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4. Résultats et discussion

4.2 Première partie : Processus décisionnels et facteurs psychologiques impliqués dans la

4.3.2 Divergences pour juger s’il faut signaler la situation

4.3.2.1 Rechercher des explications culturelles

« Est-ce qu’il y a quelque chose de culturel qui pourrait expliquer la situation? »

La première divergence importante concerne le fait que le personnel scolaire recherche des explications pour comprendre si la culture serait à l’origine des indices observés. Des recherches d’explications culturelles ont été identifiées dans cinq domaines : (1) le style de stratégies éducatives des enfants; (2) les rites et les croyances religieuses de la famille; (3) le parcours migratoire de la famille; (4) les habitudes de vie de la famille; et (5) le style d’encadrement et de surveillance des enfants. Les prochains paragraphes présentent les recherches d’explications culturelles dans ces domaines.

Un grand nombre de participantes ont recherché des explications culturelles dans le style de stratégies éducatives des enfants, particulièrement lorsqu’elles ont observé des indices d’abus physique. Elles expliquent que l’usage la punition corporelle est une stratégie utilisée par plusieurs parents de groupes culturels minoritaires.

Situation Salif

Mais c’est sûr qu’avec l’expérience, ça fait quand même plusieurs années que je travaille avec des élèves de plusieurs ethnies, je sais qu’au niveau des valeurs et des manières d’élever des enfants… Tu sais, « tirer les oreilles », ce n’est pas la première fois moi que j’entends ça! J’ai déjà eu des discussions avec des parents qui m’expliquaient qu’eux autres ça marchait comme ça. Moi je ne ferais jamais ça à un enfant, je suis une Québécoise et mon père ne m’a jamais tiré les oreilles. Mais je sais que ça fait partie quand même de leur culture.

Cependant, pour que la punition corporelle soit considérée acceptable, les participantes spécifient que son usage doit s’inscrire dans un contexte où le parent souhaite éduquer son enfant. L’extrait suivant est un exemple d’explications culturelles dans le style de stratégies éducatives des enfants où sont également considérées les intentions parentales.

Situation d’Orphanie

En fait, les intentions cachées derrière ça, c’était que leur enfant soit bien élevé, bien éduqué et qu’il réussisse dans la vie. Et ils croyaient que les méthodes qu’ils employaient étaient des méthodes efficaces et qu’elles avaient fait leurs preuves.

Des explications culturelles dans les rites et les croyances religieuses sont aussi évoquées pour expliquer l’usage de la punition corporelle. L’extrait suivant qui concerne la situation de Junior et Jivelle en est un exemple.

Situation Junior et Jivelle

Les protestants, eux, quand tu regardes vraiment dans la Bible, il est dit que tu peux utiliser des moyens physiques pour corriger tes enfants. […] Avant le cours d’éthique et culture religieuse, on offrait l’enseignement catholique religieux, l’enseignement protestant et l’enseignement moral. Il y a beaucoup d’Africains qui sont soit musulmans ou soit protestants, donc il fallait offrir le service. Et c’est avec elle [l’enseignante] en parlant, elle nous a même montré les passages dans la Bible. Elle nous expliquait que c’était correct pour eux de châtier corporellement. Et qu’une bonne fessée bien administrée c’était correct. Par ailleurs, dans certaines situations, le personnel scolaire fait allusion au parcours migratoire des familles pour expliquer l’origine des indices d’abus physique et des indices de négligence. Plusieurs extraits montrent que les participantes sont sensibles aux défis d’adaptation culturelle des familles. Cependant, dans le prochain extrait, la participante exprime son incertitude dans le cas particulier du parcours en période post-migratoire de la famille d’Anh Minh.

Situation Anh Minh

Ce qui est très difficile, parce qu’arrivé à ce stade-là, on se demande toujours : « Est-ce que c’est un épisode passager? Est-ce que c’est dans la culture de cette famille-là? Est-ce que, parce que ce n’est pas une famille violente, mais pour des raisons X de stress, d’acclimatation …? ». Mais quoique ça fait quand même longtemps qu’ils [les parents d’Anh Minh] sont ici, ils doivent être acclimatés un petit peu.

De plus, cette même participante souligne l’importance de tenir compte du parcours pré- migratoire des familles ayant vécu dans les camps de réfugiés pour comprendre les limites et les retards de développement que peuvent présenter les enfants.

Situation secondaire rapportée par P01

Par exemple, on a reçu [à l’école] des [réfugiés d’un pays], ils sont restés deux ans, trois ans dans des camps de réfugiés, il y en a qui n’ont jamais tenu une paire de ciseaux, un crayon dans leurs mains. On ne peut pas leur demander l’impossible non plus. Je pense qu’on a ce niveau de tolérance-là quand on en vient à réfléchir à un signalement.

Les habitudes de vie de la famille sont aussi un domaine où des explications culturelles sont recherchées pour expliquer la présence d’indices de négligence. Les personnes se sont interrogées quant aux différences culturelles sur les plans alimentaires et vestimentaires ainsi que celui de l’hygiène corporelle.

Première situation secondaire racontée par P16

Au service de garde, la fille est arrivée puis elle m’a dit : « Regarde ça. ». Il y avait du riz puis il y avait un poisson. Elle m’a dit : « Ça n’a pas de bon sens de donner ça à ton enfant. ». Bien j’ai dit : « C’est parce qu’il y a des protéines. […] Il y a des protéines. Bien je veux dire, moi je n’en mangerais pas, parce que je ne connais pas ça. Mais si dans sa culture c’est ce qu’il mange, il en a assez pour se nourrir aujourd’hui. Moi je ne donnerais pas ça à mon enfant. ». Mais elle m’a dit : « Ça n’a pas de bon sens. ». J’ai dit : « Regarde là, c’est du poisson. Puis du riz. ». Là ça devient délicat, parce que ce n’est pas vrai qu’il n’a rien à manger. Le chocolat, bien on se dit que ce n’est pas nutritif. […] Un moment donné, j’ai dit : « Brrr… Mon dieu que ce n’est pas appétissant. ». Mais, ça reste du poisson puis du riz. Si c’était un filet de poisson puis du riz ce serait convenable. Là c’est un bout de poisson avec la tête puis les yeux puis… Eurk! Mais, il y avait du poisson après là, il y avait de la peau, puis il y avait du riz!

À l’extrait précédent, il est à remarquer que la participante expose son évaluation de la sévérité de la situation à ses collègues, évaluation qui tient compte de la quantité de nourriture et de l’apport nutritif des aliments, ce qui lui indique que les besoins de base de l’enfant sont comblés.

Dans une autre situation secondaire rapportée par cette même participante, elle explique à ses collègues que les enfants de certains groupes culturels minoritaires sont souvent pris en charge par l’ensemble de la communauté; la situation s’expliquerait par ces différences culturelles dans le style d’encadrement et de surveillance des enfants.

Deuxième situation secondaire racontée par P16

J’aimerais vous raconter une anecdote. Je ne sais pas si c’est pertinent mais vous me le direz. Il y a des enseignants qui ont des difficultés avec certains enfants de communautés

culturelles. Bien surtout les Africains. Il y a un commentaire d’une enseignante que j’ai eu qui disait : « Ils ne s’en occupent pas! Ils ne signent pas les choses! ». Puis là je disais : « Est-ce que tu sais que souvent, c’est la communauté qui prend en charge l’enfant hein? Dans leur pays c’est la communauté. Alors l’enfant, si ce n’est pas toi qui s’en occupes, quelqu’un d’autre va s’en occuper. Il y a un enfant qui traine dans la rue. Quelqu’un va s’en occuper puis va le faire manger. Pour eux, c’est comme ça. C’est la communauté qui prend en charge puis ce n’est pas grave ».

Dans le prochain extrait, il est intéressant de remarquer que les explications culturelles chevauchent le domaine des habitudes d’hygiène corporelle et celui du parcours migratoire des enfants.

Situation de Junior et Jivelle

J’avais parlé avec la dame en famille d’accueil. Et elle était outrée que les enfants ne prennent pas leur bain tous les jours et que les enfants ne mangeaient pas ce qu’on leur donnait : « Bien oui! Mais si tu leur donnes des hot-dog, ils en n’ont jamais vus, ils n’en mangent pas chez eux. Oui, ils sont au Québec ici, mais ils ne se nourrissent pas comme des Québécois, ils se nourrissent comme des Africains quand même ». Alors, la mère va dans les épiceries où on vend des produits de leur pays. Ce qu’elle achète dans l’épicerie ici, le même poulet que vous et moi, elle va le cuisiner à l’africaine, elle ne le cuisinera pas comme nous. Puis ils vont utiliser les mêmes épices que dans leur pays, alors ça ne goûte pas pareil. Au déjeuner, ils ne mangent pas nécessairement la même chose que nous, et ce n’est pas tout le temps. Là maintenant quand ça fait plusieurs années oui, mais ça faisait seulement trois ans qu’ils étaient ici. Ensuite, comme j’expliquais à la madame en famille d’accueil, dans un pays dans un contexte où l’eau est rare et que tu as le choix entre la boire et te laver, tu la bois! Tu ne te laves pas!

Les propos des participantes sont grandement teintés du désir de comprendre les autres cultures et de respecter les différences qui les distinguent.

Situation d’Anh Minh

Avec tous les signalements que j’ai faits, que ce soit pour des enfants de communautés culturelles ou allophones, ou peu importe, même les Québécois, je pense que ce qui est important c’est d’essayer de les comprendre, parce que parfois ça peut être juste la culture de leur peuple qui est différente et qu’il faut accepter, et aussi des fois, essayer de modifier certains comportements. Mais je pense que d’autres fois, quand on essaie de comprendre des choses, bien on comprend des choses. Donc, on s’était mises sur le mode « on essaie de comprendre ».

En somme, les propos des participantes sont caractérisés par des recherches d’explications culturelles qui se situent en dehors des normes généralement admises par le groupe majoritaire. Les résultats ont permis d’identifier des recherches d’explications culturelles dans le style de stratégies éducatives des enfants, le parcours migratoire de la famille, les rites et les croyances religieuses, les habitudes de vie de la famille ainsi que le style d’encadrement et de surveillance des enfants. Toutefois, il est probable que des explications culturelles dans d’autres domaines où il existe des différences culturelles soient aussi recherchées par le personnel scolaire.

Il est intéressant de souligner que ces résultats rejoignent les pistes d’intervention interculturelle suggérées dans un ouvrage de Cohen-Emerique (2011) ; l’auteure propose au personnel intervenant auprès de personnes de diverses origines culturelles des « points de repères pour différencier les parents qui ont un comportement éducatif dangereux » (p. 261). Entre autres, il y est suggéré de faire une recherche de sens dans la conduite du parent maltraitant en se questionnant sur les raisons de cette maltraitance. Dans cette recherche, l’évaluation doit s’attarder à savoir si le parent a agi avec sens ou inversement, si l’agissement du parent n’a pas de sens, c’est-à-dire que l’enfant aurait été maltraité sans relation avec la transgression de valeurs culturelles.