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4. Résultats et discussion

4.2 Première partie : Processus décisionnels et facteurs psychologiques impliqués dans la

4.2.3 Indices de maltraitance observés non signalés immédiatement

Dans plusieurs situations examinées, les participantes ont mentionné avoir observé antérieurement des indices de maltraitance qu’elles n’ont pas signalés immédiatement à la protection de la jeunesse. Il convient de rappeler que ces indices ont été nommés « indices antérieurs de maltraitance » pour les distinguer des « indices majeurs de maltraitance » décrits précédemment. Ces indices concernent particulièrement les problématiques de négligence et les mauvais traitements psychologiques. Par ailleurs, puisque trois situations colligées dans cette étude concernaient des décisions de ne pas signaler, soient celles de Carl, Miroslav et Ugo, il est apparu pertinent de les inclure au matériel à analyser.

Cette section se consacre donc à présenter les résultats relatifs aux indices de négligence non signalés immédiatement et ensuite, aux indices de mauvais traitements psychologiques non signalés immédiatement.

4.2.3.1 Indices de négligence non signalés automatiquement. Dans les situations de

négligence, les participantes ont surveillé et cumulé plusieurs indices avant de procéder à un signalement, comme il a d’ailleurs été soulevé dans les résultats présentés antérieurement. Dans la démarche évaluative de la sévérité de la situation, la récurrence des indices de négligence est une caractéristique déterminante pour juger si la situation est matière à signalement. Par exemple, une

participante fait référence à une situation secondaire au cours de laquelle elle a pris la décision de ne pas signaler un enfant parce qu’il n’avait pas ses bottes. La participante explique qu’elle s’était basée sur le fait qu’elle n’avait pas cumulé assez d’indices; donc que la récurrence des indices n’était pas suffisante pour pouvoir juger que la situation était matière à signalement. L’observation de ce seul indice ne lui semblait pas justifier de faire un signalement.

Situation secondaire rapportée par P04

Là, on dirait que le centre jeunesse m'avait mis ça sur les épaules. Je m'étais sentie comme attaquée [quand on m’a dit] : « Pourquoi vous n'avez pas signalé si vous aviez entendu des choses avant? ». [J’ai répondu] : « Parce que souvent, ça se construit! ». Puis moi, ce que je leur avais reproché, puis je me souviens très bien de l'avoir dit, c'est que lorsque les enfants arrivent dans nos classes puis qu'ils ont un suivi au Centre jeunesse, on n'est pas au courant, c'est confidentiel. J'ai dit : « Moi, si je l’avais su, puis que je voyais que l'enfant n'avait pas ses bottes, bien tout de suite j'interviendrais avec le Centre jeunesse. Je verrais qu'il y a une négligence... ». Il me disait : « Vous n'aviez qu'à signaler! ». Mais je disais : « Avec un autre enfant, je ne signale pas tout de suite s'il n'a pas ses bottes ou ses bas. On va faire toute une démarche auprès du parent qui va prendre parfois jusqu'à trois ou quatre mois. Mais si j’avais su qu'il avait déjà un dossier, j'aurais appelé de tout de suite ».

Dans l’exemple précédent, la méconnaissance de la prise en charge de l’enfant par la protection de la jeunesse a eu pour effet que la promptitude à signaler n’était pas présente. Cependant, selon les propos rapportés par cette participante, l’intervenant de la protection de la jeunesse spécifie qu’elle aurait dû signaler la situation. À ce sujet, il semble qu’il y ait une confusion : Faut-il signaler tout indice? Ou il faut-il signaler les indices qui permettent de croire que la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis?

4.2.3.2 Indices de mauvais traitements psychologiques non signalés immédiatement. Les

participantes ont observé des indices de mauvais traitements psychologiques, soient l’humiliation, le contrôle excessif et l’usage de menaces, dans les situations de François, Doris et Patricia. Dans ces trois situations, ces indices de mauvais traitements psychologiques ont été observés antérieurement à l’apparition des indices majeurs d’abus physique pour lesquels les personnes ont finalement décidé de signaler à la protection de la jeunesse.

À l’extrait suivant, une participante décrit un épisode au cours duquel elle a été témoin de mauvais traitements psychologiques envers un enfant. Elle mentionne qu’il est trompeur d’identifier cette forme de maltraitance, surtout lorsqu’aucun signe de négligence n’est observé. À noter que la situation a finalement été signalée lorsque la participante a constaté la présence de marques sur le corps de l’enfant.

Situation de Patricia

Puis quand la petite n'écoutait pas ce que la mère disait, la mère la chicanait. Mais en lui disant des choses, mais des choses vraiment pour l'humilier devant tout le monde. Puis elle l'a prise un moment donné, elle l'a amenée [soulevée] dans les airs en disant : « Tu veux te donner en spectacle; alors tiens! ». Là elle l'a prise puis elle la montrait devant tout le monde. Là la petite, elle pleurait. […] Puis un moment donné, quand la petite est arrivée, puis là elle avait une marque sur le corps au visage, elle avait probablement été frappée, là à ce moment-là, j'ai fait un signalement à la DPJ. […] Mais la marque physique, c'est vrai que ça, ça a vraiment été pour moi un arrêt.

Les extraits concernant la situation de Doris fournissent des pistes pour comprendre pourquoi les indices de mauvais traitements psychologiques ne conduisent pas à un signalement.

Situation de Doris

Mais le père aussi avait des difficultés au niveau de l'éducation, de l'encadrement de sa fille, du jugement à savoir qu'est-ce qu'on peut accepter d'une enfant de cinq ans ou non. […] C'était des colères, de l'impulsivité, et ça il le disait des fois. Il disait : « Ah des fois, je me fâche. ». Puis là, il se sentait mal aussi. Ça, il le verbalisait. […] Des fois elle [l’enfant] pouvait faire des choses et le lendemain c'était impossible de les faire, elle vivait dans un monde d'incohérence. […] Puis avec tout ce que j'avais entendu de la maison. Ce n'était pas la première fois qu'elle me disait que ça brassait un peu, que le papa n'était pas content. L’intervieweuse récapitule les propos de la participante et la sous-questionne : « Alors vous avez observé qu'il y avait probablement des formes de maltraitance psychologique mais l'élément qui ne vous a pas du tout fait hésiter à devoir signaler, c'est vraiment la confidence qu'elle vous a faite et ce que vous aviez observé physiquement? »

Situation de Doris

Oui. Parce qu'avec ce que j'avais avant, je ne signalais pas. Même si on se dit : « Voyons! » On ne peut pas signaler à chaque fois qu'on entend ces histoires-là! Des parents qui sont impulsifs ou inconstants dans leur manière d'éduquer leur enfant, on en a beaucoup. Donc,

on essaie plutôt de les accompagner puis de les soutenir. De les écouter puis de leur donner des moyens puis des trucs. Mais on ne signale pas nécessairement [à la protection de la jeunesse].

En somme, la participante mentionne qu’elle était au courant des difficultés au plan des compétences parentales. D’ailleurs, elle avait déjà reçu les confidences du père quant à ses colères, son impulsivité et son manque de constance, mais elle souligne toutefois que ce n’est pas suffisant pour signaler.

Dans une autre situation, celle de François, plusieurs indices antérieurs de mauvais traitements psychologiques envers l’enfant ont été rapportés par la participante.

Situation de François

Puis c'était un père que je croisais souvent parce qu'il venait chercher son enfant au service de garde. Puis qui me donnait quand même une impression d'être assez contrôlant auprès de son enfant. Puis de ce que j'entendais aussi. Mais on est au niveau des perceptions là, c'est bien entendu. […] Puis il le menaçait fréquemment de le mettre dans un pensionnat. Alors, il l'avait amené à un endroit […] c'était comme pour le menacer qu'il le mettrait en pension.

Dans cette même situation, la participante considère que la sévérité de la situation n’est pas préoccupante, en particulier au plan de la sécurité de l’enfant et que ses besoins de base semblent comblés.

Situation de François

Comme je vous ai dit, il vit des choses qui vont faire en sorte qu'il va avoir son cheminement à lui, qu'il va avoir des défis à relever, pis la gestion émotive de certaines situations, mais ça n'entravera pas nécessairement sa sécurité, pour tout de suite là. […] Parce que si je compare à d'autres cas où la négligence me semble plus préoccupante, en termes de sécurité, de supervision, d'hygiène de vie, tu sais, tous ces aspects-là [n’étaient pas négligés]. Lui, il a des heures de coucher régulières.

Au prochain extrait, la même participante poursuit en expliquant que selon elle, il s’agit d’un style parental dans lequel le type d’attachement parent-enfant est moins chaleureux.

Situation de François

C'est de l'ordre du tempérament. Tu ne peux pas supposer qu'il y a de la violence, parce que là tu rentres dans le jugement un peu je trouve. Je ne peux pas appeler à la DPJ pour dire : « Il me semble que le père n'est pas chaleureux avec son fils quand il vient à l'école. » […] Parce que jamais je ne l'ai vu dire « Bonjour » ou le prendre. Non, c'était très froid comme contact. Mais je ne trouve pas que c'est un argument suffisant pour signaler. C'est de l'ordre de la personnalité. Vous comprenez ce que je veux dire? Puis l'enfant continuait d'arriver à l'heure quand même, il fonctionnait à l'école. Malgré qu'il avait des choses à travailler comme d'autres élèves. Chacun a ses défis dans le fond. Lui c'était plus de l'ordre des habiletés sociales.

La participante poursuit son récit de la situation de François et explique les raisons pour lesquelles elle n’a pas signalé ces indices de mauvais traitements psychologiques.

Situation de François

C'est un style parental. […] Puis à travers ça, l'enfant va se développer malgré tout. […] Ça, on n'a pas de contrôle sur le cheminement de chacun. Mais je me dis que ce n'est pas quelque chose qui va nécessairement nuire à son développement là. Tu sais, ça fait partie de... On a les parents qu'on a. Puis à travers les défis que ça pose, on va développer des armes, on va développer des forces, puis on va être plus vulnérable à certaines autres choses aussi. Mais c'est le développement humain.

En somme, même si des indices antérieurs de mauvais traitements psychologiques ont été observés dans les situations de François, Patricia et Doris, les participantes semblent évaluer que ces formes de maltraitance ne sont pas assez sévères pour compromettre la sécurité ou le développement des enfants. Plusieurs points ressortent, notamment à propos des conséquences à long terme sur l’enfant.