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La composante volitive : les altérations de la volition

POUR UNE CONCEPTUALISATION DE LA PROCRASTINATION DU CONSOMMATEUR

2. Les déterminants du trait de procrastination

2.2. Pourquoi procrastine-t-on ?

2.2.4. La composante volitive : les altérations de la volition

Lorsqu’elle est non provoquée par une réaction d’évitement par rapport à une protection de l’estime de soi ou par rapport à une tâche désagréable, la procrastination peut également se manifester au travers des biais et erreurs cognitives. Lay (1986) a le premier montré la

mauvaise organisation du procrastinateur, et proposé de considérer les erreurs cognitives comme une explication de la procrastination. Ces erreurs sont également souvent associées à la rêverie et à la distraction. Cette approche de la procrastination est compatible avec la théorie de l’action et de l’attente développée par Julius Kuhl. En effet, ce dernier propose la procrastination comme conséquence de l’orientation attente, une des deux orientations de sa théorie. Or l’orientation attente est nettement reliée à des perturbations cognitives dans l’accomplissement de l’action qui ne sont pas, a priori, reliées à la protection d’une estime de soi vulnérable. On peut donc bien envisager au niveau causal une troisième explication de la procrastination.

2.2.4.1. La Théorie Action / Attente

Pour Kuhl, les individus diffèrent dans leur capacité à maintenir le caractère volitif de leur action. Les individus se caractérisent soit par une orientation action, soit par une orientation attente. Cette dernière est définie par l’état de préoccupation ou l’état d’hésitation. L’état hésitation est commandé par l’ennui, la monotonie et l’absence de stimulation, alors que la préoccupation est déterminée par la frustration face à des intentions qui dégénèrent ou qui deviennent conflictuelles, et l’incapacité à discriminer les événements positifs et négatifs pour l’individu. L’une des conséquences de l’état attente caractérisée par l’hésitation, est premièrement une forte tendance à être distrait et ensuite à procrastiner.

Les individus orientés attente sont plus enclins à penser ce qu’ils auraient dû faire dans le passé, ce qu’ils devraient faire aujourd’hui ou ce qu’ils pourraient faire plus tard, plutôt que d’agir aujourd’hui comme le font les individus orientés action.

Cette deuxième approche théorique de la procrastination, complémentaire de la première, souligne la dimension indécision en complément de la dimension évitement. L’individu qui n’agit pas, tend à être indécis. Enfin cette approche permet d’expliquer la désorganisation névrotique constatée chez les procrastinateurs (Lay, 1986), les erreurs cognitives, et l’état de rêverie.

2.2.4.2. La désorganisation névrotique

Lay (1986) montre que la procrastination est reliée à la désorganisation névrotique, typique de la personne qui « trouve difficile de se concentrer sur les activités routinières et quotidiennes ;

qui est absente, facilement distrayable et mal organisée ; qui enfin a des difficultés à finir les choses à temps et a tendance à oublier beaucoup de choses ». La mauvaise organisation, cause de procrastination, est cohérente par rapport à notre approche de la procrastination du consommateur, vue comme le report d’un achat planifié donc programmé. Si le procrastinateur est mal organisé, il est normal qu’il ne puisse pas gérer correctement une intention d’achat.

La désorganisation engendre des oublis. Il est donc pertinent d’envisager la relation entre la procrastination et les erreurs cognitives.

2.2.4.3. Les erreurs cognitives14

L’individu reporte quelquefois involontairement une action. Les consommateurs retardent souvent un achat au-delà de la limite qu’ils s’étaient donnés, car ils oublient cette limite. Typiquement un consommateur qui veut profiter d’une promotion avec une durée limite, se dit « il faut que j’amène mon coupon de réduction la prochaine fois que je ferai les courses » et s’aperçoit qu’au passage à la caisse il a oublié son coupon de réduction. Ou encore le consommateur part réaliser un achat avec un objectif bien précis et se laissera cependant distraire par une offre différente. Ce sont ces altérations du programme volitif poursuivi par l’individu qui sont nommées des erreurs cognitives.

Les erreurs cognitives sont des dérèglements dans le processus conduisant de l’intention à l’action qui peuvent se manifester par de mauvaises perceptions, des trous de mémoires ou des actions inappropriées (Broadbent et al, 1982). Les erreurs cognitives rendent compte des moments d’absence ou de distraction de la vie de tous les jours.

Les oublis et les trous de mémoires sont fréquemment cités comme causes d'ajournement de la recherche d'information (Amine, 1990). Mesuré par le Cognive Failure Questionnaire – CFQ15 (Broadbent et al, 1982), ce phénomène a largement été repris par les chercheurs dans le domaine de la procrastination et de la théorie de l’action et de l’attente (Kuhl & Goschke, 1994).

14 Cognitive failures en anglais

15 Le Cognitive Failure Questionnaire (CFQ) est une échelle de 25 items de type Likert. Parmi ceux-ci voici quelques libellés typiques : « Vous arrive-t-il de vous cogner dans les gens ? », « Laissez-vous des lettres importantes sans réponse pendant plusieurs jours ? », « Vous arrive-t-il de ne pas voir dans un supermarché ce que vous cherchez (alors que l’article en question est bien là) », « Vous arrive-t-il d’oublier ce que vous êtes venus acheter dans un magasin ? », « Il vous arrive de rêver alors que vous devriez écouter quelque chose ».

Les oublis et les "erreurs cognitives" mesurés par le CFQ ont été signalés à plusieurs reprises comme causes de la procrastination (Lay, 1988; Effert et Ferrari, 1989; Ferrari, 1993).

Par ailleurs, le locus de contrôle externe est corrélé aux "cognitive failures" (Broadbent, 1992).

Le procrastinateur se caractériserait par des moments d’absence et de rêverie. Ces hypothèses sont confirmées par d’autres travaux empiriques.

2.2.4.4. Rêverie, distractibilité ou obligation.

Comparant les tâches que le non-procrastinateur est susceptible de vouloir engager dans de courts délais par rapport aux tâches choisies par le procrastinateur (Lay, 1986), on remarque que les activités sélectionnées par ce dernier sont à plus long terme et permettent la rêverie. Le procrastinateur a donc tendance à rêver. Le choix de tâches dont l'échéance est particulièrement lointaine (Lay, 1995) confirme cette tendance. La rêverie ("Daydreaming"), et la distractibilité apparaissent effectivement corrélées avec la procrastination décisionnelle (Harriot, Ferrari, et Dovidio, 1996).