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Synthèse du chapitre 2 : La dimensionalité de la procrastination

POUR UNE CONCEPTUALISATION DE LA PROCRASTINATION DU CONSOMMATEUR

3. Synthèse du chapitre 2 : La dimensionalité de la procrastination

Les formes de la procrastination identifiées par les auteurs spécialistes de la procrastination, et présentées en introduction de ce chapitre, relèvent essentiellement de la dimension évitement : McCown et Johnson mesurent l’évitement de tâche désagréable (la procrastination dite comportementale) alors que Mann mesure l’évitement du conflit consécutif à la situation de décision (la procrastination dite décisionnelle). Ces deux formes sont fortement reliées avec une faible estime de soi, accréditant la thèse d’une procrastination d’évitement construite à partir des croyances que l’individu a développées au fur et à mesure de son expérience. L’évitement de la tâche désagréable est en fait très proche de l’évitement du conflit. Bien qu’importante, cette dimension ne doit pas cacher la dimension indécision, mise en lumière par la théorie du contrôle de l’action.

C’est pourquoi en nous appuyant sur les deux théories expliquant la procrastination, nous pensons qu’il existe deux dimensions distinctes, mais liées, de la procrastination qui sont particulièrement pertinentes dans le contexte de la consommation. La revue de littérature nous fournit les éléments pour cette conceptualisation. Il s’agit de l’évitement d’une part, et de

l’indécision cognitive d’autre part.

1. La dimension évitement domine lorsque l’individu repousse une tâche désagréable. Celle-ci est souvent le déclencheur du report de la déCelle-cision ou de l’achat (Lay, 1986 ; Ferrari et al, 1995 ; Greenleaf et Lehmann, 1995). Une faible estime de soi renforcera cette tendance. Le consommateur évite également la situation de décision parce que « c’est compliqué de choisir ». Le consommateur ne veut pas décider. Cependant le report induit ne signifie pas nécessairement que l’individu ne sait pas décider. Or il est possible de reporter ou retarder la décision car on ne sait pas décider.

2. L’indécision cognitive en tant que dimension de la procrastination est la révélation de l’incapacité de l’individu à choisir en situation de conflit ou de stress. Il pèse tous les arguments (c’est-à-dire les attributs du produit dans notre recherche) et ne parvient pas à sortir de la décision (à moins d’y être fortement contraint). L’indécision cognitive peut être causée par l’orientation attente (Kuhl, 1994) et se manifeste par la désorganisation cognitive (Lay, 1986), les erreurs cognitives (Lay, 1988 ; Effert et Ferrari, 1989 ; Ferrari, 1993). L’indécision cognitive est active lorsque le consommateur est perdu devant les linéaires, les options, la complexité du choix. Ses altérations cognitives le retardent pour prendre une décision, probablement parce qu’il veut mesurer tous les éléments.

Le graphique ci-dessous reprend les divers antécédents et conséquences de la procrastination tels que nous les avons reportés dans le cadre de cette section. La confrontation de ce cadre avec le cadre issu du Chapitre 1, résumant les facteurs causes de report d’achat, permettra dans le Chapitre 3, de développer le cadre conceptuel de notre recherche.

Achat dans l’urgence Délégation de l’achat Remise en cause du besoin Procrastination •Evitement •Indécision cognitive Facteurs situationnels •Tâche désagréable •Autorité supérieure •Nature de l’échéance •Tâche publique ou privée •Tâche diagnostique ou non

Facteurs cognitifs •Faible estime de soi •Anxiété et dépression •Peur de l’échec •Perfectionnisme •Locus of Control externe

Altérations volitives •Désorganisation névrotique •Erreurs cognitives •Rêverie •Orientation Attente: Î Hésitation et Préoccupation Impulsivité Transfert à autrui Auto-handicap Effet de la Procrastination Probables effets de la procrastination sur le comportement du consommateur

figure 2-4. : Les antécédents et les effets de la procrastination du consommateur

Nous avons vu également que la procrastination est un phénomène qu’on pourrait qualifier de « mutant », que ce soit à cause de l’âge ou de l’apprentissage. Si un procrastinateur peut

éviter, sans être un indécis cognitif, il y a de fortes chances qu’un indécis cognitif évite également la situation de décision suite à l’apprentissage par conditionnement. Si plusieurs fois de suite, le consommateur s’est senti mal à l’aise en considérant longuement les options d’un produit sans être capable de prendre une décision, il est probable que ce malaise aura agit comme une punition. Le consommateur aura appris de ce fait à éviter la situation de décision. L’apprentissage nécessite du temps et de l’expérience. Cela peut expliquer pourquoi plusieurs études ont mis en relation la procrastination et l’âge. Plus l’âge réel est élevé, plus la dimension évitement est forte, pour cacher la dimension indécision cognitive. C’est une voie de recherche qui devrait être poursuivie, qui peut avoir de nombreuses implications au-delà du marketing dans toutes les sciences de gestion, et dont nous discuterons dans la conclusion consacrée à cette recherche.

Notre conceptualisation autour de deux dimensions correspond bien au processus de décision de l’acheteur. Avant la recherche d’information, il évite tout simplement le processus d’achat, car il n’est pas encore contraint par une échéance. Lorsqu’il sera dans l’obligation de faire un choix, il va ralentir le processus car il ne sait pas organiser les données et reste fondamentalement indécis. Pour résoudre le problème posé par le choix, soit il optera pour une décision impulsive, soit il déléguera sa décision à autrui. On retrouve bien les deux occurrences du report d’achat telles qu’elles sont identifiées par Greenleaf et Lehmann (1995).

Le report d’achat s’explique donc par la tendance chronique à éviter la situation de décision ou bien par l’indécision cognitive systématique dans les situations de conflit. Ces deux variables composent la procrastination du consommateur.

Au-delà de la conceptualisation de la procrastination, autour de deux dimensions, nous avons développé une dynamique du phénomène. En premier lieu, la procrastination se manifeste via l’indécision cognitive. Ensuite, face à une difficulté de choix ou un conflit, la procrastination se manifeste par l’évitement. Mais lorsque la décision est inéluctable et irréversible, la procrastination implique soit la délégation de la décision à une autre personne, si la possibilité s’en présente, soit une décision impulsive et dysfonctionnelle.

Compte tenu de notre conceptualisation de la procrastination du consommateur, notre travail de recherche pour évaluer les effets du phénomène sur la consommation commencera par le développement d’une échelle.

Pour compléter notre compréhension de la procrastination, et fournir le corpus nécessaire au développement d’une échelle de mesure sur la base de la conceptualisation proposée dans ce chapitre, nous avons conduit des entretiens qualitatifs avec des consommateurs.

C h a p i t r e 3

APPROCHE SEMIOTIQUE ET QUALITATIVE DE LA