• Aucun résultat trouvé

La prévention des agressions sexuelles contre les enfants : perspectives juridiques

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La prévention des agressions sexuelles contre les enfants : perspectives juridiques"

Copied!
236
0
0

Texte intégral

(1)

La prévention des agressions sexuelles contre les

enfants : perspectives juridiques

Mémoire

Yamilet Bambery Lamott

Maitrise en droit

Maitre en droit (LL.M.)

Québec, Canada

(2)
(3)

Résumé

Cette recherche traite de la prévention des agressions sexuelles contre les enfants et, à cette fin, nous nous proposons, à l'aide d'un chapitre introductif suivi de deux autres chapitres, de présenter les mécanismes par lesquels les moyens juridiques destinés à la protection de l'enfant préviennent ce crime.

Nous allons ainsi regarder dans la Loi sur la protection de la jeunesse, la notion de risque sérieux d'abus sexuel, les mesures de protection immédiate, celles de l'article 91 et le retrait de l'enfant de son milieu familial, dans le but de voir comment ces moyens sont utilisés dans la prévention des agressions sexuelles. Nous allons également étudier sous l'angle du Code criminel, les mécanismes d'action de l'article 810.1 C.cr, les programmes de réinsertion sociale et l'Entente multisectorielle. Notre but sera, non seulement de décrire les moyens qui servent à la protection de l'enfant, mais aussi d'en déceler les failles à partir d'une réflexion critique qui permettra de proposer des pistes de solutions dans le but de rendre ces moyens juridiques plus efficaces.

(4)
(5)

Table des matières

Résumé...iii

Table des matières...v

Remerciements...vii

Avant-propos...ix

Introduction générale ...1

...1

CHAPITRE 1 : L'agression sexuelle et la notion de risque...7

Introduction ...7

1.1 La définition de l'agression sexuelle...11

1.2 Les préjudices de l'agression sexuelle...15

1.3 La notion de risque...21

1.3.1 Définition et approches...21

1.3.2 Méthodes d'évaluation...29

1.3.3 Limites et avantages des outils d'évaluation...37

1.3.4 Discussion entourant les enjeux et les applications de la notion de risque...41

CHAPITRE 2 : La prévention des agressions sexuelles suivant la Loi sur la protection de la jeunesse ...45

Introduction...45

2.1 Les moyens de prévention...47

2.1.1 L'article 38 d) 2 de la Loi sur la protection de la jeunesse et la notion de risque sérieux d'abus sexuel...47

2.1.1.1 Brève présentation de la Loi sur la protection de la jeunesse et évolution de la définition d'abus sexuels...47

2.1.1.2 Notion de risque sérieux d'abus sexuel...53

A. Le mot « sérieux » et le principe du risque : définition de risque sérieux...53

B. Les facteurs de risque suivant l'article 38 d) 2 L.P.J...59

2.1.1.3 La mise en œuvre de l'article 38 d) 2 devant la Chambre de la jeunesse et l'utilité du témoin expert...63

A. La norme de preuve...63

B. Le risque et le témoignage de l'expert à la Chambre de la jeunesse...67

C. Des questions d'intérêt concernant le risque : la prévention curative...73

2.1.2 Les autres mesures de prévention de la Loi sur la protection de la jeunesse : mesures de protection immédiate et l'article 91...81

2.2 La prévention peut-elle nuire? Les dessous du retrait de l'enfant de son milieu familial...87

CHAPITRE 3 : la prévention des agressions sexuelles suivant le Code criminel...95

Introduction ...95

3.1 Principes du droit pénal et prévention des agressions sexuelles contre l'enfant : attentes juridiques...99

3.1.1 La présomption d'innocence et la charge du poursuivant dans les crimes d'agression sexuelle contre l'enfant...99

3.1.2 La preuve du ministère public dans les crimes d'agression sexuelle : l’âge du consentement et les moyens de défense...107

(6)

3.1.3 Pistes de solution pour assouplir le fardeau du poursuivant dans les crimes d'agression

sexuelle...119

3.1.3.1 L'ajout de présomptions...125

3.1.3.2 La modulation du principe du droit au silence...131

3.2 LES MOYENS JURIDIQUES DE PRÉVENTION DU DROIT CRIMINEL...143

3.2.1 L'article 810.1 du Code criminel et sa mise en œuvre...143

3.2.2 La déclaration de culpabilité, l'imposition de la peine et la prévention...153

3.2.3 Les objectifs de la détermination de la peine en matière d'agression sexuelle chez l'enfant...159

A. La dénonciation du comportement illégal...161

B. La dissuasion du délinquant...163

C. L'isolement du délinquant : la Loi sur les communautés et les rues...165

D. La réinsertion sociale des délinquants...171

E. La réparation et la reconnaissance du tort causé aux victimes ou à la collectivité...173

3.2.4 Les programmes de rééducation et le traitement réservé aux agresseurs sexuels...175

3.2.4.1 Le traitement des agresseurs sexuels : introduction ...175

3.2.4.2 La réinsertion sociale et la récidive...177

3.2.4.3 Les programmes liés au traitement des délinquants sexuels...181

3.3 L'Entente multisectorielle...191

3.3.1 Acteurs, objectifs et mise en œuvre...195

3.3.2 Limites...199

CONCLUSION ...207

BIBLIOGRAPHIE...211

(7)

Remerciements

Mes premiers mots de remerciements s'adressent à mon époux, Jean-François, qui m'a soutenue dès le premier moment où l'idée et le désir d'approfondir et d'écrire sur le sujet me sont venus. Il m'a soutenue aussi bien matériellement que moralement. N'étant pas de langue maternelle française, il a aussi été le gardien bienveillant de la qualité de mon français écrit.

Ensuite, mes remerciements les plus chaleureux s'adressent à ma directrice Julie Desrosiers; à ma conseillère devrais-je dire qui m'a toujours encouragée, qui était toujours disponible, non seulement pour répondre à mes questions, mais surtout pour me donner ses conseils judicieux afin de m'aider à réaliser un document de qualité.

Enfin, je remercie ma fière mère qui nous a inculqué, à mon frère, à ma sœur et à moi, le goût des études et qui m'apprend à me tenir debout... malgré les injustices.

(8)
(9)

Avant-propos

Le nombre d'agressions sexuelles contre les enfants qui se commettent, autant dans la cellule familiale qu'à l'extérieur de celle-ci, nous a amenée à étudier non pas les causes de ce phénomène, mais les moyens juridiques pris pour lutter contre ces agressions. Rapidement, et avec l'aide de ma directrice, nous avons constaté que la « lutte » contre les agressions sexuelles passait nécessairement par la prévention, d'où cette étude et son titre. Nous avons donc décidé de mettre l'accent sur l'efficacité des moyens de prévention dont le droit canadien dispose aujourd'hui pour tenter d'enrayer ce fléau.

Notre défi dans cette étude a été sans doute de tenter de concilier le droit criminel et le droit de la protection de la jeunesse, deux champs juridiques qui se côtoient, mais qui ont, à première vue, des vocations bien distinctes en ce qui concerne la prévention. Nous avons donc entamé la description des moyens juridiques par une réflexion, afin de trouver des pistes de solutions pouvant aider à diminuer le plus possible les agressions sexuelles et à rendre plus efficaces les moyens qui existent aujourd'hui. Ce défi fut d'autant plus important que nous n'avons pas pu recenser de travaux juridiques ayant impliqué les moyens de prévention du droit de la jeunesse et du droit criminel. Notre point d'appui principal fut l'importante jurisprudence en matière de la protection de la jeunesse et en matière criminelle. Une jurisprudence à jour qui nous permettait de rendre plus vivante notre recherche. La législation et la doctrine dans les deux domaines complétaient les outils pour appuyer notre démarche et étayer nos arguments.

(10)
(11)

Introduction générale

Disserter juridiquement sur les agressions sexuelles contre les enfants fait à la fois appel à notre fibre émotive et à notre capacité d’analyse juridique, laquelle emporte une salutaire dose de distanciation et d’objectivité. Dans la vie professionnelle d’une avocate, il y a des causes qui nous interpellent, que nous voulons défendre plus que les autres, parce qu’elles nous révoltent et que nous aimerions protéger les victimes. Pour moi, l’agression sexuelle contre les enfants est de celles-là. Mon expérience en protection de la jeunesse m’a permis de comprendre l’importance que le droit peut jouer dans la vie d’un enfant à qui l'on vient de voler son innocence.

Le droit permet parfois de panser des blessures en reconnaissant le tort qui a été causé. Et pourtant, il est déjà trop tard, dans la mesure où les abus ont déjà été perpétrés. C'est pourquoi cette étude s'interroge sur le pouvoir préventif du droit. Peut-on intervenir avant? Quelle est la marge de prévention juridique dont nous disposons? Est-il possible d’empêcher la perpétration d’abus sexuel? C’est à cette réflexion que nous convions le lecteur, avec le souhait que les intervenants puissent continuer d'approfondir leur rôle d’avant-garde dans la prévention des agressions sexuelles contre les enfants.

Nos objectifs spécifiques sont au nombre de trois : d’abord, situer le phénomène des agressions sexuelles contre les enfants, lequel affecte les valeurs mêmes de notre société; ensuite, définir les mécanismes juridiques de prévention des agressions sexuelles contre les enfants par le biais du droit de la protection de la jeunesse et par le biais du droit criminel; enfin, réfléchir au moyen de concerter et d’arrimer droit de la protection de la jeunesse et droit criminel pour assurer une protection efficace de l’enfant.

(12)

Notre sujet présente un intérêt certain, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique. Du point de vue théorique, nombreux sont les auteurs qui ont écrit sur les agressions sexuelles, mais peu d’entre eux s’y sont intéressés sous l’angle de la prévention juridique, en s’intéressant tant aux possibilités offertes par le droit de la protection de la jeunesse qu'à celles offertes par le droit criminel, en prenant notamment en compte les « programmes de réhabilitation et de réinsertion sociale du délinquant ». Le débat doctrinal reste donc pratiquement entier1. D'un point de vue pratique, la loi et la

jurisprudence des dernières années ont fait évoluer le portrait juridique des agressions sexuelles et le regard porté sur ces dernières. En témoigne d’ailleurs l’adoption de la Loi sur la sécurité des rues et

des communautés2, sanctionnée le 13 mars 2012, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.

Nous pensons humblement que notre regard sur la prévention juridique des agressions sexuelles contre les enfants pourrait faire évoluer modestement le droit, ou à tout le moins susciter un débat positif sur le sujet.

À travers l’ensemble de notre mémoire, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : le droit de la jeunesse et le droit criminel comptent-ils aujourd’hui sur des moyens efficaces de prévenir les agressions sexuelles contre les enfants? Dans l’affirmative, quels sont-ils? Et par quels mécanismes atteignent-ils leurs visées?

Le chapitre 1, intitulé « L’agression sexuelle et la notion de risque », approfondira les notions nécessaires à une pleine compréhension du concept de prévention. Nous étudierons donc la notion de risque et les différentes approches en la matière. Nous aborderons la gestion du risque et les outils qui permettent de prévenir la récidive. Nous analyserons enfin les limites et les avantages de chaque méthode d’évaluation, et ce dans le dessein d’apprivoiser la notion de risque et d’établir des parallèles entre la notion de « risque sérieux d’abus sexuel » et la prévention. La notion de risque sera expliquée dans toutes ses facettes, car elle est à la base même de la prévention que nous prônons.

1 À noter cependant qu'il existe un ouvrage récent qui conjugue droit et psychologie, mais sous une approche victimologique générale et non seulement du point de vue de l'enfant comme victime. Il s'agit de l'ouvrage, Judith Daylen, Wendy Van Tongeren Harvey et Dennis O'Toole, Trauma, trials and transformation, Irwing Law, 2006. 2 LC 2012, c 1. [Loi sur la sécurité des rues].

(13)

En analysant le risque de récidive, réel ou appréhendé, qu'un délinquant sexuel représente, le tribunal, soit à la Chambre de la jeunesse soit à la Chambre criminelle, est mieux à même de prendre la meilleure décision pour éviter que l'enfant ne soit abusé ou encore que l'abus ne se répète. Dans bon nombre de cas, la prise en compte du risque permet de déceler à l'avance le danger et contribue à la protection efficace de l'enfant. Ce sera sans surprise et afin de dépeindre un tableau plus exhaustif que nous reviendrons sur les limites, non pas de la notion de risque elle-même, mais de la façon d'utiliser les outils qui servent à évaluer, à gérer et à appliquer la notion de risque dans des situations et sur des populations bien concrètes.

Le chapitre 2, intitulé « La prévention des agressions sexuelles suivant la Loi sur la protection de la

jeunesse », sera divisé en deux sections, la première analysant les moyens de prévention

disponibles et la seconde interrogeant les limites ou les risques inhérents à l’utilisation de ces moyens. Nous étudierons ainsi la notion de « risque sérieux d’abus sexuel » prévue à l’article 38 d) et son mécanisme de mise en œuvre. Cette mise en œuvre sera illustrée à travers les décisions de la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec. Nous chercherons notamment à savoir si les enfants d’une même famille sont nécessairement à risque d’abus sexuel lorsque l’un d’entre eux est victime d’attouchements. Ce deuxième chapitre sera l'occasion de nous « réconcilier » avec l'histoire de la Loi sur la protection de la jeunesse ou de mieux comprendre son évolution. En clair, nous allons brièvement décrire son parcours en braquant les projecteurs sur l'introduction nominative des abus sexuels comme motif de compromission ainsi que de la notion de « risque sérieux » d'abus sexuel. Par la suite, nous analyserons comment le législateur, malgré la répugnance qu'il y a à entendre qu'un enfant est susceptible de se faire agresser sexuellement dans son milieu familial ou ailleurs, a su qualifier la gravité du risque, en le qualifiant de « sérieux », afin d'éviter, à notre avis, que « les émotions » ne prennent le pas sur « le juridique », aspect à ne pas négliger dans ce type de crime. Nous allons décrire l'abondante jurisprudence en matière de risque sérieux qui fut rendue après l'entrée en vigueur de cette notion en 2007 et particulièrement la décision rendue par l'honorable Dubois; décision de principe, car elle marque le début d'une série des décisions dans le même sens. Elle demeure aujourd’hui la décision que tout avocat plaidant et tout tribunal rendant une décision en la matière invoquent.

(14)

Dans ce chapitre, nous allons bien entendu passer en revue l'ensemble des facteurs de risque qui sont présents au moment où le tribunal siégeant à la chambre de la jeunesse doit décider du sort d'une requête alléguant un risque sérieux d'abus sexuel. Bien que la détermination de l'existence d'un risque sérieux d'abus sexuel ou encore l'existence de l'abus sexuel lui-même soit l'apanage incontesté du juge qui siège en Chambre de la jeunesse, force est de constater que lorsqu'il rend sa décision, le juge a eu presque systématiquement recours à l'avis des différents experts au dossier. C'est la raison pour laquelle nous avons cru pertinent de donner un aperçu concernant la preuve par expert et son utilité dans les décisions touchant la notion de risque sérieux.

Pour clore le chapitre, nous aborderons des questions empreintes d'une grande nouveauté et qui s'inscrivent dans le contexte de la prévention. Il s'agit des questions qui regorgent d'intérêt pratique et pour lesquelles ni la recherche juridique ni les décisions judiciaires n’ont apporté de réponse claire. Essentiellement, il s’agit de savoir s’il faut considérer qu’un enfant est automatiquement à risque d'abus sexuel parce que d'autres enfants vivant sous le même toit ont été déclarés à risque et s’il faut considérer que le fait que la mère ne croit pas l'enfant et nie que l'abus sexuel ait eu lieu augmente le risque pour ce dernier. Enfin, nous entamerons une réflexion critique concernant le retrait de l'enfant de son milieu familial, mesure utilisée comme moyen de prévention par la Direction de la protection de la jeunesse.

Le chapitre 3, intitulé « La prévention des agressions sexuelles suivant le Code criminel »3, abordera

la notion de prévention en matière criminelle. Si le rôle premier du droit criminel est de sanctionner des infractions qui ont déjà été commises, la prévention du crime ne lui est toutefois pas étrangère et nous pourrions même ajouter que cette fonction est mise en exergue dans certaines circonstances et avec l'utilisation des certains moyens. C'est le cas de la disposition de l'article 810.1, l'Entente multisectorielle ainsi que certains des programmes du système correctionnel canadien visant la réduction de la récidive et la réinsertion sociale du délinquant sexuel. C'est la raison pour laquelle, le chapitre 3 combinera moyens et objectifs du droit criminel et de la peine afin de prévenir efficacement les agressions sexuelles.

(15)

Notre propos s’articulera donc en trois sections : d’abord, une remise en question de certains principes fondamentaux du droit criminel ; ensuite, une étude de l’article 810.1 C.cr. et enfin, une analyse de l’Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels4.

Pourquoi vouloir traiter certains des principes du droit criminel et entamer une réflexion critique les concernant?

Tout d'abord, la réflexion qui anime ce chapitre poursuit un seul objectif, tenter de réunir puis arrimer des moyens juridiques et non juridiques qui peuvent directement ou indirectement prévenir les agressions sexuelles contre les enfants, et en ce sens, le droit criminel possède des « trésors cachés » et conséquemment a un rôle important à y jouer. Ensuite, notre réflexion demeure une critique certes, mais tout de même une réflexion qui pose davantage des questions qu'elle n'a de réponses et enfin ce chapitre se veut une étincelle pour de futurs travaux et de futures réflexions. Nous avons par ailleurs retrouvé le travail de monsieur Sylvain Leboeuf concernant le rôle du silence de l'accusé, qui nous apportera, nous le croyons, un éclairage sur le principe du droit au silence et la présomption d'innocence afin d'entamer une discussion concernant ces principes et la prévention des agressions sexuelles sans toutefois vouloir extrapoler mutatis mutandis les conclusions de son travail au nôtre. C’est donc dire que la première section interroge la pertinence de certains principes fondamentaux du droit criminel au regard de la condamnation de la délinquance sexuelle. Nous nous intéressons plus particulièrement à l’application du principe de la présomption d’innocence et au fardeau du poursuivant en matière de crime sexuel. Nous étudions également les règles relatives à l’âge du consentement sexuel et nous abordons les moyens de défense susceptible d’être invoqués en matière d’agressions sexuelles contre les enfants. Enfin, nous esquissons quelques pistes de solutions qui permettraient de faciliter la tâche du poursuivant, notamment l’édiction de présomptions et l’assouplissement du droit au silence de l’accusé.

4 Gouvernement du Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux, « Entente multisectorielle relative aux

enfants victimes d'abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d'une absence de soins menaçant leur santé physique », Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux, 2001.

(16)

La seconde section de ce troisième chapitre aborde les moyens juridiques offerts par le droit criminel pour prévenir la commission d’une agression sexuelle sur un enfant. Nous étudierons la mise en œuvre de l’article 810.1 C.cr, qui permet au tribunal d’agir en amont de l’agression sexuelle et bien que cela puisse être perçu comme la sanction d’un crime déjà commis, alors que ce n’est pas le cas. Nous verrons également les principes de détermination de la peine qui peuvent participer de la prévention et nous reviendrons sur le principe de l’isolement du délinquant dans le contexte de la Loi

sur la sécurité des rues et des communautés5. Nous étudierons enfin les différents programmes qui

conjuguent réinsertion sociale et récidive, notamment dans le cas des agresseurs sexuels.

La troisième et dernière section du chapitre s’intéresse à l’Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuel, un moyen souvent évoqué devant nos tribunaux et particulièrement devant la Chambre de la jeunesse lorsqu’une agression sexuelle ou un risque d’abus sexuel, pour reprendre les termes de la L.P.J., est en cause. L’Entente est une tentative sincère de conjuguer les forces du droit de la protection de la jeunesse et du droit criminel pour que l’enfant soit mieux protégé. Son importance est donc incontestable.

En terminant cette introduction générale, une précision sur notre échantillonnage doctrinal et jurisprudentiel s’impose. Nous avons analysé principalement la documentation des vingt dernières années. Toutefois, en matière doctrinale comme jurisprudentielle, certains écrits ont marqué l’histoire judiciaire et nous en avons également tenu compte, même s’ils dataient d’avant 1993.

(17)

CHAPITRE 1 : L'agression sexuelle et la notion de risque

Introduction

Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'agression sexuelle est un sujet qui préoccupe la société et à mon sens, elle l'intéresse davantage lorsqu'elle est commise sur les enfants. En effet, non seulement la communauté scientifique et les professionnels œuvrant auprès de la personne agressée qui, comme le soulignait le Rapport Rogers en 1990 et comme le démontrent les statistiques, est souvent une fille et dans une proportion moindre, un garçon)6 s'y intéressent, mais aussi le profane, voisin, ami, ou

commerçant du quartier. Socialement, il suffit de voir les réactions que provoquent l'histoire d'une fille qui vient de se faire agresser par un proche parent ou le fait de savoir que l'agresseur n'en était pas à sa première victime ou encore que l'agresseur n'était nul autre que l'entraîneur de l'enfant. Des réactions qui vont de l'émoi à l'indignation.

Scientifiquement, nous pensons fermement qu'une recherche à propos du sujet ne pourrait que contribuer modestement à apporter plus de réponses aux acteurs concernés notamment, les parents, les associations et groupes de pression défenseurs des droits de l'enfant, le gouvernement, le législateur, les juges ou encore l'avocat, notamment celui qui représente l'enfant devant les tribunaux ou encore le procureur qui agit en poursuite pour faire condamner l'agresseur. En effet, bon nombre de recherches et de travaux de commissions ont servi à la prise de décision par le Gouvernement pour aider les enfants exploités sexuellement. Sans doute, l'une des plus connues à ce sujet est le rapport Badgley7 qui demeure aujourd'hui une source définitive et officielle sur la violence sexuelle à

l'endroit des enfants et des jeunes au Canada.

6 Des statistiques récentes révèlent que comme dans les années précédentes, les filles sont les plus touchées par les crimes d'agression sexuelle. Voir notamment, «Infractions sexuelles au Québec : faits saillants 2011, Québec. http://www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/statistiques/agressions_sexuelles/2011/agressions_sexu elles_2011.pdf; Rapport de la commission d'enquête sur Cornwall, (L'honorable Normand Glaude, commissaire) 2009, Vol 1, p 23. http://www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/inquiries/cornwall/fr/report/; Nico Trocmé et David Wolfe

Maltraitance des enfants au Canada : Résultats choisis tirés de l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements des cas de violence et de négligence envers les enfants, Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux

Canada,Ottawa, 2001 à la p 28.

7 Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes, Infractions sexuelles à l'égard des enfants, t 1 et t 2, 1984.

(18)

Le Rapport Rogers a, par ailleurs, confirmé les conclusions du Rapport Badgley en ce qui à trait à la prévalence de la violence sexuelle faite aux enfants et certaines de ses recommandations furent mises en œuvre8.

Un autre travail plus récent et dont les conclusions ont alimenté les modifications de la Loi sur la

protection de la jeunesse9 actuelle est le rapport Dumais10. Ce dernier, dont l'une des préoccupations

était naturellement la protection des enfants au Québec, mais aussi le questionnement sur le fait de savoir comment cette responsabilité pouvait être mieux partagée, a contribué notamment à ce que la notion de risque sérieux d'abus sexuel soit intégrée à la L.P.J actuelle. De plus, le rapport Dumais a sans doute annoncé certaines limites de la loi antérieure qui certes n'ont pas été toutes corrigées, mais cette annonce a contribué à réaffirmer l'importance de la protection de l'enfant concernant non seulement les abus sexuels, mais aussi tous les autres motifs de compromission. D'autres travaux concernant la notion de risque en général, afin de prévenir la délinquance, notamment sexuelle, ont vu le jour ces dernières années et permettent aujourd'hui d'avoir un éclairage tamisé, certes, mais tout de même intéressant sur la notion de risque que nous pouvons appliquer à la notion de risque sérieux d'abus sexuel11.

Nous observerons au courant de cette étude comment ces travaux peuvent façonner la notion de risque sérieux d'abus sexuel en droit et aider à prévenir les abus sexuels.

8 Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, Rapport Rogers, 1990. Parmi les recommandations de ce rapport se trouvaient les suivantes : une plus grande uniformité des sentences, la spécialisation dans le domaine des enquêtes et des poursuites, l'application intégrale du projet de loi C-15, une meilleure coordination des systèmes et des professionnels qui s'occupent de cas de violence sexuelle à l'égard d'enfants.

9 LRQ c P-34.1 [L.P.J].

10 Québec, Comité d'experts sur la révision de la Loi sur la protection de la jeunesse, la protection des enfants au

Québec : une responsabilité à mieux partager (Rapport Dumais), février 2004.

11 Voir par ex, Prédiction de la récidive chez les délinquants autochtones, recherche en bref, Vol 18, no 1, janvier 2013. http://www.securitepublique.gc.ca/res/cor/sum/_fl/cprs201301-fra.pdf; Pierre Landreville et Germain Trottier, « La notion de risque dans la gestion pénale » (2001) 34 1 Criminologie 3; Michèle Clément et Hector Ouellet, « Problématiques psychosociales et notion de «risque» : une perspective critique » (1992) 5 1 Nouvelles pratiques sociales 113; Raymond Massé, « Le risque en santé publique : pistes pour un élargissement de la théorie sociale » (2007) 39 1 Sociologie et sociétés 13; Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Manuel d'introduction

(19)

La recherche juridique est un excellent départ afin de trouver des solutions novatrices qui pourront aider à endiguer le problème des abus sexuels chez les enfants et aider ces victimes, qui encore aujourd'hui n'osent sortir de leur silence à la suite d'une agression sexuelle et dont le non-dévoilement handicape lourdement le travail des professionnels12. Nous pensons enfin que les

recherches pourront donner des arguments à tous les acteurs concernés. D'ailleurs, Madame la juge L'Heureux-Dubé constatait dans son analyse de l'arrêt Seaboyer13 dans lequel elle fut dissidente, que

si le système de justice pénale fondait ses opinions sur des faits et des résultats d'études empiriques, il jouerait un rôle important en vue de remplacer les mythes14 entourant le phénomène de l'agression

sexuelle et les perceptions sociales qui en découlent.

Les prochaines lignes s'attachent à clarifier les définitions pertinentes à cette étude. Il est nécessaire de dire que dans la suite du texte, à moins d'indication contraire, les expressions « agression sexuelle » et « abus sexuel » désigneront la même réalité. Par ailleurs, bien que nous abordions des définitions données par certains spécialistes, car elles sont pertinentes afin d'avoir une vue d'ensemble concernant les différentes définitions des agressions sexuelles, les définitions que nous adopterons pour aborder les agressions sexuelles seront les définitions juridiques issues de la L.P.J, du Code criminel ou encore de la jurisprudence.

12 Nombre d'études mettent en exergue le fait que les données existantes ne sont souvent qu'une image partielle du phénomène, car les victimes, en l'occurrence les enfants, ne dévoileraient pas chaque agression aux services compétents. Voir par ex Marc Tourigny et Mireille Cyr, Les agressions sexuelles envers les enfants, t 1, Collection Santé et Société, 2011 aux pp 12-13.

13 R. c. Seaboyer, [1991] 2 RCS 577. [Seaboyer].

(20)
(21)

1.1 La définition de l'agression sexuelle

La L.P.J. décrit à l'article 38 que l'on considère la sécurité et le développement de l'enfant compromis

quand celui-ci se retrouve dans une situation d'abus sexuel, entendu les gestes à caractère sexuel, avec ou sans contact physique de la part de ses parents ou d'une autre personne. La définition que

l'Association des centres jeunesse du Québec propose pour l'agression sexuelle est la suivante : tout

geste posé par une personne donnant ou recherchant une stimulation sexuelle non appropriée quant à l'âge et au niveau de développement de l'enfant ou d'un adolescent, portant ainsi atteinte à son intégrité corporelle ou psychique, alors que l'agresseur a un lien de consanguinité avec la victime ou qu'il est en position de responsabilité, d'autorité ou de domination sur elle.

Le professeur Marc Tourigny nous propose dans son livre15 une première définition assez large de

l'agression sexuelle : tout acte ou jeu sexuel, hétérosexuel ou homosexuel, entre une ou deux

personnes en situation de pouvoir, d'autorité ou de contrôle et un enfant mineur de moins de 18 ans. Ces actes ayant pour but de stimuler sexuellement l'enfant ou de l'utiliser pour se stimuler sexuellement ou pour stimuler une autre personne.En même temps, l'auteur nous propose deux

classifications qui incluent l'agression sexuelle intrafamiliale, comme étant l'agression qui est

commise par un membre ayant un lien de parenté avec l'enfant et l'extrafamiliale, comme étant celle qui est commise par un agresseur qui ne possède aucun lien de parenté avec l'enfant. L'auteur nous

propose ensuite les définitions du Comité québécois sur les orientations gouvernementales en

matière d'agression sexuelle, la L.P.J et le Code. Ainsi, ce Comité la définit comme étant un geste à caractère sexuel avec ou sans contact physique, commis par un individu sans le consentement de la personne visée, ou dans certains cas, notamment celui des enfants, par une manipulation affective ou par chantage pouvant se produire avec utilisation de la force ou de la contrainte.

15 Marc Tourigny et Mireille Cyr, Les agressions sexuelles envers les enfants, t 1, Collection Santé et Société, 2011 aux pp 9-10.

(22)

L'éminent professeur David Wolfe, qui avait témoigné en tant qu'expert dans le cadre de la

Commission d'enquête sur Cornwall16, donnait la définition acceptée par l'Organisation mondiale de

la santé : l'abus sexuel sur un enfant est le fait d'associer un enfant à une activité sexuelle qu'il ne

peut comprendre, à laquelle il ne peut consentir en toute connaissance de cause et n'est pas préparé de par son développement, ou qui viole les tabous sociaux. L'abus sexuel sur un enfant est attesté par cette activité entre un adulte et un autre enfant, qui en raison son âge ou de son développement, est dans une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir, l'activité ayant pour but de gratifier l'autre personne ou de satisfaire ses besoins.

Les professionnels du domaine affirment que la violence sexuelle qui est faite aux enfants englobe la violence sexuelle physique et la violence sexuelle verbale. Tombent dans la première catégorie : les attouchements des parties génitales du corps de l'enfant ou les attouchements par l'enfant des parties génitales du corps de la personne plus âgée, le baiser à caractère sexuel, la pénétration avec le pénis, les doigts ou d'autres objets, du vagin, de l'anus ou de la bouche et la masturbation de l'enfant ou celle du délinquant par l'enfant. La violence sexuelle verbale pour sa part comprend : l'utilisation d'un langage sexuel inapproprié avec l'enfant et les commentaires obscènes à propos du corps de l'enfant ou les appels téléphoniques obscènes, l'exhibitionnisme et le voyeurisme dont l'exposition de l'enfant à une activité sexuelle ou au visionnement de photographies ou de films pornographiques17.

Pour ce qui est de la définition que le Code criminel propose, nous nous limiterons à ce stade de notre étude à mentionner que nous y trouvons différents types d'agression sexuelle, compte tenu notamment de la gravité objective du crime et qu'à la base, l'agression sexuelle est considérée selon ce qui est prévu à l'article 265(2) C.cr comme une voie de fait dans un contexte sexuel18.

16 Rapport de la commission d'enquête sur Cornwall (L'honorable Normand Glaude, commissaire) 2009, vol 1, p 23. http://www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/inquiries/cornwall/fr/report/.

17 Ibid à la p 23.

(23)

Puisque cette étude s'articule autour de l'enfant, il est important de mentionner que l'enfant sera entendu au sens de l'article 1 c) de la L.P.J comme une personne âgée de moins de dix-huit ans. Toutefois, des nuances concernant l'âge seront apportées dans la deuxième partie de cette étude, alors que nous étudierons l'article 810.1 C.cr et d'autres dispositions législatives.

Nous avons intitulé cette étude « la prévention des agressions sexuelles contre les enfants :

perspectives juridiques »; cela veut donc dire que le mot « prévention » constituera le fer de lance de

cette étude. Logiquement, il sera caractérisé dans un contexte juridique d'agression sexuelle et viendra guider la gamme des moyens juridiques qui participent de cette prévention. Selon le Petit Robert19, le mot « prévention » est défini comme « l'action de devancer » ou comme l'ensemble des mesures préventives contre certains risques. Il ressort de certaines études20 que la prévention de

manière générale vise à empêcher l'apparition d'un problème quelconque et de ses effets sur des personnes qui en seraient affectées. Ainsi, l'on pourrait parler de prévention primaire, secondaire ou tertiaire, en ce que la primaire tente d'empêcher l'incidence du problème avant même qu'il n'affecte des personnes. La secondaire prend des mesures afin de déceler un problème et de le corriger dès son état le plus prématuré. Enfin, la tertiaire ou curative consiste à atténuer les effets du problème chez les personnes qui ont été déjà affectées, à en réduire les inconvénients et à éviter qu'il ne persiste ou qu'il y ait récidive. À partir de ces définitions nous avons bâti notre propre définition, valide dans le cadre de cette étude. Nous pouvons définir la « prévention » des agressions sexuelles comme étant : l'ensemble des moyens juridiques et non juridiques qui vont être mis en place autour

de l'enfant et de sa famille, afin d'éviter que l'abus sexuel ne se produise ou qui vont faire en sorte, après coup, de le prévenir ou d'éviter la récidive.

19 Le Petit Robert, 1991, sub verbo « prévention ».

20 Québec, Conseil du statut de la femme, Rapport et propositions sur la prévention des abus sexuels à l'égard des

(24)
(25)

1.2 Les préjudices de l'agression sexuelle

[...La violence sexuelle faite aux enfants a des répercussions dévastatrices non seulement au cours

de l'enfance, mais aussi, tout au long de l'âge adulte...]21 (Nos soulignés)

Lorsqu'un enfant subit une agression sexuelle, il n'en sort jamais complètement indemne. Certains enfants porteront en eux leur vie durant, les séquelles de cette agression. C'est la raison pour laquelle, cette étude se veut plus qu'une invitation à prévenir les agressions sexuelles contre les enfants, mais aussi un appel à agir de manière concertée et cohérente, avant qu'elles ne soient commises.

Nous sommes à même de constater que malgré la vaste législation en la matière, le nombre d'agressions sexuelles sur les enfants (démontré par les statistiques et surtout par les préjudices qui y sont associés), ébranle quelque peu la question de l'efficacité des lois, de la prévention et conséquemment de la protection efficace de l'enfant. Et c'est d'autant plus alarmant, lorsqu'on sait que les statistiques ne montrent que des résultats partiels concernant les crimes d'ordre sexuel. En effet, il s'agit des crimes qui ne sont pas dénoncés aussi facilement que d'autres crimes de droit commun, tel un vol par effraction22. Du coup, il n'existe pas au Canada des études statistiques fiables

et exhaustives qui permettent de brosser un tableau complet concernant la nature et l'ampleur réelle des agressions sexuelles envers les enfants23.

21 Supra note 16 à la p 24, 28-29.

22 Ibid. p 35 selon ce rapport, seulement de 7 à 10 % des crimes sexuels sont déclarés.

23 Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, Maltraitance des enfants au Canada : Résultats

choisis tirés de l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements des cas de violence et de négligence envers les enfants par Nico Trocmé et David Wolfe, ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, Ottawa,

2001 (Avant-propos). Pour la première fois, une étude essaie de combler la lacune concernant le réel taux des crimes ou de la maltraitance envers les enfants; vingt-deux formes de maltraitance y sont recensées dont les agressions sexuelles, mais encore là, il s'agit d'une étude qui s’appuie essentiellement sur les cas signalés et retenus après évaluation par la D.P.J.

(26)

Lorsque l'on parle de l'étendue des agressions sexuelles chez les enfants et des préjudices qui en découlent, nous pouvons dresser un édifiant tableau. Sur ces deux points (étendue et préjudices), les auteurs n'ont pas ménagé leurs efforts et les études sont presque unanimes en ce qui concerne les préjudices. Si nous parlons de l'ampleur du phénomène, nous devons nous référer nécessairement aux statistiques les plus récentes et en voici le graphique concernant l'évolution du taux d'infractions sexuelles au Québec pour la période 2002 à 2011.

a : données actualisées p : données provisoires

Source et graphique : Ministère de la Sécurité publique. Données de programme de déclaration uniforme de la criminalité (DUC2)

(27)

Nous nous empressons de nous réjouir lorsqu'un rapport du Ministère de la Sécurité publique24 nous

apprend qu'en 2011, près de 5000 agressions sexuelles furent enregistrées, mais qu'il y a eu une diminution de 450 agressions pour la même période. Notre réjouissance fut cependant de courte durée, lorsque le même rapport nous apprend :

 Tout d'abord, que la baisse du nombre d'infractions sexuelles enregistrées en 2011 provient surtout d'une diminution des dénonciations de crimes commis dans une année antérieure, particulièrement de ceux datant de plus de 20 ans; par ailleurs, le rapport nous invite à attendre quelques années pour vérifier s'il existe une baisse réelle du nombre d'infractions sexuelles dénoncées plusieurs années après leur perpétration;

 ensuite, que ces chiffres ne sont que provisoires et

 enfin, que si nous regardons les tendances dans les dix dernières années, nous ne pouvons parler d'une baisse systématique.

Du même souffle, lorsque nous allons un peu plus dans les détails, nous apprenons que comme dans les années précédentes, les infractions sexuelles enregistrées en 2011 ont été plus fréquentes du côté des jeunes et lorsque le rapport considère le sexe, les filles sont les plus touchées avec un taux supérieur à celui des garçons qui atteint 84,2 %. Avec les proportions suivantes : les filles âgées de 12 à 14 ans, suivies de celles de 15 à 17 ans et, en quatrième place après les femmes, les fillettes de 6 à 11 ans. En ce qui concerne la répartition des victimes d'infractions sexuelles selon le sexe et l'âge, elle montre qu'elles sont composées en majorité de filles dont 50 % de moins de 18 ans25. Les agressions sexuelles sont les crimes sexuels les plus souvent perpétrés. Peu importe leur

âge, les victimes ont subi principalement des agressions sexuelles. Pour les enfants, dans une proportion de 70 % les filles ont encore une fois été un peu plus victimes d'agression sexuelle que les garçons (68 % contre 63 %).

24 Québec, ministère de la Sécurité publique, Infractions sexuelles au Québec : faits saillants, 2011. http://www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/statistiques/agressions_sexuelles/2011/agressions_sexu elles_2011.pdf.

25 Ibid à la p 5. D'après, cette statistique, cette répartition exclut les victimes pour lesquelles les données sur le sexe et l'âge sont inconnues ou non conformes à la réalité.

(28)

Une autre étude nous renseigne sur le fait que c'est entre sept et treize ans que les enfants sont les plus vulnérables à la violence sexuelle26. D'autres études, comme celle du professeur Marc Tourigny

et de ses collaborateurs27, tentent d'évaluer l'étendue du phénomène des agressions sexuelles en

vérifiant l'indice « incidence », qui équivaut au nombre de nouveaux cas d'enfants ayant été agressés sexuellement au cours d'une période donnée. Malheureusement, il n'existe pas d'études recensant le nombre réel de nouveaux cas au Québec ni même en Amérique du Nord. Toutefois, les statistiques des Centres jeunesse permettent d'établir le nombre de signalements d'enfants agressés sexuellement, sans préciser cependant s'il s'agit d'un nouveau cas. Une étude datant de l'année 2000 faisait état du fait que les enfants agressés sexuellement constituent de 10 à 12 % des enfants maltraités signalés aux services de la protection de l'enfance avec des taux d'incidence variant entre 0,7 à 4,5 cas d'enfants agressés sexuellement pour 100 enfants28.

En effet, le professeur Tourigny nous confirme que les données recueillies ne donnent qu'une image partielle de l'ampleur du phénomène des agressions sexuelles contre les enfants, car le taux d'incidence ne concerne que les cas d'agressions sexuelles connus des Services de la protection de la jeunesse, ce qui ne représenterait qu'une faible proportion des agressions sexuelles contre les enfants, car la majorité des agressions dont les enfants sont victimes ne seront pas dévoilées aux services compétents. Ce bref portrait, peu reluisant quant à l'ampleur du phénomène, justifie nous le croyons, que la prévention occupe une place importante dans la recherche concernant les agressions sexuelles sur les enfants; mais qu'en est-il des préjudices? Selon l'étude réalisée par le professeur Tourigny, les agressions sexuelles contre les enfants canadiens coûtent plus de trois milliards de dollars annuellement en soins de santé ainsi qu'en services sociaux, éducatifs et judiciaires; un coût économique colossal, mais nous osons dire que le coût économique n'est rien, comparé aux préjudices subis par les enfants dans leur chair. Les préjudices liés à l'agression sexuelle sont tellement variés que la littérature scientifique est incapable de dresser un inventaire unique de symptômes.

26 Supra note 16 à la p 24. 27 Supra note 15 à la p 8. 28 Ibid. aux pp 12-13.

(29)

Ainsi, dans la gamme des préjudices que les études recensent figurent : les troubles intériorisés, dont l'anxiété, la dépression (des études ont constaté que le risque que les victimes d'agression sexuelle souffrent de dépression serait quatre fois supérieur à celui des enfants qui n'ont pas subi d'agression sexuelle), les troubles somatiques et les comportements d'isolement social; les troubles extériorisés, dont la colère, l'agressivité, et les troubles de la conduite; les problèmes d'adaptation scolaire; le stress post-agression sexuelle, tels les comportements sexuels de dissociation (mécanisme de défense pour fuir mentalement une situation d'agression)29 et de dépression et les

comportements sexuels problématiques ou à risque.

La littérature distingue aussi les conséquences qui sont liées à l'agression sexuelle, mais qui n'y sont pas propres. Ainsi, ce type de conséquence sera observé avec plus de fréquence chez les enfants ayant été victimes d'une agression sexuelle; l'on distinguera alors l'automutilation, l'usage abusif de drogues et les troubles alimentaires. Cette littérature distingue par ailleurs les changements qui sont susceptibles de provoquer un impact sur l'adaptation de l'enfant, telle que de la difficulté à réguler ses émotions, des difficultés sur le plan cognitif ou des difficultés sur les stratégies d'adaptation.

L'agression sexuelle peut aussi avoir une influence quant aux croyances sur soi ou des croyances en général; par exemple, un enfant pourra être porté à croire qu'il ne doit faire confiance à personne, qu'il est responsable des évènements négatifs ou encore que le monde est dangereux30. Il est

nécessaire de dire qu'il ne s'agit que d'un échantillon de préjudices; différents auteurs en recensent d'autres31. L'ampleur des conséquences et davantage la difficulté à corriger les dommages causés

sur les enfants, sont les motifs qui, sans hésitation, justifient l'étude des moyens de prévention.

29 Supra note 15 à la p 157. Ce mécanisme utilisé à répétition par l'enfant peut mener à d'importantes perturbations de la mémoire, des pensées, des émotions et de l'identité.

30 Marc Tourigny et Mireille Cyr, Les agressions sexuelles envers les enfants, t 1, Collection Santé et Société, 2011 aux pp 157-158 et Marc Tourigny et Mireille Cyr, Les agressions sexuelles envers les enfants, t 2, Collection Santé et Société, 2011 à la p 3.

31 Voir par ex William Schabas, « Les infractions d'ordre sexuel » (1996) 37 Les Cahiers de droit 295; Marc Tourigny et Mireille Cyr, Les agressions sexuelles envers les enfants, t 2, Collection Santé et Société, 2011 à la p 3; ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, Maltraitance des enfants au Canada : Résultats choisis tirés

de l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements des cas de violence et de négligence envers les enfants par

Nico Trocmé et David Wolfe, ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, Ottawa, 2001 aux pp 29-31; Wendy Tongeren Harvey et Paulah Dauns, Sexual Offences against children and the criminal process, 2nd

(30)

Les tribunaux se sont prononcés sur le fait que le législateur utilise la peine afin de refléter la gravité des séquelles physiques et psychologiques que les agressions sexuelles provoquent dans la vie des enfants. Ainsi, l'affaire R. c. P.S, la Cour s'exprime comme suit :

Relativement aux séquelles, le Tribunal rappelle les propos suivants de notre Cour d'appel dans l'affaire R. c. M.F. [1995] J.Q. no 662 (C.A.Q.).

[14] Finalement, il faut considérer l'âge des victimes comme circonstances aggravantes. À cette étape du développement personnel où les adolescents (es) sont en quête d'identité, l'intrusion de l'accusé dans la vie des victimes est certainement de nature à générer des séquelles importantes.

Sur ce sujet également, l'extrait suivant de la Cour d'appel dans l'affaire R. c. R.D. 2008 QCCA 1641 (CanLII) se veut révélateur :

[54] Le législateur a donc prévu qu'un mauvais traitement commis à l'égard d'une personne mineure constitue une circonstance aggravante. La victime était âgée de 11 ou 12 ans lorsque les agressions ont débuté, et c'est l'intimé qui a initié la victime à des activités sexuelles, un fait qu'il ne pouvait ignorer.

Ce facteur milite donc pour une peine qui reflète la gravité intrinsèque des abus commis par l'intimé. Tel que l'explique un auteur l’âge de la victime est un élément intimement lié à l'évaluation du rapport d'autorité qu'entretient l'agresseur avec celle-ci" et dans ces circonstances les séquelles psychologiques chez la victime sont plus facilement inférées par les tribunaux.

Voir au même effet le commentaire suivant de notre Cour d'appel, tiré de l'affaire M.H. c. R. 2012 QCCA 1393 :

69... De plus, la gravité de gestes de fellation avec une enfant de quatre ou cinq ans n'est pas à démontrer, alors que la violence intrinsèque à de tels comportements de même que les séquelles qui en découlent ne font aucun doute : R. c. G.D. 2009 QCCA 1290 (CanLII), 2009 QCCA 1290...32

Si l'on conçoit aisément que le tribunal prenne en considération les séquelles subies par la victime pour fixer le quantum de la peine, l'on souhaite évidemment qu'il puisse faire davantage en prévenant la survenance même des séquelles. Or, pour prévenir les agressions sexuelles sur les enfants, le corpus juridique doit intégrer la notion de risque. C'est à cette dernière que la prochaine section se consacre.

(31)

1.3 La notion de risque

La notion de risque est au centre de ce premier chapitre. De fait, elle participe de la plupart des décisions qui sont rendues aujourd'hui par nos tribunaux autant à la Chambre de la jeunesse, afin de décider s'il y a un risque sérieux d'abus sexuel ou à la Chambre criminelle, pour déterminer, entre autres, la peine la plus juste à imposer au délinquant. Puisque la mesure à prendre à la Chambre de la jeunesse lorsque le juge conclut à un risque d'abus sexuel ou parce que la liberté est l'un des droits les plus précieux d'un être humain sont deux des raisons pour lesquelles l'intérêt de connaître davantage sur la notion de risque, ses approches et les outils servant à prédire le risque de récidive s'avère certain. Nous réitérons que mettre l'accent sur la notion de risque et davantage sur le risque de récidive qu'un délinquant représente équivaut directement à réaffirmer le caractère de prévention et donc de protection de cette notion. En effet, plus nous pouvons déceler, évaluer et gérer les facteurs de risque et conséquemment le risque qu'un délinquant sexuel représente, plus nous serons armés pour protéger en amont l'enfant.

1.3.1 Définition et approches

La notion de risque est devenue un incontournable des temps modernes, et ce, dans presque toutes les sphères de la société, que ce soit dans les domaines judiciaire, criminologique, médical, politique, des assurances ou encore technologique. Comme le soulignent les auteurs33, cette notion fut

longtemps associée à des catastrophes et attribuée au destin. Aujourd'hui, avec l'aide des experts et des garde-fous établis, les risques sont de moins en moins imprévisibles. En tous les cas, la venue du progrès et l'appel à la science ont fait disparaître le côté mythique du risque. Désormais, le risque n'est plus d'origine divine et nous tentons de plus en plus de le maîtriser, en étudiant, en gérant et en devançant les prédicteurs du risque et les facteurs de risque. L'arrivée du progrès n'a cependant pas fait disparaître la complexité du traitement de la notion de risque.

(32)

Elles sont nombreuses les divergences entre les différentes sciences concernant les définitions à donner à cette notion, mais aussi les divergences concernant l'application des différentes notions qui gravitent autour de la notion de risque, telles que « facteurs de risque », « populations à risque »,

« gestion de risque »; des notions qui malgré les imbroglios et les difficultés d'application, nous

permettent aujourd'hui de gérer et de prédire le risque avec assez de certitude.

Nous l'avons donc compris, la notion de risque est une notion difficile à cerner et elle épouse plusieurs définitions, en fonction du secteur dans lequel elle est évoquée. Si nous parlons par exemple du sens commun, le mot risque possède des acceptions variées selon le dictionnaire34. Il

peut être ainsi qualifié comme : une possibilité, une probabilité d'un fait, d'un évènement considéré

comme un mal ou un dommage (les risques de guerre augmentent). Un danger, inconvénient plus ou moins probable auquel on est exposé (courir le risque d'un échec) ex : un pilote qui prend trop de

risques. Le fait de s'engager dans une action qui pourrait apporter un avantage, mais qui comporte

l'éventualité d'un danger : Avoir le goût du risque. Un préjudice, sinistre éventuel que les compagnies d'assurance garantissent moyennant le paiement d'une prime.

Toujours selon le sens commun et de façon générale, le risque est entendu comme une contingence indésirable appréhendée, relativement anodine et peu probable. L'on parle d'appréhendée lorsque le risque est connu. L'exposition au risque résultera d'une démarche consciente, appelée, la prise de risque. En ce sens, le risque se distinguera de l'aléa ou de l'incident, qui survient de façon imprévue. Le risque est généralement plus anodin que le danger. Le risque est peu probable. L'appréciation de ces critères est très subjective, c'est l'une des raisons pour lesquelles, dans les domaines scientifiques, l'on exige une définition quantifiable et plus rigoureuse du risque.

En droit, le risque est l'éventualité d'un évènement futur, incertain ou d'un terme indéterminé, ne dépendant pas exclusivement de la volonté des parties et pouvant causer un préjudice. Plus précisément en droit pénal, lorsque la notion de risque est évoquée, l'on parle nécessairement de la prédiction du comportement futur du délinquant; autrement dit, de la probabilité que le délinquant récidive.

(33)

Que ce soit lorsque les experts évaluent dans les établissements pénitentiaires la probabilité pour un individu de commettre à nouveau un crime ou lorsque le décideur doit décider quelle peine appliquer au délinquant, ou lorsque le juge à la Chambre de la jeunesse doit déterminer s'il fait droit à la requête présentée par la DPJ concernant le risque sérieux d'abus sexuel ou encore à la Chambre de la famille, lorsque le juge siégeant doit déterminer lequel de deux parents doit avoir la garde de l'enfant, la notion de risque entre en ligne de compte à des degrés variables. En ce sens, nombre sont les questions que les évaluateurs, décideurs ou encore ceux qui doivent mettre en œuvre et appliquer des politiques se posent : quelles sont les probabilités que le délinquant en cause constitue un danger pour la société? Quels sont les facteurs de risque dont on tiendra compte dans « son » cas spécifiquement? Quelles sont les méthodes à utiliser afin d'évaluer puis valider le risque? Y a-t-il un risque réel ou fictif? Quel sera le risque que l'enfant court en accordant la garde à tel ou tel parent malgré ses difficultés?

C'est en abordant la question de « l'opérationnalisation » ou de la mise en pratique de la notion de risque dans d'autres champs, que certains auteurs35 ont suggéré que la difficulté d'extrapoler cette

notion à des domaines sociaux pouvait provenir des origines mêmes de la notion de risque. En effet, la notion de risque tire son origine de l'épidémiologie. Cette science étudie la distribution des problèmes physiques et mentaux dans la population et analyse les facteurs qui déterminent cette distribution. À ses débuts, l'épidémiologie se centrait sur la recherche de ce qui produisait les maladies; c'est-à-dire les liens causals. Plus tard, son champ d'études s’élargit, et peu à peu, cette science transforme son objet passant d'une problématique qui était centrée sur la cause à une autre centrée sur la probabilité.

La notion de risque comporte ainsi un élément objectif et un autre subjectif; le premier fait référence à la probabilité et le deuxième au danger perçu. Cette notion exprime donc la possibilité vraisemblable de subir un effet généralement préjudiciable. Comme le soulignent les auteurs consultés36, le risque est donc la corrélation ou la probabilité statistique entre un facteur de risque et

une conséquence prévisible.

35 Michèle Clément et Hector Ouellet, « Problématiques sociales et notion de «risque » : une perspective critique » (1992) 5 1 Nouvelles pratiques sociales 113.

(34)

Dans cette corrélation, le facteur de risque sera tout élément dont dépendra la possibilité vraisemblable que l'effet préjudiciable se produise. Dans la littérature scientifique, on distingue « risque » et « facteur de risque », et ce, même s'il s'agit de deux concepts intimement liés. Ainsi, alors que le risque exprime la probabilité marquée de l’éventualité d'un fait préjudiciable, le facteur

de risque lui, renvoie à la situation qui rend prévisible le fait généralement préjudiciable.

Le facteur de risque sera en somme, un élément présent susceptible de causer un risque; c'est-à-dire, une caractéristique liée à une personne, à son environnement, à sa culture ou à son mode de vie et qui entraîne pour elle une probabilité plus élevée de développer une maladie. Exemple : une alimentation pauvre en fruits et légumes est un facteur de risque de cancer. L’oisiveté, la toxicomanie et une personnalité antisociale sont des facteurs de risque de la délinquance.

Le domaine épidémiologique, par exemple, nous permet d'établir des parallèles intéressants avec la prédiction de la récidive dans le domaine criminologique et judiciaire. L'épidémiologie classique suggère que lorsque nous pouvons prouver une corrélation révélatrice entre un facteur de risque et une pathologie quelconque, nous pouvons isoler le facteur de risque et diriger nos interventions. Par ailleurs, si l'on s'attaque au facteur de risque décelé, on devrait pouvoir travailler sur la pathologie appréhendée, du moins sur le plan théorique pour la modifier ou l’éradiquer. En effet, l'épidémiologie tente d'établir des corrélations mathématiques entre un facteur de risque et une conséquence. Ainsi, la notion de risque exprime une probabilité statistique, mais pas forcément un lien causal. Le facteur de risque et les populations à risque deviennent donc des concepts pouvant être transférables à d'autres domaines, mais non sans difficultés, suggèrent les auteurs37.

Il est intéressant de regarder quelques-unes des difficultés soulevées par les auteurs en ce qui concerne la « transférabilité » de la notion de risque dans les domaines impliquant des problèmes sociaux ou psychosociaux, suivant le modèle de l'épidémiologie; c'est-à-dire, un modèle qui analyse

une maladie à partir d'un ou plusieurs facteurs de risque, afin de tenter de trouver un lien de

causalité.

37 Michèle Clément et Hector Ouellet, « Problématiques sociales et notion de «risque » : une perspective critique » (1992) 5 1 Nouvelles pratiques sociales 113.

(35)

Il est intéressant de l'aborder, car le sujet de cette étude est précisément un problème social. Les auteurs soulèvent qu'il est très difficile d'extrapoler la notion de risque à des problèmes sociaux en raison tout d'abord de la nature complexe des variables qui y sont considérées et ensuite de leur « insociabilité ». Par ailleurs, l'on souligne que même lorsque l'on peut dissocier ces variables sur le plan conceptuel, leur interdépendance rend l'analyse statistique de type épidémiologique et la possibilité de trouver un lien causal très difficile38.

Autrement dit, pour ces auteurs, lorsqu'il s'agit de problèmes sociaux, on ne peut prendre tous les facteurs de risque séparément et les ramener sur le plan du lien de causalité et on ne peut non plus prendre un seul facteur, car un seul facteur de risque ne peut être à ce point révélateur pour être considéré comme un bon prédicteur d'une conséquence. En somme, le modèle étiologique utilisé par l'épidémiologie est inopérant face à des problèmes sociaux et psychosociaux.

Autant la notion de risque que celle de facteur de risque, ne présentent d'intérêt d'étude que dans la mesure où elles nous permettent de les mettre en cause et de remonter jusqu'aux sujets qu'elles mettent en jeu, par exemple les populations à risque, en l'occurrence les délinquants et notamment les délinquants sexuels. C'est en suivant ce postulat que dans les lignes qui suivent, nous allons expliquer une autre des notions participant des programmes de la prévention de la délinquance, soit

la gestion de risque. Nous analyserons également quelles sont les méthodes utilisées pour évaluer le

risque du délinquant et notamment du délinquant sexuel.

Notre but ultime est d'apprivoiser cette notion et de la mettre en perspective avec les moyens de prévention et notamment avec la notion de risque sérieux d'abus sexuel prévue à l'article 38 2 d) de la L.P.J. Évidemment, sachant que de l'avis de certaines études, le risque, sa gestion et son évaluation demeurent des problèmes réels pour tous ceux qui doivent faire face à cette notion, tels le théoricien, le politicien qui doit appliquer des politiques dans les centres correctionnels ou dans des centres de services de santé, ou encore le simple citoyen, pour n'en citer que quelques-uns.39

38 Michèle Clément et Hector Ouellet, « Problématiques sociales et notion de «risque» : une perspective critique » (1992) 5 1 Nouvelles pratiques sociales 113; Raymond Massé, « Le risque en santé publique : pistes pour un élargissement de la théorie sociale » (2007) 39 1 Sociologie et sociétés 13.

39 Kelly-Hannah Moffat et Margaret Shaw, « Situation risquée : le risque et les services correctionnels au Canada » (2001) 34 1 Criminologie 47.

(36)

Nous restons donc humbles avec notre objectif. Toutefois, résumons à l'aide d'un exemple ce que nous poursuivons dans cette section et rendons concrètes les notions que nous venons d'évoquer.

L'exemple qui suit ne se veut absolument pas une façon de généraliser la panoplie de comportements, de facteurs et de variables qui interviennent dans la gestion pénale du risque; cet exemple poursuit l'objectif de mettre en exergue ces facteurs et les variables qui sont utilisées par l'expert dans l'évaluation du risque et ainsi faciliter la compréhension des notions qui sont liées à la notion de risque et appliquées en droit pénal et en droit de la jeunesse.

En 2007, Georges, alors âgé de 30 ans, agresse sexuellement une fille de dix ans qui visitait régulièrement son domicile. Une longue enquête a lieu avant que Georges ne décide de plaider coupable. Georges, qui n'en est pas à sa première agression sexuelle contre un enfant, est condamné à une peine de 4 ans, qu'il doit purger dans un pénitencier fédéral. Georges a deux enfants issus de deux unions différentes. Son premier enfant, âgé aujourd'hui de 14 ans, a dû être hébergé en famille d'accueil lorsque Georges est allé en prison, car Georges n'avait pas un réseau familial qui pouvait s'occuper de l'enfant et la mère de l'enfant, adepte de la cocaïne, tout comme Georges, l'avait abandonné quelques années auparavant. Son deuxième enfant est âgé aujourd'hui de 7 ans et vit avec la grand-mère maternelle. Au moment des faits, Georges qui n'avait pas atteint le secondaire II, n'occupait aucun emploi et ne possédait pas un réseau solide d'amis. Dès son entrée au centre pénitencier, Georges fut évalué et classé selon son niveau de risque. On lui a proposé un programme en fonction de son niveau de risque et de ses besoins criminogènes et pour la première fois, Georges accepte de suivre le traitement médical/professionnel proposé dans le programme.

(37)

Autant pour l'imposition de la peine que pour la libération conditionnelle de Georges, des évaluateurs et des décideurs ont dû se poser la question suivante : quel est le risque que Georges représente pour la société? Afin d'évaluer le risque, évaluateurs et décideurs ont dû jongler avec des notions telles que :

Risque : probabilité statistique marquée que Georges commette à nouveau une agression sexuelle

de même nature ou un crime d'une autre nature.

Facteurs de risque : la toxicomanie, les antécédents criminels, l'âge, l'absence ou le pauvre réseau

familial et social, la situation économique précaire.

Variables prédictives ou facteurs de risque : Elles représentent l'unité d'analyse principale dans la

prédiction du risque.

Besoins criminogènes : à l'occasion, les facteurs de risque et les besoins criminogènes se

confondent : absence ou pauvre réseau familial et social, situation économique précaire, toxicomanie.

Prédicteurs de la récidive sexuelle : facteurs servant de base aux outils de prédiction actuarielle.

Quels sont les facteurs qui apportent de forts indices que Georges est à risque de commettre d'autres crimes de nature sexuelle? Les préférences sexuelles déviantes, le nombre total de condamnations antérieures pour des crimes sexuels, les antécédents criminels.

(38)

Trajectoire criminelle : parcours criminel de Georges. Georges a commis une autre ou plusieurs

agressions sexuelles.

Méta-analyse : C'est une démarche statistique combinant les résultats d'une série d'études

indépendantes sur un problème donné. La méta-analyse permet une analyse plus précise des données par l'augmentation du nombre de cas étudiés. Elle permet donc de tirer une conclusion globale. Cette démarche est largement utilisée en médecine pour l'interprétation globale d'études cliniques parfois contradictoires. Elle permet aussi de détecter les biais de méthode des études analysées.

(39)

1.3.2 Méthodes d'évaluation

Bien qu'il reste beaucoup à faire, aujourd'hui nous sommes loin des débuts de l'évaluation du risque. Depuis la création des premiers outils servant à évaluer le risque de récidive qu'un délinquant et notamment le délinquant sexuel représentaient pour la société, de nouveaux outils actuariels ont vu le jour40. De nouvelles échelles actuarielles toujours de plus en plus précises mais qui avaient subi et

subissent encore les foudres de leurs détracteurs. À une époque, certains disaient même que l'exactitude des prévisions était tellement faible qu'elle menaçait les assises des sanctions judiciaires41. En effet, l'évaluation du risque de récidive joue un rôle primordial dans l'imposition de la

peine et dans le traitement que le système de justice pénale réserve aux délinquants, il apparaît donc normal que l'on demande que ces outils soient les plus précis possible.

Par le biais des mesures législatives et politiques correctionnelles dirigées fondamentalement, mais non exclusivement vers les délinquants qui sont classés à risque élevé, le Canada tente depuis un certain temps de gérer le risque que ses délinquants représentent avec des méthodes plus fiables et en combinant différentes techniques. Avant de passer à l'étude des méthodes servant à évaluer ce risque afin de le gérer et éviter la récidive, exposons sans tarder que « la gestion de risque »

consiste à évaluer les facteurs de risque ou les prédicteurs des délinquants afin d'anticiper les risques pouvant survenir dans des situations données. Par ailleurs, une caractéristique nécessaire à

une bonne évaluation du risque passe par la sélection de bonnes variables qui contribuent au comportement criminel. En ce sens, deux méta-analyses exhaustives sur les prédicteurs de la récidive ont recensé les attitudes antisociales, les pairs antisociaux, la toxicomanie, le dysfonctionnement familial, les conflits interpersonnels, et les modes de vie instables ainsi que certaines variables démographiques (sexe masculin, célibataire et jeune) comme prédicteurs ou variables de la récidive générale et violente42.

40 Voir par ex Sarbin 1943, Meel 1954, Quinsey et al. 1995 et 1998, Epperson 1998, Static-99 et enfin Hanson et Thornton, 1997 puis 2000.

41 Ministère de la Sécurité publique du Canada, Statique -99 : Une amélioration des évaluations actuarielles du risque

chez les délinquants sexuels par R. Karl Hanson et David Thornton, 1999.

Références

Documents relatifs

Le Groupe d'étude Canadien recommande le dépistage annuel chez les femmes à haut risque (femmes sexuellement actives de moins de 25 ans et/ou avec comportement sexuel à risque)

indiquent que les mères et les pères se ressemblent plus qu’ils ne diffèrent dans leur façon de surveiller de jeunes enfants, et que la surveillance exercée par la fratrie est

o Au regard de cela, on retiendra dans les pratiques développées par les acteurs:.. Qualité et individualisation de l'accueil (entretiens en tête à tête, questionnaire pour faire

La prévalence élevée du phénomène, le fait que l'abus sexuel affecte majoritairement de jeunes enfants, l'absence de communication parents-enfants sur le sujet de l'abus

« ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale

Les études GEMINI-1 et 2 sont deux études identiques, multi- centriques, internationales, randomisées, en double aveugle, de phase 3, évaluant la non-infériorité d’une bithérapie

L'installation des fours crématoires et des chambres à gaz, les réserves prêtes de gaz « Zy- klon B », l'installation d'usines à transformer les cadavres des victimes futures

Les résultats de l’étude montrent d’ailleurs que la plupart des expériences affectives et sexuelles sont vécues de façon positive par les jeunes et participent à leur