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Synthèse des antécédents sur la pardonnabilité

Chapitre 5. Résultats et discussion

5.6 Discussion

5.6.1 Synthèse des antécédents sur la pardonnabilité

Bien que surprenants, les résultats obtenus aux différents tests statistiques mis en évidence dans le Tableau 18 précédemment ont montré que, de façon générale, l’effet des valeurs écologiques, soit écocentriques ou anthropocentriques, semble ne pas avoir d’impact sur la gravité perçue du scandale écologique et donc, par effet indirect, sur la volonté à pardonner des répondants. Plus précisément, les hypothèses H1a et H1b relatives aux valeurs écologiques des individus ne sont pas confirmées tant

pour l’approche écocentrique qu’anthropocentrique. Ces résultats vont à l’encontre de ce qui est avancé par les différentes études qui stipulent que les individus s’efforcent d’agir en concordance avec leurs valeurs (Abelson et al., 1968; De Groot et Steg, 2008; Stern, 2000; Stern et Dietz, 1994). Cependant, bien que les résultats obtenus ne concordent pas avec les hypothèses initialement postulées, les résultats sont tout de même supportés par quelques justifications.

Tout d’abord, cette recherche a sous-estimé l’impact social de la culture sur les individus (Kilbourne, Beckmann, et Thelen, 2002; Reynaud et al., 2008; Strizhakova et Coulter, 2013). Au Canada, la culture est plus axée sur des valeurs individualistes que collectivistes (Solomon, 2013; Triandis et al., 1988). Par sa définition, les individus d’une société individualiste accordent une plus grande importance à la réussite personnelle et la satisfaction des besoins individuels (Goleman, 1990; Triandis, 1989; Triandis et al., 1988). À l’inverse, les individus issus d’une société collectiviste favorisent des valeurs de partage et d’altruisme (Goleman, 1990; Triandis, 1989; Triandis et al., 1988). En fonction des résultats recueillis dans 22 pays de l’étude de Reynaud et ses collègues (2008), les individus aux valeurs plus individualistes que collectivistes peuvent attribuer une moins grande importance à l’environnement et à leur responsabilité environnementale. Dans ce sens, les individus issus de ces cultures ont moins tendance à favoriser un comportement pro-environnemental (De Groot et Steg, 2008; Nordlund et Garvill, 2002; Schwartz, 1992; Stern et al., 1985).

Au regard de cette explication, et dans le contexte géographique de l’étude (ville canadienne), un effet de mode autour de l’écologie peut alors se produire. Dans l’optique d’être socialement accepté par les autres, les individus peuvent donc adopter un comportement différent de leurs valeurs réelles. Ils peuvent ainsi laisser paraitre avoir des valeurs écologiques profondes pour se conformer à la pression sociale. Ce constat peut aussi être appuyé par les composantes agentique et communale introduites par Bakan (1966) afin d’exprimer les tendances fondamentales de motivations des individus. Définie par Lacroix (2012), la tendance agentique se manifeste comme une « forme de promotion de soi individuel » (p.16) et d’auto-affirmation au contraire de la tendance communale qui se manifeste plutôt lorsqu’une personne « est portée à s’oublier pour le bien-être des autres » (p.16). Dans ce sens, les valeurs écologiques des répondants se rattachent peut-être plus à une motivation agentique qu’une motivation communale. Les individus peuvent ainsi véhiculer des valeurs écologiques afin de faire valoir une meilleure expression de soi. Cette justification se révèle d’autant plus vraie dans le contexte de l’étude où la majorité des répondants sont des jeunes consommateurs âgés entre 18 et 25 ans. En effet, certains auteurs ont montré que le concept de soi pour les jeunes de cet âge est encore fébrile et est fortement influencé par la pression sociale (Agnew et loving, 1998; Peterson et Merunka, 2014). Ainsi, la population à l’étude est à un stade de vie où la construction identitaire n’est pas encore consolidée. Conséquemment, ils peuvent affirmer avoir des valeurs écologiques simplement pour suivre l’effet de mode autour du concept d’écologie par peur d’être négativement jugés par leurs pairs.

D’un autre côté, ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que plusieurs autres facteurs individuels peuvent intervenir dans cette relation et ainsi, neutraliser l’effet direct des valeurs écologiques sur la perception de la gravité du scandale. Au regard de la littérature, il existe une multitude de facteurs pouvant se joindre à cette relation tels que le manque de connaissances en matière d’écologie, le fait de favoriser le développement économique ou encore le rejet de la responsabilité écologique (D’Astous et Legendre, 2009; François-Lecompte et Valette-Florence, 2006; Monnot et Reniou, 2013). En fonction de ces différents facteurs personnels, les individus peuvent ainsi trouver un sens cohérent à leurs actes sans pour autant qu’ils soient en concordance avec leurs valeurs. Dans ce contexte, la théorie de la neutralisation (Sykes et Matza, 1957) peut être mobilisée. Divard (2013) la définit comme « un mécanisme de justifications et de rationalisation qui facilite les comportements qui violent les normes ou contreviennent aux attitudes exprimées en permettant aux individus de se protéger de la culpabilité et des accusations éventuelles » (p.53). Dans ce sens, lorsque survient un événement, les individus peuvent se baser sur d’autres facteurs individuels pour justifier leur comportement, et donc, pour ainsi rationaliser leur façon de percevoir la gravité du scandale écologique.

Implication écologique

Dans un même ordre d’idées, l’hypothèse selon laquelle le niveau d’implication écologique des individus impacte négativement la gravité perçue (H2) est partiellement confirmée (p = 0,012; β =

0,336). Elle est confirmée dans un seul des sept scénarii testés plus spécifiquement dans le scénario 2 (gravité perçue élevée, cellulaire, approche anthropocentrique). Considérant que l’implication influence directement la réponse, les individus impliqués écologiquement perçoivent le scandale plus grave et par effet indirect, peuvent être moins favorables à pardonner l’entreprise. Spécifiquement dans ce cas précis, leur réaction est donc motivée par leur degré d’implication écologique (Cervellon, 2012; Kronrod et al., 2012; O’Cass, 2000). De ce fait, les consommateurs plus impliqués écologiquement adoptent un comportement plus négatif, et ainsi ont moins tendance à pardonner l’entreprise impliquée dans le scandale écologique.

Dans un autre ordre d’idées, en fonction de ce qu’il a été initialement supposé, bien que ce résultat soit peu concluant (H2 confirmé dans un seulscénario), il peut être corroboré par quelques études en

Il existe une multitude de motivations qui peuvent inciter les consommateurs à adopter une implication écologique : meilleure qualité de vie, désirabilité sociale, gain monétaire, avoir bonne conscience, etc. S’ils le font, par exemple, dans un souci d’avoir bonne conscience ou encore pour plaire à leur entourage (désirabilité sociale), lorsque survient un scandale de nature écologique, il est fort probable qu’ils n’adopteront pas le comportement prescrit malgré une implication écologique à priori élevée. En effet, l’adoption du comportement prévalant peut, dans certains cas, exiger un trop grand sacrifice de la part de l’individu afin qu’il adopte concrètement ce comportement (Ottman, Stafford, et Hartman, 2006; Peattie, 2010). En ce sens, s’impliquer écologiquement nécessite des sacrifices en termes de commodité ou de coûts de la part de l’individu (Moser, 2015; Ottman et al., 2006; Peattie, 2010). Il est donc logique que les consommateurs réagissent différemment les uns des autres, puisqu’ils sont motivés par différents facteurs. Par exemple, pour un consommateur, le fait de ne plus acheter sa marque de cellulaire préférée pourrait impliquer de se départir d’un design esthétique et utilitaire qu’il apprécie pour une autre marque de cellulaire n’ayant pas ces mêmes propriétés. Également, ce changement de marque de cellulaire pourrait occasionner des coûts supplémentaires auprès de l’utilisateur. Afin de ne pas se contraindre à ne plus utiliser cette marque de cellulaire, il peut préférer adopter un comportement de statu quo lui demandant ainsi de moins grands sacrifices. Dans le contexte de l’étude, les sacrifices peuvent revêtir le fait de rompre une relation d’affaires avec l’entreprise fautive ayant comme résultante de ne plus consommer leurs produits/services. De ces explications, l’implication écologique peut donc s’avérer un moins bon prédicteur de la gravité perçue du scandale.

Croyance en l’authenticité de la RSE

Les résultats indiquent que l’hypothèse relative à l’effet de la croyance en l’authenticité de la RSE (H3)

est partiellement validée. Tout d’abord, pour le scénario 2 (gravité perçue élevée, cellulaire, approche anthropocentrique) et le scénario 3 (gravité perçue faible, cellulaire, approche écocentrique), l’hypothèse est partiellement confirmée tel qu'il est illustré par le seuil de signification et son coefficient bêta pour le scénario 2 (p = 0,002; β = -0,338) et pour le scénario 3 (p = 0,035; β = -0,320). Les résultats mettent en évidence que plus un individu a confiance en l’authenticité de la RSE, moins il va percevoir la gravité du scandale élevée, ceteris paribus. En revanche, cette constatation va à l’opposé de l’hypothèse initialement postulée : le fait de croire en l’authenticité de la RSE influence négativement la gravité perçue. En d’autres mots, il a été spéculé que plus un individu a confiance en l’authenticité

de la RSE, plus la possibilité de se sentir floué dans sa confiance augmente, et conséquemment, sa perception de la gravité du scandale s’aggrave en raison de ce sentiment de trahison.

Bien que les résultats obtenus ne concordent pas avec l’hypothèse développée au départ, ils sont tout de même appuyés par quelques auteurs. En effet, certaines recherchent soutiennent que lorsque les individus évaluent la crédibilité des discours de la RSE, ils arrivent habituellement qu’ils remettent en cause le bien-fondé du discours des entreprises (ex. : en fonction des arguments) (Helm, 2004; Jacques, 2005; Monnot et Reniou, 2013). Toujours selon ces auteurs, un sentiment de doute peut en émerger et des émotions négatives peuvent alors être déclenchées, allant d’un sentiment de scepticisme à de la méfiance envers l’ensemble des discours des entreprises. Par conséquent, cette attitude de doute envers l’authenticité des discours de la RSE peut engendrer directement des émotions et réactions négatives de la part du public. Ainsi, le fait de croire que toutes les entreprises ont un discours non authentique peut avoir un effet négatif sur la perception de la gravité du scandale (c’est-à-dire de le percevoir plus grave). Inversement, la confiance dans les discours de la RSE peut biaiser en quelque sorte la perception de la gravité de scandale. En effet, les individus qui ont confiance aux discours de la RSE peuvent réduire considérablement l’implication de l’entreprise dans un scandale afin de maintenir cette perception d’authenticité. Dans ce sens, s’ils considèrent l’entreprise comme socialement responsable, ils peuvent avoir tendance à diminuer l’intensité des impacts négatifs de l’événement (Vassilikopoulou, Siomkos, Chatzipanagiotou, et Pantouvakis, 2009, cité dans Pons et Souiden, 2012).

D’autre part, les résultats obtenus dans cinq scénarii ne montrent aucun effet de la croyance en l’authenticité de la RSE sur la gravité perçue du scandale (H3). Ces résultats sont surprenants dans la

mesure où de nombreux chercheurs ont montré que l’authenticité des discours de la RSE semble avoir un impact direct sur l’émotion, l’attitude et la réaction (Gauché et al., 2005; Helm, 2004; Jacques, 2005; Monnot et Reniou, 2013; Mullet et al., 1998; Parguel et al., 2011; Pons et Souiden, 2012). Il est tout de même possible d’expliquer ce résultat par le fait qu’un biais cognitif de la part de l’individu peut intervenir et ainsi neutraliser l’effet direct de cette relation. Plus précisément, les biais cognitifs peuvent influencer la réaction des individus en leur faisant commettre des erreurs de jugement (Kahneman et Tversky, 1979; Tversky and Kahneman 1974). Selon ces auteurs, les individus ne prennent pas toujours des décisions de façon rationnelle. En effet, bien souvent, ils ont recours à des heuristiques

(raccourcis cognitifs) qui leur permettent d’alléger des opérations mentales et de simplifier le traitement d’informations.

Suivant cette ligne directrice de recherche, les individus, n’ayant pas confiance en la crédibilité des discours en matière de la responsabilité sociale de certaines entreprises, peuvent procéder à des heuristiques en se basant exclusivement sur cette croyance, et en la généralisant à l’ensemble des entreprises. Dû à ce biais cognitif, ils peuvent croire que toutes les entreprises sont mensongères quant à leur discours de RSE. De ce fait, cette croyance engendre un paradigme dans lequel les individus se confortent. Ainsi, lorsque survient un scandale, les individus ne sont pas étonnés, puisqu’ils supposent déjà que le discours de l’ensemble des entreprises est faux et appréhendent ainsi des événements de ce type. En raison de cette généralisation de croyance, la possibilité qu’un scandale de nature écologique causé par une entreprise éclate est anticipée et prévisible. Par conséquent, le fait de croire ou non en l’authenticité des discours n’impacte en rien leur perception de la gravité du scandale, et par effet indirect, la volonté à pardonner l’entreprise. Cette observation rejoint donc les résultats obtenus.