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2. Contexte de l’étude et problématique

2.2 Recension des études empiriques

2.2.1 Facteurs contribuant à la détection et à la décision de signaler la maltraitance

2.2.1.1 Facteurs relatifs aux personnes signalantes en milieu scolaire

nombre d’études réalisées aux États-Unis et en Australie qui se sont intéressées à la prise de décision de signaler afin de saisir les facteurs relatifs aux personnes signalantes en milieu scolaire. Plusieurs se sont penchées sur le personnel enseignant et la direction des écoles primaires et secondaires. Aux États-Unis, les « school counsellors », traduits ici par « conseiller(ère)s en milieu scolaire », est un groupe particulièrement ciblé puisqu’il dispense des services en éducation spécialisée et en santé mentale et qu’il est donc appelé à travailler étroitement auprès des enfants en difficultés (Bryant & Baldwin, 2010).

Parmi les facteurs relatifs aux personnes signalantes en milieu scolaire, les variables sociodémographiques sont les plus souvent mises en relation avec les décisions de signaler. Par exemple, dans l’étude de Walsh et ses collaborateurs, plusieurs caractéristiques des répondant(e)s comme le sexe, l’âge, le statut parental, le niveau de scolarité complété, le niveau scolaire enseigné, et le nombre d’années d’expérience de travail. Certaines études présentent une différence significative en fonction du sexe des répondants et des répondantes (Kenny, 2001; O’Toole et al., 1999) alors que d’autres études n’indiquent pas une telle différence (Walsh, Bridgstock, Farrell, Rassafiani, & Schweitzer, 2008; Webster et al., 2005). De nombreuses études quantitatives ont aussi examiné le nombre d’années d’expérience de travail dans la profession d’enseignant, mais leurs résultats affichent des contradictions (O’Toole et al., 1999; Walsh et al., 2008; Webster et al., 2005). Bref, les études ayant inclus des variables sociodémographiques obtiennent des résultats inconsistants. Par ailleurs, même si au plan pratique, le fait de trouver des différences sur de telles variables aurait l’avantage de pouvoir cibler des groupes de personnes signalantes, les caractéristiques sociodémographiques en soi ne participent pas à comprendre de quelles façons les personnes parviennent à prendre une décision.

Des études ont aussi examiné les connaissances en matière de détection de la maltraitance envers les enfants, notamment les connaissances des signes et des symptômes associés à la maltraitance et les connaissances des lois en cette matière, afin de comprendre si ces facteurs auraient une influence sur la décision de signaler. L’étude de Kenny (2001) réalisée auprès de 197 personnes du personnel enseignant a analysé leurs réponses à des historiettes décrivant des situations fictives de maltraitance. Les résultats ont révélé que 12,9 % des personnes participantes croient qu’il ne faut pas signaler une situation s’il y a seulement un dévoilement de l’enfant et qu’il n’y a pas de marques ou blessures physiques visibles. Dans le même sens, une autre étude indique que l’absence de signes physiques apparents est une raison fréquemment évoquée par le personnel enseignant pour décider de ne pas signaler des soupçons d’abus physique envers un enfant (Kenny & McEachern, 2002). Ces études suggèrent qu’en présence de signes ou symptômes de maltraitance peu visibles et en l’absence de marques sur le corps d’un enfant, les personnes seraient moins incitées à signaler un possible abus physique. Par ailleurs, d’autres études se sont penchées sur les conseillers et les conseillères en milieu scolaire au sujet de leurs expériences antérieures de signalements et de l’exercice de leur mandat légal; ces études concluent que les formations sur la

détection d’indices de maltraitance et sur la législation en matière de protection de l’enfance sont insuffisantes pour guider adéquatement le personnel scolaire, en particulier en matière de mauvais traitements psychologiques et d’abus sexuels (Bryant, 2009; Bryant & Baldwin, 2010; Bryant & Milsom, 2005; Kenny, 2004). En résumé, selon les résultats de ces études, le personnel scolaire ne semble pas suffisamment outillé pour identifier les signes et les symptômes de la maltraitance envers les enfants, ce qui pourrait avoir un effet sur leurs compétences à détecter adéquatement les indices de maltraitance. De plus, il semble que la connaissance de leurs obligations légales ne soit pas parfaitement conforme aux lois en vigueur, ce qui pourrait avoir une influence sur la décision de signaler ou non.

Une recension d’études réalisées auprès de personnes de divers secteurs dont celui de l’éducation fait le constat que les personnes mandatées pour signaler ont plusieurs inquiétudes quant aux conséquences d’un signalement : la crainte d’ébranler la famille, de briser la confidentialité et la peur de représailles de la part des parents sont des peurs souvent évoquées (Alvarez, Kenny, Donohue, & Carpin, 2004). Dans l’étude de Sikes, Remley et Hays (2010), 41,1 % des participant(e)s rapportent avoir « souvent, très souvent ou toujours » peur que le signalement ait des conséquences négatives sur l’enfant. Dans l’étude de Bryant et Milson (2005), 11,8 % des conseiller(ère)s en milieu scolaire indiquent que la peur de répercussions négatives du signalement sur l’enfant est une raison pour ne pas signaler une situation.

D’autre part, plusieurs études soulignent le fait que le personnel scolaire semble entretenir une perception négative des services de la protection de la jeunesse. Des répondant(e)s mentionnent par exemple être d’accord avec l’importance de devoir signaler un enfant, mais estiment qu’il est peu probable que cela soit aidant pour l’enfant (Kenny & McEachern, 2002) et même, que cela pourrait lui faire plus de mal que de bien (Kenny, 2001, 2004). L’idée que ces services ne viennent pas en aide aux familles est l’une des raisons communément évoquée pour ne pas signaler une situation de maltraitance (Kenny, 2001).

Dans quelques études, les réponses du personnel scolaire suggèrent que les obstacles organisationnels pourraient influencer les décisions de signaler les situations de maltraitance. Dans l’étude de Kenny (2004), 65,5 % du personnel enseignant mentionne être « en désaccord » ou

« fortement en désaccord » avec l’énoncé suivant : « Je crois que la direction me supporterait si je faisais un signalement ». Il est donc pertinent de croire qu’un milieu scolaire peu encadrant à cet égard pourrait avoir un effet dissuasif sur la décision de signaler.

Toutefois, ces études comportent aussi des limites d’interprétation car certaines ont colligé les perceptions du personnel scolaire (Kenny, 2001, 2004; Kenny & McEachern, 2002) alors que d’autres ont identifié la présence d’un lien significatif avec la décision de signaler une situation fictive (Bryant & Milsom, 2005; Goebbels, Nicholson, Walsh, & De Vries, 2008). En somme, bien qu’il soit difficile de faire la démonstration que l’appréhension de conséquences négatives puisse jouer un rôle dissuasif de signaler, ces études montrent néanmoins qu’il existe une possibilité qu’elles en soient affectées.