’entreprendre de telles démarches est révélateur d’une capacité et d’une sensibilité à réfléchir aux différences culturelles, ce qui est d’ailleurs une habileté préconisée en intervention interculturelle (Cohen-Émerique, 2011).

4e constat : Il existe diverses tendances susceptibles d’influencer la prise de décision

impliquant des enfants de groupes culturels minoritaires.

À l’issue de recherches d’explications culturelles et de validation de la normalité, cette étude identifie trois principales tendances dans la prise de décision des personnes participantes. Ces tendances pourraient éventuellement influencer la décision: (a) certaines personnes semblent évaluer moins sévèrement des situations qui comportent une explication culturelle et seraient ainsi moins enclines à les signaler ; (b) pour d’autres, si des indices de maltraitance sont confirmés, peu importe qu’il y ait ou non une explication culturelle, elles auraient tendance à évaluer aussi sévèrement la situation; (c) pour plusieurs, elles éprouvent une forme de contradiction se traduisant par une tendance davantage teintée d’incertitude: « Si l’explication est normale dans leur culture et non dans la mienne, dois-je évaluer la situation aussi sévèrement? ». En somme, l’étude permet de comprendre qu’il existe diverses tendances susceptibles d’orienter la prise de décision de signaler les situations de maltraitance envers les enfants de groupes culturels minoritaires et qu’il existe aussi des tendances qui pourraient influencer la décision de ne pas les signaler.

5e constat : Dans les milieux scolaires, la prise de décision de signaler une situation de

maltraitance implique souvent plusieurs personnes.

Dans les situations de prise de décision les plus difficiles, le personnel scolaire s’entoure d’autres personnes. Bien que la prise de décision en équipe comporte plusieurs avantages, elle comporte aussi des difficultés, surtout lorsque les personnes ne partagent pas les mêmes points de vue sur la situation de l’enfant et ne sont pas d’accord sur la décision envisagée.

Dans les situations précises où le personnel scolaire entreprend des démarches pour rechercher et valider la normalité des explications culturelles, il consulte des personnes détenant une expertise pertinente, soient d’autres collègues à l’interne, mais la plupart du temps il fait appel à des spécialistes à l’externe, en particulier à des interprètes communautaires. Dans ce cas précis où le personnel scolaire a recours à leurs services pour faire la lumière sur des explications culturelles et qu’il veut en valider la « normalité », cette étude montre que le point de vue de ces interprètes pourrait avoir une influence sur la décision de signaler ou ne pas signaler.