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L'incertitude dans la prise de décision de signaler la maltraitance envers les enfants à la protection de la jeunesse : étude comparative des processus décisionnels du personnel scolaire entre des situations d'enfants de groupes culturels minoritaires et

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Texte intégral

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L’incertitude dans la prise de décision de signaler la

maltraitance envers les enfants à la protection de la

jeunesse : étude comparative des processus décisionnels

du personnel scolaire entre des situations d’enfants de

groupes culturels minoritaires et des situations d’enfants

du groupe culturel majoritaire

Thèse

Michèle Poitras

Doctorat en psychologie

Philosophiæ doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Michèle Poitras, 2014

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Résumé

Même si la maltraitance envers les enfants est une problématique qui touche tous les groupes culturels de la société, les statistiques sur les signalements reçus à la protection de la jeunesse montrent que certains groupes culturels minoritaires sont surreprésentés comparativement à leurs proportions respectives dans la population. Bien que ce phénomène puisse s’expliquer par la présence de biais dans la prise de décision de signaler, les études empiriques disponibles ne permettent pas de confirmer cette explication ni même de comprendre de façon plus générale la prise de décision en cette matière. Cette étude qualitative a pour but de comprendre de quelles façons le personnel scolaire prend des décisions de signaler la maltraitance envers les enfants aux services de protection de la jeunesse, en particulier lorsqu’elle concerne des enfants de groupes culturels minoritaires. Vingt-et-une personnes faisant partie du personnel enseignant et non enseignant de neuf écoles primaires ont participé à des entrevues individuelles semi-dirigées. Elles ont relaté 25 situations de prise de décision impliquant des enfants de divers groupes culturels minoritaires (n=13) et du groupe culturel majoritaire (n=12) présentant des indices d’abus physique ou de négligence. Les situations ont été soumises à une démarche d’analyse pragmatique et éclectique afin d’en examiner les convergences et les divergences. Deux processus antérieurs à la décision sont décrits: (1) reconnaître la présence d’indices de maltraitance et (2) juger si la situation doit être signalée à la protection de la jeunesse. Diverses formes d’incertitude, découlant de facteurs situationnels, individuels et organisationnels, caractérisent ces processus. De plus, lorsqu’il s’agit de situations impliquant des enfants de groupes culturels minoritaires, des formes d’incertitude supplémentaires se manifestent par le besoin de rechercher et de valider des explications attribuables aux différences culturelles. Au final, les résultats dégagent des tendances qui pourraient mener à la décision de signaler davantage ces situations, mais aussi des tendances pouvant conduire à la décision de ne pas les signaler. Cette étude souligne le besoin d’améliorer les outils d’aide à la décision destinés aux personnes légalement tenues de signaler la maltraitance à la protection de la jeunesse, particulièrement lorsqu’il s’agit de composer avec des différences culturelles.

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Abstract

Even though child maltreatment affects all cultural groups in the contemporary society, statistics from youth protection services reveal that children from certain minority cultural groups are over-represented compared to the group’s relative importance in the general population. Although bias present in the decision to report these children might explain this phenomenon, empirical studies currently available do not confirm this explanation, or even provide a general understanding of the decision-making process involved. The goal of this qualitative study is to understand the ways in which school personnel decides to report situations of child maltreatment to the youth protection services, in particular when the situations concern children from cultural minority groups. Twenty-one members of the teaching and non-teaching personnel of nine elementary schools took part in semi-structured individual interviews. They mentioned 25 instances of situations involving children where there were indications of physical abuse or neglect. The children concerned were from different minority cultural groups (n = 13) and also from the cultural majority (n = 12). These 25 situations underwent a wide-ranging pragmatic analysis to examine similarities and differences. Results describe two processes before the decision itself: recognizing the presence of maltreatment indicators, and judging whether the situation must be reported to youth protection services. Many forms of uncertainty that occur as a result of situational, individual and organizational factors, characterize these processes. Furthermore, when it comes to situations involving children from cultural minority groups, additional forms of uncertainty are shown in the need to find and prove the validity of the explanations attributable to cultural differences. In the end, the findings reveal various tendencies that could lead not only to the decision to report the situations involving these children, but equally to the decision not to report them. This study shows that those persons, who are legally required to report child maltreatment to the youth protection services, need better decision-making tools, especially when it comes to dealing with cultural differences.

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Resumen

Si bien el maltrato infantil concierne a los niños de todos los grupos culturales en la sociedad, las estadísticas de los servicios de protección a la infancia indican que ciertos grupos culturales minoritarios están sobrerrepresentados respectivamente a su proporción en la población general. Este fenómeno podría explicarse por la presencia de sesgos en la decisión de denunciar el maltrato infantil. Sin embargo, los resultados de los estudios disponibles no confirmen esta hipótesis, ni tampoco permiten de entender de manera general la toma de decisión de denunciarlo. La meta de este estudio cualitativo es comprender los mecanismos a través de los cuales el personal del entorno escolar toma la decisión de denunciar situaciones de maltrato infantil ante los servicios de protección a la infancia, particularmente cuando éstas afectan a niños pertenecientes a grupos culturales minoritarios. Veintiuna personas del entorno escolar de nueve escuelas primarias participaron en entrevistas individuales semi-dirigidas. Los participantes relataron 25 situaciones de toma de decisión involucrando a niños de diversos grupos culturales minoritarios (n=13) y del grupo cultural mayoritario (n=12) presentando indicadores de abuso físico o indicadores de negligencia. Las situaciones fueron sometidas a un análisis pragmático y ecléctico para examinar las convergencias y las divergencias. Los resultados evidencian dos procesos que anteceden la decisión: reconocer la presencia de indicadores de maltrato y juzgar si la situación debe ser denunciada ante los servicios de protección a la infancia. Varias formas de incertidumbre vinculadas a factores situacionales, individuales y organizacionales caracterizan estos procesos. Por otra parte, cuando conciernen a niños de grupos culturales minoritarios, otras formas de incertidumbre se manifiestan por la necesidad de buscar y de validar explicaciones atribuidas a las diferencias culturales. Al final, los resultados muestran diversas tendencias que podrían llevar no solamente a la decisión de denunciar las situaciones involucrando a estos niños, sino también a la decisión de no denunciarlas. Este estudio demuestra la necesidad de mejorar las herramientas para orientar la decisión de las personas legalmente responsables de denunciar el maltrato infantil ante los servicios de protección a la infancia, particularmente cuando se trata de diferencias culturales.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Resumen... vii

Liste des tableaux ... xiii

Liste des figures ... xv

Liste des abréviations et des sigles ... xvii

Remerciements ... xix

1. Introduction ... 1

2. Contexte de l’étude et problématique ... 5

2.1 Contexte légal de la protection de la jeunesse et statistiques sur les signalements ... 5

2.1.1 Définitions légales des problématiques de maltraitance envers les enfants ... 5

2.1.2 Obligation légale de signaler les situations de maltraitance ... 7

2.1.3 Indices pour reconnaître la maltraitance envers les enfants ... 8

2.1.4 Processus d’intervention de la protection de la jeunesse au Québec ... 9

2.1.5 Vue d’ensemble sur les statistiques des signalements au Québec ... 10

2.1.6 Signalements d’enfants de groupes culturels minoritaires... 12

2.1.6.1 Avant-propos sur la terminologie... 12

2.1.6.2 Disproportions des groupes culturels minoritaires. ... 13

2.1.7 Erreurs décisionnelles à l’étape des signalements ... 17

2.2 Recension des études empiriques ... 18

2.2.1 Facteurs contribuant à la détection et à la décision de signaler la maltraitance .. 19

2.2.1.1 Facteurs relatifs aux personnes signalantes en milieu scolaire... 19

2.2.1.2 Facteurs relatifs aux cas de maltraitance. ... 22

2.2.1.3 Facteurs « culturels », « ethniques » ou « raciaux ». ... 24

2.2.2 Analyse critique des études empiriques disponibles ... 26

2.3 Approches théoriques de la prise de décision ... 27

2.3.1 Approche cognitive de la prise de décision ... 27

2.3.2 Approche écologique de la prise de décision ... 30

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3. Méthode ... 33

3.1 Sélection des écoles primaires ... 33

3.2 Recrutement des participantes ... 35

3.3 Description des participantes ... 37

3.3.1 Caractéristiques personnelles et professionnelles des participantes ... 38

3.4 Collecte de données ... 40

3.4.1 Entrevue individuelle semi-dirigée ... 40

3.4.2 Développement du canevas d’entrevue ... 40

3.5 Procédure ... 43

3.6 Démarche d’analyse qualitative ... 44

3.6.1 Analyse pendant la collecte de données (phase 1) ... 45

3.6.1.1 Fiche de synthèse d’entretien... 45

3.6.1.2 Journal de bord ... 46

3.6.2 Organisation du corpus de données (phase 2) ... 46

3.6.2.1 Transcription verbatim des enregistrements audio des entrevues ... 46

3.6.2.2 Résumé intermédiaire ... 47

3.6.3 Analyse à l’aide des catégories (phase 3) ... 48

3.6.3.1 Codage du corpus de données ... 48

3.6.3.2 Travail d’explicitation des catégories ... 49

3.6.4 Examens des convergences et des divergences (phase 4) ... 51

3.6.4.1 Convergences et divergences sans égard au groupe culturel ... 51

3.6.4.2 Divergences selon les formes de maltraitance ... 52

3.6.4.3 Indices de maltraitance observés mais non signalés immédiatement .... 52

3.6.4.4 Divergences selon les groupes culturels et les formes de maltraitance . 53 3.6.5 Mise en relation avec la littérature (phase 5) ... 54

3.7 Validité de l’étude ... 55

3.7.1 Critère de validité de signifiance ou d’acceptation interne ... 55

3.7.2 Critère de fiabilité ... 57

3.7.3 Critère de confirmation externe ... 57

2.7.4 Critère de « transférabilité » des résultats ... 58

(11)

3.8 Description du corpus de données ... 60

4. Résultats et discussion ... 65

4.1 Rappel du but et des objectifs de l’étude ... 65

4.2 Première partie : Processus décisionnels et facteurs psychologiques impliqués dans la décision de signaler les situations de maltraitance envers les enfants ... 67

4.2.1 Premier processus : Reconnaître la présence d’indices de maltraitance ... 67

4.2.1.1 Observation d’indices majeurs d’abus physique ... 68

4.2.1.2 Observation d’indices majeurs de négligence ... 70

4.2.1.3 Incertitude conséquente à la survenue d’indices de maltraitance ... 72

4.2.1.4 Démarche pour confirmer les indices de maltraitance observés ... 73

4.2.1.4.1 Démarche pour confirmer les indices d’abus physique ... 76

4.2.1.4.2 Démarche pour confirmer les indices de négligence ... 78

4.2.1.4.3 Des pratiques qui ne font pas consensus. ... 79

4.2.2 Deuxième processus : Juger si la situation doit être signalée à la protection de la jeunesse ... 82

4.2.2.1 Démarche d’évaluation de la sévérité de la situation. ... 83

4.2.2.1.1 Intention parentale et disposition au changement ... 84

4.2.2.1.2 Gravité des marques ou blessures observées ... 86

4.2.2.1.3 Fréquence/récurrence des indices de maltraitance ... 87

4.2.2.1.4 Évaluation des autres besoins de base de l’enfant ... 88

4.2.2.2 Démarche d’évaluation prospective des conséquences des décisions. . 91

4.2.3 Indices de maltraitance observés non signalés immédiatement ... 93

4.2.3.1 Indices de négligence non signalés automatiquement ... 93

4.2.3.2 Indices de mauvais traitements psychologiques non signalés immédiatement... 94

4.2.4 Influence des facteurs cognitifs ... 97

4.2.5 Influence des connaissances et des compétences ... 100

4.2.6 Influence de l’équipe-école ... 102

4.2.7 Influence des émotions ... 106

4.2.8 Influence de la collaboration avec le personnel de la protection de la jeunesse 109 4.2.9 Résumé des résultats relatifs au premier objectif ... 112

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4.3 Deuxième partie : Éléments divergents dans les processus décisionnels de signaler la

maltraitance envers les enfants de groupes culturels minoritaires ... 115

4.3.1 Divergences pour reconnaître la présence d’indices de maltraitance ... 115

4.3.2 Divergences pour juger s’il faut signaler la situation ... 116

4.3.2.1 Rechercher des explications culturelles ... 117

4.3.2.2 Valider la « normalité » culturelle ... 121

4.3.3 Divergences dans les pratiques utilisées par le personnel scolaire ... 124

4.3.3.1 Faire appel aux interprètes communautaires formels ou informels ... 126

4.3.3.2 Questionner directement les parents sans interprète communautaire . 128 4.3.4 Faire face à la dissonance cognitive ... 129

4.3.5 Résumé des résultats relatifs au deuxième objectif ... 132

4.4 Synthèse des principaux constats... 134

5. Conclusion ... 139

5.1 Forces et limites de l’étude ... 139

5.2 Pistes de recherche future ... 141

5.3 Implications pour la pratique ... 142

Bibliographie ... 145

Annexe A. Stratégie de recension des études empiriques... 157

Annexe B. Canevas d’entrevue ... 161

Annexe C. Formulaire de consentement ... 169

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Liste des tableaux

Tableau

1. Modalités de recrutement selon l’école participante ... 37

2. Nombre de participantes en fonction des sous-groupes de personnel scolaire ... 38

3. Expériences et formations des participantes ... 39

4. Nombre de situations selon la décision et selon le groupe culturel ... 53

5. Description des enfants de groupes culturels minoritaires ... 61

6. Description des enfants du groupe culturel majoritaire ... 62

7. Nombre de situations selon la forme de maltraitance et le groupe culturel ... 63

8. Indices majeurs d’abus physique observés selon les situations examinées ... 68

9. Définitions des indices majeurs d’abus physique ... 69

10. Indices majeurs de négligence observés selon les situations examinées ... 70

11. Définitions des indices majeurs de négligence ... 71

12. Formes d’incertitude conséquente à la survenue d’indices de maltraitance ... 72

13. Pratiques en milieu scolaire pour confirmer la présence de maltraitance ... 74

14. Définitions des pratiques pour juger si une situation doit être signalée ... 83

15. Évaluation prospective des conséquences des décisions... 91

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Liste des figures

Figure

1. Démarche d’analyse qualitative de données. ... 55 2. Processus décisionnels de signaler la maltraitance envers les enfants. ... 114 3. Divergences dans les processus décisionnels de signaler la maltraitance envers les enfants en

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Liste des abréviations et des sigles

CJ Centre jeunesse

CLSC Centre local de services communautaires CSSS Centre de santé et de services sociaux

DPJ Direction/directeur de la protection de la jeunesse

ÉIC Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants

ÉIQ Étude d'incidence québécoise sur les signalements évalués en protection de la jeunesse

LPJ Loi sur la protection de la jeunesse RTS Réception et traitement du signalement

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Remerciements

Bien qu’une thèse de doctorat soit le résultat d’un travail solitaire, plusieurs personnes ont facilité la réalisation de la mienne. D’abord, je n’aurais jamais pu réaliser cette thèse sans la générosité et la confiance des personnes qui ont accepté de participer à mon étude. Mes remerciements s’adressent à chacune d’elles ainsi qu’aux directions des écoles primaires qui m’ont si gentiment ouvert leurs portes.

Je désire exprimer ma reconnaissance à Marie-Hélène Gagné, ma directrice de thèse, pour avoir accepté de superviser ce projet de recherche et de l’avoir toujours fait avec son œil de lynx. Je remercie aussi les autres membres de mon comité, Marguerite Lavallée et Tamarha Pierce, pour leurs commentaires constructifs tout au long de l’évolution de mon travail.

Cette étude doctorale a aussi été réalisée grâce aux bourses d’excellence que j’ai reçues du Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC), du Fonds facultaire d’enseignement et de recherche de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval ainsi que du Centre jeunesse de Québec – Institut universitaire. Merci à ces organismes pour leur soutien.

Plusieurs personnes significatives ont rendu ce long parcours moins solitaire. Je remercie Francine Lavoie que je considère depuis longtemps comme une mentore. Merci à Marjolaire Roy pour sa lecture attentive de ma thèse, mais surtout pour son amitié et son écoute dans les moments où j’en avais tant besoin. Je remercie aussi Line Robitaille et Dominique Caron pour m’avoir concrètement soutenue en début de parcours. Aussi, un grand merci à ma sœur Marie-Josée pour m’avoir dépannée lorsque le temps me manquait, ce qui est arrivé si souvent. Merci aussi à Marie-Chantal Lemire-Guévin et à Lucie Jacques pour leurs conseils ainsi qu’à mes collègues qui étudient en psychologie, Juan Manuel Luna Ortega, Christian Macé, Véronique Lachance et Fannie Barrette, pour m’avoir aidée de différentes manières.

Elles sont nombreuses toutes ces fois où j’ai fait face à l’incertitude en remettant en question le comment et le pourquoi de ma décision de faire un doctorat sur le tard. Je tiens particulièrement à remercier ma mère qui m’a toujours encouragée dans mes projets, même les plus aventureux, parce

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qu’elle connaît plus que n’importe qui la personne idéaliste que je suis. Merci à mes sources de bonheur, Laura-Alejandra et Karen-Sofia, qui sont arrivées pendant ces années de doctorat comme des petits oasis pour me ressourcer pendant la traversée de ce parcours sinueux.

Je termine mes remerciements en ayant une pensée particulière pour les enfants concernés par les situations qui m’ont été racontées. Les histoires de chacun et chacune de ces enfants, de A à Y, m’ont touchée plus d’une fois. Aujourd’hui, en déposant cette thèse, j’espère sincèrement que ces enfants se trouvent dans une situation qui leur permette de grandir et de s’épanouir, sans que leur sécurité ou leur développement ne soit compromis.

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1. Introduction

Le dernier recensement canadien révèle que 20,6 % population est née à l’étranger, soit la plus forte proportion de population immigrante de tous les pays du G8 (Statistique Canada, 2013). Au fil des décennies, cette immigration a transformé le profil culturel et démographique. Au Québec, les statistiques indiquent que les enfants immigrants âgés entre 0 et 14 ans représentent 21,6 % de la population immigrante (Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2012), ce qui constitue une proportion considérable puisque les enfants de ce même groupe d’âge représentent seulement 15,9 % de la population en général (Statistique Canada, 2012).

Plusieurs familles, originaires de pays souvent instables politiquement et économiquement, choisissent de s’installer au Canada dans l’espoir d’un avenir meilleur pour leurs enfants (Bérubé, 2004; Vatz Laaroussi & Messé, 2008). Parce que ces familles arrivent avec leur propre bagage culturel et qu’en général, elles possèdent peu de connaissances de leur société d’accueil, elles se retrouvent souvent confrontées aux différences culturelles et notamment, à celles relatives aux pratiques parentales et aux soins à apporter aux enfants (Bérubé, 2004; Battaglini et al., 2002). Lorsque de telles différences donnent lieu à un signalement à la protection de la jeunesse, ces familles doivent également faire face aux lois de leur pays d’accueil. Plusieurs familles se sentent signalées à tort, car dans les faits, ces signalements ne s’avèrent pas toujours fondés (Lavergne, Dufour, Sarniento, & Descôteau, 2009). Le Rapport québécois de la consultation sur le profilage racial, publié en 2011, lance plusieurs pistes de réflexion quant :

[…] aux moyens de réduire l’impact des préjugés, des stéréotypes, des généralisations abusives, ou encore des grilles d’analyse ou des politiques organisationnelles qui ne tiennent pas compte de la différence culturelle, sur les décisions prises tant par les intervenants du système de protection de la jeunesse que par les professionnels des établissements appelés à signaler ces comportements (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2011, p. 84).

Au Québec, les personnes qui veulent signaler des situations de maltraitance doivent le faire aux Directions de la protection de la jeunesse (DPJ), lesquelles agissent en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) (LRQ, chapitre P-34.1) pour intervenir dans les situations de

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maltraitance les plus graves qui compromettent, ou qui risquent de compromettre la sécurité ou le développement des enfants (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2010). La LPJ renferme un article qui concerne particulièrement les personnes dans l’exercice de leurs fonctions, car elles doivent obligatoirement rapporter à la DPJ les cas de négligence, d’abus physiques, d’abus sexuels, de mauvais traitements psychologiques, d’abandon et de troubles sérieux du comportement (LRQ, chapitre P-34.1, article 39). L’obligation légale de signaler les cas de maltraitance envers les enfants ne fait pas l’unanimité. Plusieurs pays, dont les États-Unis, l’Australie1 et le Canada, ont opté pour une telle obligation légale, alors que d’autres pays comme la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ont choisi de ne pas l’inclure (Mathews & Kenny, 2008). Certains experts remettent en question sa pertinence et plusieurs critiques lui sont adressées, entre autres celle de produire trop de signalements qui s’avèrent finalement non fondés (Ainsworth, 2002; Melton, 2005). D’autres soutiennent que l’obligation légale de signaler, bien qu’elle puisse produire des erreurs, est nécessaire pour protéger les enfants des situations qui pourraient nuire à leur santé ou à leur bien-être (Drake & Jonson-Reid, 2007; Gilbert et al., 2009; Mathews & Bross, 2008). Bref, en ce qui concerne la pertinence et l’efficacité de l’obligation légale comme stratégie de protection des enfants contre la maltraitance, les opinions des experts internationaux sont divisées.

Au Québec et au Canada, où est décrétée cette obligation légale, les établissements scolaires fréquentés par les enfants sont des milieux qui offrent des opportunités uniques pour détecter les situations qui risquent de compromettre la sécurité ou le développement des enfants. Au quotidien, les personnes qui travaillent dans ces milieux font diverses observations sur le plan du développement physique et psychologique (Buckley & McGarry, 2011; Davies & Ward, 2012). Au Québec, le personnel scolaire constitue d’ailleurs la plus importante source de signalements (Hélie, Turcotte, Trocmé, & Tourigny, 2012) comme dans le reste du Canada (Trocmé et al., 2010). Puisque le personnel scolaire occupe un rôle crucial au début du processus d’intervention de la protection de la jeunesse, il est pertinent de comprendre de quelles façons il parvient à des décisions de signaler les situations de maltraitance, particulièrement lorsqu’elles concernent des enfants de groupes culturels minoritaires.

1 Sauf en Australie-Occidentale où les abus sexuels sont les seules situations obligatoires à signaler aux services de

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Cette thèse est composée de quatre chapitres. Le premier chapitre aborde le contexte de l’étude et la problématique en présentant le contexte légal ainsi que les statistiques sur la clientèle des services de la protection de la jeunesse, en particulier celles impliquant des enfants de groupes culturels minoritaires. Ensuite, une recension des études empiriques sur la prise de décision de signaler la maltraitance envers les enfants à la protection de la jeunesse expose les facteurs examinés dans ces études et leur possible influence sur la décision. Également, deux approches théoriques de la prise de décision, soient l’approche cognitive et l’approche écologique, sont présentées dans le but de saisir les divers facteurs qui doivent être pris en compte pour comprendre la prise de décision. Pour terminer ce chapitre, le but et les objectifs généraux de l’étude sont présentés.

Le deuxième chapitre présente la méthode qualitative employée, soit la sélection des écoles primaires, la procédure de recrutement et la collecte de données. De plus, la démarche d’analyse qualitative est décrite de façon à pouvoir apprécier la rigueur et la logique entre les différentes phases de l’analyse. Les stratégies empruntées pour respecter les critères de validité de cette étude qualitative sont aussi explicitées. Enfin, la description du corpus de données est fournie.

La présentation des résultats et de la discussion constitue un chapitre qui se subdivise en deux parties : une première se concentre sur les processus décisionnels et les facteurs psychologiques impliqués lorsqu’il s’agit de décider de signaler ou non la maltraitance envers les enfants. Quant à la seconde partie, elle s’attarde à comprendre de quelles façons divergent les processus décisionnels lorsqu’il s’agit de signaler les enfants de groupes culturels minoritaires. Finalement, les principaux constats que cette étude permet de dresser en regard à la question de recherche sont synthétisés. La conclusion constitue le dernier chapitre de cette thèse en présentant les forces et les limites de l’étude, des pistes de recherches futures ainsi que des implications pratiques.

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(25)

2. Contexte de l’étude et problématique

2.1 Contexte légal de la protection de la jeunesse et statistiques sur les signalements

Selon les sociétés, les époques, les lois ou les types d’écrits, la maltraitance envers les enfants est une problématique qui se définit de différentes façons. Cette étude s’inscrit dans le contexte québécois qui a adopté la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) (LRQ, chapitre P-34.1) depuis 1977. Depuis son entrée en vigueur, la LPJ a été soumise à plusieurs modifications dont une importante réforme en 2007 qui a donné lieu à des modifications majeures, entre autres, sur les définitions des problématiques de maltraitance.

2.1.1 Définitions légales des problématiques de maltraitance envers les enfants

Au sens de la LPJ, les situations qui compromettent, ou qui risquent de compromettre la sécurité ou le développement des enfants, sont représentées par six principales problématiques décrites à l’article 38 : Abandon, négligence, mauvais traitements psychologiques, abus sexuels, abus physiques et troubles sérieux du comportement (LRQ, chapitre P-34.1). Bien que les situations d’abandon1 et de troubles du comportement2 puissent nuire à la sécurité ou au développement des enfants, ces problématiques ne sont pas traitées dans cette étude qui s’intéresse à la prise de décision de signaler les situations de maltraitance envers les enfants.

La négligence est une problématique que la LPJ définit en la distinguant sur le plan physique, sur le plan de la santé et sur le plan éducatif. On entend par négligence :

1 « Lorsque les parents d'un enfant sont décédés ou n'en n'assument pas de fait le soin, l'entretien ou l'éducation et

que, dans ces deux situations, ces responsabilités ne sont pas assumées, compte tenu des besoins de l'enfant, par une autre personne » (LRQ, chapitre P-34.1, article 38 a).

2 « Lorsque l'enfant, de façon grave ou continue, se comporte de manière à porter atteinte à son intégrité physique ou

psychologique ou à celle d'autrui et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation ou que l'enfant de 14 ans et plus s'y oppose » (LRQ, chapitre P-34.1, article 38e).

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1o Lorsque les parents d’un enfant ou la personne qui en a la garde ne répondent pas à ses besoins fondamentaux :

(i) soit sur le plan physique, en ne lui assurant pas l'essentiel de ses besoins d'ordre alimentaire, vestimentaire, d'hygiène ou de logement compte tenu de leurs ressources; (ii) soit sur le plan de la santé, en ne lui assurant pas ou en ne lui permettant pas de recevoir les soins que requiert sa santé physique ou mentale;

(iii) soit sur le plan éducatif, en ne lui fournissant pas une surveillance ou un encadrement approprié ou en ne prenant pas les moyens nécessaires pour assurer sa scolarisation;

2o lorsqu’il y a risque sérieux que les parents d’un enfant ou la personne qui en a la garde ne répondent pas à ses besoins fondamentaux de la manière prévue au sous paragraphe 1o (LRQ, chapitre P-34.1, art. 38b).

Une description des situations de mauvais traitements psychologiques a été apportée dans la dernière réforme de la LPJ en juillet 2007. L’article 38c définit ces situations comme suit :

Lorsque l’enfant subit, de façon grave ou continue, des comportements de nature à lui causer un préjudice de la part de ses parents ou d’une autre personne et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation. Ces comportements se traduisent notamment par de l’indifférence, du dénigrement, du rejet affectif, de l’isolement, des menaces, de l’exploitation, entre autres si l’enfant est forcé à faire un travail disproportionné par rapport à ses capacités, ou par l’exposition à la violence conjugale ou familiale (LRQ, chapitre P-34.1, art. 38c).

Les abus sexuels sont des problématiques visées par la LPJ qui les définit de la façon suivante : 1o Lorsque l’enfant subit des gestes à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, de la part de ses parents ou d’une autre personne et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation;

2o lorsque l’enfant encourt un risque sérieux de subir des gestes à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, de la part de ses parents ou d’une autre personne et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation (LRQ, chapitre P-34.1, art. 38d).

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1o Lorsque l’enfant subit des sévices corporels ou est soumis à des méthodes éducatives déraisonnables de la part de ses parents ou de la part d’une autre personne et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation;

2o lorsque l’enfant encourt un risque sérieux de subir des sévices corporels ou d’être soumis à des méthodes éducatives déraisonnables de la part de ses parents ou de la part d’une autre personne et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation (LRQ, chapitre P-34.1, art. 38e).

2.1.2 Obligation légale de signaler les situations de maltraitance

L’obligation légale de signaler les situations de maltraitance est incluse à la LPJ depuis son adoption en 1977 (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2010). Elle s’applique à deux catégories de personnes soit les « citoyen(ne)s » et les « professionnel(le)s ». Les membres du personnel scolaire font partie de la catégorie des professionnels(le)s.

L’article 39 de la LPJ décrit cette obligation légale et concerne cette catégorie de personnes : Tout professionnel qui, par la nature même de sa profession, prodigue des soins ou toute autre forme d'assistance à des enfants et qui, dans l'exercice de sa profession, a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d'un enfant est ou peut être considéré comme compromis au sens de l'article 38 ou au sens de l'article 38.1, est tenu de signaler sans délai la situation au directeur; la même obligation incombe à tout employé d'un établissement, à tout enseignant, à toute personne œuvrant dans un milieu de garde ou à tout policier qui, dans l'exercice de ses fonctions, a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d'un enfant est ou peut être considéré comme compromis au sens de ces dispositions (LRQ, chapitre P-34.1, article 39).

Les professionnel(le)s dans l’exercice de leurs fonctions doivent donc rapporter à la DPJ tout soupçon concernant l’une ou l’autre des six problématiques décrites dans la LPJ. Par ailleurs, toutes les autres personnes appelées à signaler font partie de la catégorie des citoyen(ne)s. Pour cette catégorie de personnes, seuls les soupçons d’abus sexuels et d’abus physiques envers un enfant sont obligatoires à signaler alors que s’ils concernent la négligence ou les mauvais traitements psychologiques, leur signalement est discrétionnaire.

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Afin d’éviter toute interprétation sur l’obligation de signaler les situations d’abus physiques ou d’abus sexuels, l’article 39.1 de la LPJ précise qu’il n’appartient pas à la personne qui signale de juger si les moyens que prennent les parents sont adéquats pour assurer la protection de leur enfant.

Toute personne qui a l’obligation de signaler une situation d’abus physiques ou d’abus sexuels en vertu de l’article 39 doit le faire sans égard aux moyens qui peuvent être pris par les parents pour mettre fin à la situation. (LRQ, chapitre P-34.1, article 39.1).

2.1.3 Indices pour reconnaître la maltraitance envers les enfants

Pour détecter des situations qui compromettent la sécurité ou le développement des enfants, il est primordial de reconnaître la présence de signes et symptômes associés à la maltraitance envers les enfants. À ce sujet, le Ministère de la santé et des services sociaux du Québec a publié en 2008 un document destiné aux personnes qui veulent faire un signalement dans lequel sont mentionnés plusieurs indices pour reconnaître chacune des six grandes problématiques décrites dans la LPJ. Des indices de négligence sur le plan physique sont présentés : « nourriture inexistante, insuffisante ou inadéquate », « quête de nourriture de la part de l’enfant », « manque constant d’hygiène », « vêtements inadéquats selon la saison », « insalubrité du milieu de vie de l’enfant » (p. 11). Aussi, des indices de négligence sur le plan de la santé sont fournis : « refus ou négligence des parents ou de la personne qui a la garde de l’enfant de consulter un professionnel de la santé pour des besoins essentiels de l’enfant (ex : problèmes de santé mentale, caries dentaires, retard de développement, déficiences visuelles, auditives, motrices) » (p. 11). La négligence sur le plan éducatif est aussi une forme de négligence pour laquelle des indices sont apportés : « manque de stimulation de l’enfant sur les plans langagier, moteur, social ou intellectuel, compte tenu de son groupe d’âge » (p. 11). Aussi, plusieurs indices d’abus physique sont présentés : « l’enfant présente des traces de coups, des lésions corporelles, des ecchymoses inexpliquées »; « l’enfant dit que ses parents le frappent lorsqu’il ne les écoute pas »; « l’enfant est agressif avec les adultes ou ses pairs » (p. 15). En somme, ce document présente ces indices ainsi que plusieurs autres pour guider les personnes dans la reconnaissance de signes et symptômes associés à la maltraitance. Il est toutefois souligné que « la présence d’un seul indice puisse justifier un signalement, toutefois, dans la plupart des cas, c’est un ensemble d’indices qui vous permettra de croire que la sécurité ou le développement de l’enfant est ou peut être compromis » (p. 9). À ce propos, le Manuel de référence de la protection de

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la jeunesse (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2010) mentionne que « le signalant n’a pas à décider si la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis. Cette décision appartient au DPJ ou, le cas échéant, au tribunal » (p.406). Également, ce manuel souligne ceci :

Ainsi, bien que le signalement découle d’un jugement personnel, il ne doit pas, pour autant, être arbitraire ou sans fondement. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que le signalant dispose de tous les éléments de preuve démontrant l’existence d’une situation de compromission. Il n’appartient pas non plus au signalant de déterminer le degré de gravité ou d’urgence de la situation qu’il porte à l’attention du DPJ. (p. 407)

En somme, il existe une grande variété d’indices de maltraitance susceptibles de se présenter à l’attention des personnes ayant l’obligation légale de signaler, des indices dont les niveaux d’intensité et de gravité peuvent grandement varier. Même s’il est souligné qu’il faut souvent plusieurs indices pour décider de signaler une situation, il n’y a aucune indication quant aux critères utiles à prendre en compte pour faire ce jugement de façon la plus éclairée possible.

2.1.4 Processus d’intervention de la protection de la jeunesse au Québec

Le processus d’intervention de la protection de la jeunesse est composé de plusieurs étapes dont la première commence lorsqu’une personne décide de signaler une situation parce qu’elle a un motif raisonnable de croire qu’un enfant vit une des problématiques décrites dans la LPJ (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2010). Le signalement est alors reçu à la DPJ par le personnel responsable de la « réception et traitement du signalement » (RTS) qui procède à une analyse sommaire des informations concernant la situation de l’enfant afin de déterminer si le signalement doit ou non être retenu pour une évaluation plus approfondie. Pour prendre cette décision, les informations sont analysées en considérant ces facteurs : (a) la nature, la gravité, la chronicité et la fréquence des faits signalés; (b) l’âge et les caractéristiques personnelles de l’enfant; (c) la capacité et la volonté des parents de mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de l’enfant; et (d) les ressources du milieu pour venir en aide à l’enfant et à ses parents (LRQ, chapitre P-34.1, art. 38.2). Ces facteurs, nommés « facteurs de détermination », ont été spécifiés dans la LPJ en 2007. Pour faire ce travail de réception et de traitement du signalement, le personnel dispose d’un système de soutien à la pratique composé d’outils informatisés; au terme de cette

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analyse, le signalement est soit retenu ou non retenu. Une vérification complémentaire peut être nécessaire avant de prendre la décision de retenir ou non le signalement. Dans les situations considérées les plus urgentes, le signalement est transféré aux services d’urgence de la protection de la jeunesse. Dans le cas où le signalement n’est pas retenu, la personne ayant signalé la situation doit être avisée de cette décision de ne pas retenir le signalement (LRQ, chapitre P-34.1, art. 45.1).

Lorsque le signalement est retenu, il est dirigé à l’étape suivante du processus d’intervention de la protection de la jeunesse, soit l’étape d’évaluation, au cours de laquelle sera effectuée une évaluation plus exhaustive de la situation afin de déterminer si les faits allégués sont fondés et si la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis. Au final de cette étape, la situation évaluée conduit à l’une ou l’autre des trois possibilités suivantes : (1) les faits sont non fondés; (2) les faits sont fondés, mais la sécurité et le développement ne sont pas compromis; (3) les faits sont fondés et la sécurité ou le développement de l’enfant est considéré compromis. Dans les cas où il y a compromission, la DPJ oriente la situation vers l’application de mesures de protection (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2010; Moreau, Cabaret, & Carignan, 2009). Par ailleurs, si la personne ayant fait le signalement fait partie de la catégorie « professionnelle », la DPJ doit l’aviser de l’issue de l’évaluation (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2010).

Dans cette thèse, il est fréquemment question de l’étape de la réception et du traitement du signalement (RTS) ou de l’étape d’évaluation, car ces deux étapes du processus d’intervention de la protection de la jeunesse impliquent plus directement les personnes qui ont la responsabilité légale de rapporter leurs soupçons de maltraitance aux autorités compétentes.

2.1.5 Vue d’ensemble sur les statistiques des signalements au Québec

Un bilan provincial est publié annuellement par l’Association des centres jeunesse du Québec dans lequel paraît le nombre des signalements traités, retenus et non retenus. Le dernier bilan de 2012-2013 indique que 80 540 signalements ont été traités, un nombre en hausse en comparaison aux 77 244 signalements traités l’année précédente (Association des centres jeunesse du Québec, 2013). Ce bilan indique aussi que la proportion des signalements non retenus à l’étape RTS est en augmentation : en 2012-2013, 60,3 % des signalements traités n’ont pas été retenus alors que cette

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proportion était de 57,7 % en 2011-2012. En nombre absolu, même si les DPJ ont traité 3 296 signalements de plus cette année, au final, ils en ont retenu 713 de moins que l’année dernière. Ces chiffres1 sont révélateurs des écarts entre les décisions prises par le personnel de la protection de la jeunesse et celles des personnes qui ont signalé ces situations parce qu’elles avaient des motifs de croire que le développement ou la sécurité des enfants impliqués pouvait être compromis.

À propos des problématiques les plus souvent signalées à la protection de la jeunesse, les statistiques montrent que la négligence et le risque sérieux de négligence ainsi que les abus physiques et les risques d’abus physiques constituent presque les deux tiers des signalements retenus; les mauvais traitements psychologiques concernent seulement 13,8 % des signalements retenus alors que les abus sexuels et les risques d’abus sexuels forment 10,2 % des signalements retenus (Association des centres jeunesse du Québec, 2013).

L’Étude d'incidence québécoise sur les signalements évalués en protection de la jeunesse (ÉIQ) est le volet québécois d’une vaste étude quinquennale réalisée à l’échelle canadienne nommée l’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants (ÉIC) financée par l’Agence de santé publique du Canada. L’objectif principal de ces études est de fournir des estimations fiables de l’ampleur et des caractéristiques des cas de maltraitance signalés au Canada et au Québec (Hélie et al., 2012). Jusqu’à maintenant, trois cycles de l’ÉIQ ont été réalisés : l’ÉIQ-1998 (Tourigny et al., 2002), l’ÉIQ-2003 (Turcotte et al., 2007) et l’ÉIQ-2008 (Hélie et al., 2012), ce qui permet de faire certaines comparaisons selon les cycles.

La plus récente, l’ÉIQ-2008, fournit plusieurs statistiques sur les signalements retenus et évalués et dresse aussi le portrait des sources de signalement (Hélie et al., 2012). Ces sources de signalement sont classées par catégories : « sources citoyennes » (parent, enfant, membre de la famille, voisin ou connaissance) et « sources professionnelles » (professionnel de la santé ou des services sociaux, personnel d’un hôpital, milieu scolaire, personnel des services de protection,

1 Ces chiffres inclut les signalements pour les six problématiques prévues à la LPJ, donc aussi ceux concernant les

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garderie, police). Les résultats de l’ÉIQ-2008 révèlent que 26 % de toutes les situations évaluées ont été signalées par une personne travaillant en milieu scolaire alors que cette proportion était de 18 % dans l’ÉIQ-1998. Les signalements faits par une source professionnelle ont augmenté au cours de cette décennie, et particulièrement ceux provenant des personnes en milieu scolaire : en nombre absolu, il s’agit de 4 632 en 1998 comparativement à 7 308 situations en 2008 (Hélie et al., 2012). La position privilégiée du personnel scolaire pour identifier les enfants possiblement victimes d’abus ou de négligence se reflète dans le nombre de signalements que rapportent ces personnes.

Il est à remarquer que l’ÉIQ-2003 et l’ÉIQ-2008 n’abordent pas les signalements non retenus à l’étape RTS, alors que l’ÉIQ-1998 présente quelques informations pertinentes à ce propos, entre autres sur les motifs de non rétention des signalements : 38,8 % des signalements n’ont pas été retenus parce que « les faits ne sont pas assez graves » et 24,8 % des signalements n’ont pas été retenus parce que « les faits ne sont pas assez précis ». Par ailleurs, dans l’ÉIQ-1998, il est mentionné que les signalements provenant des milieux scolaires sont retenus dans une proportion de 46,7 %, un taux de rétention inférieur à celui des autres sources de signalements professionnelles qui ont aussi l’obligation légale de signaler. Ces personnes voient leurs signalements retenus dans une proportion de 75,1 % pour le personnel intervenant en Centre jeunesse (CJ), 61,1 % pour celui en Centre local de services communautaires (CLSC), 60,1 % pour le personnel des organismes communautaires et 60,3 % pour celui du réseau de la santé et des services sociaux. Dans les rapports de l’ÉIQ-2003 et de l’ÉIQ-2008, les signalements non retenus ne sont pas considérés de sorte qu’il n’est pas possible d’avoir des statistiques récentes à ce sujet et de les comparer avec celles de l’ÉIQ-1998.

2.1.6 Signalements d’enfants de groupes culturels minoritaires

2.1.6.1 Avant-propos sur la terminologie. Sur le plan culturel, la population québécoise est

composée d’une grande diversité de personnes qui représentent des centaines de communautés culturelles (Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2012) et autochtones (Secrétariat aux affaires autochtones, 2011). Ces groupes culturels sont minoritaires au sens numérique du terme, car la majorité de la population, soit plus de 70 %, est formée de

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descendant(e)s de la population fondatrice française (Bouchard, 2011). Cette thèse s’inscrit dans ce contexte social où il existe un groupe culturel majoritaire et plusieurs groupes culturels minoritaires.

Dans la littérature, lorsqu’il s’agit de nommer les groupes qui représentent la diversité culturelle, il existe plusieurs termes différents qui varient selon les époques, les pays et les préférences des auteurs (American Psychological Association, 2010). Généralement, les études empiriques emploient les catégories ou termes utilisés dans les recensements : au Canada, les « minorités visibles » et « immigrants » sont souvent les termes utilisés alors qu’aux États-Unis, « White », « Black », « Hispanic » ou « Latino » sont ceux privilégiés (Goldmann, 2007).

Dans cette étude, le terme de « groupes culturels minoritaires » est choisi puisqu’elle ne s’intéresse pas à un groupe culturel en particulier, mais bien aux façons de composer avec les différences dans un contexte où il existe une grande diversité culturelle. Afin de représenter la diversité culturelle, tous les groupes culturels, soient les communautés autochtones ainsi que les communautés culturelles, immigrantes ou non immigrantes, désignées ou non de « minorités visibles »1, sont incluses dans cette représentation de « groupes culturels minoritaires ». Toutefois, lorsqu’il s’agit de faire état des résultats issus d’autres études, les termes comme « groupes ethnoculturels», « race » ou « ethnie » utilisés par les auteur(e)s de ces études sont réutilisés dans cette thèse afin de ne pas s’éloigner de l’idée originale.

2.1.6.2 Disproportions des groupes culturels minoritaires. La « disproportion » est le terme

généralement utilisé lorsqu’un groupe culturel ne représente pas le même poids démographique qu’il occupe dans la population générale; la disproportion peut prendre la forme d’une surreprésentation ou d’une sous-représentation (Fluke, Kromrei, & Baumann, 2008; Shaw, Putnam-Horstein, Magruder & Needell, 2008).

1 Les minorités visibles correspondent à la définition que l'on trouve dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Il s'agit

de personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n'ont pas la peau blanche. Il s'agit de Chinois, de Sud-Asiatiques, de Noirs, de Philippins, de Latino-Américains, d'Asiatiques du Sud-Est, d'Arabes, d'Asiatiques occidentaux, de Japonais, de Coréens et d'autres minorités visibles et de minorités visibles multiples. (Statistique Canada, 2013).

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La plupart des études ayant examiné la présence de disproportions de certains groupes culturels minoritaires dans les statistiques des services de protection de la jeunesse ont été réalisées principalement aux États-Unis. Quelques une ont documenté sa présence à l’étape initiale, c’est-à-dire à l’étape de la réception des signalements, particulièrement pour le groupe d’enfants d’origine afro-américaine (Fluke, Yuan, Hedderson, & Curtis, 2003; Lu et al., 2004).

Au Canada, il existe moins d’études sur cette question. Dans une étude canadienne ayant réalisé des analyses secondaires sur les données de l’ÉIC-2003, les résultats montrent que le groupe des enfants autochtones est le plus fortement surreprésenté, suivi par celui des enfants noirs puis celui des enfants latinos (Lavergne, Dufour, Trocmé, & Larrivée, 2008). Cependant, cette étude n’a pas examiné sa présence à la première étape du processus de la protection de la jeunesse, soit à l’étape de réception et de traitement des signalements. En somme, d’autres études sont nécessaires pour faire la lumière sur la présence ou non d’une surreprésentation des enfants de groupes culturels minoritaires dans le nombre de signalements reçus et traités par les services canadiens de protection de l’enfance.

Au Québec, deux études ont la particularité de s’être penchées sur ce phénomène de la disproportion de certains groupes culturels minoritaires à l’étape du signalement. Une étude réalisée à Montréal auprès de 100 jeunes d’origine haïtienne et de 100 jeunes du groupe culturel majoritaire indique que les jeunes d’origine haïtienne seraient 2,17 fois plus susceptibles d’être signalés à la protection de la jeunesse que ceux du groupe culturel majoritaire (Bernard & McAll, 2004). Selon cette même étude, la proportion des signalements venant des autorités scolaires est de l’ordre de 32 % pour les jeunes d’origine haïtienne alors que pour les autres jeunes, cette proportion est de 16 %. Cette étude souligne que le personnel scolaire est une importante source de signalements concernant les jeunes de ce groupe culturel minoritaire. Dans cette étude qui comporte aussi un volet qualitatif réalisé auprès du personnel intervenant en protection de la jeunesse, nommé « praticiens » par les chercheurs, il y est souligné que « les institutions scolaires contribueraient à ce phénomène, selon les praticiens, parce que, d’une part, elles semblent être portés à signaler les jeunes Haïtiens aux moindres indices de sévices corporels […] » (p. 121).

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Une autre étude québécoise produite dans la région de Montréal s’est intéressée à la question de la disproportion de certains groupes ethnoculturels en examinant les différentes étapes du processus d’intervention de la protection de la jeunesse, dont l’étape de réception des signalements incluant ceux qui n’ont pas été retenus (Lavergne, Dufour, Sarniento, & Descôteau, 2009). Les analyses ont porté sur les données de 3 918 enfants de 0 à 17 ans répartis dans l’un des regroupements ethnoculturels suivants : (a) le groupe des enfants caucasiens (n = 1 659); (b) le groupe des enfants noirs provenant des Antilles et de l’Afrique (n = 457); et (c) le groupe des enfants représentant d’autres minorités (n = 495), c’est-à-dire les Asiatiques du Sud et de l’Est, les Philippins, les Japonais, les Arabes, et les Latino-Américains. Les comparaisons entre ces trois groupes montrent que les enfants noirs sont presque deux fois plus susceptibles d’être signalés à la protection de la jeunesse, ce qui concorde d’ailleurs avec l’étude québécoise de Bernard et McAll (2004) et des études étatsuniennes (Fluke et al., 2003; Lu et al., 2004). Il est toutefois discutable d’utiliser de telles variables qui regroupent des enfants représentant des groupes culturels minoritaires dont les réalités socioculturelles et économiques ne sont pas forcément comparables; la réalité et les besoins des enfants noirs de deuxième génération d’immigrant(e)s d’origine jamaïcaine sont probablement différents de ceux des enfants noirs réfugiés d’origine congolaise, même s’ils partagent une caractéristique commune comme la couleur de la peau.

En somme, des études québécoises et américaines suggèrent que la disproportion serait particulièrement prononcée à l’entrée du processus d’intervention de la protection de la jeunesse, soit à l’étape de la réception et du traitement du signalement, une présence qui suscite plusieurs questionnements. Pour interpréter ce constat, différentes explications sont avancées dans la littérature, dont trois plus fréquemment évoquées. Une première explication suggère que la pauvreté serait le principal facteur explicatif de la présence de disproportion raciale. Les familles de groupes culturels minoritaires étant bien souvent plus pauvres que celles du groupe culturel majoritaire, leurs besoins étant plus importants que ceux des mieux nantis, ces enfants seraient conséquemment perçus comme plus à risque. Des résultats d’études soutiennent d’ailleurs cette explication en obtenant des résultats qui montrent qu’une fois la variable socioéconomique prise en compte dans les modèles statistiques, aucune disproportion raciale n’est observée (Dettlaff, Rivaux, Baumann, Fluke, Rycraft, & James, 2011; Drake, Lee, & Jonson-Reid, 2009).

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Une deuxième explication avancée est la possibilité que les enfants de certains groupes culturels minoritaires soient davantage touchés par la maltraitance. Selon une importante étude réalisée à l’échelle nationale étatsunienne, des différences significatives indiquent que les taux concernant les enfants noirs sont plus élevés que ceux concernant les enfants blancs (Sedlak, Mettenburg, Grene, & Li, 2010; Sedlak, McPherson, & Das, 2010). Cette étude, nommée « National Incidence Study (NIS) », est réalisée périodiquement sur les données colligées auprès de personnes qui travaillent étroitement auprès des enfants ainsi que des données provenant des services de protection de l’enfance; ces résultats sont obtenus dans le dernier cycle de cette étude alors que les trois cycles antérieurs ne révélaient aucune différence significative. Les chercheurs expliquent ce résultat par des changements dans les méthodes utilisées, plus particulièrement par le fait que les variables socioéconomiques aient été contrôlées différemment selon les cycles.

Pour expliquer la présence de disproportions des groupes culturels minoritaires dans les statistiques de la protection de la jeunesse, une troisième explication stipule qu’elle pourrait être produite par des biais dans le traitement des situations qui concernent ces enfants (Child Welfare Information Gateway, 2011). Cette explication est aussi avancée par Dufour, Hassan et Lavergne (2012) pour expliquer la présence d’une surreprésentation de la proportion des enfants noirs à la première étape du processus d’intervention de la protection de la jeunesse au Québec; ces chercheuses soulignent que cette disproportion serait attribuable à « la subjectivité intervenant dans la prise de décision » (p. 149), en particulier à « la présence de biais ethniques et au manque de sensibilité aux réalités ethnoculturelles chez les déclarants professionnels situés en amont du système de protection » (p. 150); selon cette explication, ces personnes auraient donc tendance à signaler à tort les situations impliquant les enfants de groupes culturels minoritaires. Aux États-Unis, cette explication est soutenue par les résultats de quelques études qualitatives. Par exemple, dans une étude réalisée auprès de personnes ayant des rôles clés au sein de leur communauté, le manque de sensibilité culturelle comme possible cause de la disproportion raciale est une opinion souvent évoquée par les personnes participantes (Dettlaff & Rycraft, 2008). Dans le même ordre d’idées, selon le personnel des services de protection de l’enfance, le traitement différentiel dont sont victimes les groupes culturels minoritaires se manifesterait par le sur signalement des enfants issus de ces groupes (Chibnall, Dutch, Jones-Harden, Brown, Gourdine, Smith, et al., 2003). En somme, pour expliquer les disproportions de certains groupes culturels minoritaires à l’étape des

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signalements, il existe plusieurs explications avancées dans la littérature dont certaines sont appuyées par des études empiriques.

2.1.7 Erreurs décisionnelles à l’étape des signalements

Dans quelques écrits portant sur les décisions aux diverses étapes du processus d’intervention de la protection de la jeunesse, des chercheurs reconnaissent l’existence de différentes erreurs décisionnelles (Baumann, Dalgleish, Fluke, & Kern, 2011; Dalgleish, 2003). La logique qui sous-tend ces possibles erreurs s’applique aussi aux signalements traités par les services de protection de la jeunesse. Effectivement, à cette étape du processus d’intervention, des erreurs quant à la décision de signaler ou non peuvent se produire, mais aussi des erreurs quant à la décision de retenir ou non ce signalement. Les paragraphes suivants expliquent ces différentes erreurs décisionnelles.

Les personnes qui signalent à la protection de la jeunesse sont susceptibles de faire des erreurs décisionnelles qui se regroupent en deux catégories : le sur signalement et le sous signalement. D’abord, le sur signalement est l’erreur décisionnelle produite lorsqu’une décision de signaler est prise alors que dans les faits, l’enfant n’est pas dans une situation qui risque de compromettre son développement ou sa sécurité. Les biais décisionnels chez les personnes qui signalent les enfants de groupes culturels minoritaires pour expliquer les disproportions de certaines de ces groupes s’inscrivent dans cette logique de sur signalement. Toutefois, une erreur décisionnelle contraire, soit le sous signalement, peut également survenir car il est possible qu’une décision de ne pas signaler soit prise, alors qu’en réalité l’enfant est dans une situation qui risque de compromettre son développement ou sa sécurité. Les situations sous signalées sont abordées dans quelques écrits (O’Toole, Webster, O’Toole, & Lucal, 1999; Webster, O’Toole, O’Toole, & Lucal, 2005) qui ont expliqué que certains enfants abusés ou négligés ne reçoivent pas les services de protection ou les interventions nécessaires, parce que les signes ou les symptômes associés à la maltraitance ont échappé à la vigilance des adultes responsables ou encore parce que ces derniers ont décidé de ne pas signaler, même s’ils ont reconnu ces signes ou symptômes.

À cette étape où sont reçus et traités les signalements, les décisions prises par le personnel de la protection de la jeunesse ne sont pas non plus à l’abri d’erreurs éventuelles. En effet, un

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signalement peut être retenu alors qu’en fait, l’enfant ne vit pas une situation qui comporte un risque de compromission, ce qui serait une erreur décisionnelle de sur rétention. Inversement, une décision de ne pas retenir un signalement alors que l’enfant subit une situation qui risque de compromettre son développement ou sa sécurité constituerait une erreur de sous rétention. Pour expliquer les erreurs décisionnelles de la protection de la jeunesse, des auteurs mentionnent que les outils d’évaluation des pratiques parentales reflèteraient plutôt les normes de la culture dominante (Fontes, 2005; Harran, 2002). Selon Harran (2002), ces outils ne seraient pas adaptés pour les groupes culturels minoritaires et ils conduiraient à une évaluation inégale du risque, basée entre autres sur les valeurs morales de la culture dominante.

En somme, la prudence est de mise lorsqu’il s’agit d’expliquer la présence des disproportions des groupes culturels minoritaires à cette première étape du processus d’intervention de la protection de la jeunesse. Ce constat pourrait être explicable de diverses façons et non uniquement par des erreurs de sur signalements de la part des personnes qui rapportent ces situations. Par ailleurs, les études dans ce domaine doivent prendre en compte qu’il existe différentes erreurs décisionnelles possibles à cette étape du processus d’intervention de la protection de la jeunesse.

2.2 Recension des études empiriques

Une stratégie de recherche dans les banques de données bibliographiques a été utilisée afin de recenser les études empiriques réalisées auprès de professionnel(le)s ayant la responsabilité légale de signaler les cas de maltraitance envers les enfants aux services de protection de la jeunesse; cette stratégie est décrite à l’Annexe A.

La plupart des études empiriques présentées dans cette recension ont été principalement réalisées aux États-Unis et en Australie où il existe des lois qui mandatent les personnes dans l’exercice de leurs fonctions à signaler les cas de maltraitance aux services de protection de la jeunesse. Dans les provinces et les territoires de ces pays, même si les articles de loi ne sont pas formulés exactement de la même manière qu’au Canada, et qu’au Québec en particulier, l’existence d’une telle obligation légale permet de croire que les contextes de ces études sont comparables à

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celui de la présente étude. Il est donc approprié de faire état des connaissances sur ce sujet en considérant les études réalisées dans ces pays.

Afin d’identifier de façon plus large les écrits relatifs à la question de recherche, la recension a d’abord repéré les études réalisées auprès de tous les groupes de professionnel(le)s ayant l’obligation légale de signaler, comme le personnel des services sociaux et le personnel médical, en plus de celles réalisées auprès du personnel scolaire. Toutefois, dans la pratique, il est plausible que ces groupes se distinguent les uns des autres étant donné que leur milieu de travail et leurs fonctions professionnelles les amènent à détecter et à signaler différemment la maltraitance. Pour ces raisons, les études réalisées spécifiquement auprès du personnel scolaire sont privilégiées pour faire état des connaissances actuelles dans ce domaine. Exceptionnellement, quelques études réalisées auprès d’autres groupes de personnes mandatées sont citées.

2.2.1 Facteurs contribuant à la détection et à la décision de signaler la maltraitance

Plusieurs études se sont intéressées aux facteurs qui pourraient avoir une influence sur les décisions de signaler les cas suspects de maltraitance envers des enfants. Entre autres, les principaux facteurs contribuant à la détection et à la décision de signaler ont été amplement étudiés. Dans un premier temps, les facteurs relatifs aux personnes signalantes en milieu scolaire et les facteurs relatifs aux cas de maltraitance impliqués dans la prise de décision sont présentés. Dans un second temps, les connaissances actuelles quant au rôle des facteurs « culturels », « ethniques » ou « raciaux » dans la prise de décision sont exposées.

2.2.1.1 Facteurs relatifs aux personnes signalantes en milieu scolaire. Il existe un grand

nombre d’études réalisées aux États-Unis et en Australie qui se sont intéressées à la prise de décision de signaler afin de saisir les facteurs relatifs aux personnes signalantes en milieu scolaire. Plusieurs se sont penchées sur le personnel enseignant et la direction des écoles primaires et secondaires. Aux États-Unis, les « school counsellors », traduits ici par « conseiller(ère)s en milieu scolaire », est un groupe particulièrement ciblé puisqu’il dispense des services en éducation spécialisée et en santé mentale et qu’il est donc appelé à travailler étroitement auprès des enfants en difficultés (Bryant & Baldwin, 2010).

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Parmi les facteurs relatifs aux personnes signalantes en milieu scolaire, les variables sociodémographiques sont les plus souvent mises en relation avec les décisions de signaler. Par exemple, dans l’étude de Walsh et ses collaborateurs, plusieurs caractéristiques des répondant(e)s comme le sexe, l’âge, le statut parental, le niveau de scolarité complété, le niveau scolaire enseigné, et le nombre d’années d’expérience de travail. Certaines études présentent une différence significative en fonction du sexe des répondants et des répondantes (Kenny, 2001; O’Toole et al., 1999) alors que d’autres études n’indiquent pas une telle différence (Walsh, Bridgstock, Farrell, Rassafiani, & Schweitzer, 2008; Webster et al., 2005). De nombreuses études quantitatives ont aussi examiné le nombre d’années d’expérience de travail dans la profession d’enseignant, mais leurs résultats affichent des contradictions (O’Toole et al., 1999; Walsh et al., 2008; Webster et al., 2005). Bref, les études ayant inclus des variables sociodémographiques obtiennent des résultats inconsistants. Par ailleurs, même si au plan pratique, le fait de trouver des différences sur de telles variables aurait l’avantage de pouvoir cibler des groupes de personnes signalantes, les caractéristiques sociodémographiques en soi ne participent pas à comprendre de quelles façons les personnes parviennent à prendre une décision.

Des études ont aussi examiné les connaissances en matière de détection de la maltraitance envers les enfants, notamment les connaissances des signes et des symptômes associés à la maltraitance et les connaissances des lois en cette matière, afin de comprendre si ces facteurs auraient une influence sur la décision de signaler. L’étude de Kenny (2001) réalisée auprès de 197 personnes du personnel enseignant a analysé leurs réponses à des historiettes décrivant des situations fictives de maltraitance. Les résultats ont révélé que 12,9 % des personnes participantes croient qu’il ne faut pas signaler une situation s’il y a seulement un dévoilement de l’enfant et qu’il n’y a pas de marques ou blessures physiques visibles. Dans le même sens, une autre étude indique que l’absence de signes physiques apparents est une raison fréquemment évoquée par le personnel enseignant pour décider de ne pas signaler des soupçons d’abus physique envers un enfant (Kenny & McEachern, 2002). Ces études suggèrent qu’en présence de signes ou symptômes de maltraitance peu visibles et en l’absence de marques sur le corps d’un enfant, les personnes seraient moins incitées à signaler un possible abus physique. Par ailleurs, d’autres études se sont penchées sur les conseillers et les conseillères en milieu scolaire au sujet de leurs expériences antérieures de signalements et de l’exercice de leur mandat légal; ces études concluent que les formations sur la

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Figure 2. Processus décisionnels de signaler la maltraitance envers les enfants.
Figure 3. Divergences dans les processus décisionnels de signaler la maltraitance envers les enfants  en contexte interculturel

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